Comptes rendus

Dietrich de Freiberg, Oeuvres choisies I. Substances, quidités et accidents. Traité des accidents. Traité des quidités des étants. Textes latins traduits et annotés par Catherine König-Pralong avec la collaboration de Ruedi Imbach. Introduction de Kurt Flasch, Paris, Vrin (Bibliothèque des textes philosophiques), 2008, 224 p.[Record]

  • David Piché

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  • David Piché
    Université de Montréal

Ce premier d’une série de quatre tomes consacrée à la traduction française des oeuvres de Dietrich de Freiberg est plus que bienvenu, tant il est vrai que nous sommes en présence de l’une des figures les plus singulières de la pensée médiévale. Ce dominicain allemand, qui fut maître en théologie à Paris en 1296-1297, est demeuré jusqu’à maintenant relativement inconnu du lectorat philosophique francophone, alors que l’édition critique de ses oeuvres complètes, sous la direction de Kurt Flasch, qui signe l’introduction au présent volume, a été achevée au mitan des années 1980. Le temps est donc venu de prendre la mesure de sa contribution aux spéculations fondamentales qui animent l’histoire de la philosophie, notamment en ontologie, domaine dont relèvent les deux traités complémentaires que traduit ici Catherine König-Pralong (avec la collaboration de Ruedi Imbach) et qui portent respectivement sur les concepts d’accident et de quidité (les traducteurs ont tenu à demeurer fidèle à la graphie médiévale latine (quiditas), plutôt que de s’en tenir à l’orthographe usuelle du terme : « quiddité »). La question de fond qui traverse les deux opuscules du maître allemand est celle de la séparabilité de l’accident au regard de la substance ; elle consiste à se demander si un accident peut exister ou être maintenu dans l’être sans sujet, c’est-à-dire sans être inhérent à une substance. Répondre à cette question exige d’opérer un travail de clarification conceptuelle à l’endroit des notions corrélatives de substance et d’accident, un labeur auquel Dietrich s’emploie et qui le conduit à repenser de manière radicale les catégories traditionnelles de l’ontologie péripatéticienne, à l’encontre d’une certaine manière commune de présenter les choses que les théoriciens du xiiie siècle avaient imposée — de Bonaventure à Henri de Gand, en passant par Thomas d’Aquin et Gilles de Rome. Afin d’offrir un soubassement ontologique au dogme de la transsubstantiation, ceux-ci avaient unanimement soutenu qu’en vertu de la puissance divine surnaturelle, les accidents des espèces eucharistiques subsistent alors même que leurs substances, à savoir le pain et le vin, n’existent plus, ceux-ci ayant été transsubstantiés en corps et sang du Christ. Dietrich ne fait jamais explicitement référence à l’eucharistie, mais son propos, quoique substantiellement ontologique, est clairement marqué du sceau de cet enjeu de nature théologique. S’inscrivant en faux contre la position commune en faveur de laquelle ont argumenté les théologiens susmentionnés, Dietrich répond par la négative à la question posée : à son avis, aucune puissance, fût-elle surnaturelle, ne peut faire en sorte qu’un accident existe sans sujet. Cette réponse découle de la conception très précise que Dietrich se fait de la substance et de l’accident (je me contente ici de dégager le motif central d’une trame discursive très complexe) : la première est l’étant qui, en vertu de la quidité qu’il possède, existe par soi, détient une véritable unité et peut être défini ; le second est l’étant qui ne possède pas une telle quidité et qui, par conséquent, ne peut exister qu’en vertu de la substance qui lui procure son essentialité ; un tel étant, l’accident, n’a donc pas d’unité véritable, ni de définition propre, mais tire son être et sa définition de la substance dont il est une disposition. En usant du lexique qu’emploie Dietrich, il convient de dire que la substance se « quidifie » elle-même, c’est-à-dire qu’elle comporte en elle-même son propre principe essentiel d’existence par soi, tandis que l’accident est « quidifié » par la substance, c’est-à-dire qu’il n’a d’être que par l’essence que lui procure la substance. Le Traité des quidités des étants donne à Dietrich l’occasion d’approfondir la notion de quidité. S’appuyant essentiellement …