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PrésentationLire Poincaré cent ans après[Record]

  • Éric Audureau

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Les essais réunis dans ce numéro thématique de Philosophiques proviennent pour l’essentiel des contributions données par les auteurs à l’occasion d’un colloque consacré à Poincaré et la théorie de la connaissance, organisé par le Séminaire d’épistémologie d’Aix-en-Provence, qui se déroula à Toulouse les 16 et 17 mars 2001. L’une des raisons pour lesquelles ces ouvrages ont connu de leur temps un succès exceptionnel, et qui fait également que l’on continue à les lire avec le même enchantement qu’autrefois, est que Poincaré est facile à lire. Poincaré est facile à lire car il écrit pour tout le monde : les bacheliers, les « gens du monde », les professeurs et ses pairs, Duhem, Einstein, Hilbert, Lorentz, Mach, Peano, Russell, Zermelo, pour ne citer que les plus connus. Facile à lire, Poincaré est difficile à comprendre, et, sans paradoxe, l’on peut dire que, pour une part, cette difficulté est la rançon de cette facilité. Cette plume alerte est celle d’un grand polémiste qui n’est pas auteur à se relire (on peut le vérifier dans la liberté qu’il prend avec les règles de ponctuation). La constance de sa terminologie en souffre parfois. Mais cette difficulté compte bien peu face à celles posées par la position historique de Poincaré. Poincaré s’exprime à une époque où la pensée scientifique subit de profondes mutations : naissance de la logique mathématique, de la théorie des ensembles, de la théorie de la relativité, de la théorie des quanta, sans compter, sujet crucial pour comprendre sa pensée, la question de l’assimilation du pluralisme géométrique et de ses conséquences, sans oublier, non plus, la consolidation de la thermodynamique, laquelle aspire à remplacer la mécanique dans son rôle de théorie unitaire de la nature. Sur tous ces sujets, Poincaré va au front. Sur les plus importants d’entre eux, il paraît défendre des positions « conservatrices ». Mais qu’était-ce qu’une position conservatrice au début du xxe siècle ? Nous sommes aujourd’hui si familiarisés avec la théorie des ensembles ou la théorie de la relativité que nous avons perdu de vue ce à quoi elles s’opposaient à l’époque de leur avènement. Ici, il faut bien demander à l’histoire de nous éclairer. D’autant que certaines des controverses autour des fondements, c’est notamment le cas de la mécanique, étaient justement alimentées, pour ne pas dire causées, par l’histoire des sciences elle-même. Duhem et Mach, qui, comme Poincaré, estiment que l’ontologie doit être bannie de la physique, appellent tous deux l’histoire de la physique à charge contre l’intrusion des questions (métaphysiques) d’existence dans les théories physiques. À des titres différents, les articles de J. Boniface, A. Brenner, J. Mawhin et A. Michel donnent des éclairages sur les contextes scientifiques et philosophiques dans lesquels la pensée de Poincaré se déploie. Cette difficulté une fois reconnue, nous en voyons surgir une nouvelle qui, d’ailleurs, en annonce d’autres. Pour bien comprendre la pensée de Poincaré, il faut non seulement bien connaître les sciences de son temps et leur histoire, mais aussi comprendre le rôle de Poincaré dans ces sciences. En d’autres termes, ce qui, chez notre auteur, semble parfois simplement bien dit est, le plus souvent, rigoureusement justifié par des résultats scientifiques dont nous rappelions à l’instant le caractère confidentiel. Or il n’est pas un sujet de mathématiques pures ou de physique théorique que Poincaré n’ait traité  ; même la matière douteuse de la cosmologie, que, sans nul doute, Poincaré, s’il vivait encore, persisterait à nommer hypothèses cosmogoniques, a été l’objet de ses leçons. Ceci explique la difficulté principale posée par la lecture de Poincaré. Les historiens de la logique s’arrêtent sur sa pensée ; ceux …

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