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On m’a demandé de dire des vers de moi.
Je vous réciterai donc un sonnet,
le sonnet sur Spinoza.
Le fait que beaucoup d’entre vous ignorent probablement l’espagnol
en fera un plus beau sonnet.
Comme je l’ai dit, le sens n’a pas d’importance,
ce qui compte,
c’est une certaine musique,
une certaine manière de dire les choses.
Et peut-être, même si la musique est absente,
l’entendrez-vous.
Ou plutôt, comme je connais votre bienveillance,
l’inventerez-vous.

Jorge Luis Borges[1]

Cet article présente une brève synthèse de l’état de mes recherches sur le langage, un domaine qui me passionne depuis longtemps. J’exposerai d’abord des éléments théoriques sur la nature de celui-ci. Puis, considérant l’étendue du sujet, je déplierai les éléments principaux de ma réflexion sur son utilisation en contexte artistique et pédagogique, en me concentrant sur le langage des metteur·es en scène en contexte de création théâtrale ainsi que sur le pouvoir créateur des formes littéraires. Cette étude, appuyée par mes propres expérimentations sur le terrain, viendra éclairer ensuite les enjeux relatifs à la compétence linguistique des enseignant·es en classe d’art dramatique / théâtre. Étant l’outil premier de médiation entre l’enseignant·e et l’apprenant·e, le langage loge au coeur de l’action d’enseigner; non seulement constitue-t-il l’arrière-plan épistémologique de la matière à enseigner, mais il convoque aussi l’apprenant·e à de nouveaux réseaux de sens et de sensibilités.

Dans le moment présent de la situation pédagogique, la personne enseignante, habitée par les savoirs qu’elle a préalablement intériorisés et ciblés, laisse place à l’intuition et à l’écoute, et institue un rapport dialogique avec la classe. Elle s’ouvre à ce qui peut advenir dans l’ici et maintenant. Et bien qu’elle comprenne l’impact de ses interventions, il lui arrive parfois d’être surprise elle-même par ses propres mots, d’être étonnée par le pouvoir créateur du langage qui agit comme un révélateur de ce qui est en train de se construire. Il est souhaitable que la conscience de ce pouvoir soit présente chez l’enseignant·e en art dramatique / théâtre, tout particulièrement lorsqu’il·elle énonce des propositions de création et élabore diverses façons de faire mousser la créativité, un concept polysémique utilisé tant dans les domaines de la science et de l’art et duquel je retiens cette définition : « Sensibilité au monde, fluidité et mobilité de la pensée, originalité personnelle, aptitude à transformer les choses, esprit d’analyse et de synthèse, capacité d’organisation » (Raynal et Rieunier, 2014 : 129). À cette énumération s’ajoutent la faculté d’invention et la capacité d’imagination, habiletés qui prennent corps dans le langage. En faisant le pont entre le réel de la classe et l’univers du théâtre, et en débordant de sa fonction référentielle, le langage imagé de l’enseignant·e de théâtre pave la voie à la création. « Au risque de tomber dans la platitude, le théâtre ne se prête pas à l’expression explicite des choses, il est création évocatrice, symbolique, métaphorique, allusive, suggestive », écrit Roger Deldime (2006 : 2-3). D’où l’importance de la fonction poétique du langage, l’une des sept fonctions théorisées par Roman Jakobson.

Approches théoriques

Au cours des dernières décennies, plusieurs philosophes ont enrichi la compréhension du langage, pour ne nommer que Maurice Merleau-Ponty et Paul Ricoeur dont les travaux sont d’une grande acuité. De leur côté, les théoriciens de la pragmatique linguistique (John Austin, John Searle) ont éclairé le langage en tant qu’acte performatif : le « dire c’est faire » renvoie à un agir sur autrui. Les actes de langage de l’enseignant·e ont d’ailleurs fait l’objet de recherches récentes dont il faut saluer la pertinence bien qu’elles s’appuient peu sur les usages littéraires du langage ainsi que sur sa force symbolique. Au croisement de courants philosophiques, psychanalytiques, littéraires et linguistiques, la notion de polyphonie de Mikhaïl Bakhtine est venue à son tour renouveler le domaine des sciences du langage et faire surgir de nouvelles esthétiques. C’est dire combien ce domaine de recherche est vaste et mouvant; il s’inscrit dans un contexte sociohistorique dont il faut tenter de saisir les enjeux, à l’instar du sociologue Pierre Bourdieu (2001) pour qui les seuls modèles linguistiques ne suffisaient pas à rendre compte des formes de pouvoir et d’autorité qui traversent les communications. La publication récente de l’ouvrage synthèse de Charles Taylor (2019) sur la compétence linguistique humaine participe d’ailleurs du long parcours historique, une parution qui vient apporter une contribution remarquable à la compréhension d’un champ de connaissances complexe.

