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1. Introduction : Quelques citations

Pour les signes indirects, il est nécessaire de séparer ce que le signe signifie et ce qu’il désigne. Pour les signes directs, les deux se recoupent. La signification d’un nom propre, par exemple, consiste en ceci qu’il nomme précisément cet objet déterminé. Par contre, avec les signes indirects, il y a médiation entre le signe et la chose, et le signe désigne la chose précisément au moyen de la médiation, c’est précisément pour cette raison qu’ils constituent la signification.

« Zur Logik der Zeichen », p. 343

Ainsi, la signification d’un nom général consiste par exemple en ceci qu’il désigne un quelconque objet sur la base et par la médiation de certaines caractéristiques conceptuelles qu’il possède.

« Zur Logik der Zeichen », pp. 343-344

Deux signes sont identiques lorsqu’ils désignent le même ou les mêmes objets d’une seule et même périphérie, et ce, de la même manière. L’un est la simple répétition de l’autre, par exemple cheval et cheval, cinq et cinq.

« Zur Logik der Zeichen », p. 344

Deux signes sont équivalents dans la mesure où ils désignent le ou les mêmes objets d’une seule et même périphérie d’objets, et ce, de manières différentes, que ce soit par différents moyens extérieurs ou conceptuels, par exemple une paire de noms ayant la même signification, comme roi et rex ; Wilhelm III = le présent empereur allemand ; 2+3=5=7-2=√25.

« Zur Logik der Zeichen », p. 344

En fait [...] l’auteur identifie la signification du nom avec la représentation de l’objet nommé par le nom. [...] De plus, il emploie même le terme « signification » de manière équivoque, et cela à un point déjà insupportable. Dans la citation reproduite plus haut il a visé le sens habituel malgré les explications contradictoires et erronées. Mais ailleurs, c’est vraiment l’objet nommé par le nom qui est visé.

Besprechung von E. Schröders Vorlesungen über dieAlgebra der Logik I, p. 11

Que Schröder mette des noms comme « carré rond », des noms qui n’aient « pas de sens » à côté des noms qui ont un ou plusieurs sens contribue de plus à la confusion sur le concept de signification, Il confond de toute évidence deux questions différentes, à savoir : 1) si à un nom correspond une signification (un « sens ») ; et 2) si l’objet correspondant à un nom existe ou non. Des noms dénués de sens sont au sens exact des noms dénués de signification, des pseudo-noms comme Abracadabra. « Carré rond » est cependant un nom général équivoque auquel en vérité rien ne peut correspondre.

Besprechung von E. Schröders Vorlesungen über die Algebra der Logik I, p. 12

Ainsi, on ne peut non plus autoriser la distinction schröderienne entre la teneur « logique » et la teneur « psychologique » d’un jugement, ou plus précisément, d’un énoncé. La teneur véritablement logique d’un énoncé est sa teneur judicative, autrement dit, ce que l’énoncé affirme.

Besprechung von E. Schröders Vorlesungen über die Algebra der Logik I, p. 25

Les sept passages cités plus haut sont tirés d’écrits de Husserl datant tous à peu près de 1890. Alors que l’appendice à Zur Logik der Zeichen, bien qu’écrit en 1890, ne fut publié qu’en 1970 comme appendice à l’édition de la Philosophie der Arithmetik[1] des Husserliana, la Besprechung von E. Schröders Vorlesungen über die Algebra der Logik I[2] a été publiée au début de 1891. Husserl envoya immédiatement à Frege un tiré à part de sa recension du livre de Schröder, et dans le même envoi sa Philosophie der Arithmetik. Comme on devrait le voir de manière tout à fait claire dans les citations reproduites plus haut, Husserl distinguait déjà en 1890 entre le sens (ou signification) des expressions verbales et l’objet (ou groupes d’objets) auxquels se réfèrent ces expressions verbales précisément au moyen de leur sens (ou signification). De plus, Husserl distinguait de part et d’autre le sens et le référent des expressions verbales (y compris les énoncés), et ce, non seulement des représentations, mais aussi de tout type de contenu psychologique. Il est donc complètement injustifié et faux de maintenir que Husserl a repris de Frege la distinction entre sens et référence (en la généralisant à la distinction noético-noématique), comme l’ont répété plusieurs philosophes analytiques sans avoir lu Husserl. Il est intéressant de noter que, dans une lettre du 24 mai 1891 adressée à Husserl, Frege reconnaît que celui-ci est arrivé à la distinction sens-référence indépendamment de lui[3]. De plus, dans un texte publié après sa mort, Ausführungen über Sinn und Bedeutung, Frege dit très clairement, alors qu’il commente la recension du livre de Schröder par Husserl, qu’il est conscient du fait que ce dernier a déjà fait la distinction entre sens et référence dans cette recension. Enfin, on doit souligner aussi que la conception selon laquelle Husserl aurait abandonné son psychologisme (modérément brentanien) grâce à la recension de Philosophie der Arithmetik par Frege en 1894, conception répandue parmi les philosophes analytiques, est tout aussi erronée. Ce livre était censé être suivi d’un second volume portant non pas sur les fondements psychologiques mais sur les fondements logiques de l’arithmétique. Cependant, les années 1890-1894 ont été décisives pour Husserl, et ce sont des années où ses conceptions ont rapidement évolué. L’influence de Leibniz, Bolzano, Lotze et même Hume, d’un côté, puis de l’autre Riemann, Cantor et des autres, ont mené Husserl à une conception de la logique et des mathématiques très différente de celle de la Philosophie der Arithmetik, mais également très différente de celle de Frege, notamment en ce qui concerne la conception du platonisme structuraliste non logiciste en mathématiques, ainsi que celle de la logique comme discipline formelle non ontologique parallèle aux mathématiques[4].

Husserl n’est cependant pas mort en 1891 comme beaucoup de philosophes analytiques semblent le croire, et ils pourraient tirer un profit considérable de la lecture de l’opus magnum de Husserl, les Logische Untersuchungen[5], ainsi que certains autres chefs d’oeuvre tirés des Ideen zu einer reinen Phänomenologie und einer phänomenologischen Philosophie I[6] ainsi que d’Erfahrung und Urteil[7]. Ils pourraient au moins y apprendre qu’un soi-disant philosophe continental a eu plus à dire sur des problèmes de soi-disant philosophie analytique que certains des plus proéminents philosophes analytiques.

2. Husserl et Frege sur la réfutation du psychologisme

La réfutation frégéenne d’une interprétation psychologique des mathématiques dans Die Grundlagen der Arithmetik de 1884[8] précède de seize ans celle de Husserl dans les Logische Untersuchungen, et la réfutation du psychologisme en logique par Frege dans les Grundgesetze der Arithmetik[9] précède de sept ans celle que l’on trouve dans l’opus magnum de Husserl. Il est donc parfaitement correct de reconnaître l’importance des travaux de Frege en ce qui concerne la réfutation du psychologisme. Néanmoins, bien qu’elle soit très précieuse, la réfutation de Frege n’est certainement pas aussi sophistiquée dans ses distinctions, ni aussi terriblement détaillée, structurée ou charitable avec ses opposants que celle de Husserl, et elle n’offre pas non plus d’arguments aussi dévastateurs que les siens. Par exemple, même si Frege considérait la logique comme une discipline théorique et non normative, son analyse de la relation entre les disciplines théoriques et normatives est incomparablement inférieure à celle de Husserl. Plus significativement, Frege n’a pas distingué clairement entre le relativisme spécifique et individuel, et lorsqu’il argumente contre le psychologisme dans les deux ouvrages mentionnés plus haut, cette distinction fondamentale s’estompe et il s’attaque aux psychologistes en les accusant d’un relativisme individuel ou solipsisme qu’ils n’ont jamais défendu. Et enfin, certains des arguments les plus décisifs de Husserl contre le psychologisme n’ont aucune contrepartie dans les travaux de Frege.

