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Four-Dimensionalism est un ouvrage de métaphysique analytique qui s’inscrit dans le débat contemporain sur la persistance à travers le temps. La thèse principale qu’y défend Ted Sider est le quadri-dimensionnalisme, à savoir, selon sa propre terminologie, la thèse selon laquelle nécessairement, tout objet spatio-temporel possède une partie temporelle instantanée à chaque moment de son existence (p. 59).

Nécessairement, tout objet spatio-temporel non-persistant — c’est-à-dire n’existant qu’à un seul instant — est une partie temporelle instantanée « impropre » de lui-même. C’est trivialement vrai. Et donc il est trivialement nécessaire que tout objet non persistant possède une partie temporelle instantanée à chaque moment de son existence. Le quadri-dimensionnalisme se distingue à propos des objets persistants. Il nous dit qu’un objet de ce type doit être doté d’une structure méréologique non triviale, qu’il doit être composé de parties temporelles instantanées « propres ».

Selon Sider, le quadri-dimensionnalisme est une thèse métaphysique, qui reste muette sur la question sémantique de savoir si les objets concrets familiers, ceux dont nous parlons habituellement, sont persistants ou non (p. 60-61 et p. 209-210). La worm view, qui est la position de David Lewis, est la combinaison du quadri-dimensionnalisme et de la thèse selon laquelle les objets familiers sont persistants. La stage view, que Sider défend, est en accord avec la worm view sur la composante métaphysique mais pas sur la composante sémantique. Selon Lewis, chaque occurrence du nom « Socrate » désigne un « vers spatio-temporel » composé de multiples parties temporelles propres. Selon Sider, chaque occurrence du nom en question (ou du moins la plupart d’entre elles, cf. p. 197) dénote un objet fugace qui n’existe qu’à un seul instant et qui ne possède d’autre partie temporelle que lui-même.

La notion de partie temporelle est familière au sens commun. Nous croyons en effet que nombre d’événements et de processus possèdent de telles parties. Nous croyons par exemple que les matchs de football sont composés de parties temporelles que l’on appelle « mi-temps », ou encore que la vie d’un être humain se subdivise en parties temporelles telles que l’enfance, l’adolescence, etc. La thèse quadri-dimensionnaliste minimale, selon laquelle tout objet persistant possède quelques parties temporelles propres (instantanées ou pas), si elle est restreinte aux événements et processus, possède même une certaine plausibilité aux yeux du sens commun. Et peut-être en va-t-il de même pour la position plus forte de Sider. Mais nos croyances pré-théoriques, semble-t-il, sont incompatibles avec le quadri-dimensionnalisme non restreint : nous sommes convaincus qu’une multitude d’objets (êtres humains, planètes, tables, etc.) persistent à travers le temps mais ne sont pas composés de parties temporelles (propres). Nous sommes, selon la terminologie de Sider, tri-dimensionnalistes. C’est du moins ce qu’il semble.

La structure du livre est simple. Après avoir présenté « l’image quadri-dimensionnaliste du monde » (chap. 1), Sider consacre un chapitre à la philosophie du temps (chap. 2). Il y défend la « théorie-B du temps » (éternalisme), selon laquelle les objets et temps passés et futurs sont aussi réels que ceux qui existent actuellement, et le discours « tensé » (réductionnisme) possède des conditions de vérité non tensées. La théorie-B du temps est présupposée dans toute la suite du livre. Le reste de l’ouvrage est consacré à la métaphysique de la persistance proprement dite. L’important chapitre 3 s’occupe de formulation. Sider y donne une définition précise du quadri-dimensionnalisme et examine diverses formulations de la principale théorie adverse, le tri-dimensionnalisme. Les chapitres 4 et 5 proposent des arguments en faveur du quadri-dimensionnalisme, et le dernier chapitre présente un ensemble d’objections contre cette même doctrine et tente de les réfuter. Tandis que le chapitre 4 propose des arguments très variés — notamment le fameux argument from temporary intrinsics de Lewis et l’important argument from vagueness inspiré d’un (autre) argument de Lewis en faveur du principe de composition non restreinte — le chapitre 5 est tout entier consacré à monter que le quadri-dimensionnalisme est dans une bien meilleure posture que diverses théories rivales face aux fameux « paradoxes de la coïncidence ». C’est là que Sider présente et défend la stage view.

