Abstracts
Résumé
De tous les témoignages rassemblés par Carmen Roy, alors ethnologue au Musée national de l’homme (maintenant Musée canadien des civilisations), au cours de l’été 1970 en Saskatchewan, il y en a un qui est particulièrement remarquable par sa richesse, celui de François-Marie Rohel, alors âgé de 82 ans, de Saint-Brieux (Saskatchewan) et originaire du canton de Landerneau en Bretagne. Transcrits sur 404 feuillets de format légal, les témoignages de M. Rohel présentent un grand intérêt non seulement en raison des informations communiquées sur la survivance et la disparition de pratiques culturelles bretonnes en Saskatchewan, mais surtout en raison du décalage entre le discours institutionnel de Carmen Roy, les questions qu’elle persiste à poser qui ont évidemment pour objectif de reconstruire une « bretonitude », et le discours de François-Marie Rohel qui s’efforce de se dégager des limites imposées par les questions de l’ethnologue. Le discours mnésique devient donc un enjeu de pouvoir entre le témoin, qui cherche à affirmer par la parole une identité qui ne serait pas liée à certaines pratiques culturelles « typiques », et l’ethnologue à la recherche de renseignements spécifiques, qui cherche par ses questions à associer identité et pratiques culturelles selon des normes scientifiques établies. Sur quoi le discours de la mémoire met-il l’accent et sur quoi refuse-t-il de s’attarder en dépit de l’insistance des questions posées par Carmen Roy? Au-delà des informations ethnographiques qu’il fournit, le discours mnésique de François-Marie Rohel est un discours de la souffrance et du regret, du sacrifice et de la justification, enfin de la fierté, et c’est dans le cadre de ce parcours que se forme et se modifie une identité qui se dégage de pratiques culturelles particulières.
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Appendices
Note biographique
Pierre-Yves Mocquais, professeur de français au département de français, d’italien et d’espagnol et ancien doyen des sciences humaines de l’Université de Calgary (1999–2004), a été nommé Chevalier de l’Ordre des Palmes académiques en 2005, reconnaissance en partie due à son importante contribution à l’étude de la littérature et de la culture franco-canadienne, notamment dans les Prairies et au Québec. Son travail examine l’identité et la culture des francophones en tant que groupe minoritaire et, plus récemment, des immigrants français qui se sont établis dans la Saskatchewan au début du xxe siècle sans avoir séjourné au Québec. Il rédige à l’heure actuelle un ouvrage sur les Fransaskois.
Notes
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[1]
Comte Yves de Roffignac, Comte de Wolf, Comte Jean de Jumilhac, futur Duc de Richelieu, Vicomte Joseph de Langles, Vicomte de Seyssel, Baron de Brabant, Baron de Ravignan, Baron Salvaing de Boissieu, Monsieur Le Bidan de Saint-Mars, Comte Joseph de Farguettes, Comte de Langle, Comte de Beaulincourt, Comte Henri de Soras, Comte Paul de Beaudrap.
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[2]
Les photographies qui figurent dans ce texte proviennent soit du site toile de la Société historique de la Saskatchewan sur l’histoire des communautés francophones de la Saskatchewan, soit de l’ouvrage de Richard Lapointe et Lucille Tessier, Histoire des Franco-Canadiens de la Saskatchewan, publié en 1986 par la Société historique de la Saskatchewan.
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[3]
« Je ne suis partis de Saint-Malo le premier Avril, à 7 heures du mantin. On a pas eu du beau temps pour aller jusqua Saint-Pierre, mais malgré cela je ne suis pas été malade, ni les autres non plus, excepté Anne a eu un peu le mal de mer et les plus grands des enfants la petite n’a pas eut le mal de mer. On a mis quinze jours pour aller jusqua Saint-Pierre à cause de la brume parce que les navires quand il y a de la brume ne marche pas vite. On était rendue à Saint-Pierre le 11, ont appercevait la terre à cinq heures du matin, ont était rentré au port à neufs heures, ont était resté jusqua le 21. » (témoignage de François le Brigueur) « Nous sommes en pleine mer depuis cinq jours déjà; la tempête commence et le roulis se fait sentir. La nuit précédente il a été impossible de dormir car les plats en fer blanc qui servent aux repas ont été laissés sur le plancher et, avec les roulis, ils valsent d’un bord à l’autre faisant un vacarme épouvantable. La mer devient de plus en plus grosse; les passagers mal à l’aise sont sans appétit. La brume commence et la sirène fait entendre ses sons lugubres à des intervalles de plus en plus rapprochés; je veux monter sur le pont, mais, à cause du danger, je suis invité à l’évacuer. Tout naturellement les vers de Botrel me viennent à la mémoire...Ohé, matelot, connais-tu la brume? C’est la cheminée de l’enfer qui fume. » (témoignage anonyme) « Les repas étaient servis dans des plats pour dix personnes. Comme il n’y avait ni table ni banc, les plats étaient posés à même le plancher et chacun venait se servir tant bien que mal, comme il le pouvait. » (témoignage anonyme)
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[4]
Qui porta un temps aussi le nom de Kermaria.
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[5]
Témoignage recueilli par la télévision de Radio Canada (Saskatchewan) et diffusé sur les ondes de Radio Canada en Saskatchewan, dans le cadre de capsules historiques sur 23 familles de Saskatchewan.
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[6]
Jean Du Berger, Grille des pratiques culturelles, Québec, Éditions du Septentrion, 1997, 406 p.
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[7]
Ibid.
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[8]
Voir Philippe Le Stum, Fées, korrigans et autres créatures fantastiques de Bretagne, Éditions Ouest-France, 2001, 128 p.
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[9]
On se reportera à ce sujet avec profit à l’ouvrage de Paul Ricoeur.
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[10]
Paul Ricoeur, Parcours de la reconnaissance, Paris, Éditions Stock, 2004, Gallimard, « Folio-Essais », 2005, 431 p.
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[11]
Id., p. 183.
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[12]
Paul Ricoeur, Lectures 3, Paris, Éditions du Seuil, « Points-Essais », p. 108.
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[13]
Ibid.
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[14]
« Entre la mémoire et l’histoire », in Tr@nsit on line - Europäische Revue, n˚ 22, 2002, www.iwm.at.
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[15]
Comme par exemple Denys Bergot dans son récit à l’occasion du 25e anniversaire de la fondation de Saint Brieux (Saskatchewan).