Bien que je ne puisse ici offrir même une esquisse de l’argumentation extrêmement riche et détaillée donnée par Husserl dans les neuf premiers chapitres des Prolegomena, et qui sont de loin la réfutation la plus décisive du psychologisme jusqu’à ce jour, je vais simplement indiquer quelques-unes des caractéristiques les plus saillantes de la structure de cet ouvrage[10]. Selon le psychologisme, la logique n’était qu’une discipline pratique basée théoriquement sur la psychologie, et ainsi sans fondement théorique propre. Généralement, les soi-disant anti-psychologistes avant Frege et Husserl ont tenté de souligner le caractère normatif de la logique, en soutenant que les disciplines normatives comme la logique et l’éthique ne peuvent être réduites aux disciplines théoriques comme la psychologie. Frege et Husserl ont tous deux rejeté la thèse du psychologisme, mais de manière plus claire et beaucoup plus profonde que Frege. Husserl a aussi rejeté le présumé caractère normatif de la logique défendu par les soi-disant antipsychologistes traditionnels. Husserl a montré que les disciplines normatives et, en particulier, les disciplines pratiques — qui sont simplement un cas particulier des disciplines normatives, sont fondées sur des disciplines théoriques. Dans le reste des Prolegomena, il soutient que la psychologie ne peut être la fondation adéquate de la logique normative et qu’elle sert au mieux de fondation marginale pour certains instruments méthodologiques auxiliaires qui n’appartiennent pas à la logique à proprement parler. Dans les chapitres IV, V et VI, Husserl discute des conséquences empiristes d’une fondation de la logique sur la psychologie ainsi que des fausses interprétations des lois logiques dans les mains du psychologisme, y compris la présumée analogie avec les lois de la chimie. Dans le chapitre IV, Husserl propose une comparaison intéressante entre les lois de la logique et les lois de la physique, comparaison sur laquelle je me pencherai plus loin. Le chapitre VII des Prolégomènes contient l’essence de la réfutation husserlienne du psychologisme. Tout horizon, le psychologisme relève du relativisme. Mais il y a deux sortes de relativisme, à savoir le relativisme individuel, qui est le solipsisme et qui est immédiatement réfuté par quiconque reconnaît la possibilité d’une forme ou une autre de connaissance intersubjective mais qui est inattaquable pour ses partisans, et d’autre part le relativisme spécifique, c’est-à-dire relativement à une espèce, en particulier l’anthropologisme, c’est-à-dire le relativisme à l’espèce humaine. Les deux sortes de relativisme sont des formes du scepticisme. Dans le cas du relativisme individuel, il est clair que si on considère vrai ce qui est vrai pour chaque être humain individuel, il n’y a aucune possibilité d’obtenir quelque sorte de connaissance objective que ce soit. Toutefois, comme Husserl l’a souligné très clairement lorsqu’il avance que, dans les derniers temps, personne n’a soutenu de relativisme individuel, il faut comprendre que le psychologisme n’est pas un relativisme individuel mais un relativisme spécifique[11]. En fait, bien que Kant et les kantiens aient rejeté une fondation de la logique — qu’ils croyaient être une discipline normative — sur la psychologie, ils doivent aussi être considérés comme des relativistes spécifiques, comme le souligne Husserl[12]. Au § 36 des Prolegomena, paragraphe fondamental, Husserl offre six arguments contre le relativisme spécifique. Dans le prologue aux Grundgesetze der Arithmetik I[13], Frege avait offert pour l’essentiel les deux premiers arguments de Husserl, mais la formulation de Husserl est plus soignée. En un certain sens, le troisième argument est aussi une objection naturelle au psychologisme. Quant aux trois derniers arguments, ils sont plus sophistiqués et ne trouvent aucun écho chez Frege. Le quatrième argument, que j’appelle habituellement l’argument modal, fait un usage essentiel de la distinction entre factuellement faux et logiquement impossible. L’argument va comme suit : admettant que le psychologisme ait raison, s’il y a des vérités, il y a donc aussi des êtres (humains) qui sont porteurs de ces vérités. Par contraposition, s’il n’y avait aucun être (humain) qui puisse être le porteur de ces vérités, alors il n’y aurait pas de vérités. Or l’antécédent de la dernière conditionnelle est logiquement possible, alors que son conséquent est logiquement impossible, c’est-à-dire qu’il y ait des mondes possibles dans lesquels l’antécédent est vrai, mais aucun dans lequel le conséquent est vrai. Ainsi, la deuxième conditionnelle est fausse et, par contraposition, encore une fois, la première conditionnelle est également fausse. Ainsi, le psychologisme est faux. Le cinquième et le sixième argument, tout comme le quatrième, tentent d’extraire des conséquences absurdes de la thèse du relativisme spécifique, et ce sont ainsi essentiellement des arguments par reductio ad absurdum. Dans le chapitre VIII, Husserl montre que le psychologisme est basé sur certains préjugés. Ainsi, contrairement à ce qu’il fait dans les chapitres précédents, dans lesquels Husserl attaquait les conséquences de la psychologie, il attaque maintenant directement les fondations du psychologisme. Finalement, dans le chapitre IX, Husserl considère une version biologique du psychologisme proposée par Ernst Mach, Richard Avenarius et Hans Cornelius, à savoir la théorie de l’économie de pensée, qui était certainement inspirée par la théorie darwinienne, une théorie biologique sensée mais parfaitement hors propos — tout comme n’importe quelle autre théorie empirique, d’ailleurs — en ce qui concerne les fondements de la logique.