Four-Dimensionalism est un ouvrage complet et fouillé (il inclut, outre des arguments propres à l’auteur, un très vaste ensemble d’arguments que l’on peut trouver dans la littérature), et il ne fait aucun doute qu’il restera pour longtemps un ouvrage de référence sur le sujet qu’il traite.

Plusieurs arguments et thèses que l’on peut trouver dans le livre me paraissent peu convaincants. Outre certains points concernant la formulation de la thèse quadri-dimensionnaliste et les arguments que propose Sider en faveur de la supériorité de sa stage view face à la worm view, il y a l’un des arguments centraux du livre, que j’ai précédemment mentionné, à savoir l’argument du vague (the argument from vagueness, chap. 4 section 9). Il s’agit d’un argument original de Sider, qu’il considère comme l’un des plus puissants en faveur du quadri-dimensionnalisme (p. 120). C’est sur cet argument que je vais concentrer la partie critique de ce compte rendu.

L’argument du vague est une modification d’un argument proposé par Lewis dans On the Plurality of Worlds (pp. 211-213) en faveur du principe de composition non restreinte, i.e. du principe selon lequel n’importe quelle collection d’objets possède une somme ou fusion méréologique. Plus précisément, l’argument du vague est une modification d’une reconstruction par Sider de l’argument de Lewis. Il possède deux parties. La conclusion de la première partie est qu’un principe de composition non-restreinte concernant une certaine notion de fusion « dynamique » ou « trans-temporelle » est vrai. La deuxième partie consiste à montrer que le quadri-dimensionnalisme est une conséquence de cette conclusion. La première partie de l’argument du vague n’est rien d’autre que l’adaptation directe de l’argument de Lewis (version Sider) à la notion de fusion dynamique.

Je vais ci-dessous essayer de montrer que l’argument de Lewis tel que Sider le formule fait face à une objection sérieuse dont Sider ne tient pas compte. Je proposerai ensuite une modification de l’argument qui échappe à cette objection et montrerai que le résultat est toujours sujet à objection. Je donnerai enfin une troisième version de l’argument en question (une modification de la seconde version reprenant quelques éléments de l’argument original de Lewis que Sider laisse de côté) qui échappe aux problèmes rencontrés par les versions précédentes. Comme je le mentionnerai ensuite, il me semble que cette dernière version (ou une version semblable) reflète ce que Sider a en fait réellement en tête lorsqu’il propose la sienne. Si tel est le cas, ce qui suit n’aura pas seulement la vertu d’une exégèse adéquate ; car, à mon avis, la version initiale de l’argument, prise à la lettre, peut facilement manquer de convaincre quelqu’un qui serait par ailleurs parfaitement convaincu par la version finale. Si par contre la version initiale reflétait de manière adéquate la pensée de Sider, alors mon verdict serait « tant pis pour lui ». Les considérations qui suivent pourront être appliquées, mutatis mutandis, à la première partie de l’argument du vague, que je vais ici laisser de côté. Cela apparaîtra assez évident à ceux qui l’ont parcouru.

Commençons par examiner l’argument original de Lewis. Voici ce qu’il dit :

[C]omposition cannot be restricted in accordance with our intuitions about this worldly cases […] The question of whether composition takes place in a given case, whether a given class does or does not have a mereological sum, can be stated in a part of language where nothing is vague. Therefore it cannot have a vague answer. There is such a thing as the sum, or there isn’t. […] No restriction on composition can be vague. But unless it is vague, it cannot fit the desiderata. So no restriction on composition can serve the intuitions that motivate it. So restriction would be gratuitous. Composition is unrestricted […]

p. 212-213.

