Disputatio

L’ontologie et la valeur artistique[Record]

  • Paisley Livingston

…more information

À la fin de son livre Davies offre un résumé des points fondamentaux sur lesquels il s’oppose aux ontologies antérieures en esthétique. Il écrit que l’une de raisons pour lesquelles nous devrions préférer sa théorie de l’oeuvre comme action particulière aux autres options est une considération d’ordre axiologique : l’option « contextualiste », y compris une variante que Davies nomme « l’empirisme éclairé » [enlightened empiricism], souffre de ne pas pouvoir reconnaître une des espèces de la valeur artistique. C’est un reproche très grave, même décisif, si l’on accepte ce que Davies nomme le « principe pragmatique » selon lequel une théorie de l’ontologie de l’art doit s’intégrer dans une approche capable de rendre compte de la pratique artistique et critique (ce qui comprend l’interprétation, l’évaluation et l’appréciation des oeuvres d’art dans tous les médias). Comme de nombreux autres chercheurs dans ce domaine, je suis d’accord avec ce principe, pouvu que l’on voie bien que son application n’est pas une simple codification ou réflection d’une attitude purement neutre ou descriptive de la part du philosophe. C’est ainsi que Davies commence son livre par une critique des critiques qui ne comprennent pas la raison d’être d’une bonne part de la production artistique postérieure à 1945. Et Davies indique plus généralement que la seule pratique des artistes et critiques pertinente pour l’application du principe pragmatique est celle qui se fait accepter et codifier par une « réflexion rationnelle » [rational scrutiny] (p. 18). Appliquer un tel principe n’est pas chose facile, surtout dans un contexte (le nôtre) où les pratiques des critiques et des publics de l’art manifestent une hétérogéneité et un désaccord très prononcés. La façon dont les uns parlent d’une oeuvre d’art, tout en croyant faire fonction de critique progressiste, constitue pour les autres la trahison même de l’idée que l’on peut aborder une oeuvre d’art en tant qu’oeuvre d’art. Et d’autres critiques encore repoussent la proposition que les valeurs artistiques ou esthétiques seraient un objet privilégié du regard critique. Le philosophe ne peux donc pas se contenter simplement de refléter la pratique critique en élucidant son ordre systématique implicite, car il n’y en a pas. Simplement répéter la pratique serait se contredire (ce qui correspond mal à l’idée d’une codification par la « réflexion rationnelle »). Le philosophe de l’art doit au contraire poser ses propres jugements sur la pratique critique ; il devrait alors présenter des arguments d’ordre normatif au sujet de ce qu’il croit pouvoir défendre comme la bonne façon de se comporter envers les oeuvres. Si donc il est vrai que certaines théories de l’ontologie de l’art ne peuvent pas faire place à une sorte de valeur artistique que la critique devrait à juste titre reconnaître, nous aurions une très bonne raison de préférer une approche qui serait capable de le faire. Mais quelle est, au juste, cette espèce de valeur selon laquelle « l’empirisme éclairé » se montre insuffisamment éclairé ? Un tel empirisme (que Davies attribue en passant à Malcolm Budd, entre autres), se dit « éclairé » parce que Davies voit clairement que les oeuvres d’art ne sont pas uniquement ou exclusivement des objets perceptibles. Afin de connaître une oeuvre, il faut en connaître plus que ses qualitiés sensorielles. Il ne suffit pas, non plus, de savoir sous quel concept générique il faut ranger ce que l’on voit et entend dans une oeuvre : il y a des qualités artistiques et esthétiques imperceptibles, que l’on doit imaginer et penser. (Si, par exemple, l’oeuvre est une structure liée à un contexte artistique et culturel, il faut la penser dans ce …

Appendices