Compte rendu

Être écoféministe : théories et pratiques, Jeanne Burgart Goutal, Paris, Édition L’échappée[Record]

  • Anaïs Gerentes

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Jeanne Burgart Goutal, professeure agrégée de philosophie française, nous offre dans cet ouvrage l’opportunité de mieux comprendre ce (nouveau?) courant qu’est l’écoféminisme. Au travers des quelque trois cents pages, nous suivons l’auteure dans sa démarche intellectuelle, mais aussi expérientielle réalisée dans le cadre de ses études doctorales. C’est dans les lignes des deux premiers chapitres que l’auteure contextualise et dresse un portrait de ce courant, constatant son caractère pluriel, voire nébuleux. Au-delà de la multitude de figures et de revendications que peut prendre l’écoféminisme, le postulat initial du courant semble être l’élément qui fédère l’ensemble des théoriciennes qui s’en revendiquent : celui que l’oppression des femmes est intimement liée à celle de la nature, et que, de fait, les luttes pour leur anéantissement doivent être pensées conjointement. Être écoféministe, c’est voir des « liens entre l’exploitation et la brutalisation de la terre et de ses populations d’un côté, et la violence physique, économique et psychologique perpétrée quotidiennement envers les femmes » (déclaration d’unité de Women and Life on Earth, premier collectif écoféministe états-unien, en 1979, p. 24). Cette interconnexion idéologique n’est pas limitative à l’oppression des femmes, mais concerne également tous les systèmes de domination qu’ils soient sur la base du sexe/genre, de la race, de la classe, mais aussi de l’espèce, inscrivant alors l’écoféminisme dans une approche holistique. L’auteure cherche initialement à répondre à la question : « Qu’est-ce que l’écoféminisme ? » Toutefois, elle se refuse à entreprendre cette démarche par la voie de sa cartographisation qu’elle juge réductrice, lui préférant une analyse historique. Bien que certain.e.s situent la naissance du courant dans les années 1970 en France sous la plume de la féministe Françoise d’Eaubonne, l’auteure explique que c’est auprès des féministes états-uniennes que le mouvement fait écho. Elle précise cependant que l’émergence de l’écoféminisme ne peut se réduire aux frontières occidentales, compte tenu des multiples mobilisations écologiques de femmes qui s’observent partout sur le globe dans les années 1970-1980. L’auteure poursuit la ligne du temps du mouvement et décrit les années 1990 comme celles où l’activisme laisse place à un fort travail de théorisation. Burgart Goutal dresse un rapide portrait des théories dans lesquelles l’écoféminisme s’enracine : anarchisme, analyses marxistes, théorie critique, écologie sociale, proposant alors qu’il serait plus juste de parler des écoféminismes au pluriel. Les années 1995-2015 sont le lieu d’un riche débat (éco)féministe où les opposantes du mouvement le poussent jusqu’à son déclin en formulant quatre accusations à son égard : celles d’« essentialisme, [de] conservatisme, [d’]irrationalisme [et de] dépolitisation » (p. 81). Bien que l’écoféminisme semble désinvesti dans le Nord Global, de multiples revendications et actions collectives de femmes du Sud Global concernant des enjeux écologiques laissent apercevoir la survivance du mouvement. L’analyse historique du mouvement se termine sur le contexte contemporain propice à sa redécouverte et à son réinvestissement par une nouvelle génération de féministes plus conscientisée par les enjeux écologiques et plus ouverte aux spiritualités. L’auteure clôt cette première moitié de l’ouvrage par un interlude saisissant où elle se positionne au regard des théories écoféministes et déclare : « je ne crois pas aux théories écoféministes » (p. 138). Soulevant la faiblesse conceptuelle du postulat qui est celui d’une convergence de toutes les formes de dominations, elle en conclut que ce mouvement n’est pas à comprendre avec une lunette philosophique ou scientifique mais bien politique. L’écoféminisme démontre son intérêt par « la force symbolique, la puissance de mobilisation, la portée heuristique, l’appel de nouvelles contrées et de nouveaux imaginaires » (p. 130). Adopté comme lunette critique, elle reconnaît dans l’écoféminisme un atout de taille pour déconstruire les divers discours et …

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