L’argument peut semble-t-il être reformulé de la manière suivante :

(L1)

Il serait gratuit de rejeter le principe de composition non restreinte, sauf si l’on pouvait formuler un principe de composition qui respecte les intuitions que nous avons à propos de la présence et de l’absence de composition dans les cas actuels ;

(L2)

Pour que ces intuitions soient respectées, le principe devrait selon lui, être tel que, il y a des classes d’objets pour lesquelles la question de savoir si leurs membres fusionnent ou pas n’a pas de réponse déterminée ;

(L3)

Or le prédicat « il y a une fusion des membres de … » n’est pas vague, i.e. pour toute classe d’objets C, ou bien il est clairement le cas que les membres de C fusionnent, ou bien il est clairement le cas que les membres de C ne fusionnent pas ;

(L4)

Donc, rejeter le principe de composition non restreinte serait gratuit ;

(L5)

Donc, le principe de composition non restreinte est vrai.

(L1) — (L3) impliquent (L4). Le passage de (L4) à (L5) est douteux, mais laissons cela de côté[1].

Sider affirme qu’il y a une faiblesse dans l’argument. Voici en gros ce qu’il dit (p. 121-122). Une manière naturelle de comprendre l’expression « principe de composition » est la suivante : un principe de composition est un énoncé du type « les membres d’une classe C fusionnent ssi F(C) ». Selon cette interprétation, le principe de composition non-restreinte est un principe de composition où la condition « F » est universellement satisfaite, et un principe de composition restreinte est simplement un principe de composition où la condition « F » n’est pas universellement satisfaite. Le problème, nous dit Sider, c’est qu’il se peut qu’il n’y ait aucun principe de composition restreinte qui soit informatif — et ce serait le cas, rajoute-t-il, s’il y avait des cas de fusion où le fait que les objets en question fusionnent est un « fait brut », incapable d’analyse informative. Ce que Sider entend par « informatif » n’est pas clair pour moi. Mais si effectivement les principes de composition restreinte que Lewis a à l’esprit lorsqu’il formule sont argument doivent être « informatif », et s’il se peut qu’il y ait des cas de composition qui ne peuvent satisfaire aucune condition « F » telle que « les membres d’une classe C fusionnent ssi F(C) » est un principe de composition restreinte informatif, alors Lewis exclut la possibilité de tels cas de composition. Comme Sider veut rester neutre à ce propos, il décide de reformuler l’argument de Lewis. Voici le nouvel argument (p. 122-125 ; ma formulation de l’argument est un peu différente de celle de Sider, en particulier sur le plan du vocabulaire, mais cela n’a aucune importance) :

(S1)

Si le principe de composition non restreinte est faux, alors il existe deux classes raisonnables connectées par une série continue telles qu’il est clair que les membres de l’une fusionnent et que les membres de l’autre ne fusionnent pas ;

(S2)

Dans aucune série continue on ne peut trouver deux classes adjacentes telles qu’il est clair que les membres de l’une fusionnent et que les membres de l’autre ne fusionnent pas ;

(S3)

Pour toute classe raisonnable C, ou bien il est clair que les membres de C fusionnent, ou bien il est clair qu’ils ne fusionnent pas ;

(S4)

Donc, le principe de composition non-restreinte est vrai.

Une classe raisonnable est une classe d’au moins deux objets dont les membres font partie d’une situation possible. Une série continue est une série finie de classes raisonnables telle que deux membres adjacents quelconques de la série sont extrêmement similaires relativement à l’ensemble des paramètres qui pourraient être pertinent par rapport à la question de savoir s’il y a fusion ou pas (homogénéité qualitative, proximité spatiale, unité dans l’action, étendue des relations causales, etc.). Enfin, une série finie connecte deux classes ssi la série a pour extrémités ces deux classes. (S1) — (S3) impliquent (S4).

Même s’il est clair que l’argument original de Lewis et la version qu’en donne Sider ont beaucoup en commun, ils diffèrent néanmoins sur un point important : on ne trouve nulle part dans l’argument de Sider de prémisse similaire à (L1) concernant les motivations que l’on peut avoir à rejeter le principe de composition non restreinte. Cette différence peut surprendre, étant donné le rôle important de (L1) dans l’argument original. Je reviendrai sur ce point plus tard.

