Étude critique

Défense et illustration de la métaphysique des particuliers abstraitsÉtude critique de : Frédéric Nef, Les propriétés des choses. Expérience et logique, Paris, Vrin, collection « Problèmes & controverses », 2006, 344 p.[Record]

  • Jean-Maurice Monnoyer

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La nouveauté du livre de Frédéric Nef consiste à choisir un mode de dispute rompant avec la convention de l’exposé académique. Le débat qu’il suscite n’a rien de factice et n’est pas simplement argumentatif. C’est une sorte de chicane ou de déjeuner métaphysique, où ses interlocuteurs (K. Fine, J. Dokic, R. Pouivet. J. Lowe, B. Smith, R. Chisholm, D. Lewis et alii.,) font chacun acte de présence : Nef expose leurs conceptions et leur donne la réplique comme s’il composait un « monde possible » avec des partenaires choisis. Ce qui prête sans doute un tour enjoué à ce livre si riche et si divers. Il serait malvenu, cependant, de penser que l’A. n’eût fait que marquer avec finesse l’incompatibilité de certains de leurs points de vue, la circularité de quelques autres : il défend aussi une voix propre, avec pugnacité, au sein de théories rivales. L’ouvrage comprend trois parties : « Ontologie » (I), « Perception » (II), « Logique » (III), plus un appendice sur Brentano. Il s’occupe de la question des propriétés, question vexante et des plus épineuses, en inventant plusieurs entrées privilégiées : la philosophie des qualités, celle des dispositions, des attributs esthétiques, des énoncés temporalisés, ou encore celle des essences et des possibilia. Les voix de sorties sont des « issues » clairement analysées (en termes méréologiques notamment, sinon en termes sémantiques ou extensionnels, selon les cas). Ajoutons que F. Nef éclaire souvent ses chapitres par des dispositifs probatoires et formels efficacement déployés en reconstituant les thèses de ses interlocuteurs. Le livre est introduit par un dialogue « piquant » entre Philotaxe et Doxophile, habilement décrypté par l’auteur (pp. 25-45). On devine que la position de Philotaxe, qui aime à classer, à désembrouiller, à séparer, est privilégiée sur celle de son contradicteur défendant une position descriptive, bien que leurs deux argumentaires finalement se neutralisent. Nef est un structuraliste déclaré, mais il est aussi un historien hors pair et une sorte d’Erasme anecdoticien de la métaphysique d’aujourd’hui (productif et drôle dans ses exemples et ses trouvailles) : il dresse une carte des impasses et un catalogue de perplexités, avant de revenir sans prévenir sur ce qui lui tient à coeur. Comme il n’existe pas dans la librairie francophone d’ouvrage équivalent, on se doit de signaler que quelques passages sont de vrais tours de force qui, semble-t-il, ont échappé à la sagacité des critiques (par ex. celui sur les exceptions aux lois de la nature, pp. 140-154, celui sur l’exemplification, pp. 215-223 ou celui sur l’anti-haeccéitisme de Lewis, pp. 297-307, qui reconstitue brillamment en quelques pages l’histoire de l’engagement modal). On pourrait ne partager point certaines de ses conclusions, mais nul ne pourra mettre en doute la force de percussion de F. Nef, quand il aborde un sujet aussi difficile. La conviction principale de l’A. penche vers une sorte de particularisme radical : autrement dit, il y défend la thèse qu’il n’y aurait que des propriétés particularisées, dans l’esprit et dans le monde. Radical ne veut pas dire extrême. Comme cette option mono-catégorielle ne va pas de soi, F. Nef démonte plusieurs des arguments qui semblent la réfuter. Il faut ajouter que ce monisme en faveur des tropes (ainsi nommés depuis D. C. Williams, et maintenant trop fameux) est, lui aussi, constamment contrebalancé, et que les objections majeures à cette thèse sont presque toutes exposées. Pourtant, si la place de la perception (entre ontologie et logique) peut apparemment nous en détourner, le sujet central, plus délicat encore — mais celui-là propre à l’A. —, est de savoir comment une théorie des objets …

Appendices