3. Husserl sur la nature de la logique et des mathématiques

Le chapitre X des Prolégomènes a une valeur principalement historique. Husserl compare ses conceptions de la logique avec celles de ses prédécesseurs, Leibniz, Bolzano et Lotze (dans cet ordre), des philosophes avec lesquels il a de fortes affinités. La conception de la logique et des mathématiques de Husserl est exposée pour la première fois dans le chapitre XI des Prolégomènes, si souvent ignoré et pourtant extrêmement important. Mais avant d’entrer à proprement parler dans un exposé de ses conceptions de la logique, des mathématiques et de leurs relations, Husserl discute dans les cinq premières sections du chapitre XI (§§ 62-66) des sujets plus généraux liés à la nature de l’objectivité en science. Ainsi, il distingue au § 62 entre trois différents sens selon lesquels on peut parler de l’unité de la science, à savoir : (i) l’unité subjective anthropologique ou psychologique des actes de pensée, (ii) l’unité objective et objectuelle (gegenständlich) des domaines de la science, et (iii) l’unité objective, mais non pas objectuelle, des vérités des théories scientifiques. Il est certain qu’une théorie scientifique établit un lien entre des énoncés (des vérités supposées) qui parlent d’un domaine déterminé de la science, mais l’unité de ce domaine de la science ne détermine pas comment on doit relier les énoncés de la théorie scientifique entre eux. C’est un nexus fondationnel qui donne à la théorie scientifique son unité, et ce nexus fondationnel est le fondement des énoncés sur les lois. Bien que je ne puisse entrer dans les détails[14], notons ici que Husserl anticipe au § 63 des Prolégomènes le modèle déductif-nomologique à la fois pour les énoncés singuliers décrivant des faits empiriques présumés, et pour les théories. Comme il l’avait déjà fait au chapitre IV, Husserl se livre à une comparaison des sciences déductives, comme la logique et les mathématiques, avec les sciences empiriques hautement théoriques comme la physique. Dans les deux chapitres, il souligne le fait que les lois physiques les plus générales sont après tout liées en quelque sorte à l’expérience, bien que de manière qu’il qualifie très adéquatement d’hypothèses cum fundamento in re. Ces lois, comme la loi newtonienne de la gravitation, sont reliées à l’expérience d’une manière un peu compliquée. De telles lois générales ne sont pas obtenues de l’expérience au moyen de l’induction, comme cela se produit probablement avec des lois de très bas niveau. Elles sont simplement compatibles avec l’expérience, bien que certainement sous-déterminées empiriquement, et servent à expliquer les lois de niveau inférieur au moyen de modèles nomologico-déductifs. De plus, elles ne sont pas uniques. Il y a toujours un registre potentiellement infini de possibles hypothèses cum fundamento in re qui sont compatibles avec les mêmes données empiriques. Dans une terminologie plus moderne, de telles lois possibles de niveau supérieur sont empiriquement équivalentes. En poursuivant son bref survol dans le chapitre XI, Husserl distingue au § 64 les principes unificatoires essentiels et extra-essentiels des différentes sciences. Les principes unificatoires essentiels sont toujours nomologiques et explicatifs, alors que les principes unificatoires extra-essentiels sont basés non pas sur une connexion théorique quelconque, mais sur une connexion ontologique. Les principes extra-essentiels unificatoires sont la base des sciences concrètes, comme l’histoire ou la géographie. Enfin, au § 65, Husserl aborde le problème général des conditions de possibilité de toute science, et tout particulièrement celui des conditions a priori, qui incluent les conditions noétiques idéales et les conditions logiques idéales de possibilité des vérités et des théories. Dans ce contexte, c’est le dernier type de conditions qui fait l’objet des préoccupations de Husserl dans les sections centrales du chapitre XI (§§ 67-70).

La conception husserlienne de la logique et des mathématiques comme elle est exposée non seulement dans les Logische Untersuchungen, mais aussi dans Formale und transzendentale Logik[15] et ailleurs, a une sorte de structure architecturale. Au § 67, Husserl est préoccupé par sa partie la plus fondamentale, une sorte de propédeutique logico-grammaticale de la logique, celle-ci étant comprise de manière traditionnelle comme théorie de la déduction. Les théories en général et la logique en particulier concernent les significations et la concaténation des significations. Ainsi, le premier stade de la logique — et la condition de possibilité pour les niveaux restants de l’édifice logique — consiste en une étude systématique à la fois des catégories de signification, qui sont les blocs de construction de la logique, ainsi qu’en une étude de ces formes de concaténation qui permettent la formation d’énoncés élémentaires au niveau sub-propositionnel, et de la concaténation, au moyen de connecteurs — par exemple la disjonction, la conjonction et l’implication — pour former des énoncés composés. Ce dernier type de concaténation permet une itération indéfinie et permet ainsi la formation d’énoncés à n’importe quel niveau fini de complexité. Les lois qui régissent la composition des énoncés, partant d’énoncés plus simples, nous permettent de distinguer entre les expressions bien formées et le non-sens formel, et l’étude de telles lois est ce que Husserl appelle la « grammaire logique » dont il traite également dans la quatrième des Recherches logiques du second volume de l’ouvrage. De telles lois doivent être clairement distinguées des lois logiques qui concernent la déduction formelle et qui permettent d’éviter le contresens formel. Pour quiconque est familier avec les rudiments de la logique contemporaine, la distinction de Husserl n’est nulle autre que celle faite trente-quatre ans plus tard par un de ses étudiants, Rudolf Carnap — et ce, sans mentionner Husserl —, entre les lois de formation et les lois de transformation[16]. Toutefois, Carnap n’a jamais reconnu avoir été l’étudiant post-doctoral de Husserl pendant trois semestres, de 1924 à 1925[17].

En fait, pour Husserl, le second niveau de la logique — voir § 68 — était ce qu’on appelle habituellement la logique au sens strict, à savoir la théorie de la déduction basée sur la forme pure, et à laquelle il se référait négativement comme étant le domaine concernant les lois qui nous permettent d’éviter le contresens formel. C’est le domaine de ce que Carnap a plus tard appelé les règles de transformation, et il a une structure fondamentalement syntaxique, bien que dans les Logische Untersuchungen la terminologie puisse sembler trompeuse. Toutefois, dans Formale und transzendentale Logik, la distinction est posée plus clairement, et Husserl a ajouté au domaine syntaxique un domaine sémantique qui s’occupe de la notion de vérité et des concepts sous-jacents. Avant de poursuivre ce survol, nous devrions mentionner que la distinction faite plus haut est le seul ajout ou modification notable à sa conception de la logique et des mathématiques après 1900. Ainsi, malgré le tournant transcendantal, les conceptions de Husserl sur la logique, les mathématiques et leurs relations sont demeurées les mêmes jusqu’à la fin de sa vie, comme l’atteste non seulement la Formale und transzendentale Logik, mais aussi par exemple son manuscrit publié de manière posthume, Einleitung in die Logik und Erkenntnistheorie[18], basé sur des manuscrits de 1906-1907, c’est-à-dire précisément le moment de son tournant transcendantal, ainsi que sa Logik und allgemeine Wissenschaftstheorie[19], qui est basée sur des manuscrits rédigés entre 1918 et 1920.