Sider examine plusieurs objections à l’argument qu’il propose. Mais il y a une manière d’attaquer l’argument que Sider n’envisage pas. L’objection repose sur la prémisse qu’il n’existe aucune paire de classes raisonnables extrêmement similaires (au sens entendu) qui ne soient pas exactement similaires (dans le même sens). (L’existence de classes extrêmement similaires ne fait pas de doute : toute classe exactement similaire à une classe donnée lui est extrêmement similaire, et toute classe est exactement similaire à elle-même.) L’objection est évidente. Puisqu’il n’y a pas de similarité extrême autre qu’exacte, toute série continue est nécessairement constituée de classes exactement similaires. Il suit que la prémisse (S1) est équivalente à « si le principe de composition non restreinte est faux, alors il existe deux classes raisonnables exactement similaires telles qu’il est clair que les membres de l’une fusionnent et que les membres de l’autre ne fusionnent pas ». Or comme le conséquent de ce dernier énoncé ne peut pas être vrai (nous parlons de similarité relativement aux paramètres pertinents pour la fusion), (S1) est équivalente au principe de composition non-restreinte, et l’argument est ainsi détruit.

Pour sauver l’argument, il faut donc rejeter la prémisse initiale de l’objection. La manière la plus facile de rejeter une thèse est d’affirmer que sa négation est évidente. Or, me semble-t-il, il n’est pas évident qu’il existe des classes raisonnables extrêmement similaires qui ne sont pas exactement similaires. Mon avis est donc que pour sauver l’argument de Sider, il faut fournir un argument en faveur de la thèse selon laquelle il y a des cas de similarité extrême non exacte qui aille au-delà de la simple affirmation que cette thèse est évidente. Sider ne le fait pas. Il n’examine en fait même pas la thèse en question, et semble juste présupposer que sa vérité va de soi.

J’affirme donc qu’il n’est pas évident que :

(enes)

Il existe des classes raisonnables extrêmement similaires qui ne sont pas exactement similaires.

Pour comprendre pourquoi, il faut déjà comprendre (enes). Et pour ce faire, il faut comprendre ce que signifie « être extrêmement similaires ».

Que veut dire « être extrêmement F » ? Pour certaines valeurs de « F », rien du tout. Par exemple, une proposition ne peut pas être extrêmement vraie, ou encore rien ne peut être extrêmement de l’eau. Pour que le prédicat « est extrêmement F » ait un sens, il faut que le prédicat « est plus F que » en ait un, et ce n’est pas toujours le cas. Que veut dire alors « est extrêmement F » lorsque cette expression a un sens ? Je suggère qu’être extrêmement F, c’est toujours être extrêmement F relativement à une certaine classe de comparaison, et qu’un objet x est extrêmement F relativement à la classe de comparaison C ssi (i) x est complètement F, ou (ii) la classe des objets dans C qui sont plus ou aussi F que x est extrêmement plus petite que la classe C. Il ne s’agit pas là d’une analyse du modificateur « extrêmement », bien entendu, mais l’équivalence suggérée nous suffira pour ce qui suit.

Une série continue, nous dit Sider, est une série finie de classes raisonnables telle que deux membres adjacents quelconques de cette série sont extrêmement similaires relativement à l’ensemble des paramètres qui pourraient être pertinents par rapport à la question de savoir s’il y a fusion ou pas (i.e. telle que toute paire de membres adjacents de cette série est extrêmement Homogène, pour faire plus court). Si les considérations précédentes sont correctes, alors dire qu’une paire de classes raisonnables est extrêmement Homogène, c’est dire qu’elle est extrêmement Homogène relativement à une certaine classe de comparaison. Laquelle ? Il semble que Sider ait en tête la classe de toutes les paires de classes raisonnables. Selon cette suggestion, une série continue est une série finie de classes raisonnables telle que chaque paire <C,D> de membres adjacents de la série satisfait la condition suivante :

(1)

<C,D> est extrêmement Homogène relativement à la classe de toutes les paires de classes raisonnables,

i.e. (en supposant que les considérations précédentes soient correctes) :

(2)

<C,D> est complètement Homogène, ou la classe des paires de classes raisonnables qui sont plus ou aussi Homogènes que <C,D> est extrêmement plus petite que la classe de toutes les paires de classes raisonnables.