La nature du langage d’après Charles Taylor

Taylor puise dans l’historique de la philosophie occidentale pour éclairer les théories relatives au langage qu’il classe en deux grandes catégories : les théories « encadrantes » d’une part, et les théories « constitutives » d’autre part. Les premières, issues des rationalistes et des empiristes tels que Hobbes, Locke, Condillac, s’appuient sur un mode de traitement de l’information qui vise à encoder le sens : elles « cherchent à expliquer le langage en l’inscrivant dans une conception de la vie, du comportement, des finalités ou des facultés mentales de l’être humain qui est définie et exposée sans égard au langage » (Taylor, 2019 : 13-14). Dans ce cas-ci, le cadre précède le langage. Dans les théories « constitutives », qui émergent de la quête postromantique entreprise notamment par Haman, Herder, Humbold, « le langage rend possibles de nouvelles finalités, de nouveaux répertoires comportementaux et de nouvelles significations » (ibid. : 14); on ne pourrait l’appréhender « à partir d’une conception de la vie humaine conçue sans lui » (idem). Il y aurait donc, d’après Taylor, un langage mort qui se limite à désigner les choses telles qu’elles semblent apparaître indépendamment de leurs qualités de signes ainsi qu’un langage créateur qui se refait sans cesse. Comme l’introduction d’un nouveau terme « réordonne et refaçonne le champ du phénomène qu’il contribue à décrire » (ibid : 260), ce langage créateur déborde ainsi du champ de la « logique dénotative » pour aller vers celui de la « logique constitutive ». En effet, « [l]es expressions énactées ou verbales rendent possibles de nouvelles manières d’être au monde. On se situe donc dans le domaine de l’innovation culturelle, fruit d’une puissance constitutive propre à certaines expressions » (ibid. : 256).

Cette théorie de Taylor mène à une conception élargie du langage qui se décline désormais dans la vaste gamme des formes symboliques et refuse d’être strictement réduit au cadre « austère de la description et de l’explication » (ibid. : 235). Dans ce contexte, où il n’est plus uniquement question de mots, le langage se compose de divers types d’énoncés, de symboles, de métaphores, de récits et de discours; de diverses formes artistiques (littérature, poésie, théâtre, musique, arts visuels); et de diverses manifestations de l’expression corporelle. Ces études sur la nature du langage viennent soulever des éléments de compréhension fondamentaux sur la compétence linguistique humaine et permettent, par la bande, de mieux circonscrire les défis relatifs à la maîtrise de cette compétence chez des enseignant·es en classe d’art dramatique / théâtre. Y aurait-il un langage qui renouvelle le lien entre la personne qui accompagne et celle qui apprend, ainsi que la relation que celles-ci entretiennent face à l’objet d’apprentissage? Parmi l’inventaire des formes symboliques, certaines seraient-elles plus susceptibles que d’autres de favoriser l’émergence d’un langage créateur en classe de théâtre? Pour éclairer cette problématique, je propose d’abord de faire un parallèle avec le langage de l’enseignant·e et celui du ou de la metteur·e en scène professionnel·le afin d’analyser ensuite les zones de convergence entre les deux pratiques.

Parallèle entre le langage des pédagogues dans la classe d’art dramatique et celui des metteur·es en scène professionnel·les

Dans la classe d’art dramatique / théâtre, plusieurs types d’énonciations sont utilisés par l’enseignant·e selon les contextes. Si la conduite des activités requiert des consignes organisationnelles liées à la division des équipes (grands groupes, micro-groupes ou duos), à la gestion du temps, de l’espace et du matériel didactique (cubes, objets, masques, accessoires), il n’en demeure pas moins que ces directives plus codées et structurantes sont ponctuelles, étant précédées ou suivies par des consignes plus libres qui ont pour but de stimuler l’imaginaire lors des activités de création, d’interprétation et d’appréciation.

Le langage étant souvent spontané, un usage spécifique d’un mot, d’un verbe ou d’un énoncé n’est pas toujours conscient chez le·la pédagogue en art dramatique. Or, une meilleure prise en compte des potentialités du langage pourrait s’avérer fructueuse dans un grand nombre de ses tâches, dont celles qui concernent la mise en scène. Un emploi fréquent de la métaphore et d’autres figures de style a été observé chez plusieurs metteur·es en scène européen·nes en cours de répétition, des résultats de recherche qui donnent un éclairage sur l’impact du langage en contexte de création. En plus de l’ouvrage sur la direction d’acteur·trices coordonné par Jean-François Dusigne[2], la recherche menée par le critique et homme de théâtre Georges Banu il y a une vingtaine d’années demeure toujours aussi pertinente : elle propose une analyse fine de l’oralité du ou de la metteur·e en scène. Nombre de chercheur·euses ont noté depuis que les metteur·es en scène en répétition recourent à une prise de parole qui guide l’acteur·trice, l’accompagne et aiguillonne sa création (Bosch, 2015 : 51). Dans cette « oralité d’accompagnement » (Banu, 1996 : 8), certain·es développent parfois une discursivité abondante alors que d’autres usent d’une « [o]ralité fragmentaire, énigmatique, discontinue » (idem). Banu précise que

[l]’oralité se définit aussi par le pouvoir intervenant des indications. Au point même d’en devenir le principal ressort pour certaines mutations : trouver d’autres mots signifie proposer aux comédiens d’autres tâches, inaccessibles jusqu’alors. Le champ sémantique se modifie afin que le champ de la pratique s’élargisse : ainsi Jouvet ou Grotowski, Grüber ou Wilson, ont formulé des métaphores et développé des visions qui devaient entraîner l’acteur dans des territoires inaccessibles auparavant

(ibid. : 9).