Mis à part les catégories de signification et corrélatives à celles-ci, il y a d’autres catégories fondamentales, les catégories ontologiques formelles, qui forment, selon la conception de Husserl, le substratum de toutes les mathématiques. Comme exemples de ces catégories, Husserl mentionne habituellement les catégories d’ensemble, de relation, de nombre cardinal, de nombre ordinal, de partie et de tout, et de combinaison. Ces catégories formelles-ontologiques sont fondées sur la notion de quelque chose en général ou de quelque chose tout court (etwas überhaupt), et elles sont les catégories mathématiques fondamentales. Elles sont comme des structurations formelles du quelque chose en général. Les théories mathématiques les plus fondamentales sont alors construites sur la base de différentes catégories ontologiques formelles. Il est particulièrement important d’indiquer qu’au contraire de la mathématique courante, fondée sur la théorie des ensembles, la notion d’ensemble n’est pas pour Husserl la notion mathématique la plus fondamentale, mais seulement un des concepts mathématiques fondamentaux. Il n’y a aucune tentative de réduire la théorie des nombres, et encore moins l’ensemble des mathématiques, à la théorie des ensembles. Ainsi, Husserl n’était ni un logiciste ni même un réductionniste sur la théorie des ensembles. D’autre part, il a toujours inclus comme exemples de catégories formelles ontologiques les notions de tout et de partie, c’est-à-dire les concepts fondamentaux de ce que Lesniewski développera plus tard, non sans influence de Husserl, sous le nom de méréologie[20]. Ainsi, pour Husserl, la méréologie serait déjà une discipline mathématique. Enfin, on doit noter que, comme Husserl le souligne dans la première partie de son très riche manuscrit A I 35[21] encore non publié, la notion fondamentale des mathématiques, c’est-à-dire la notion de quelque chose en général, n’a aucune extension, et cela pourrait servir à bloquer le paradoxe de Zermelo-Russell. Incidemment, dans ce manuscrit important, Husserl esquisse une sorte de théorie des types comme solution possible aux paradoxes, ainsi que d’autres distinctions importantes poursuivant le même but[22].

Ainsi, les structures mathématiques fondamentales sont, selon les conceptions logico-mathématiques de Husserl, les structures mères, pour reprendre l’expression que Bourbaki utilisera plus tard pour nommer les structures mathématiques les plus générales et les plus abstraites dans sa conception néo-husserlienne des mathématiques. Les structures mathématiques restantes, c’est-à-dire celles qui ne sont pas immédiatement basées sur une des catégories formelles ontologiques, trouvent leur origine ou bien comme particularisations de théories mathématiques fondamentales, ou bien comme combinaisons de deux ou plusieurs théories mathématiques fondamentales, ou bien encore comme combinaisons de particularisations de deux ou plusieurs théories mathématiques fondamentales (comme c’est habituellement le cas avec l’analyse réelle).

La logique et les mathématiques sont toutes les deux formelles, selon la conception de Husserl, et sont approximativement parallèles l’une de l’autre. En fait, ce sont des disciplines soeurs, la première étant basée sur la notion abstraite de signification, la seconde sur la notion abstraite de quelque chose en général. En raison du fait que tout l’édifice des théories logiques possibles est fondé sur les catégories de signification et que tout l’édifice des théories mathématiques possibles est basé sur les catégories formelles ontologiques, les deux disciplines soeurs constituent ensemble le domaine entier des théories formelles possibles. C’est là la prochaine grande étape dans la formation de l’édifice logico-mathématique, la mathesis universalis de Husserl, la réalisation du rêve de Leibniz. Cependant, Husserl a ajouté encore plus haut un palier qu’il a nommé indistinctement, et accentué différemment la théorie de toutes les théories, ou la théorie des multiplicités. Elle est appelée la « théorie des théories » lorsque l’accent est mis sur l’aspect théorique, et elle est appelée la théorie des multiplicités lorsque l’accent est mis sur l’aspect ontologique. Il s’agit d’une sorte de métathéorie qui édifie un niveau supérieur à celui de la mathesis universalis, laquelle constitue en quelque sorte son matériau, examinant les possibilités de toutes les théories formelles, leurs relations possibles et les transformations de l’une dans l’autre. C’est une sorte de théorie de tous les systèmes déductifs ou, pour le dire de manière ontologique, de toutes les multiplicités possibles. Le niveau le plus élevé de l’édifice mathématique demeurera probablement une idée kantienne, qui dirige la recherche fondationnelle logico-mathématique. Néanmoins, il y a certainement déjà des réalisations partielles, par exemple dans ce qu’on appelle la théorie abstraite des modèles, où on étudie de manière comparative les propriétés métalogiques de différents systèmes logiques.

4. Sur la signification, l’objectualité et les objets abstraits

Dans la première des Recherches logiques, qui porte le sous-titre « Expression et signification », Husserl est surtout préoccupé par des problèmes de philosophie du langage. Il commence avec une discussion générale des signes et introduit les expressions verbales comme un type spécial et particulièrement important de signes. Tous les signes médiatisent quelque chose, par exemple un drapeau est le signe d’un pays, la fumée est un signe du feu, et des traces de pas humains dans le sable d’une île déserte des signes d’habitants humains. Les expressions verbales ont toutefois la caractéristique essentielle de transmettre des significations (ou des sens) et, au moyen de ces significations, elles visent à référer à quelque chose d’objectuel. Encore une fois, nous retrouvons ici la distinction sens-référence, enchâssée dans un contexte plus général. On doit souligner que Husserl introduit finalement les états de choses comme référents des énoncés, bien qu’il y ait encore une confusion mineure, car les exemples qu’il offre correspondent davantage à ce qu’il appellera déjà dans la sixième des Recherches logiques ainsi que dans des textes plus tardifs des « situations de choses », une sorte de classe d’équivalence des états de choses. Les significations et leurs référents sont tous deux objectifs, mais seul le référent est objectuel. Les expressions verbales, toutefois, sont également des signes, et comme telles elles contiennent également un genre de fonction de signe. Elles sont les signes des états internes d’un locuteur dans la communication entre les êtres humains. Ainsi, dans le langage communicatif, Husserl distingue d’une part les actes qui confèrent la signification et qui visent à parler d’objectualités, et d’autre part, les actes accompagnateurs qui pointent vers les états psychiques internes du locuteur. Cependant, alors que les premiers sont essentiels pour le langage et se produisent même lorsqu’une personne pense seule ou se parle à elle-même, la fonction de signe consistant à pointer vers un état psychique interne du locuteur est complètement absente lorsqu’une personne se parle à elle-même dans ce que Husserl appelle « la vie solitaire de l’âme ». Husserl n’est pas préoccupé par une telle composante inessentielle du langage, mais par ce qui est essentiel, à savoir les actes qui confèrent la signification (ou le sens), les significations et les objectualités auxquelles se réfèrent ces significations.

Avant de continuer, il importe de mentionner qu’après une introduction générale similaire sur la nature des signes dans Der logische Aufbau der Welt[23] Carnap a introduit la même distinction entre deux fonctions différentes des expressions, celle de conférer un sens et celle de pointer vers les états internes du locuteur, en utilisant une sorte de permutation de la terminologie, et ce, sans aucune référence aux Recherches logiques de Husserl, desquelles il avait très certainement emprunté la distinction — comme il a aussi emprunté subrepticement plusieurs autres choses.

Dans le chapitre III de la première des Recherches logiques, Husserl est préoccupé par les présumées exceptions de sa théorie du sens et de la référence des expressions. Il est particulièrement préoccupé par ces expressions qu’on appelle habituellement les « indexicaux » dans la littérature analytique et que Husserl appelle les « expressions occasionnelles ». Dans les Recherches logiques, le traitement des indexicaux par Husserl va plus en détail et est plus approfondi que le traitement du même problème par Frege dans « Der Gedanke »[24] ou ailleurs, et mérite d’être pris en considération lorsqu’on discute des indexicaux.