Maintenant, que signifie le prédicat « la classe des paires de classes raisonnables qui sont plus ou aussi Homogènes que … est extrêmement plus petite que la classe de toutes les paires de classes raisonnables » ? Étant donné que la classe de toutes les paires de classes raisonnables est certainement infinie, je suggère de comprendre « … est extrêmement plus petite que — » comme « … est plus petite que — » entendu au sens usuel de « … n’est pas en correspondance biunivoque avec —, mais est en correspondance biunivoque avec une partie de — ». Une classe de cardinal infini peut en effet sans doute être considérée comme « extrêmement » plus grande qu’une classe de cardinal inférieur.

Selon ces suggestions, la thèse (enes) peut être reformulée comme suit :

(enes’)

Il existe au moins une paire de classes raisonnables <C,D> telle que (i) <C,D> n’est pas complètement Homogène, et (ii) la classe des paires de classes raisonnables qui sont plus ou aussi Homogènes que <C,D> est plus petite que la classe de toutes les paires de classes raisonnables,

Et à mon avis, comme je l’ai annoncé plus haut, il n’est pas du tout évident que (enes’) soit vraie. À ceux qui ne sont pas du même avis, je propose de considérer la proposition suivante :

(R)

Il existe une fonction e qui assigne à toute paire de classes <C,D> un nombre réel compris entre 0 et 1 représentant le degré d’Homogénéité de <C,D>, 0 correspondant à l’absence totale d’Homogénéité et 1 à l’Homogénéité complète, telle que e<C,D> = e<E,F> ssi <C,D> et <E,F> sont aussi Homogènes et e<C,D> < e<E,F> ssi <C,D> est moins Homogène que <E,F>, et telle que :

(RI)

Tout nombre réel compris entre 0 exclu et 1 inclus est le degré d’Homogénéité (mesuré selon e) de quelque paire de classes raisonnables, et

(RII)

Pour tous nombres réels x et y compris entre 0 exclu et 1 inclus, il y a autant de paires de classes de degré d’Homogénéité x (mesuré selon e) que de paires de classes de degré d’Homogénéité y (mesuré selon e).

(R) implique la négation de (enes’). Ceux qui pensent toujours que (enes’) est évidente doivent donc considérer la proposition (R) comme évidemment fausse. Comme cela n’est pas mon cas, je leur demande alors d’avoir la patience de me proposer un argument contre (R).

Il me semble donc que pour sauver l’argument de Sider, il faut fournir un argument en faveur de la thèse (enes) et ne pas se contenter d’affirmer que cette thèse est évidente. Quoi qu’il en soit, il est possible de construire un argument, d’un certain point de vue similaire à celui de Sider, et qui n’exploite pas la notion problématique d’extrême similarité.

On part de la notion d’une paire de classes raisonnables est plus Homogène qu’une autre paire de classes raisonnables, et on pose :

  • Une série finie de classes raisonnables est plus fine qu’une autre ssidf toute paire de classes adjacentes de la première série est plus Homogène que n’importe quelle paire de classes adjacentes de la seconde série ;

  • Une suite infinie s0, s1, s2, … de séries finies de classes raisonnables affine indéfiniment une série finie s de classes raisonnables ssidf (i) s0 = s, et pour tout entier n, (ii) tous les membres de sn sont dans sn+1, (iii) les extrémités de sn sont celles de s, et (iv) sn+1 est plus fine que sn.

  • Une série finie s de classes raisonnables peut être indéfiniment affinée ssidf il existe une suite infinie s0, s1, s2, … de séries finies de classes raisonnables qui affine s.

