Comptes rendus

Michel Seymour, L’institution du langage, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2005, 446 pages.[Record]

  • Pascal Engel

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  • Pascal Engel
    Université de Genève

Michel Seymour se propose dans ce livre de défendre une conception « institutionnelle  » du langage d’après laquelle le langage humain est le produit de conventions et de règles irréductiblement sociales. Comme il nous le dit dans son introduction, il entend se rattacher à une tradition qui va de Humboldt à Wittgenstein, en passant par Sapir, Whorf, Bloomfield, Dummett, Kripke, Geertz et Cavalli Sforza, et il entend s’opposer à la fois aux conceptions « idéa­listes  » qui modèlent les langues naturelles sur les langues logiques, comme celles de Frege, de Church, ou de Montague, aux conceptions « psychologistes  » d’auteurs comme Chomsky, Grice, Searle, en même temps qu’aux concep­tions holistes d’auteurs comme Quine, Davidson, Putnam ou Brandom. Comme une liste de noms ne permet pas de faire un portrait, mieux vaut essayer d’énoncer directement les thèses principales défendues ici par Seymour: (1) et (3) ont une tonalité évidemment wittgensteinienne, et de fait une bonne partie du livre est consacrée à une lecture engagée des thèses de Wittgenstein; (4) et (6) sont des thèses qui ont été plutôt défendues par un auteur comme Dummett; (5) est une thèse le plus souvent associée aux noms de Quine et de Davidson. Mais comme Dummett rejette (5) au nom de sa sémantique des condi­tions d’assertabilité et de son molécularisme, que Davidson et Quine refusent la sémantique en termes de conditions d’assertabilité, et que Davidson critique la notion de convention linguistique et les thèses (1) et (2), on ne parvient pas, quand on a énoncé simplement cette liste de thèses, à se faire une idée exacte du type de conception que défend Seymour. Cela suffit à indiquer qu’il y a, pour le moins, des tensions potentielles entre ces diverses thèses. Tout dépend donc de la manière dont elles sont articulées entre elles. Dans son livre Pensée, langage et communauté (Montréal, Bellarmin, 1994), Seymour avait défendu une conception anti-individualiste et communautaire de la pensée, à partir d’un argument externaliste social du type de ceux proposés par Tyler Burge. Ici, Seymour met de côté ce type d’argumentation (p. 38-40) et entend défendre avant tout une certaine conception communautaire de la signification linguistique. Sa démarche est autant histo­rique que systématique, la partie historique étant assurée par un examen des thèses de Wittgenstein dans les chapitres 1 à 6 et la partie systématique étant développée ensuite. Mais comme il le souligne, même sa partie historique vise plus à introduire des thèmes et à préfigurer les arguments qui suivent qu’à proposer une exégèse de la pensée du Viennois, ce dont on ne saurait se plaindre (le lecteur parta­gera, je l’espère, ma préférence, qui est aussi celle de Seymour, pour un mode de réflexion argumentée à partir de Wittgenstein, plutôt qu’une herméneutique WAVDAQRAR (ce-que-Wittgenstein-a-vraiment-dit-et-à-quoi-il-n’y-a-rien-à-rétorquer). Après un exposé assez rapide des positions du Tractatus, qui attribue à Wittgenstein une conception « idéaliste  » du langage (au sens de la thèse selon laquelle la forme logique est déterminée par les conditions de vérité dans un langage idéal), Seymour présente une utile confron­tation entre les interprètes de W. qui prônent une interprétation purement anti-théorique et thérapeutique de sa philosophie (en gros Hacker/Baker, Diamond) et ceux qui lui attribuent des thèses bien spécifiques (Dummett, Kripke), et il prend position, à mon avis correctement, pour les seconds. La lecture de Wittgenstein par Seymour, exposée dans les chapitre 2 à 6, s’inspire beaucoup de celle de Kripke, qui distingue, dans le fameux paradoxe des règles présenté au § 201 des Recherches philosophiques, une phase négative (scepticisme quant aux règles) et une phase positive (détermination des règles par la communauté). Contre des interprètes comme Hacker et …