Enfin, l’idéalité des significations est défendue surtout dans le dernier chapitre de la première des Recherches logiques, et les significations sont considérées comme des espèces idéales. Elles appartiennent à un domaine différent à la fois des objets empiriques externes et de celui de nos émotions subjectives, de nos perceptions ou de nos actes de fantaisie. Comme Frege allait le dire plus tard dans « Der Gedanke », elles appartiennent à un troisième règne de l’objectif non actuel. Dans la deuxième des Recherches logiques, Husserl est préoccupé précisément par l’idéalité et l’unité de l’espèce. La plus grande partie de la deuxième des Recherches logiques contient toutefois une critique en profondeur des différentes théories empiristes de l’abstraction, qui visent toutes d’une manière ou d’une autre à éviter la conclusion selon laquelle les objets abstraits seraient reconnus comme essentiellement différents à la fois des objets du monde externe et des actes qui constituent notre domaine psychique interne.

5. Des touts et des parties, l’analyticité et la grammaire logique

La troisième des Recherches logiques est d’une importance fondamentale. Elle ne contient que deux chapitres, mais deux chapitres très importants. Dans le premier chapitre, Husserl se penche principalement sur la distinction générale entre parties indépendantes et parties dépendantes, et le fondement des dernières dans les premières. Ainsi, ma main est certes une partie indépendante de mon corps, mais la couleur d’un objet n’est pas indépendante de l’objet. Elle ne peut exister sans l’existence de l’objet dont elle est la couleur. Cela conduit Husserl à la discussion de quelques propositions non formelles nécessaires, qu’il nomme « synthétiques a priori », et qui sont très différentes de ce que Kant considère être des vérités synthétiques a priori. C’est une nécessité matérielle ou synthétique que la couleur soit toujours la couleur d’une surface colorée, tout comme le fait que deux couleurs ne peuvent couvrir complètement la même surface au même moment. Husserl poursuit au § 12 en définissant les importantes notions de « loi analytique » et de « nécessité analytique » en les contrastant avec les notions de loi « synthétique a priori » et de « nécessité synthétique ». Ainsi, pour Husserl, une loi est analytique si elle est vraie en vertu de sa forme logique, c’est-à-dire si elle peut être dénudée de toute signification matérielle et tout de même être vraie. Une nécessité analytique est une instanciation d’une loi analytique. Ainsi, « Quine est chauve ou Quine n’est pas chauve » et « ce n’est pas le cas que Quine est chauve et Quine n’est pas chauve » sont des nécessités analytiques, alors que les lois correspondantes du tiers exclu et de la contradiction sont des lois analytiques.

Le deuxième chapitre de la troisième des Recherches logiques s’affaire à développer une théorie des touts et des parties. Les distinctions faites dans le chapitre précédent entre des parties essentiellement différentes d’un tout jouent ici un rôle important. Parmi les différentes sortes de relations tout-parties, une relation particulièrement importante est celle qui se présente dans le cas de touts extensifs, lequel peut facilement être vu comme une théorie formelle. On doit souligner ici que la méréologie de Lesniewski est un développement de la théorie des touts et des parties qui sans nul doute a été inspirée plutôt directement de Husserl ou par l’intermédiaire de Twardowski.

Dans la quatrième des Recherches logiques, Husserl applique sa théorie des parties dépendantes et indépendantes d’un tout à l’analyse du langage. Les lois que nous avons déjà mentionnées et qui nous permettent d’éviter le non-sens sont la pièce centrale pour une théorie de la grammaire logique préoccupée par les universaux linguistiques et les lois qui les régissent. La théorie des catégories de signification de Husserl revient une fois de plus à l’avant-plan. Celles-ci, tout comme les lois a priori qui les gouvernent, visent à saisir ce qui est essentiel dans tout langage, que celui-ci soit formel ou naturel. Cela a été mis de l’avant par Husserl deux décennies avant que Wittgenstein, dans son Tractatus logico-philosophicus, ne fisse des remarques générales mais moins précises sur une telle grammaire logique. En fait, c’est Husserl, et non Wittgenstein, qui a fortement influencé, à un certain point, quelques-uns des penseurs les plus importants de la grande école polonaise de logiciens et de philosophes, à savoir, encore une fois, Lesniewski, mais aussi l’article d’Ajdukiewicz, « Syntactic Connection »[25], et même Tarski, dans la première version de son exceptionnelle monographie « The Concept of Truth in Formalized Languages »[26].

6. Les Recherches logico-épistémologiques de Husserl

La cinquième et la sixième des Recherches logiques ont une nature épistémologique. En ce sens, elles diffèrent à la fois de la première et de la quatrième Recherche, qui sont aux prises avec des problèmes de philosophie du langage, et de la seconde et de la troisième, qui s’occupent principalement, bien que non exclusivement, de problèmes ontologiques. Bien entendu, la séparation n’est pas si nette, puisque c’est précisément dans la troisième des Recherches logiques que les définitions d’analyticité et de synthéticité a priori viennent à l’avant-plan.

La cinquième des Recherches logiques s’occupe, entre autres choses (voir le chapitre II) de la structure intentionnelle de la conscience, un thème fondamental pour la compréhension de l’ensemble de l’oeuvre de Husserl. Le très important chapitre III de cette recherche discute la distinction entre la matière et la qualité de tous les actes intentionnels. De plus, la distinction faite dans la première Recherche sur les actes conférant la signification est généralisée fondamentalement aux autres actes intentionnels. Ainsi, en un certain sens, ce chapitre peut être vu comme un pont allant vers la généralisation faite par Husserl dans les Ideen zu einer reinen Phänomenologie und einer phänomenologischen Philosophie I une douzaine d’années plus tard, alors qu’il a introduit sa terminologie de « noème-noèse-hylè ». Les autres chapitres de la cinquième Recherche logique touchent principalement la théorie du jugement.

La sixième des Recherches logiques, peu connue, est en quelque sorte l’opus magnum de l’opus magnum de Husserl. Dans sa seconde partie, portant le titre suggestif « Sensibilité et entendement », le grand philosophe offre la théorie de l’intuition catégoriale (ou intellectuelle) la mieux développée qui soit. Aussi n’est-il pas surprenant que Kurt Gödel ait recommandé à plusieurs logiciens de lire le traitement magistral que Husserl fait de l’intuition catégoriale[27]. Comme on le sait bien, depuis Platon, on a souligné à plusieurs reprises dans l’histoire de la philosophie que les entités mathématiques sont essentiellement différentes des objets perceptuels ainsi que des états mentaux des sujets connaissants. Mais personne avant Husserl n’avait offert une théorie plus pertinente, plus détaillée et plus claire de notre connaissance des entités mathématiques que Platon lui-même. Qui plus est, la théorie de Husserl est en mesure de connecter d’une manière des plus naturelles notre connaissance des entités mathématiques avec celle des objets perceptuels. Je vais en offrir ici une très brève esquisse[28].