Au-delà des indications scéniques, l’oralité des metteur·es en scène communique une vision du projet théâtral et des attentes face au travail de l’acteur·trice. Elle « projette le modèle d’un acteur idéal, philosophe et poète aussi, dans le sillage duquel l’acteur réel est ainsi inscrit » (idem) tout en laissant deviner « l’horizon d’une utopie proche dont le metteur en scène est habité » (idem).

À bien des égards, donc, le langage des metteur·es en scène et celui des pédagogues de théâtre présentent des points de convergence, car tantôt sont énoncées des demandes explicites ou plus ambiguës, tantôt sont empruntés des chemins de traverse pour présenter le projet théâtral et guider les apprentissages :

Notion flottante, la direction d’acteurs recouvre en effet une pluralité de voies de passage, contradictoires et / ou complémentaires : ordonner, mettre en place, faire éclore, induire, impulser, stimuler, indiquer, guider, entraîner, montrer, modeler, conduire, suggérer, aiguiller, défaire, pousser, stabiliser, ébranler, révéler, choisir

(Dusigne, 2015 : 5).

En plus des procédés d’énonciation de type performatif et de l’utilisation d’un langage métaphorique, le processus créatif se transmet par la communication non verbale; le mode de transmission des metteur·es en scène est tout aussi sensoriel qu’intellectuel et passe par une recherche de stimuli en mesure de générer des processus créatifs et sensibles chez l’acteur·trice. Tout un univers est évoqué par la qualité de présence du ou de la metteur·e en scène, son énergie, son dynamisme, sa plus ou moins grande proximité avec les comédien·nes, ainsi que par les modulations de sa voix :

Ces multiples manières de communiquer avec un acteur passent peut-être davantage par ce qui n’est pas de l’ordre du dit, mais bien d’un non-dit, du tacite, qui, s’il peut être caché sous les mots, peut aussi bien les déborder, quand, au lieu d’en cacher le sens, le directeur potentialise ce dernier à partir de son expression particulière

(Scalari, 2015 : 87-88).

Chaque metteur·e en scène corporalise son discours à sa façon. Chez Ariane Mnouchkine, par exemple, la projection de son corps joue un rôle fondamental lors du travail d’exploration et de création : « Au-delà de ce qu’Ariane dit, l’attention émanant d’elle est capable d’instaurer un champ de jeu, comme si elle construisait un réseau sensible dans lequel ses acteurs peuvent bouger, et en même temps comme s’ils bougeaient également à partir des impulsions véhiculées par sa présence virtuelle sur scène » (ibid. : 92). Misant sur la proxémique, Patrice Chéreau vient rejoindre les acteur·trices sur le plateau et leur chuchote des indications à l’oreille, de sorte qu’on observe alors un type de « contamination organique mutuelle » (ibid. : 96). Ainsi, « de sa présence même, le directeur d’acteurs imprime sa propre esthétique, la rend charnelle » (ibid. : 97).

On comprend bien, à l’aide de ces exemples, la position de Taylor selon laquelle « [l]’affirmation de la primauté du littéral ne laisse aucune place au corps vécu » (Taylor, 2019 : 220). Le savoir-faire du langage est inscrit dans le corps et fait partie de l’intentionnalité motrice, « bon nombre des métaphores les plus élémentaires sont ancrées dans des schèmes sensori-moteurs » (idem). « Comme quoi la compétence linguistique n’est pas une simple aptitude intellectuelle », nous dit Taylor, car

elle se retrouve incarnée dans les significations énactées, [dans] les représentations artistiques, [dans] les métaphores inspirées de l’expérience vécue ainsi que dans les gestes iconiques qui accompagnent le discours ordinaire, sans parler de l’omniprésence du « langage corporel » (ton de voix, intensité, gestes expressifs, marques d’intimité ou de distance) où baigne ce discours

(ibid. : 442-443).

Plus près de nous, au Québec, nous avons observé que le metteur en scène André Brassard ponctue sa direction d’acteur·trices de nombreux récits, dont certains sont très colorés. C’est sa façon d’introduire les étudiant·es-acteur·trices à son univers. Mon souvenir de quelques-unes de ses anecdotes, en lien avec la mort ou la maladie de ses proches, ne s’est toujours pas émoussé. Par son verbe, le metteur en scène-conteur à la poésie noire amène ses élèves vers un ailleurs[3].

