Disputatio

Du sens littéral[Record]

  • Brendan S. Gillon

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  • Brendan S. Gillon
    Université McGill

Quelques suppositions semblent incontournables dans l’étude du langage. La première est que toute expression complexe d’une langue doit être analysée dans ses plus petits éléments, c’est à dire ceux que les linguistes appellent des morphèmes. La deuxième est que le sens d’une expression complexe est déterminé par le sens des expressions minimales qui la constituent et par la structure syntaxique qui forme, à partir d’elles, l’expression complexe elle-même. La troisième est que chaque expression minimale a un sens invariant. Ces trois suppositions ont guidé toutes les études sérieuses du langage depuis leur début, il y a plus de deux mille cinq cents ans, quand le grand grammairien du sanscrit Pāni.ni a rédigé la première grammaire générative. Un aspect du langage naturel que l’on reconnaît depuis très longtemps est le fait que l’interprétation d’une expression peut être relative à la situation dans laquelle on l’énonce. Toutefois, le traitement formel de la sémantique des expressions clairement identifiées comme telles n’est apparu que pendant la seconde moitié du vingtième siècle. Deux sortes d’expressions ont été clairement identifiées. Une des sortes est appelée : endophore, et l’autre : exophore. Pour comprendre ce que veut dire endophore, considérons les deux phrases suivantes : Non seulement les deux phrases sont grammaticalement complètes, mais elles ont la même structure syntaxique. Bien que la première soit vraie, nous ne pouvons pas dire, à défaut de tout contexte, si la seconde est vraie ou fausse. Ensuite, considérons deux autres phrases, toutes deux vraies : Finalement, adjoignons la phrase 1.2 à chacune des phrases en 2, ce qui donne les deux phrases ci-dessous : Même sans aucune connaissance de la situation de leur énonciation, on peut juger la première, vraie, et la seconde, fausse. Évidemment, l’interprétation de la phrase dans 1.2 peut dépendre du texte qui l’entoure, ce que j’appelle son co-texte. Je désigne par endophore toute expression qui en exige une autre dans le co-texte pour que son interprétation soit complète. J’appelle antécédent le constituant minimal, dans le co-texte, qui détermine l’interprétation de l’endophore. Ainsi, dans la première phrase coordonnée ci-dessus, l’antécédent du pronom personnel de la troisième personne du singulier est deux, et, dans la deuxième, l’antécédent est trois. (Cette relation est signalée par le soulignage de l’endophore et de son antécédent.) Considérons, à son tour, ce que j’appelle une expression exophore. Le contexte de son énonciation doit être connu pour que son interprétation soit complète. Cette expression est aussi appelée déictique par les linguistes, et indicateur (indexical) par les philosophes analytiques anglophones. La première phrase suivante en est un exemple. La deuxième phrase est vraie, comme n’importe quelle personne connaissant suffisamment la vie de Marco Polo peut le constater, tandis que même un expert de la vie de Marco Polo ne peut pas déterminer la vérité de la première phrase sans une connaissance de la situation dans laquelle la phrase a été énoncée. J’appelle la situation physique dans laquelle une phrase est énoncée sa scène. Pour savoir si une expression est exophorique, on peut toujours la mettre à l’épreuve. On choisit une phrase contenant l’expression dont on veut déterminer si elle est ou non exophorique, et qui est assujettie à un jugement de vérité ; puis, en gardant les mêmes conditions de vérité, on change la situation de son énonciation et on constate si le jugement de la vérité de la phrase en est ou non changé. De la même façon, on peut constater si une expression est ou non endophorique en gardant les mêmes conditions de vérité et en changeant le co-texte. Comme Quine (1960, § 27, pp. 131-132) l’a souligné, on ne doit …

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