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Le jeu bouffonesque, de l’enseignement à la représentation théâtrale[Record]

  • Aline Carrier

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  • Aline Carrier
    Université Laval

Lors de mes études au Conservatoire d’art dramatique de Québec (CADQ), qui se sont déroulées entre 1980 et 1983, Marc Doré, alors enseignant et directeur de cette institution, m’avait présenté les bases du jeu bouffonesque. À ce moment-là, les quelques connaissances que j’avais acquises en relation avec ce style de jeu n’étaient pas assez précises pour me diriger vers une maîtrise de cet art. Lors d’une rencontre ultérieure avec Doré, en 2005, il m’a présenté une pièce de théâtre, Christoeuf (Colomb) (sotie pour bouffons), qu’il avait écrite et mise en scène en 1992 avec des finissant·es du CADQ pour souligner le 500e anniversaire de la « découverte » des Antilles par Christophe Colomb et son équipe de marins. J’avais ce qu’il fallait pour entreprendre une merveilleuse odyssée qui allait me conduire vers une meilleure connaissance de ce type de jeu, et, par la suite, pour mettre en pratique mes connaissances en mise en scène et diriger une bande de bouffon·nes dans le cadre d’une pièce de théâtre écrite pour eux et elles. Avant de porter à la scène la pièce, j’ai enseigné le jeu bouffonesque aux comédien·nes, ce qui a contribué à en saisir l’esprit. Afin d’y parvenir, j’ai diversifié les approches pédagogiques accordant à chacun·e la possibilité d’incarner son·sa bouffon·ne dans le plaisir et la réussite. Pour ce faire, les travaux de Lev Vygotski sur la zone proximale de développement m’ont aidée à mettre des mots sur mon enseignement du jeu bouffonesque. Une fois la vie donnée aux bouffon·nes, j’ai commencé la mise en scène de Christoeuf (Colomb) (sotie pour bouffons). La pièce se divise en trois temps : le départ de la terre européenne, la traversée de l’Atlantique et l’arrivée aux Antilles. Ces moments-lieux m’ont influencée quant à la mise en espace des personnages. De plus, ayant acquis une plus grande maîtrise du jeu bouffonesque grâce aux improvisations, j’ai pu comprendre comment le·la bouffon·ne interprète le personnage qui lui est assigné. Après l’enseignement, puis la mise en scène, est arrivé le moment de présenter la pièce au public : trois représentations au Québec (Montréal, La Pocatière et Sainte-Marie) et deux en Europe (France et Espagne). Chaque représentation m’offrait la chance de réajuster un type de jeu qui demandait sans cesse des précisions, qui faisait naître des questionnements. En somme, ce projet était une école qui m’a donné l’occasion de revisiter les fondements de l’interprétation. Les bouffon·nes, comme enseigné·es au Conservatoire d’art dramatique de Québec, sont affreux·euses, donnant l’impression d’émerger de la terre. Il·elles arborent des bosses et ont des voix qui résonnent dans leur corps déformé. Il·elles sont construit·es de façon asymétrique : il·elles boitent, claudiquent, ont un bras paralysé, le cou raide. Les bouffon·nes n’imitent pas les humains; il·elles s’en moquent. Il·elles sont capables de déceler la faille qui se trouve en chacun·e de nous et d’aller chatouiller ce que nous ne voulons pas montrer au monde. Il n’y a aucune malice chez les bouffon·nes, juste le plaisir de la moquerie. Il·elles se tiennent en bande. On ne retrouve pas de conflit entre les membres du groupe. Par exemple, si un·e des bouffon·nes quitte la bande, ce n’est pas parce qu’il·elle est en colère; c’est qu’il·elle est en train de se moquer de celui ou celle qui s’en va. Doré fait d’ailleurs remarquer que « la moquerie commande de l’esprit et de la spiritualité. L’esprit moqueur est rapide, incisif et foudroyant » (Doré, entrevue, avril 2015). Ces personnages rigolent des départs, de la gestuelle que les humains utilisent pour exprimer leur peine à laisser l’être aimé, sans toutefois qu’il soit question d’un théâtre psychologique. …

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