De son côté, Martine Beaulne cherche à saisir les impulsions et les intuitions de l’acteur·trice afin qu’une communion des idées et des instincts puisse advenir :

Je me dois de trouver l’espace de sensibilité et de fragilité de l’artiste, le couloir par lequel j’éveillerai l’imaginaire du créateur et par lequel ma parole suscitera une résonance. Une résonance qui fera écho à un saisissement, à une reconnaissance. La porte d’entrée pour accéder à la créativité de l’acteur peut être différente pour chaque interprète. Certaines portes s’ouvrent grâce à la sensibilité et à la parole du corps, d’autres par la compréhension intellectuelle et la force du sens, d’autres encore par l’instinct. Si la collaboration et la confiance s’établissent entre l’acteur et moi, la proposition finale présentera le fruit de l’enrichissement des différentes analyses, interprétations, visions, intuitions et sensibilités

(Beaulne, dans Beaulne et Drapeau, 2012 : 21).

Ces recherches sur le mode de communication de la mise en scène mettent en relief différents types de discours – métaphoriques, performatifs et référentiels (dénotatifs) – susceptibles d’éveiller à la fois l’intellect et l’imaginaire de l’acteur·trice. Elles soulignent que la corporéité du ou de la metteur·e en scène, son mode de présence à l’autre et son expressivité font partie intégrante de son langage. Afin de comprendre comment la métaphore concourt à recréer le langage, je vais maintenant analyser sa capacité de transformation au-delà des déplacements sémantiques qu’elle opère.

La métaphore, une figure pour réinventer le monde

La métaphore est particulièrement créatrice et se distingue d’autres figures de style très connues qui sont plus codées. Son pouvoir réside dans l’étonnement qu’elle suscite :

Avec la métaphore, c’est tout un cycle qui s’achève, celui des figures qui disent le monde à leur façon, depuis la transparence plus ou moins codée (allégorie, synecdoque et métonymie), en passant par le regard neuf et transversal posé sur les choses (comparaison). Avec elle, les portes de l’imaginaire s’ouvrent vraiment en laissant sa place à la création pure, qui mêle les éléments du monde pour créer une matière verbale neuve, et, par contrecoup, un nouveau système de référence et de pensée

(Ducros, 1996 : 129).

Ricoeur (1997) explique le pouvoir de la métaphore par le fait qu’elle agit au-delà de la phrase et qu’elle performe plus qu’un simple déplacement sémantique; elle a le pouvoir de faire référence à une « réalité » en dehors du langage et ainsi de redécrire le réel. Elle quitte donc le champ sémantique pour le niveau heuristique, allant jusqu’à emprunter une pluralité de modes de discours (poème, récit, discours philosophique). Taylor avance que

[l]orsqu’elles sont comprises, les métaphores nous font remarquer des aspects des choses qui jusque-là passaient inaperçues et attirent notre attention sur des analogies et des similitudes surprenantes; elles fournissent une sorte de lentille ou de grille, comme le dit Max Black, à travers laquelle nous envisageons les phénomènes pertinents

(Taylor, 2019 : 193-194).

Outre le langage lié à la communication, l’enseignant·e en art dramatique fait appel à d’autres langages artistiques tels la littérature, les arts visuels, la musique, la danse et, bien sûr, le théâtre, tantôt en tant que déclencheurs pour des activités d’exploration, tantôt en tant que matériaux faisant partie intrinsèque de la création théâtrale. Ainsi, ces formes symboliques issues de diverses pratiques artistiques sont susceptibles de repousser les limites du langage théâtral, l’art multidisciplinaire par excellence.

Parmi ces langages artistiques, l’utilisation des formes littéraires à des fins didactiques[4] a été une grande source d’inspiration pour moi comme pour les apprenant·es que j’ai accompagné·es au fil des années. Examinons tout d’abord quelques exemples d’approches pédagogiques en lien avec le mot, la poésie et le récit. Seront exposés par la suite des exercices qui découlent des jeux de hasard et de contraintes.

Le mot comme déclencheur de l’imaginaire

Dans les ressources sensibles mises en place par les cycles Repère et pouvant interpeller « la mémoire des sens, de même que la sensibilité et l’expérience de celui qui observe » (Roy, 1993 : 35) se trouvent le texte, le lieu, les objets, les images, les sons ainsi que les acteur·trices. Je propose d’ajouter à cette énumération l’utilisation du mot comme un des moteurs de création tant chez les élèves des niveaux primaire et secondaire que chez les étudiant·es des cycles supérieurs.

Dans son ouvrage Grammaire de l’imagination (1997) inspiré par les surréalistes, le poète et écrivain Gianni Rodari présente un grand nombre de propositions fantaisistes utilisant le mot pour stimuler l’imaginaire de l’enfant, pour ne citer que le binôme imaginatif, le préfixe arbitraire et l’erreur créatrice. Citant Henri Wallon selon lequel la pensée de l’enfant se forme par couples (par exemple, mou / dur), Gianni Rodari propose de créer des binômes imaginatifs en unissant par le hasard deux mots et en les reliant par une préposition. Ainsi le binôme chien / armoire pourrait générer ces figures, qui offrent le choix d’une situation imaginative : « Le chien avec l’armoire. L’armoire du chien. Le chien sur l’armoire. Le chien dans l’armoire. Etc. » (Rodari, 1997 : 34), autant de propositions qui pourront servir de déclencheurs à une création d’histoire. Rodari suggère également de créer de nouveaux mots par l’ajout de préfixes (dé- à réaction, formant ainsi déréaction; bis- à stylo, donnant bistylo) ainsi que de prendre en compte l’erreur créatrice de l’enfant, celle-ci lui permettant d’assimiler une réalité inconnue (vanille pour Manille et miélorussie pour Biélorussie, par exemple). Cette exploitation d’une faute constitue d’ailleurs un cas subtil du binôme puisque le mot incorrect fait référence au mot correct. D’autres jeux de langage et de mots s’avèrent tout aussi pertinents auprès d’une classe d’adolescent·es.

