Comptes rendus

Denis Fisette et Sandra Lapointe (dir.), Aux origines de la phénoménologie. Husserl et le contexte des Recherches Logiques, Paris et Québec : Vrin et Presses de l’Université Laval, coll. « Zêtêsis », 2003, 311 pages.[Record]

  • Bruno Leclercq

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  • Bruno Leclercq
    Université de Liège

Bien qu’il soit aujourd’hui plus que centenaire, le projet philosophique de la phénoménologie tel qu’Husserl en dessina l’esquisse dans les deux tomes de ses Recherches logiques continue d’intriguer. L’évolution propre de la pensée husserlienne, mais aussi et surtout l’extraordinaire influence qu’elle a eue sur la philosophie du xxe siècle et le grand nombre d’auteurs qui, à la suite de Husserl, ont revendiqué pour leurs travaux le titre de « phénoménologie », ont en effet eu pour paradoxale conséquence d’obscurcir sensiblement les ambitions et les thèses initiales de celui qui fut à la fois l’élève de Kronecker et Weierstraß et celui de Brentano et Stumpf. À cet égard, resituer dans son contexte cette « oeuvre de percée » que constituent indissociablement les Prolégomènes à la logique pure et les six Recherches pour la phénoménologie et la théorie de la connaissance ne peut que faire oeuvre utile. Or, c’est précisément à ce travail que se sont attelés une série de philosophes et historiens de la philosophie réunis autour de Denis Fisette et Sandra Lapointe, co-directeurs de l’ouvrage collectif intitulé Aux origines de la phénoménologie. Husserl et le contexte des Recherches logiques. À vrai dire, le décor général des Recherches logiques est déjà planté par Fisette dès l’introduction à ce riche volume. Les héritages, notamment brentanien et bolzanien, sont rappelés, mais est aussi mise en évidence, dans une note très intéressante, une filiation psycho-phénoménologique kantienne qui passe par Reinhold, Fries, Beneke et Herbart. La place des Recherches dans l’itinéraire philosophique personnel de Husserl est également reprécisée. Des indications utiles sont en outre fournies tant sur la toute première réception des Recherches que sur les influences spécifiques qu’aura cette élaboration du projet phénoménologique, indépendamment de son développement ultérieur par Husserl. Les études des différents contributeurs se focalisent alors sur des éléments particuliers de ce décor général. Ainsi, Sandra Lapointe et Paul Rusnock s’intéressent à certains aspects méconnus de l’héritage bolzanien des Recherches logiques. La première souligne la thématisation, dans les Recherches, d’un « principe de priorité » — priorité sémantique de l’énoncé sur ses termes —, et d’un « principe de contexte » — les termes n’ont pas de signification isolée, mais seulement dans le contexte d’un énoncé —, dont la formulation diffère cependant sur certains points significatifs de celle que Frege en avait donnée quelques années auparavant avec l’importance que l’on sait pour le développement de la philosophie analytique. Or, selon Lapointe, les particularités de la conception husserlienne de ces deux principes — et notamment leur insertion dans une critique de la théorie picturale de la représentation, le crédit accordé à la possibilité d’une nominalisation des contenus propositionnels, mais aussi les réserves maintenues à l’égard du principe de contexte, régulièrement contrebalancé chez Husserl par des affirmations qui vont plutôt dans le sens inverse d’une compositionalité intrapropositionnelle des significations —, correspondent dans une large mesure à des réflexions déjà présentes dans la Wissenschaftslehre de Bolzano, dont l’articulation sémantique/syntaxique reçoit d’ailleurs, par cette même comparaison, un nouvel éclairage. Paul Rusnock se penche pour sa part sur la notion bolzanienne d’« intuition » — dans son opposition à la notion de « concept » — et il montre combien elle préfigure certaines des réflexions les plus originales de la philosophie analytique, y compris post-frégéenne, comme la dualité russello-quinienne des authentiques indexicaux et des descriptions définies ou même la conception kripkéenne des termes d’espèces naturelles comme des indexicaux. Le seul regret qu’on puisse avoir face à ce stimulant travail, c’est que le rapport de cette notion bolzanienne d’intuition avec la notion d’intuition mise en place dans les Recherches logiques ne soit pas davantage …