Déjà, dans notre expérience des objets physiques de la vie de tous les jours, il y a des constituants catégoriaux. Contrairement à une conception largement acceptée dans les cercles empiristes, mais clairement fausse, nous ne percevons pas des sense data, et pas non plus des objets isolés, mais des états de choses. Je vois mon ordinateur sur mon bureau à côté de l’imprimante, je vois Peter et John assis sur un banc dans le parc, et je vois que Mary est plus grande que Joan. Ce sont là les « choses » que nous percevons et avec lesquelles — pour reprendre la terminologie russellienne — nous sommes en relation d’accointance. Ce sont là les briques sur lesquelles notre connaissance perceptuelle est construite, et non seulement notre connaissance perceptuelle, mais plus généralement notre connaissance sensible intuitive. Dans chacun de ces trois états de choses que je perçois, il y a des constituants qui ne sont pas donnés de manière sensible. Les mots « sur » et « à côté de » employés pour décrire le premier des trois états de choses perçus n’ont aucun corrélat dans l’intuition sensible, et c’est également le cas pour les particules « et » et « sur » de l’énoncé décrivant le second état de choses, ou des mots « est plus grand que » décrivant une relation entre Mary et Joan. Ce sont des composantes (ou constituantes) catégoriales des états de choses perçus, et ils ne sont pas eux-mêmes perçus ou intuitionnés sensiblement. De plus, de telles composantes sont certainement pertinentes pour la vérité ou la fausseté d’énoncés référant aux états de choses déjà mentionnés. Si l’ordinateur n’est pas à côté de l’imprimante mais au-dessus ou en-dessous de l’imprimante, le premier des trois énoncés est faux, bien que les mots « au-dessus » et « en-dessous » n’aient pas non plus de corrélats sensibles. De plus, si c’est seulement John qui est assis sur le banc dans le parc, le second énoncé est faux, alors que l’énoncé « Peter ou John est assis dans le parc sur un banc » est vrai. Bien entendu, « ou » n’a pas non plus de corrélat sensible. Enfin, si Mary est plus petite que Joan, l’énoncé « Mary est plus grande que Joan » est faux, même si « est plus grand que » et « est plus petit que » n’ont pas de corrélats sensibles. Ainsi, notre connaissance la plus fondamentale au moyen de l’intuition sensible contient déjà des composantes catégorielles qui sont pertinentes pour la vérité ou la fausseté des énoncés correspondants. Une situation similaire se produit lorsque nous « percevons » une collection d’objets. Nous avons une connaissance directe non seulement de l’objet physique individuel que nous percevons sensiblement, mais nous avons aussi une connaissance directe de la collection ou de l’ensemble d’objets bien que nous ne les percevions pas de manière sensible.

Sur la base de telles intuitions sensibles élémentaires ou fondamentales qui contiennent déjà des composantes catégoriales, d’autres objets catégoriaux sont constitués d’intuitions plus complexes, par exemple, la relation d’être plus grand que entre deux collections d’objets donnés comme constituants catégoriaux de simples intuitions sensibles. Des collections de relations, des collections de collections, et des relations entre relations peuvent être constituées dans des actes plus complexes, et puisque cette procédure est itérable indéfiniment, on obtient une hiérarchie complète d’objectualités catégoriales de n’importe quel degré de complexité.

Toutes les objectualités catégoriales obtenues de cette manière dans une telle hiérarchie d’intuitions catégoriales basées sur des intuitions sensibles sont en quelque sorte teintées sensiblement. Elles ne sont pas encore de purs objets mathématiques, car elles n’ont pas encore été purifiées de leur origine sensible. Pour obtenir des objectualités mathématiques, il est nécessaire de combiner l’intuition catégoriale avec un processus de formalisation. Ce processus de formalisation, qui peut se produire à n’importe quel niveau de la hiérarchie des objectualités catégoriales, consiste à remplacer les composantes sensibles par des variables, et donc à les vider de leur contenu matériel. Ainsi, l’intuition mathématique = intuition catégoriale + formalisation.

La hiérarchie des objectualités catégoriales et ainsi des objectualités mathématiques a une structure certainement similaire à la hiérarchie itérative des ensembles de Cantor, l’ami de Husserl, et particulièrement de Zermelo. Une différence non négligeable, toutefois, consiste en ceci que, pour Husserl, il n’y a pas de notion mathématique qui soit la plus fondamentale, comme les ensembles dans la construction des objectualités supérieures. Enfin, on doit mettre l’accent sur le fait que ni le paradoxe de Russell-Zermelo ni le paradoxe de Cantor ne sont permis dans la hiérarchie husserlienne des objectualités mathématiques.

7. Au-delà des Recherches logiques

Comme nous l’avons déjà mentionné au § 3, les conceptions de Husserl concernant la logique et les mathématiques sont restées pour l’essentiel les mêmes après le tournant transcendantal qui s’est produit plus ou moins entre 1905 et 1907. Ainsi, dans Einführung in die Logik und Erkenntnistheorie, basée sur des textes écrits précisément entre 1906 et 1907 mais publiée seulement de manière posthume, ainsi que dans Logik und allgemeine Wissenschaftstheorie, aussi publié de manière posthume et basé sur des textes écrits entre 1918 et 1920, tout comme dans Formale und transzendentale Logik, publié en 1929, il n’y a aucun changement essentiel par rapport aux conceptions de la logique et des mathématiques exposées dans les Logische Untersuchungen.

Il y a d’autres problèmes qui ne sont pas discutés du tout dans l’opus magnum, de Husserl, ou des problèmes sur lesquels il a changé d’avis. En ce qui concerne le dernier point, on doit mentionner que dans la première et la seconde des Recherches logiques, Husserl est allé trop loin dans son analogie entre les espèces — ou ce qu’il a appelé plus tard les « essences matérielles » ou simplement les « essences » —, et les significations idéales. En contraste avec les essences matérielles obtenues par un processus de variations éidétiques, les significations linguistiques, comme les nombres ou les entités mathématiques, ne sont certainement pas obtenues par un tel processus. En fait, dans les Recherches logiques, Husserl n’était pas encore arrivé à une compréhension complète de la différence entre l’appréhension des essences matérielles au moyen de la variation eidétique et de l’appréhension des entités catégoriales. Ainsi, dans la sixième des Recherches logiques, il y a un passage dans lequel Husserl tend à concevoir la variation eidétique comme un cas spécial d’intuition catégoriale. Dans les Ideen zu einer reinen Phänomenologie und phänomenologischen Philosophie I de 1913, d’autre part, la variation eidétique et les essences matérielles ont un rôle beaucoup plus déterminant que les objectualités catégoriales — les essences formelles, suivant le jargon de ce livre — qui pourraient erronément être comprises par un lecteur inattentif comme des cas particuliers d’essences matérielles. Dans Erfahrung und Urteil[29], publié immédiatement après la mort de Husserl, la pleine clarté est faite sur ce problème.

