Comptes rendus

Søren Kierkegaard, Correspondance, trad. par A.-C. Habbard, Paris, Éditions des Syrtes, 2004, 464 pages.[Record]

  • Dominic Desroches

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  • Dominic Desroches
    Université de Montréal

Voici une excellente nouvelle pour le monde de la recherche francophone sur Kierkegaard : la compilation des lettres et des billets de Kierkegaard, les Breve og Aktstykker vedrørende Søren Kierkegaard (Munksgård, 1953-54), vient d’être traduite en langue française. Cela constitue en quelque sorte un soulagement, car le lecteur francophone, qui ne disposait pas de ce matériel unique et précieux (ces documents ne font pas partie des oeuvres complètes), n’était pas en mesure de saisir les enjeux « souterrains » de la production kierkegaardienne. Avant de se pencher sur le contenu de la correspondance, nous nous proposons de rappeler le contexte dans lequel paraît ce document si important pour la compréhension de l’oeuvre de Kierkegaard en général et pour la recherche sur certains thèmes en particulier. Tout d’abord, cette traduction vient compléter le travail entrepris il y a plusieurs années dans le Nachlaß et les lettres par les premiers traducteurs de Kierkegaard. On se souviendra ici que Paul-Henri Tisseau avait proposé une première traduction de Lettres à Régine Olsen (Bazoges-en-Pareds) en 1949. Sous le titre Lettres de fiançailles (Falaize), Marguerite Grimault, surtout intéressée par la psychologie kierkegaardienne et le drame des épousailles, avait réuni, en 1956, quelques lettres de Kierkegaard à sa fiancée Régine, tout en ajoutant les lettres envoyées à son ami Emil Boesen, afin de restituer le contexte dans lequel s’était produit la célèbre rupture. Si ce livre permettait au lecteur de s’imaginer comment Kierkegaard jouait au fin stratège à Berlin (il utilisait en effet son ami Boesen comme informateur en lui donnant des consignes précises pour espionner Régine…) et à quel point il estimait « sa » petite Régine, cela ne disait toutefois rien du rapport que le penseur de Copenhague entretenait avec les membres de sa famille et les personnalités de l’époque. Or, en 1998, une nouvelle étape dans le travail de traduction de la correspondance est franchie lorsque Anne-Christine Habbard, ancienne élève de l’École normale supérieure, fait paraître dans Philosophie quelques « Lettres choisies sur l’amour et le don ». Son but est alors de montrer que Kierkegaard est plus que le penseur de la mélancolie, de l’angoisse et du désespoir puisqu’il se penche avec bonheur, dans certaines de ses lettres, sur l’amour, le don et la grâce, ce qui fait aussi de lui un grand philosophe de l’éthique. En si bon chemin, Habbard a eu la force de proposer, et il faut l’en remercier deux fois plutôt qu’une, la traduction complète des lettres de Kierkegaard, ce qu’il convient de voir ici. Or, que trouvera-t-on dans ce document clé pour la recherche ? Après l’intéressante introduction (11-50), la traductrice Habbard propose une liste des correspondants. Ces quelques pages, auxquelles le lecteur est appelé à revenir en cours de lecture, auront le mérite de présenter synthétiquement toutes les personnes à qui Kierkegaard s’est adressé au moyen de l’écrit. Sur le modèle de classification proposé dans les Breve og Atkstykker par N. Thulstrup, la correspondance est ensuite divisée en trois périodes : la période de jeunesse (1829-1841) durant laquelle Søren étudie à Copenhague et s’éprend de la petite Régine Olsen, la période de maturité (1842-1847) durant laquelle il publie l’essentiel de ses ouvrages philosophiques (pseudonymes) et théologiques (édifiants) et, enfin, la période plus polémique, à la fin de sa courte vie, durant laquelle il critique viscéralement l’Église d’État danoise, tout en répondant, dans l’Instant, aux attaques et caricatures dont il est victime dans les journaux (1847-1855). À ces lettres, la traductrice a ajouté celles dont on ne peut déterminer la date ou le destinataire, un utile arbre généalogique de la famille Kierkegaard (460) ainsi qu’une chronologie …