L’argument est le suivant :

(S’1)

Si le principe de composition non restreinte est faux, alors il existe deux classes raisonnables C et D telles que (i) <C,D> peut être indéfiniment affinée, et (ii) il est clairement le cas que les membres de l’une fusionnent et que les membres de l’autre ne fusionnent pas ;

(S’2)

Si une suite s0, s1, s2, … de séries finies de classes raisonnables affine indéfiniment une série finie s de classes raisonnables, alors il existe un entier n tel que dans sn on ne peut trouver deux classes adjacentes telles qu’il est clairement le cas que les membres de l’une fusionnent et que les membres de l’autre ne fusionnent pas ;

(S’3)

Pour toute classe raisonnable C, ou bien il est clairement le cas que les membres de C fusionnent, ou bien il est clairement le cas qu’ils ne fusionnent pas ;

(S’4)

Donc, le principe de composition non restreinte est vrai.

L’argument est impeccable. En effet, par (S’2) et (S’3), si une suite s0, s1, s2, … affine indéfiniment une série s, alors il existe un entier n tel que : ou bien tous les éléments de sn sont tels qu’il est clair que leurs membres fusionnent, ou bien tous les éléments de sn sont tels qu’il est clair que leurs membres ne fusionnent pas. Il suit en particulier que si une série peut être indéfiniment affinée, alors, ou bien tous ses éléments sont tels qu’il est clair que leurs membres fusionnent, ou bien tous ses éléments sont tels qu’il est clair que leurs membres ne fusionnent pas. Le conséquent de (S’1) est donc faux, et par (S’1), il suit que (S’4) est vraie[2].

La différence entre cet argument et celui de Sider est, si l’on veut, qu’il y a entre un argument d’analyse mathématique formulé en termes d’infinitésimaux (entités « extrêmement petites ») et certains arguments « purifiés » correspondant formulés dans le langage de l’analyse moderne. Je suggère en fait que le nouvel argument représente assez bien ce que Sider a en tête lorsqu’il présente le sien, et, pour suivre la comparaison précédente, que son erreur est semblable à celle du mathématicien qui tente de prouver un théorème en utilisant le langage des quantités infinitésimales.

Les prémisses du nouvel argument sont-elles plausibles ?

Commençons par (S’1). Considérons le principe de composition suivant : les membres d’une classe fusionnent ssi Dieu en a décidé ainsi. Il s’agit d’un principe de composition restreinte. Supposons qu’il soit vrai. Que signifie alors qu’une paire <C,D> est plus Homogène qu’une paire <E,F> ? Sans doute ceci : que Dieu a pris la même décision (positive ou négative) au sujet de C et de D, et une décision pour E qui diffère de celle concernant F. Mais alors, il ne peut exister aucune série qui puisse être indéfiniment affinée. Et il suit que (S’1) est fausse.

Tournons-nous maintenant vers (S’2). Considérons le principe de composition suivant : les membres d’une classe fusionnent ssi ils sont tous sphériques (on supposera que « les membres de … sont tous sphériques » n’est pas un prédicat vague). Il s’agit à nouveau d’un principe de composition restreinte. Supposons qu’il soit vrai. Quels sont alors les paramètres pertinents pour qu’une classe ait une fusion ? Concentrons-nous sur les classes finies pour simplifier. On peut imaginer au moins deux réponses : (i) la proportion de sphères dans la classe en question, et (ii) le paramètre binaire que l’on peut appeler Sphéricité, qui prend la valeur 1 pour une classe donnée si ses membres sont tous sphériques et sinon la valeur 0. Si l’on opte pour la deuxième réponse, alors une paire <C,D> est plus Homogène qu’une paire <E,F> ssi C et D on la même valeur de sphéricité (i.e. ou bien les membres de C de même que ceux de D sont tous sphériques, ou bien quelques membres de C de même que quelques membres de D ne le sont pas) et E et F ont une valeur de sphéricité différente (i.e. ou bien les membres de E sont tous sphériques et quelques membres de F ne le sont pas, ou bien les membres de F sont tous sphériques et quelques membres de E ne le sont pas). Le cas présent est alors identique à celui rencontré précédemment : aucune série ne peut être indéfiniment affinée. Si par contre on opte pour la première réponse, la situation est différente. Une paire <C,D> est alors plus Homogène qu’une paire <E,F> ssi (la valeur absolue de) la différence entre la proportion de sphères dans C et la proportion de sphères dans D est strictement plus petite que (la valeur absolue de) la différence entre la proportion de sphères dans E et la proportion de sphères dans F. L’existence de séries qui peuvent être indéfiniment affinées est très plausible, ainsi que la prémisse (S’1). Mais s’il y a ne serait-ce qu’une seule série de ce type, alors en vertu du principe de composition adopté, (S’2) est fausse.

