Comptes rendus

Chauviré, Christiane, L’oeil mathématique, Essai sur la philosophie mathématique de Peirce, Paris, Kimé, 2008, 288 p.[Record]

  • Jérôme Havenel

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  • Jérôme Havenel
    Université du Québec à Montréal

Ce livre reprend, pour l’essentiel, la thèse de doctorat défendue par Christiane Chauviré en 1988. L’objectif de cette étude est d’exposer la philosophie mathématique de Peirce et de la situer par rapport à ses concurrentes. L’ouvrage est divisé en trois parties. Dans la première partie, « Schématisme et analycité », l’auteure soutient qu’il faut distinguer deux concepts d’analycité chez Peirce, l’un logique, et l’autre épistémique. Dans la deuxième partie, « Logicisation de l’analytique », elle expose les critiques de Peirce contre les insuffisances de la conception kantienne de l’analytique, puis elle soutient que la logique développée par Peirce permet d’évaluer les possibilités et les limites des machines logiques. Enfin, dans la troisième et dernière partie, « L’analycité et le logicisme », elle soutient qu’il y a nettement plus de divergences que de proximités entre le logicisme et la philosophie de Peirce. L’auteure soutient que, malgré de nombreux reproches à Kant, le coeur de la philosophie des mathématiques de Peirce consiste à dire que les mathématiques ne sont ni des vérités analytiques nécessaires mais vides, ni des généralisations empiriques synthétiques mais incertaines, mais des vérités nécessaires découvertes par observations et expérimentations sur des diagrammes imaginaires. L’ouvrage de Christiane Chauviré s’intitule L’oeil mathématique, Essai sur la philosophie mathématique de Peirce, car elle veut insister sur le fait que, pour Peirce, les mathématiques sont une science d’observation, ce qui veut dire que les mathématiques sont une science où l’on élabore des hypothèses, et où l’on fait des observations et des expérimentations sur ces hypothèses. Christiane Chauviré explique que, pour Peirce, le raisonnement du mathématicien créateur n’a rien de mécanique : « l’observation [y] est nécessaire, et une machine ne peut effectuer aucune inférence avant que les prémisses n’aient été préparées pour cela par cet exercice d’observation » (NEM 4.10). C’est pourquoi Peirce ne croit guère à la possibilité de construire des machines pensantes, même s’il a écrit à Marquand qu’il croit possible de construire « une machine pour des problèmes mathématiques réellement difficiles » (NEM 3.632). Il y a là une thèse fondamentale de la logique de Peirce qui soutient que « toute déduction implique l’observation d’un diagramme (optique, tactile ou acoustique) » (NEM 3.869, 1909). L’auteure expose très clairement la critique que fait Peirce de la représentation mécaniste de la déduction telle qu’elle est comprise par la logique traditionnelle, dans l’ignorance de la logique polyadique, et qui, selon lui, conduit Kant à soutenir une conception insuffisante et trop étroite de l’analycité. Reprenant à sa manière le vieux problème de l’inférence immédiate, Peirce soutient qu’une déduction peut n’avoir qu’une seule prémisse, éventuellement itérée, comme lorsque de « tout homme est le fils d’un homme » on déduit que « tout homme est un petit-fils » (CP 2.469, n. 2). Tout en critiquant les interprétations que Hintikka fait de Kant et de Peirce, Christiane Chauviré épouse sa conception selon laquelle le kantisme en philosophie des mathématiques est une voie d’avenir si on sait séparer le bon grain de l’ivraie. Comme le montre l’auteure, Peirce approfondit le schématisme kantien pour soutenir que la pensée mathématique réside dans la construction et la transformation de diagrammes. Selon Peirce, bien que le diagramme mental imaginé puisse être actualisé par des graphes, dessins ou équations, un diagramme, c’est d’abord un signe qui représente aux yeux de notre esprit les objets et les relations qui se conforment à nos hypothèses. Ainsi, le raisonnement mathématique a certes besoin de symboles pour traiter la généralité, mais il a aussi besoin d’icônes (sous la forme de constructions diagrammatiques qui font des mathématiques une science d’observation), ainsi que d’indices pour désigner ce dont …

Appendices