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Les pratiques pédagogiques en arts vivants, de même que les approches théoriques qui les irriguent et les réfléchissent, connaissent aujourd’hui un essor considérable : plurielles, elles se déclinent en une multiplicité de formes qui portent en leur centre des questions liées à la transmission, à la co-construction des savoirs et des expériences ou encore à la réinvention de la relation pédagogique. Ce numéro thématique, élaboré par le tandem formé de Carole Marceau, professeure à l’École supérieure de théâtre de l’Université du Québec à Montréal, et de Marie-Eve Skelling Desmeules, professeure à la Faculté d’éducation de l’Université d’Ottawa, s’intéresse à la formation en art dramatique à travers une féconde mise en dialogue entre le « terrain » de la pratique de l’enseignement, dans ses diverses déclinaisons, et les perspectives actuelles en recherche.

Alors que la formation constitue, parmi les quatre axes de réflexion de la Société québécoise d’études théâtrales (SQET), un incubateur important de projets de recherche, d’expérimentations et de collaborations, sept années se sont déjà écoulées depuis la parution, en nos pages, d’un dossier thématique lui étant entièrement consacré. Il est d’ailleurs intéressant, en parcourant ce numéro intitulé « Théâtre et formation : enjeux actuels de l’enseignement de l’art dramatique » élaboré sous la gouverne de Francine Chaîné et Carole Marceau, de mesurer non l’écart avec le présent dossier mais les échos, approfondissements et enrichissements des pensées et des conduites en formation. Alors que le dossier paru au printemps 2014 posait la question de la part de la création dans l’acte pédagogique, les textes réunis ici attestent, indéniablement, de l’importance de cette dimension créatrice à tous les niveaux de formation. De même, tandis que les codirectrices du numéro précédent relevaient un « foisonnement[1] » de la recherche en art dramatique, laquelle, déjà, s’ouvrait à des méthodes diversifiées, à des notions théoriques et à des pratiques réflexives riches de nouveaux possibles, les cinq articles qui composent le présent dossier, ainsi que les contributions rassemblées dans la section « Documents », montrent que l’effervescence de la pensée et de la praxis pédagogique s’est maintenue, a essaimé et fait territoire en une variété inspirante d’espaces de jeu, d’exploration, de recherche. Pour autant, ce dossier thématique ne constitue pas un prolongement du numéro publié il y a sept ans – lui-même entrant en résonance avec un dossier paru quelque vingt ans plus tôt[2] – mais il tisse certainement avec ce(s) dernier(s) un dialogue porteur, tout en proposant, bien sûr, ses propres trajectoires réflexives. Celles-ci s’attachent, notamment, aux modalités créatives de l’accompagnement de l’apprenant·e en art dramatique / théâtre et à la façon dont, à travers un faisceau de pratiques, elles permettent à l’élève d’acquérir de l’autonomie et de tracer son propre chemin pour, en route, s’inventer lui-même, elle-même.

Aussi dans ce numéro

Le « Parcours critique » déplié dans ce numéro rend compte d’un phénomène singulier : l’événement dramaturgique en ligne « Monologues intérieurs » mis en place au printemps 2020 par l’auteur Éric Noël et investi par quelques-un·es de ses acolytes du Centre des auteurs dramatiques (CEAD). Sous la plume sensible et subjective de Jennifer Bélanger, se dessine ici un tracé expérientiel et réflexif au sein de ces fragiles mises en lecture de textes dramatiques, sur Facebook, alors que la pandémie de COVID-19 semait (et sème toujours) solitude et désarroi, puis que le monde des arts vivants, en suspens, retenait (retient encore) son souffle. Tout en nuances, ce texte relève les échos entre les divers paysages dramaturgiques traversés, souligne la résilience des auteur·trices, et questionne au passage l’injonction faite aux artistes, en ces temps troubles et incertains, à se « réinventer ».

Deux recensions d’ouvrages portant en leur centre des questions liées au politique complètent ce numéro. La première note de lecture, préparée par Isabelle St-Amand, professeure adjointe en littérature autochtone francophone à l’Université Queen’s, examine le livre Encounters on Contested Lands : Indigenous Performances of Sovereignty and Nationhood in Québec écrit par Julie Burelle, professeure à l’Université de Californie à San Diego. St-Amand propose ici une lecture minutieuse de cet ouvrage important qui, tout en mobilisant des réflexions à la portée esthétique, philosophie et politique sur les théâtres et performances autochtones, s’attache à déplacer et à repenser le regard posé sur les rapports entre les Premières Nations et le Québec. Soulignons par ailleurs que cette oeuvre s’est méritée, à l’automne 2020, une mention d’honneur pour le Prix du meilleur ouvrage de la Société québécoise d’études théâtrales (SQET). La seconde recension, rédigée par Philippe Manevy, doctorant à l’Université de Montréal et à l’Université Lumière – Lyon 2, porte sur un ouvrage d’Olivier Neveux au titre pour le moins étonnant : Contre le théâtre politique. À travers une lecture critique qui situe cet essai dans la poursuite de la trajectoire intellectuelle de Neveux, Manevy démontre comment, dans cet opus, l’auteur ne condamne pas le théâtre politique, mais défait plutôt les présupposés de la bonne conscience et propose des avenues pour « une alliance, dynamique et conflictuelle, de l’art théâtral et de l’activité politique ». Chacun à sa façon, ces deux ouvrages nous invitent à « regarder autrement » (pour reprendre le sous-titre du colloque de la SQET tenu en 2017) les rapports noués entre le politique et les arts vivants.

Bonne lecture!