Pour soutenir les prémisses (S’1) et (S’2), on doit donc exclure le genre d’exemples discutés ci-dessus. On doit en particulier exclure qu’il y ait un principe de composition non restreinte vrai dont la condition correspondante est non-vague (les deux exemples proposés impliquent des principes de ce type). En effet, si un principe de ce genre est vrai, alors (S’1) et (S’2) ne peuvent pas être vraies en même temps. Donc si nous voulons sauver l’argument, sur quelle base allons-nous justifier ces exclusions ?

On pourrait avancer que les exemples invoqués sont absurdes. Mais qu’est-ce que cela veut dire ? Que personne ne pourrait jamais avoir de motivation rationnelle pour soutenir les principes de composition invoqués ? Peut-être, mais il y a certainement des exemples du même genre qui ne sont pas absurdes en ce sens. De toute façon, comme je l’ai mentionné plus haut, il faut exclure non seulement les exemples proposés, mais également l’existence d’un principe de composition restreinte non vague. Et on ne peut le faire simplement en déclarant que tout principe de ce type est absurde.

Une suggestion pour justifier ces exclusions est d’opter pour une stratégie du type de celle de Lewis : affirmer que rejeter le principe de composition non-restreinte serait gratuit sauf s’il s’agissait de vouloir sauver nos intuitions concernant les cas actuels de présence et d’absence de fusion, et que ces intuitions supportent (S’1) et (S’2). Je suggère par ailleurs qu’il s’agit en fait de l’idée que Sider a en tête — elle n’est pas clairement explicitée, mais semble se manifester ici et là dans le texte.

L’argument serait alors le suivant :

(S’’1)

La seule motivation raisonnable que l’on pourrait avoir de rejeter le principe de composition non restreinte serait de respecter nos intuitions concernant les cas de composition actuels ;

(S’’2)

Pour que ces intuitions soient respectées, il faut admettre qu’il existe deux classes raisonnables C et D telles que (i) <C,D> peut être indéfiniment affinée, et (ii) il est clairement le cas que les membres de l’une fusionnent et que les membres de l’autre ne fusionnent pas ;

(S’’3)

Pour que ces intuitions soient respectées, il faut admettre que si une suite s0, s1, s2, … de séries finies de classes raisonnables affine indéfiniment une série finie s de classes raisonnables, alors il existe un entier n tel que dans sn on ne peut trouver deux classes adjacentes telles qu’il est clairement le cas que les membres de l’une fusionnent et que les membres de l’autre ne fusionnent pas ;

(S’’4)

Pour toute classe raisonnable C, ou bien il est clairement le cas que les membres de C fusionnent, ou bien il est clairement le cas qu’ils ne fusionnent pas ;

(S’’5)

Donc, rejeter le principe de composition non restreinte serait gratuit ;

(S’’6)

Donc, le principe de composition non restreinte est vrai.

(S’’1) — (S’’4) impliquent (S’’5). Le passage de l’avant dernière étape à la dernière est le même que chez Lewis. (S’’1) est à mon avis, comme (L1) dans l’argument de Lewis, discutable. Sider passe du temps sur la prémisse (S’’4) = (S’3), et l’argument est convaincant (p. 125-132). (S’’2) et (S’’3) ont une certaine plausibilité.

Comme je l’ai mentionné plus haut, on pouvait être surpris par le fait que la version que donne Sider de l’argument original de Lewis ne contienne aucune prémisse concernant les motivations que l’on peut avoir à rejeter le principe de composition non restreinte. On ne pourrait évidemment pas être surpris, du moins pas pour la même raison, si j’affirmais que l’argument que je viens de proposer est une version de celui de Lewis.