Disputatio

Volitions et auto-affection[Record]

  • Stéphane Chauvier

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  • Stéphane Chauvier
    Université de Caen Basse-Normandie

Dans son ouvrage sur la nature de la volonté, Joëlle Proust entend reconsidérer, à la lumière de certains résultats récents de la psychologie et de la neurophysiologie cognitives, le problème philosophique traditionnel de la nature de l’action volontaire. Quelques auteurs, à la suite d’Aristote et de Wittgenstein, soutiennent qu’une action volontaire est simplement un comportement dont celui qui l’adopte peut rendre raison en première personne. D’autres philosophes, à la suite de Descartes et de Locke, tiennent au contraire qu’une action volontaire est un comportement causé par la volonté de l’agent ou, plus exactement, par une volition de l’agent, par une détermination de sa volonté. J. Proust a choisi le second de ces deux partis philosophiques. Elle pense notamment que la conception volitionniste peut permettre d’intégrer, mieux que sa rivale, certains résultats des sciences contemporaines de la cognition et du cerveau. Toutefois, il convient de souligner que le volitionnisme, comme d’ailleurs son contraire, le rationalisme, n’est pas de lui-même une théorie scientifique ou positive. C’est une explication philosophique ou conceptuelle de l’action volontaire permettant, le cas échéant, d’interpréter les résultats des sciences cognitives. L’objet de l’ouvrage de J. Proust est donc non seulement d’interpréter, dans le cadre du volitionnisme, certains développements contemporains des sciences cognitives, mais aussi de donner à la théorie volitionniste une formulation générale qui lui permette de résister aux objections philosophiques ou conceptuelles dont elle a été l’objet. Dans ses formulations traditionnelles, le volitionnisme se heurte en effet à deux objections conceptuelles principales. En premier lieu à l’objection de la régression infinie : si l’action de lever le bras est causée par la volition de lever le bras et si une volition est conçue comme une « action de l’âme », cette volition semble appeler une volition antérieure, et ainsi de suite à l’infini (p. 136). En second lieu, cette conception volitionniste semble conduire à la théorie de l’homoncule (p. 175) et, avec elle, à la théorie de l’Ego spirituel : si une volition est une action de l’âme, alors cette action semble appeler un sujet-auteur qui, ne pouvant être le grand agent corporel lui-même, est fatalement un petit agent dans le gros, un Ego spirituel. J. Proust affirme pouvoir échapper à ce double risque de régression et d’homonculisation, en définissant une volition comme un événement. Un événement, étant impersonnel, ne requiert pas un sujet-auteur. Et un évènement n’étant pas une action, il ne requiert pas non plus une volition antérieure. Une action volontaire est donc simplement l’expansion phénoménale d’une volition. Lorsque nous voyons un homme lever son bras pour attraper une pomme dans un arbre, nous assistons à l’expansion d’une volition dans le monde. Quel que soit pour l’instant le détail de cette explication, un point doit d’emblée être souligné. Expliquer philosophiquement un phénomène ne peut évidemment consister à donner une description cohérente d’une partie seulement de ce phénomène. Or considérons à nouveau l’action volontaire consistant à lever le bras pour attraper une pomme dans un arbre. Expliquer ce phénomène requiert évidemment de rendre compte de ce qui fait qu’à un moment donné le bras de l’homme se lève et se dirige vers le fruit. Mais expliquer ce phénomène requiert aussi de rendre compte du bruit caractéristique qui accompagne ou peut accompagner le mouvement de ce bras vers la pomme, si du moins il s’agit d’un bras humain, à savoir l’énoncé : « J’attrape une pomme » que l’agent peut ou pourrait proférer en réponse à une question du genre : « Que fais-tu ? ». Un chimpanzé pourrait attraper cette pomme en silence et la description du mécanisme le conduisant à le faire expliquerait valablement …