Pour préparer l’improvisation, Robert Gravel utilise le mot afin d’activer la mémoire et la concentration. Dans son jeu « le mot lancé », inspiré du « geste gracieux de balancer un caillou dans les eaux d’un petit lac » (Gravel, dans Gravel et Lavergne, 1989 : 37), le·la leader du jeu commence à balancer son bras, suivi·e des autres participant·es. « Quand le rythme est installé », explique Gravel, il·elle « donne un premier mot qui déclenchera une chaîne de mots, donnés un à la fois et par association d’idées par chacun des participants, à tour de rôle » (idem). Ce type de jeu exige une disponibilité totale de la part de tous et toutes. Non seulement n’est-il pas nécessaire que les mots se suivent dans un rapport logique, mais les « associations bizarres » sont même les bienvenues. Gravel propose parfois une autre variante de cette activité : dire cinq mots débutant par telle lettre, en respectant la cadence qui s’est installée. Par ailleurs, pour développer l’esprit de synthèse, le désir de communication et l’intuition, il invite les participant·es à s’asseoir en rond et à élaborer ensemble une « histoire en un mot » (ibid. : 57). Chacun·e, l’un·e après l’autre, dit un seul mot, de sorte que si le groupe ne compte que quinze personnes, l’histoire entière tiendra en quinze mots. Voilà un exercice apparemment simple qui demande beaucoup de concision et de concentration, car il s’agit de choisir dans l’instant présent le mot-clé qui fera progresser l’histoire.

La poésie et les jeux de langage

Très ouvert à la fantaisie, le dramaturge québécois Marc Doré met de l’avant la parole des bouffons à l’intérieur de certains jeux d’improvisation : ils « parleront comme des fous. Mais des fous des mots. Ce seront mes poètes disjonctés : mes Nelligan dégringolés – on dirait – d’une autre planète » (Doré, 2011 : 117). Jacques Lecoq, auprès de qui Marc Doré a étudié, a traité du « fonds poétique commun » (Lecoq, 1997 : 56) et du mouvement (ou de l’émotion) que peuvent engendrer les choses qui ne bougent pas, tels les couleurs, les mots, les architectures. « Considérant le mot comme un organisme vivant, écrit-il, nous recherchons le corps des mots. Il faut, pour cela, choisir ceux qui offrent une réelle dynamique corporelle. Les verbes s’y prêtent facilement : prendre, lever, casser, scier sont autant d’actions qui nourrissent le verbe lui-même » (ibid. : 60; souligné dans le texte). La poésie constitue pour Lecoq la plus grande des nourritures; avec ses étudiant·es, il plonge dans les textes d’Henri Michaux, d’Antonin Artaud, de Francis Ponge, d’Eugène Guillevic afin d’ouvrir des portes. Ce matériau sensible, qui est malheureusement sous-utilisé au primaire et au secondaire, suscite pourtant l’enthousiasme chez les jeunes; j’ai eu le plaisir de le constater lorsque j’étais enseignante au secondaire. La poésie, bousculant les codes du langage, est un jeu sur les formes et un espace de transgression pour les élèves. L’engouement pour le slam qui perdure depuis plusieurs années en fait foi.

Dans un « exercice d’ouverture » inspiré des jeux de hasard et qui s’avère tout aussi éclairant pour les enfants que pour les adultes, Hubert Haddad présente un projet d’écriture tiré de son oeuvre immense Le nouveau magasin d’écriture :

Ce que j’appelle « chambres d’échos » est une mise en place du projet d’écriture par l’oralité, une appropriation collective du fonds poétique contemporain constitué d’un maximum d’ouvrages à disposition : l’usage non conventionnel du texte et la prise de parole affranchie de tout jugement de valeur créent très vite cet espace de liberté propice à la confiance, à l’oubli des censures, et donc, au déconditionnement

(Haddad, 2006 : 31).

Dans le déroulement de cet exercice, chaque participant·e reçoit un recueil et lit un poème. Quand tout le monde a lu, le·la meneur·euse de jeu les invite à ouvrir leur recueil à l’aveuglette et à ne réciter qu’un seul vers. Par un jeu d’échos multiples, un poème collectif se compose où « chaque locuteur, impérativement, change de page à tout moment afin de répondre aux précédentes propositions dans une belle circulation de métaphores et de rythmes qu’un nouveau phrasé recompose entre lèvres et oreilles » (idem).

