Comptes rendus

Bertrand Russell, L’art de philosopher, trad. de l’anglais par Michel Parmentier, Québec, Les Presses de l’Université Laval, coll. «Zêtêsis», 2005, 95 pages.[Record]

  • Isabelle Martineau

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  • Isabelle Martineau
    Université de Montréal

Ce livre destiné aux philosophes débutants est constitué de trois essais rédigés au début des années 1940, qui furent publiés originalement sous le titre The Art of Philosophizing and Other Essays. L’auteur nous fait part d’abord de sa vision de ce que devrait être le cursus philosophique pour ensuite introduire le lecteur à deux disciplines auxquelles il a consacré une grande partie de ses recherches, la logique et les mathématiques, le tout dans le style vivant et accessible que l’on connaît à ce pionnier de la philosophie exacte, très bien rendu par la traduction de Michel Parmentier. Le premier chapitre explique que le travail du philosophe consiste à pratiquer «L’art de la conjecture rationnelle», expression qui a donné son titre à cet essai. Cet art est une méthode qui vise à «découvrir ce qui est vrai, ou ce qui a la plus grande probabilité d’être vrai lorsqu’il est impossible de savoir avec certitude ce qui est vrai» (p. 1, italique dans le texte). Au reste, cette tâche peut consister tant à formuler une hypothèse originale qui soit plausible pour rendre compte d’un aspect de la réalité (hypothèse qui devra ultérieurement être soumise aux dispositifs expérimentaux de la science concernée), qu’à fournir des solutions vraisemblables à des questions générales déjà existantes, par exemple «le monde est-il régi par des lois mécaniques ou est-ce qu’il a une finalité cosmique, ou encore possède-t-il ces deux caractéristiques à la fois?» (p. 2). Pour être à même de réaliser cette tâche, il est impératif de maîtriser les règles de base du raisonnement valide et de se défaire des croyances irrationnelles, qui souvent ne sont le fruit que d’une époque et d’une éducation particulières plutôt que le résultat de délibérations éclairées. Une fois convaincu de la nécessité de se soumettre à ce doute méthodique, il faut ensuite prendre connaissance des procédés qui permettent de déterminer ce qui est digne de susciter notre assentiment. D’abord, tout savoir difficilement contestable risque fort d’être des plus certains. Les tables de multiplication sont ici données en exemple. Il faut ensuite apprendre la logique et les mathématiques. En plus de familiariser avec le raisonnement, l’étude de ces disciplines est une occasion de comprendre qu’il est des connaissances qui ne résultent que d’inférences valides, et donc qui ne nécessitent aucune observation. Cependant, la maîtrise des disciplines formelles étant inaptes à nous faire connaître la réalité concrète, le philosophe doit aussi être au fait des grandes lignes des meilleures théories en sciences factuelles, lesquelles sont dignes d’être crues parce qu’elles sont à la fois cohérentes, dénuées de préjugés inadéquats, fruits d’une confrontation systématique des hypothèses à la réalité et perfectibles à la lumière de nouvelles données. Il est également souhaitable que l’aspirant philosophe apprenne en quoi consiste la méthode scientifique et comprenne que la science a pour but ultime de découvrir des lois générales. L’histoire de la science n’est pas non plus à négliger, ne serait-ce que pour se rendre compte que cette dernière a, de tout temps, combattu des dogmes irrationnels. L’aspirant philosophe qui franchit cette deuxième étape est outillé pour s’attaquer aux problèmes de son champ de compétence, tels que la connaissance du monde extérieur ou la relation entre l’esprit et la matière. Il s’agit alors de tenter de concilier les conceptions scientifiques et le sens commun, d’être raisonnable et d’éviter les solutions qui seraient manifestement fausses. Le travail du philosophe prend fin lorsqu’on réussit à «[...] trouver une méthode permettant de formuler toutes les hypothèses qui sont compatibles avec tous les faits contrôlables» (p. 24) et ainsi à établir «[...] toutes les théories qui peuvent être vraies» (p. …