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On dit de certains concepts qu’ils ont leur propre temporalité, ce qui permet à certains historiens de la philosophie de parler de l’avènement ou de la disparition d’un problème. S’il est une notion dont la mort semblait annoncée par la science moderne et même enterrée par l’analyse humienne de la causalité, c’est bien celle de pouvoir causal. Pourtant, quand la philosophie entend abandonner une idée, le langage ordinaire, lui, continue parfois de l’employer et, ce faisant, continue d’attribuer des pouvoirs aux choses: nous utilisons des somnifères, mangeons des pâtes à mâcher malléables, etc. Plus encore, les contributions recueillies dans cet ouvrage montrent que la question des pouvoirs causaux et des dispositions, celle de leur nature ou de leur rôle dans l’explication scientifique, n’ont jamais véritablement cessé d’intéresser la philosophie. Plus qu’une simple histoire de cette problématique, ce livre entend montrer la pertinence des notions de pouvoir et de disposition en philosophie des sciences et en philosophie de l’action, principalement au sein de ce que l’on nomme à tort « la philosophie analytique ». Comment, sans accepter les dispositions, expliquer qu’une propriété ne s’exerce pas nécessairement tout le temps? Ou encore qu’elle doit d’une certaine manière précéder son exercice? Qu’elle dépend d’un contexte d’exercice? Parmi les problèmes que posent ces notions, l’ontologie des propriétés dispositionnelles occupe la première place. On apprend donc dans ce livre comment la philosophie contemporaine a réinvesti avec force ce terrain, en tentant de comprendre les difficultés logiques liées à l’usage de ces concepts, ainsi que celles, ontologiques, que suscite la caractérisation de leur nature.

Le livre commence (chap. 1) par un rappel historique fort utile sur les raisons de la critique moderne illustrée par le célèbre passage du Malade ima­ginaire de Molière à propos des vertus dormitives de l’opium. D’un point de vue historique, on a principalement reproché deux choses à l’idée de pouvoir causal: d’abord sa faiblesse explicative (attribuer un pouvoir reviendrait à fournir une explication causale tauto­logique, comme dans l’exemple de Molière); ensuite, à l’époque moderne, on reproche à cette théorie de faire du pouvoir une qualité occulte attachée à une substance (on ne sait plus comment formuler une ontologie des pouvoirs, après que John Locke et Robert Boyle ont eu tendance à assimiler les propriétés dispositionnelles aux accidents réels de scolastiques). On voit donc comment une tradition que l’on serait tenté de nommer « empiriste » a toujours résisté à l’idée de pouvoir, de Descartes à Carnap.

Suivent ensuite quatre études qui entendent toutes défendre l’idée de pouvoir causal. Celle de Cyrille Michon (chap. 2) présente une défense générale de l’idée de vertu en faisant ressortir sa pertinence conceptuelle. Là où Molière pensait trouver des pouvoirs magiques dans l’explication aristotélicienne de la causalité, Michon nous montre que c’est plutôt le contraire qui se passerait si on abandonnait la notion de pouvoir. En effet, la causalité ne serait qu’occasion fortuite, suite contingente d’événements, dont la raison nous échapperait. Lorsqu’on s’interroge sur le pourquoi d’une action, on doit mentionner un pouvoir, alors que le comment de l’action peut être réduit à la description de la nature des agents et des patients, aux mécanismes qui les lient entre eux. La science a donc pour rôle d’expliquer les pouvoirs. C’est en cela qu’il faut opposer, selon Michon, l’idée de pouvoir causal au modèle déductif-nomologique encore en vigueur dans les sciences.

Bruno Gnassounou (chap. 3), pour sa part, défend l’idée de pouvoir en montrant que l’on peut accepter sans contradiction ce qu’il appelle « la grammaire philosophique » des pouvoirs. Comprendre l’action requiert conceptuel­lement la notion de pouvoir. Partant du problème ontologique, Gnassounou interroge la nature relationnelle des dispositions et montre comment il faut toujours considérer des pouvoirs actifs et des pouvoirs passifs pour comprendre une action causale, c’est-à-dire l’agent dans sa relation à un patient. Mais on ne saurait, selon lui, réduire les propriétés dispositionnelles à leur base catégorique, c’est-à-dire aux relata, aux propriétés des substances agissantes. En effet, Bruno Gnassounou montre de manière convaincante que l’analyse de l’action demande non seulement l’idée de pouvoir, mais aussi celle d’un sujet d’action, lequel doit être distingué de ses opérations.

Max Kistler (chap. 4) s’intéresse à un problème plus précis concernant l’efficacité causale des propriétés dispositionnelles. Il s’agit de savoir si une disposition est réductible à une propriété non dispositionnelle, par exemple la fragilité d’un objet à sa structure matérielle. L’auteur soutient une forme de réalisme des dispositions: elles ont une efficacité causale qui n’est pas réductible.

Dans la dernière contribution de ce volume, Andreas Hüttemann (chap. 5) prend en quelque sorte le contre-pied de Kistler, en affirmant que les dispositions ne sont pas les causes de leur manifestation. L’analyse se termine par une reformulation de la logique des énoncés contre-factuels de Lewis, qui sont nécessaires, selon Hüttemann, pour analyser la causalité et pour rendre compte de l’exercice d’une disposition dans un phénomène physique.

L’intérêt de ce livre, outre qu’il ravive un débat séculaire, consiste à montrer les différentes façons de réintégrer l’idée de pouvoir causal dans la philo­sophie contemporaine. Aussi le seul parti-pris de l’ouvrage est-il de pré­senter des arguments favo­rables aux dispositions. On ne trouvera ici aucune analyse strictement humienne de la causalité. Comme l’indique le sous-titre du livre, il s’agit bel et bien d’un « retour des vertus dormitives » en philosophie, sans la charge négative que comporte d’ordinaire cette formule.