Le récit fictionnel et le récit du quotidien

Outre les formes lyriques, les formes narratives facilitent le passage vers le théâtre, d’autant plus que ces genres littéraires ont précédé historiquement les formes dramatiques. Sous une forme symbolique, des aspects de la condition humaine sont mis en scène à travers les récits fondateurs que sont les mythes. De même, la légende et le conte présentent des figures archétypales qui sont enfouies dans notre inconscient et qui nourrissent notre imaginaire. Dans tous les cas, le conte aide les enfants à comprendre la structure d’une histoire. Vladimir Jakolevich Propp (1995) a dégagé trente et une fonctions qui se retrouvent au moins en partie dans tous les contes. Très évocatrices et porteuses d’enjeux forts, les fonctions qui se situent dans la séquence préparatoire peuvent servir d’amorce à des improvisations, pour ne nommer que l’absence, l’interdiction, la transgression, la duperie, la complicité. Les contes se prêtent également à des jeux de parodies tant chez les enfants que chez les adolescent·es qui se réapproprient ainsi une histoire entendue depuis la tendre enfance. Rodari propose à cet effet les jeux de contes inversés et de contes déclassés. Sur le plan de la mise en espace, soit le conte est théâtralisé dans un discours à plusieurs voix et permet de jouer sur la choralité, soit il emprunte la forme du récit / agi, le récit étant porté par la voix d’un·e narrateur·trice et joué en non verbal par les autres participant·es, un procédé qui convient d’ailleurs à tous les textes de théâtre. À noter que le récit / agi, très utilisé en classe d’art dramatique lors de certains jeux d’exploration ou d’échauffement, a la grande qualité d’unir le groupe-classe dans une histoire collective instiguée par l’enseignant·e.

Au récit fictionnel de l’enseignant·e en art dramatique qui anime un jeu collectif vient s’ajouter le récit de l’enseignant·e utilisé dans le quotidien de la classe. Celui-ci constitue un pilier de l’apprentissage de par sa forme, aisément reconnaissable. Son introduction crée un horizon d’attente chez l’élève qui éprouve une curiosité à connaître la suite de l’histoire. Aussi, il est gagnant pour les pédadogues en art dramatique de structurer leur enseignement comme un texte et à mettre en intrigue le savoir. La façon d’ouvrir et de clore la session d’apprentissage est particulièrement déterminante, de même que les retours réflexifs qui engagent la mémoire, le temps humain étant un temps raconté. Taylor considère d’ailleurs le récit, tant historique que fictif, comme « une caractéristique créatrice ou constitutive du langage » (Taylor, 2019 : 421).

Le récit d’apprentissage

Puisque le récit de la classe se construit à plusieurs voix, il importe d’accueillir celui de l’élève, à l’oral et à l’écrit. On sait que les récits de vie, utilisés à la fois dans un cadre pédagogique et thérapeutique, constituent des aides à l’apprentissage. À ce sujet, Taylor écrit qu’« [i]l semble qu’une véritable conscience de soi réflexive (d’un individu, d’un groupe ou de l’espèce entière) ne puisse pas se passer du récit. Celle-ci se nourrit d’allers-retours entre les deux formes que sont le récit et le commentaire (philosophique et critique), lesquelles ne peuvent pas se passer l’une de l’autre » (ibid. : 420). En complément au concept d’identité narrative de Ricoeur selon lequel le sujet apparaît simultanément comme lecteur et comme scripteur, Taylor affirme : « Peu importe comment je m’y prends, je définis mon identité grâce à mon récit de vie » (ibid. : 422).

Le « journal de bord », appelé aussi « cahier de l’élève » ou « cahier de traces », que l’on demande à l’élève du primaire et du secondaire de compléter pour l’aider à concrétiser ses apprentissages en art dramatique, tire en partie sa force du fait qu’il s’élabore par le récit. Ces types d’écrits sont également employés dans les études supérieures, notamment en recherche et en recherche-création. Le « récit de l’oeuvre » est centré sur des questions formelles qui viennent éclairer les concepts clés de la recherche tandis que le « récit structurant » fait référence à un courant philosophique, historique ou autre et est rattaché à la pratique artistique. Il existe également le « récit de pratique », qui non seulement permet de décrire les expériences de création, mais met aussi en lumière le rapport intime à la création (Burns, 2007 : 272). Il n’est pas rare que cette forme d’écriture devienne une forme de révélation. « [D]ans une approche phénoménologique, le chercheur dialogue avec l’oeuvre jusqu’à lui donner une existence propre. L’interprétation phénoménologique devient parole et entente avec l’oeuvre. Le chercheur tente d’“aller aux choses même” par le langage essentiellement », affirme Sophia Burns (ibid. : 275). C’est dire à quel point la forme du récit est structurante, que ce soit à l’oral ou à l’écrit.