Un autre problème général de la philosophie de Husserl, particulièrement important pour les philosophes analytiques, est lié à sa conception de la perception, telle qu’elle est mise en relief dans les Ideen zu einer reinen Phänomenologie und phänomenologischen Philosophie. D’abord, comme je l’ai déjà brièvement évoqué plus haut, selon Husserl, nous ne connaissons pas directement les sense data ni aucune composante sensorielle de la perception, mais plutôt les objets et même les états de choses. C’est seulement plus tard, par une sorte d’abstraction, que nous pouvons entrer en contact avec de telles composantes sensorielles des objets de la perception. Ainsi, pour Husserl, la connaissance directe des sense data est un mythe. Il poursuit en disant que les phénoménologues sont les vrais positivistes, alors que les soi-disant positivistes ne sont pas des positivistes du tout. On doit souligner ici que l’étudiant secret de Husserl, Rudolf Carnap, qui allait devenir un positiviste, répète la critique husserlienne du positivisme dans Der logische Aufbau der Welt[30]. Un autre problème consiste en l’unilatéralité essentielle de nos perceptions. Nous ne voyons pas une maison, mais le côté d’une maison. Cependant, nous anticipons de manière imaginative que la maison possède d’autres côtés que nous ne percevons pas actuellement mais auxquels nous avons en principe accès, et donc que nous pouvons répondre à nos attentes en nous déplaçant autour de la maison. Ainsi, nous complétons notre perception de la maison en nous déplaçant autour d’elle, mais à chaque moment nous ne percevons qu’un côté de la maison. Les psychologues de la Gestalt ont étudié en détail cette conception husserlienne et l’ont mise à l’avant-plan de leurs investigations, et, encore une fois, dans Der logische Aufbau der Welt[31] Carnap a adopté cette importante intuition husserlienne sans en reconnaître son origine.

Il y a certainement d’autres conceptions de Husserl présentées dans la collection des Husserliana qui sont pertinentes pour la recherche en philosophie analytique. Une de celles-là est la distinction de Husserl entre la forme syntaxique, la matière syntaxique, la forme nucléaire et la matière nucléaire discutées brièvement dans la quatrième des Recherches logiques et plus en détail dans Formale und transzendentale Logik, particulièrement dans le premier appendice. Je ne peux pas discuter de ces problèmes ici, mais je vais considérer deux problèmes discutés dans d’autres écrits de Husserl.

8. Les leçons de logique de Husserl en 1908-1909

Les leçons de Husserl de 1908-1909 sur l’ancienne et la nouvelle logique — publiées tout récemment sous le titre Alte und neue Logik[32] dans une nouvelle collection d’ouvrages de Husserl sous le titre général Dokumente — sont particulièrement importantes afin de comprendre la pertinence de Husserl pour la philosophie analytique, et ce, sous plusieurs aspects. L’exposition de la conception husserlienne de la logique et des mathématiques ne diffère pas essentiellement de celle exposée dans les ouvrages déjà mentionnés. Il est toutefois intéressant qu’à la p. 3 Husserl aille jusqu’à affirmer que la logique philosophique est une discipline philosophique fondamentale, la « philosophie première dans le sens le plus strict et le plus approprié ». De plus, aux pages 8 et 40, il caractérise la tâche de la philosophie d’une manière très similaire à celle des philosophes analytiques. Il souligne qu’il procèdera de manière purement analytique, c’est-à-dire en partant de ce qui est composé et de ce qui nous est le plus près pour se rendre au plus simple. En outre, aux p. 230-232, Husserl souligne que la logique devrait être étendue non seulement à la théorie des probabilités — quelque chose qu’il avait déjà mentionné à la fin du chapitre XI des Prolégomènes — mais aussi aux concepts modaux de possibilité et de nécessité. Sur ce point également, Husserl était beaucoup plus en contact avec les développements plus tardifs de la logique que ne l’était Frege. Mais cela nous amène à un point particulièrement important.

Comme plusieurs philosophes analytiques le savent, Frege affirmait dans ses lettres de 1906 à Husserl que l’équivalence logique entre deux énoncés devrait être déterminée par l’identité du sens entre les deux énoncés. Les lettres de 1906 de Husserl à Frege ont été perdues durant la Seconde Guerre mondiale, et c’est pourquoi les spécialistes de Frege n’ont pas été en mesure d’apprendre ce que Husserl avait à dire sur le sujet, même s’ils n’étaient probablement pas intéressés à le savoir de toute façon. Mais la situation est plus compliquée, car ce que Frege affirme dans ces lettres est clairement faux si on comprend par « sens » ce qu’il comprenait par là dans « Über Sinn und Bedeutung »[33] et dans les Grundgesetze der Arithmetik, c’est-à-dire si on comprend par « sens » sa notion officielle de sens. En fait, au § 2 du premier volume des Grundgesetze, Frege affirme que les expressions « 2+2 » et « 22 » expriment différents sens et qu’ainsi les équations « 2+2=4 » et « 22=4 » ont différents sens, c’est-à-dire qu’elles expriment différentes pensées. Comme je l’ai affirmé à plusieurs reprises[34], Frege a une seconde notion de sens, dérivée de son ancienne notion de contenu conceptuel — voir le § 2 de la Begriffsschrift — qui est présente dans « Funktion und Begriff » et anticipe la notion plus raffinée de « situation de choses » avancée par Husserl ; c’est très certainement à cette notion qu’il faisait référence dans ses lettres de 1906 à Husserl.

Mais peu importe, car on retrouve dans les leçons de logique de Husserl, en 1908-1909, une réponse détaillée à l’affirmation confuse de Frege. En fait, Husserl mentionne ce problème à plusieurs reprises dans ces leçons. À la page 111, Husserl affirme que c’est une erreur de considérer que deux jugements qui sont inter-dérivables aient des contenus équivalents et soient un seul et même jugement. Deux énoncés peuvent très bien être inter-dérivables sans exprimer le même sens. À la page 116, Husserl souligne une fois de plus que l’équivalence de sens ne doit pas être confondue avec l’identité de sens. À la page 163, il fait une remarque similaire, mais en employant cette fois la terminologie frégéenne : l’équivalence de deux pensées n’implique pas l’identité des sens. À la fin des leçons, p. 272-274, Husserl offre un traitement plus détaillé du même problème. À la page 272, il caractérise l’équivalence logique d’une manière similaire à la caractérisation frégéenne de la notion de contenu conceptuel dans la Begriffsschrift. Deux énoncés S et S* sont équivalents logiquement lorsque pour tout ensemble d’énoncés fondamentaux ∑, ∑∪{S}| S* si et seulement si ∑∪{S*}| S. Husserl distingue alors deux différents types d’équivalence, qui correspondent à l’identité d’états de choses et à celle de situations de choses. Ainsi, deux énoncés S et S* sont spécifiquement et logiquement équivalents lorsqu’ils se réfèrent au même état de choses bien qu’ils puissent très bien avoir — et qu’ils aient, en général — différents sens. Ainsi, l’exemple de Frege « l’étoile du matin est une planète » et « l’étoile du soir est une planète » se réfèrent au même état de choses, à savoir le fait que Vénus est une planète. D’autre part, Husserl affirme que deux énoncés qui ont la même situation de choses, bien qu’ayant, en général, différents « contenus objectuels catégoriaux » — c’est-à-dire différents états de choses comme référents — sont équivalents sur le plan du contenu.

Enfin, en ce qui concerne Frege, et en employant précisément la terminologie de celui-ci, Husserl discute, à la p. 71-72, de la compositionnalité à la fois du sens et des référents, et il rejette alors le fameux principe du contexte de Frege dans Die Grundlagen der Arithmetik[35].

