Disputatio

Le contextualisme sémantique en perspectiveAu sujet de Literal Meaning, de François Recanati[Record]

  • Michel Seymour

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François Recanati a produit un beau livre, finement ciselé sur le plan conceptuel, et très richement documenté. Il s’agit d’une argumentation généreuse pour le lecteur, et l’ouvrage se prête bien à une disputatio pour cette raison. Sa contribution s’inscrit dans une discussion récente qui, sous le couvert d’un débat entre spécialistes, réactive rien de moins que la vieille querelle opposant les sémanticiens formalistes et les tenants de la philosophie du langage ordinaire, et plus spécifiquement les théories anti-psychologistes et les théories psychologistes de la signification. J’explique dans un premier temps et très succinctement en quoi consiste le contextualisme de Recanati, et je procède ensuite à l’examen de l’argument justifiant cette théorie. Tel que je le comprends, le contextualisme sémantique affirme la nécessaire dépendance naturelle de la signification littérale par rapport à la signification intentionnelle. Il ne faut pas comprendre cette théorie comme découlant d’un argument logique ou analytique. Il ne s’agit pas de prétendre que le concept de signification conventionnelle se réduit au concept de signification intentionnelle. Appelons cette dernière thèse « l’intentionnalisme ». On retrouve un argument logique et conceptuel de ce genre chez des auteurs comme Paul Grice, Stephen Schiffer, David Lewis, Jonathan Bennett et Gilbert Harman. Le contextualisme cherche plutôt à établir une relation de nécessité naturelle entre deux phénomènes. Il ne s’agit pas d’une nécessité conceptuelle ou d’une nécessité purement métaphysique, mais bien d’une nécessité qui s’impose étant donné les faits contingents qui caractérisent notre condition. Il ne faut pas non plus confondre la thèse contextualiste et les faits empiriques à partir desquels cette thèse est affirmée. On peut être appelé à reconnaître les faits empiriques qui viennent appuyer la thèse, et donc à reconnaître l’existence d’une corrélation effective entre les conditions de vérité intuitives des énonciations et la psychologie des locuteurs, sans tirer la conclusion qu’il existe une relation de nécessité naturelle entre la signification littérale et la signification intentionnelle. Les données empiriques viennent sans doute corroborer l’hypothèse contextualiste, ou à tout le moins lui fournissent-elles un certain degré de plausibilité, mais la postulation d’un lien de nécessité naturelle constitue un aspect plus controversé du contextualisme. Il s’agit d’une certaine façon d’expliquer les phénomènes observés. Par exemple, un auteur comme Ludwig Wittgenstein serait tout à fait disposé à reconnaître l’importance des facteurs pragmatiques pour la détermination des conditions de satisfaction des énonciations, et il serait en ce sens disposé aussi à reconnaître les prémisses empiriques du contextualisme. Mais il le ferait tout en défendant fermement l’autonomie de l’institution du langage, autant sur le plan conceptuel que du point de vue de la nécessité naturelle. Autrement dit, il récuserait autant la thèse intentionnaliste que la thèse de la nécessité naturelle défendue par les philosophes contextualistes, tout en donnant largement raison à ces derniers au sujet des hypothèses empiriques qu’ils avancent puisque, très souvent, les conditions intuitives de satisfaction des énonciations s’éloignent considérablement des conditions de vérité déterminées par la signification conventionnelle des mots. La même remarque s’applique à Herman Cappelen et Ernest Lepore. Ces deux auteurs sont disposés à reconnaître le pluralisme des actes de langage, c’est-à-dire l’idée qu’une quantité très grande de propositions peuvent être dites, assertées, affirmées à l’occasion d’énonciations particulières d’une seule et même phrase. Ils sont donc d’accord pour dire que, dans le contexte d’une énonciation donnée, les conditions de vérité intuitives sont dérivées à partir des contenus d’intention de signifier et des présuppositions. Ce qui est dit dans un contexte dépend de facteurs très variés qui diffèrent de la proposition sémantiquement exprimée. En somme, ils acceptent que les actes de langage expriment potentiellement une quantité très grande de propositions. Mais qu’à …

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