Les jeux du hasard et des hasards imposés

Les procédés d’écriture inventés par les dadaïstes et les surréalistes tels les cadavres exquis et la technique du collage autorisent le surgissement de l’irrationnel et de l’inattendu. Si le couper-coller, appliqué aux titres et aux sous-titres de journaux ou de revues ou à de courts segments typographiques, peut s’allier au collage dadaïste pour former des affiches-poèmes (Haddad, 2006 : 109-110), il peut également servir de ressource sensible pour une exploration théâtrale. J’aime employer le modèle des oeuvres de l’Ouvroir de littérature potentielle (OuLiPo) pour démontrer à quel point cet esprit d’expérimentation articulé autour des jeux de contraintes constitue un bon créneau pour la créativité. L’oeuvre de Raymond Queneau est à ce titre exemplaire.

Les Exercices de style qu’invente Raymond Queneau en 1947 n’ont rien perdu de leur vivacité et de leur fantaisie. On sait que l’auteur raconte quatre-vingt-dix-neuf fois la même histoire de façon différente, à propos d’un voyageur qui monte dans un autobus et remarque un jeune homme au long cou qui porte un chapeau bizarre entouré d’un galon tressé. J’utilise ce texte depuis plusieurs années; il offre la possibilité de faire comprendre les jeux d’écriture, en plus de constituer un excellent matériau pour le jeu et la mise en scène. Transposés au travail de l’écriture dramatique et de l’écriture scénique en classe, les Exercices de style permettent de saisir les jeux de variations à l’infini sur la forme et servent d’introduction à l’étude des esthétiques théâtrales. Pour appréhender le théâtre, le passage par des genres littéraires non théâtraux, tels le récit narratif ou la poésie, apporte un nouvel éclairage sur la forme dramatique. La formule voisine des Exercices de style, « à la manière de », très courante dans les jeux d’improvisation, rend hommage, par le procédé de la « parodie révérencielle » (Hutcheon, 1981 : 147), à la touche particulière d’un·e créateur·trice. Il s’agit d’un exercice de style très riche sur le plan artistique, car en convoquant les joueur·euses à une condensation de savoirs théoriques et pratiques en lien avec une esthétique, il les oblige à révéler l’essence même de la facture d’une oeuvre en un espace-temps limité. Il en résulte souvent des performances très appréciées par le public complice.

Une autre création de Queneau publiée en 1961, Cent mille milliards de poèmes, est tout aussi édifiante[5]. L’auteur réussit l’exploit de concevoir un livre-objet dans lequel il offre au lectorat la possibilité de combiner des vers de façon à ce qu’il crée son propre sonnet : deux quatrains suivis de deux tercets, soit quatorze vers. Bien que le nombre de combinaisons imaginables soit limité à cent mille milliards, le poème peut fournir une lecture continue pendant près de deux cents millions d’années! Cette belle folie illustre l’immense potentiel des jeux littéraires lorsqu’ils s’accordent à des permutations mathématiques et fait voir à quel point la contrainte est source de créativité.

Stimulée par le travail à partir de contraintes, j’ai créé pour mes étudiant·es universitaires des jeux d’exploration susceptibles de faire comprendre les composantes de certaines esthétiques théâtrales. Mon hypothèse est que les consignes que je leur proposais, en relation avec les éléments du langage théâtral, permettaient non seulement de faire découvrir les multiples facettes du théâtre, mais aussi de bousculer les traditions théâtrales en menant à la création d’esthétiques métissées[6]. J’ai expérimenté avec mes étudiant·es les combinatoires suivantes : geste-parole (avec ou sans le signifié du discours); geste-diction; geste-occupation de l’espace; geste-mimique, mimique-voix; voix-occupation de l’espace[7]. Et j’ai choisi de les mettre à l’épreuve avec un texte classique, soit un extrait de la scène X tirée de l’Acte III du Malade imaginaire de Molière. Ce choix provenait d’une frustration profonde vis-à-vis des productions moliéresques qui sont très souvent d’un ton convenu.

À partir de ces contraintes, j’ai voulu explorer comment la scène X du Malade imaginaire de Molière – la célèbre scène du « poumon » – pouvait être traitée. Dans un premier temps, les duos d’interprètes ayant à investir la combinatoire « geste-occupation de l’espace » ont créé une gestuelle ample, voire démesurée, très loin de l’esthétique classique, tandis que ceux travaillant la combinatoire « voix-occupation de l’espace » ont entamé des explorations vocales plus ou moins amplifiées selon le volume de l’espace et sont entrés dans des jeux syllabiques allongés et parfois répétitifs, une caractéristique que l’on retrouve d’ailleurs très souvent chez les médecins de Molière. Il en a été de même pour l’expérimentation des combinatoires « geste-mimique » et « mimique-voix ». Le fait de jouer Le malade imaginaire de Molière en se focalisant uniquement sur la mimique et la voix a créé une scène très proche de l’univers beckettien, l’espace étant absent et le corps tronqué. Comme quoi les contraintes induisent une certaine qualité esthétique. Si cette série d’explorations de combinatoires a donné lieu à un Molière revisité, il importe de préciser que cet exercice aurait pu être réalisé avec tout autre texte de théâtre, car le texte n’en devient qu’un prétexte. Il n’en demeure pas moins que la scène X du Malade imaginaire aura constitué ici un merveilleux matériau en tant que référent qui a marqué l’imaginaire.

