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Domination, vulnérabilité et inégalité d’accès aux soins de santé[Record]

  • Ryoa Chung

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Il va sans dire que le problème de l’indigence est un fait inhérent à la tragédie de la condition humaine. Mais en tant qu’objet d’étude de la philosophie politique, c’est depuis peu que l’inégalité et la pauvreté dans le monde cons­tituent une des questions les plus fondamentales de l’éthique des relations internationales. À cet égard, la parution du célèbre article de Peter Singer, « Famine, Affluence and Morality  », en 1972, marque certainement une date importante dans le corpus universitaire puisque ce texte, peu importe que l’on en partage ou non les paramètres utilitaristes, fut un des premiers à conceptualiser en termes philosophiques le problème de la pauvreté à l’échelle internationale. Depuis lors, de nombreux philosophes se sont penchés sur la question en apportant une contribution essentielle. Qui plus est, la réflexion se poursuit et se veut de plus en plus ouverte au dialogue pluridisciplinaire qui comprend non seulement les sciences politiques mais aussi l’économie, notamment en raison de l’influence qu’a eue en philosophie l’oeuvre d’Amartya Sen portant sur la pauvreté et le développement. La mobilisation intellectuelle d’une nouvelle génération de philosophes, la nombreuse littérature consacrée à ce domaine de réflexion aujourd’hui et, par conséquent, la consolidation d’un champ de recherche en éthique internationale relativement autonome en philosophie politique ne sont pas un simple effet de mode. Elles témoignent à leur façon que, dans la constellation des recherches universitaires, les temps changent. Le problème de l’indigence suscite, à notre époque, des questions et des intuitions intimement liées à la transformation que subit l’ordre internatio­nal depuis une trentaine d’années marquées par le phénomène de la mondia­lisation. À la lumière des caractéristiques empiriques qui façonnent la structure de base conditionnant les interactions entre les États, d’aucuns affirment que cette ana­lyse descriptive appelle également une refonte des prescriptions normatives qui devraient gouverner notre compréhension des obligations internationales au sujet du problème de l’inégalité et de la pauvreté. Dans le cadre de cet article, j’aimerais explorer cette dernière hypothèse à la lumière d’une étude de cas, soit la pandémie du VIH-SIDA en Afrique subsaharienne qui illustre, de manière exacerbée, l’inégalité abyssale entre l’opulence des uns et l’indigence des autres (section I). Quelles sont donc les questions et les intuitions suscitées par cette tragédie largement médiatisée? Je tenterai d’arguer que le malaise moral perceptible au sein des populations les mieux nanties de ce monde dépasse la simple commisération et lève le voile sur le sentiment diffus, mais néanmoins justifié, d’une certaine responsabilité collective face à la vulnérabilité extrême des populations africaines aux prises avec la pandémie. À cet égard, un bref rappel de la distinction classique entre les catégories de la justice et de la charité nous permettra de mieux comprendre pourquoi la reconnaissance des besoins de santé doit faire partie intégrante des réquisits d’une théorie de la justice (section II). Mais nous est-il possible de défendre une extension des principes de justice à l’échelle globale? Une telle entreprise doit d’abord faire la preuve que les conditions structurelles de la mondialisation produisent effectivement des iniquités, soit des inégalités proprement injustes. Je tenterai de démontrer, à l’encontre de certaines thèses réductrices au sujet de la pauvreté, qu’il existe une co-dépendance entre les conditions internes et externes de la croissance économique et de l’émancipation politique auxquelles aucun acteur international ne peut plus échapper (section III). Donc, la thèse soutenue dans le présent article s’inscrit d’emblée dans le paradigme conceptuel développé par Thomas Pogge en éthique internationale. La force innovatrice de ce paradigme réside dans l’affirmation d’une responsabilité causale collective dans la genèse et la perpétuation d’un schème institutionnel injuste. Mais l’ori­ginalité distincte de notre contribution consiste …

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