Disputatio

Commentaire sur Delisle. Les philosophies du néo-darwinisme[Record]

  • Michel Morange

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Dans son ouvrage, Richard Delisle développe une étude minutieuse des épistémologies et des ontologies implicites dans le travail de cinq des principaux fondateurs de la théorie actuelle de l’évolution. Cette dernière, qui s’est progressivement imposée entre les années 1940 et 1960, est désignée par les termes de « Synthèse moderne ». Le résultat de cette étude est étonnant, révélant la présence, chez les fondateurs de cette théorie, de visions bien différentes du consensus actuel qui ramène l’explication de l’ensemble des phénomènes évolutifs dans le monde vivant au mécanisme de variation/sélection. À la lecture de Richard Delisle, la célèbre phrase de Theodosius Dobzhansky « Rien n’a de sens en biologie, si ce n’est au regard de l’évolution » prend un sens différent. Il ne s’agit pas seulement de constater que les êtres vivants sont le fruit d’une histoire évolutive, mais de faire comprendre que les caractéristiques des organismes ne peuvent être expliquées que par la place qu’ils occupent dans un processus évolutif qui a commencé dans le monde inanimé, et est encore appelé à se poursuivre. L’ouvrage de Richard Delisle est utile, car il lutte contre cette « pensée unique » qui a gagné le champ des travaux sur l’évolution. La pluralité de points de vue a disparu aujourd’hui, en grande partie à cause de l’effet unificateur de la Synthèse moderne, et la vision « anhistorique », horizontale comme la désigne Richard Delisle, de Mayr s’est imposée. Cette vision l’a emporté, non pas parce que les arguments de Huxley et de Dobzhansky en faveur d’une évolution orientée ont été réfutés, mais parce que, simplement, ils ont été « poussés sous le tapis ». Je souscris pleinement au point de vue de Richard Delisle, qui reflète celui de plusieurs des fondateurs de la Synthèse moderne : la description actuelle du mécanisme de variation/sélection n’est pas suffisante pour rendre compte de l’évolution des organismes en tant que phénomène global. Comment aller au-delà, et enrichir la théorie actuelle de l’évolution ? Richard Delisle n’est pas très explicite, mais il semble privilégier l’élaboration d’un nouveau modèle d’évolution cosmique, mieux construit, moins flou que ceux d’Huxley et de Dobzhansky. Il fait remarquer que rien ne prouve que la science de demain privilégiera autant que celle d’aujourd’hui les mécanismes, et refusera toute place aux causes finales. La méthode scientifique est seulement définie par l’histoire, et elle s’est beaucoup transformée depuis la naissance de la science moderne. Personnellement, j’ai beaucoup de mal cependant à voir comment une théorie de l’évolution cosmique viendrait expliquer l’évolution des formes vivantes. Parler d’un stade pré-paradigmatique pour la théorie actuelle de l’évolution me semble incorrect. Cette discordance d’opinions que Richard Delisle décrit dans les années 1940-1960 pourrait être plutôt interprétée comme caractéristique de la période révolutionnaire qui a précédé l’installation du paradigme de la Synthèse moderne. Parmi les évolutionnistes, les opinions divergentes sont devenues rares. S’il y a aujourd’hui débat, c’est entre les biologistes de l’évolution et les biologistes fonctionnalistes : ce qui est une explication suffisante pour les premiers — le schéma néo-darwinien — ne l’est pas pour les seconds. L’autonomie du monde vivant, l’importance des mécanismes dans les explications biologiques, et la place mineure réservée aux lois, semblent être des acquis, auxquels il sera difficile de renoncer. Un abandon de la recherche des causes efficientes pour celle des causes finales me semble également bien peu probable ! L’observation des progrès « évidents » des organismes n’a guère de poids devant un mécanisme causal à la vertu explicative largement démontrée. Si la méthode scientifique évolue, ses transformations n’en sont pas pour autant réversibles ! Elles ne sont pas plus réversibles que celles …

Appendices