On constate alors que des contraintes précises qui s’attardent sur deux éléments à la fois du langage dramatique peuvent offrir un cadre d’expérimentation signifiant, puisqu’elles éclairent certains enjeux sous-jacents à la mise en scène et à l’interprétation. La déconstruction d’une esthétique à des fins pédagogiques peut ainsi aider à faire comprendre des rouages de l’esthétique. Quoique ce type d’exploration conduise parfois à une gestuelle outrée par rapport aux enjeux de la scène, il résulte souvent de ces consignes insolites de belles découvertes. Ces trouvailles qui enrichissent le vocabulaire gestuel et vocal de l’interprète auraient pu ne jamais voir le jour si on avait opté pour une démarche plus cartésienne. Et c’est bien souvent ce mouvement singulier ou cette façon unique de se saisir des mots qui contribuent à rendre le personnage mémorable. Une poétique de l’insolite permet donc de bousculer les conventions théâtrales et de faire émerger de nouvelles esthétiques.

Dans le cadre de ce travail d’exploration sur les esthétiques théâtrales, le choix du duo des contraintes n’est pas aléatoire; il obéit à une intention à la fois artistique et pédagogique, car la contrainte permet d’isoler un objectif précis, tel l’effet de l’espace sur la voix. Pour mes étudiant·es universitaires, cela est reçu d’ailleurs comme étant une expérimentation autour de certains enjeux théoriques. Ce qui est paradoxal, c’est que le fait d’être contraint·e à une consigne fermée, dont l’issue pourrait parfois sembler improbable, puisse ouvrir la voie à des territoires insoupçonnés. La contrainte serait donc créatrice. Pour les plus jeunes élèves, la contrainte (ou consigne fermée) vient baliser le champ des possibles, et ainsi apporter un filet de sécurité : « Trop de liberté nous étouffe autant que s’il n’y en avait pas assez » (Doré, 2011 : 19). La consigne est un art : elle s’appuie sur un langage concis et évocateur qui donne des ailes à l’imaginaire tout en encadrant l’espace de liberté.

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Les formes artistiques étant une partie intégrante des composantes du langage, l’utilisation en classe de théâtre de certaines formes littéraires dans le travail d’exploration et de création constitue un atout : il faut voir l’ensemble des formes littéraires comme quelque chose de ludique qui stimule le jeu dramatique, car la poésie, le mythe et le récit de fiction sont eux-mêmes issus de jeux d’écriture. Le jeu est d’ailleurs constitutif de la culture. Il y a aussi une grande attention à accorder à l’élaboration des consignes, de même qu’aux procédés d’énonciation, à la création de contraintes en lien avec des enjeux précis, ainsi qu’à la transmission en non verbal du plaisir de jouer et de prendre des risques. La conscience de la corporalité est essentielle chez l’enseignant·e. On l’aura constaté avec les études sur le langage des metteur·es en scène.

La conception élargie du langage exposée par Taylor permet de situer celui-ci bien au-delà du dénotatif; le langage englobe différents types de récits, de formes symboliques et de manifestations de l’expression corporelle. Ces éléments de compréhension fondamentaux sur la compétence linguistique humaine nous permettent de saisir les défis relatifs à la maîtrise de la compétence linguistique des enseignant·es en classe d’art dramatique / théâtre, ne serait-ce qu’en fonction d’un vaste champ de connaissances à faire découvrir. Dès lors, la première composante de la compétence linguistique des pédagogues devrait s’appuyer tout d’abord sur une prise de conscience de la richesse inouïe du langage et de sa priorité parmi l’ensemble des outils didactiques :

La conscience linguistique a aussi pour caractéristique le fait de porter en elle, ne serait-ce qu’en arrière-plan, une conscience du tout dans ses diverses dimensions […]. Nous sentons que les mots que nous utilisons maintenant en parlant avec autrui ou dans nos dialogues intérieurs s’inscrivent dans une compétence linguistique plus large, que ce que nous sommes en mesure d’exprimer comporte des limites et que les lieux et les objets auxquels nous prêtons attention font partie d’un espace-temps plus vaste

(Taylor, 2019 : 131).

Idéalement, le programme de formation des futur·es enseignant·es en art dramatique / théâtre devrait faciliter cet apprentissage. À l’École supérieure de théâtre de l’Université du Québec à Montréal, cette formation, échelonnée sur quatre ans, compte déjà un cours dédié à l’expression orale et à la communication. Ce cours vise surtout à améliorer la diction de même que la maîtrise de la communication orale sur les plans du lexique et de la syntaxe. Les connaissances sur les différentes composantes du langage, dont les formes littéraires, gagneraient à y être incluses, pour des raisons non seulement pragmatiques, mais aussi culturelles. Il est à souhaiter que ces savoirs fassent également l’objet d’une attention toute spéciale dans les cours de didactique d’autant plus que le langage est au coeur de l’acte d’enseigner. C’est par lui qu’advient la création et qu’émergent des constellations inédites de sens et de sensibilités.