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Contingence ou inévitabilité des résultats de notre science?[Record]

  • Léna Soler

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L’article discute certains aspects de la question de savoir si une partie du tout de notre physique peut être détachée des contingences de l’histoire humaine et élevée au statut de résultat inévitable. Cette réflexion circonscrite gagne à être au préalable replacée dans le contexte plus large d’où elle tire un sens et une portée spécifiques, à savoir, une recherche visant à élaborer un modèle dit «symbiotique» de développement scientifique, inspiré notamment des travaux de Ian Hacking (Hacking, 1992) et de Andrew Pickering (Pickering, 1995). Une telle mise en contexte permettra de mieux saisir les enjeux de la question, ainsi que la nature de son lien essentiel aux problèmes du holisme épistémologique et de la sous-détermination. Dans un second temps, nous nous pencherons sur les caractères que devrait présenter une physique alternative pour donner lieu à un contingentisme épistémologiquement conséquent, puis nous examinerons les justifications dont peut espérer disposer l’inévitabilisme. Adopter un modèle symbiotique de développement scientifique oblige-t-il à endosser le contingentisme? Cette question, qui ne sera pas approfondie dans l’article, constitue pourtant l’arrière-plan des réflexions qui vont suivre. Esquissons-en la teneur et les enjeux. En première approche, le contingentisme affirme la possibilité d’une science aussi performante et progressive que la nôtre mais radicalement autre en teneur, notamment sur le plan ontologique. Hacking nomme la position antagoniste «inévitabilisme». Selon l’inévitabilisme, toute science aussi performante et progressive que la nôtre qui se serait posé les mêmes questions que la nôtre devait inévitablement aboutir à des réponses fondamentalement semblables aux nôtres. Le recours au vocable de l’«inévitable» plutôt qu’à celui du «nécessaire» est justifié par la possibilité — que personne ne conteste — que les êtres humains auraient pu, mus par d’autres intérêts et idéaux, ne jamais chercher à élaborer quoi que ce soit qui ressemble à de la physique, ou encore vouloir faire de la physique mais échouer à développer une physique aussi performante et progressive que la nôtre. Un représentant emblématique du contingentisme est le sociologue des sciences constructivistes Andrew Pickering (Pickering, 1995). Un représentant emblématique de l’inévitabilisme est le physicien Stephen Weinberg — réaliste comme la plupart des scientifiques. Pickering a développé ses positions philosophiques en s’appuyant essentiellement sur le cas de la physique des particules (Pickering, 1984), et Weinberg a été un acteur important du développement de cette physique. C’est aussi en référence à ce cas particulier qu’a été conduite la réflexion qui va suivre, même si aucune mention explicite approfondie n’en sera faite dans l’article. Les associations qu’exemplifient ici Pickering et Weinberg, entre constructivisme et contingentisme d’un côté, réalisme et inévitabilisme de l’autre, sont empiriquement fréquentes et ont des raisons d’être conceptuelles. Pourtant, d’un point de vue logique, la problématique «contingentisme ou inévitabilisme» ne coïncide nullement avec la problématique «réalisme ou constructivisme anti-réaliste» — même s’il existe entre ces quatre pôles tout un réseau de relations en attente d’être systématiquement explicitées (des éléments partiels sont proposés plus bas concernant les relations entre réalisme et inévitabilisme). En outre, à mon avis, la première opposition a tout intérêt à être nettement distinguée de la seconde et examinée pour elle-même. Or c’est rarement le cas actuellement dans la littérature spécialisée — en dépit des travaux récents de Hacking qui poussent fortement dans cette direction. En fait, l’alternative «contingentisme ou inévitabilisme» n’est pas une opposition majeure relativement autonome bien identifiée, et n’est que rarement discutée à l’état isolé en tant que chapitre indépendant des réflexions contemporaines sur la science — contrairement à la dichotomie réalisme/antiréalisme scientifique. Même si la question du contingentisme affleure souvent dans les débats consacrés au réalisme, le point focal de ceux-ci reste le rapport des conceptualisations humaines au …

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