9. Quelques remarques sur la géométrie

Les conceptions de Husserl quant à la géométrie ne sont pas très bien connues et méritent encore d’être étudiées attentivement. Je vais me référer ici à deux lettres intéressantes, la première étant adressée à Franz Brentano et ayant été écrite au 29 décembre 1892[36], la seconde à Paul Natorp et datée du 7 septembre 1901[37]. Dans la première lettre, Husserl expose à Brentano qu’il remet dorénavant en question plusieurs de ses convictions géométriques du passé[38]. Plus particulièrement, il ne croit plus à la validité générale du postulat des parallèles d’Euclide[39]. Plus généralement, il affirme[40] que même si l’exposition des conceptions de Riemann et Helmholtz n’est pas aussi claire qu’on pourrait le souhaiter, ces théories ont un contenu précieux qui pourrait servir au développement d’une théorie de la connaissance géométrique.

La deuxième lettre est plus détaillée. Dans cette lettre, Husserl rejette le soi-disant argument kantien des contreparties incongrues, destiné à prouver la tridimensionnalité de l’espace en montrant qu’une main droite plane et une main gauche plane ont besoin d’une troisième dimension afin qu’une des deux occupe la même région de l’espace que l’autre. Toutefois, il affirme[41] qu’une vis moulée sur la droite et une vis moulée sur la gauche sont telles qu’on ne peut en amener une à occuper exactement la même région de l’espace au moyen de transformations dans l’espace tridimensionnel. Il affirme[42] également qu’il n’y a aucune raison épistémologique de préférer la tridimensionnalité à la n-dimensionnalité. Il reconnaît[43] qu’il y a une forme a priori catégoriale (et purement analytique) de l’espace tridimensionnel euclidien — comme il y a aussi des formes catégoriales a priori similaires de l’espace tridimensionnel non euclidien et de l’espace n-dimensionnel (qu’il soit euclidien ou non). Ce sont des multiplicités géométriques purement formelles et analytiques. Mais, eu égard à l’intuition spatiale, il reconnaît[44] explicitement la possibilité d’intuitions spatiales non euclidiennes. Ces intuitions spatiales non euclidiennes correspondent aux formes catégoriales, ou multiplicités, qui sont tout autant a priori et analytiques que les multiplicités tridimensionnelles euclidiennes. Toutefois, comme Husserl le souligne[45], c’est une sorte d’arbitraire mathématique au moyen de conventions qui sélectionnent des types déterminés de multiplicités au lieu d’autres.

On peut trouver quelques remarques additionnelles de Husserl sur l’espace et sa relation à la multiplicité formelle correspondante dans les deux esquisses de lettres à Natorp de 1897 et 1901. En fait, dans la première, Husserl est tout à fait clair sur le fait que, pour lui, ce qu’on comprend habituellement par géométrie est simplement une science naturelle[46]. De plus, il ne considère[47] pas les notions géométriques, comme celles d’angle, de longueur et de direction, comme purement formelles. Enfin, Husserl affirme[48] que la relation entre la multiplicité formelle (tridimensionnelle) euclidienne et les multiplicités euclidiennes (tridimensionnelles) infiniment possibles est similaire à celle entre l’égalité et des cas infiniment possibles d’égalité.

Deux points ressortent très clairement des lettres de Husserl à Brentano et à Natorp. Premièrement, Husserl considérait qu’on peut étudier de manière purement formelle (et donc) analytique les diverses formes de multiplicités tridimensionnelles euclidiennes et non euclidiennes et, en général, les multiplicités n-dimensionnelles. Deuxièmement, on ne peut décider par simple argumentation si notre espace physique est tridimensionnel ou n-dimensionnel, euclidien ou non. C’est une affaire empirique, similaire aux lois de la physique. Jusqu’à ce point, les conceptions de Husserl coïncident avec celles de Riemann, et il semble absolument hors de doute qu’il ait été influencé à la fois par Riemann et Helmholtz. Ce sera également la conception de la géométrie adoptée par Einstein, qui prévaudra après qu’Hilbert et lui auront découvert la théorie générale de la relativité, indépendamment l’un de l’autre.

Néanmoins, il y a quelques aspects importants des conceptions de Husserl qui méritent d’être étudiées plus en détail. D’abord, on doit tenir compte du fait que Husserl parle également de conventions arbitraires, et il semble pertinent de tenter de clarifier ce à quoi il se réfère par là. Husserl est plus explicite sur ce point dans l’esquisse de la lettre que dans la lettre elle-même. Ainsi, il y affirme que le mathématicien choisit par convention arbitraire les sortes particulières de multiplicités à investiguer à partir d’une variété de multiplicités possibles qui constituent le cadre formel[49].

De manière plus importante, il y a également le fait que Husserl reconnaisse un type de synthétique a priori géométrique, c’est-à-dire une sorte de composante géométrique différente à la fois de la sphère purement analytique formelle des multiplicités et de la nature empirique géométrique de notre espace physique. Husserl se réfère à plusieurs reprises — justement dans ses leçons de 1908-1909 sur l’ancienne et la nouvelle logique, par exemple aux p. 30, 33 et 261-262 — à la nature synthétique a priori des arguments basés sur la congruence. De telles assertions de sa part compliquent l’explication de ses conceptions. L’étudiant secret de Husserl, Rudolf Carnap, a défendu dans sa dissertation, Der Raum[50], une distinction tripartite similaire entre ce qui est purement formel en géométrie — et qu’il lie à l’ontologie formelle de Husserl, l’espace intuitif et l’espace empirique physique. Pour lui également, il y a une composante synthétique a priori de l’espace intuitif, mais elle réside exclusivement dans la composante topologique de l’espace intuitif. Toutefois, la congruence est une notion métrique et non pas topologique, ni même une notion affine, car elle présuppose la notion d’isométrie[51]. D’autre part, des autres aspects métriques, comme par exemple la question de savoir si l’espace est euclidien ou non euclidien, tridimensionnel ou quadridimensionnel, sont des questions qui, pour Husserl, sont de nature empirique.

Un autre étudiant de Husserl, le grand mathématicien et physicien Hermann Weyl, a proposé une sorte d’a priori métrique. Que les conceptions de Husserl soient plus apparentées à celles de Weyl qu’à celles de Carnap, c’est là une question à laquelle je ne peux présentement répondre. En fait, et à mon grand regret, je ne peux offrir en ce moment une exposition plus cohérente de la conception husserlienne des trois niveaux de la géométrie que celle que j’ai proposée ici.

Enfin, il faut souligner que même si dans son oeuvre de jeunesse, la Philosophie der Arithmetik, Husserl n’était pas arrivé à sa maturité philosophique, cela ne signifie pas que le livre manque d’intuitions précieuses. Il semble approprié de conclure ce survol en retournant au livre de jeunesse de Husserl et en renvoyant à un article récent de Stefania Centrone[52], dans lequel elle défend ardemment la thèse selon laquelle Husserl avait anticipé la notion la plus générale de fonction récursive dans le dernier chapitre de Philosophie der Arithmetik, précédant ainsi Kleene de quelque cinquante ans. Par conséquent, si les philosophes analytiques et les logiciens avaient pris le temps d’étudier les oeuvres de jeunesse de Husserl au lieu d’accepter comme un dogme leur rejet par Frege, la théorie de la fonction récursive aurait trouvé son origine beaucoup plus tôt.