Introduction : la période intermédiaire de Wittgenstein[Record]

  • João Vergílio Gallerani Cuter and
  • Bento Prado Neto

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Peu de gens nieront l’importance que présente pour l’histoire de la philosophie l’étude des textes écrits par Wittgenstein au début des années 30, quand il reprend son activité philosophique. Tout d’abord, parce qu’il n’y a que très peu d’études à ce sujet. Celui qui veut écrire un essai concernant les Philosophische Bemerkungen, ou le Big Typescript, ne trouvera pas plus de cinq ou six titres avec lesquels il pourrait entamer un dialogue, ou du moins qui puissent lui servir de point d’appui. Dans ce travail d’interprétation des textes, il faut pratiquement tout recommencer du début, en explorant des territoires à peu près intouchés. La lacune du point de vue de l’histoire de la philosophie est évidente, et toute contribution à ce travail est donc la bienvenue. Pour l’histoire de l’évolution de la philosophie de Wittgenstein, la nécessité de combler cette lacune est encore plus pressante. Y a-t-il dans cette évolution plus de continuité ou plus de rupture ? Quel est le sens de ce pas que l’on franchit en allant du Tractatus aux Recherches philosophiques ? Que se cache-t-il sous ce contraste si marqué dans le style et dans le contenu des deux oeuvres ? Évidemment, il est tout à fait possible de chercher des réponses structurelles pour ces questions — des réponses basées sur l’économie interne des textes et sur l’établissement de leurs lectures possibles. Il est cependant inévitable que tôt ou tard ces réponses de nature structurelle soient appelées au tribunal des manuscrits, dans lesquels les étapes effectives de ce passage sont consignées. Et il est assez clair qu’une étape cruciale de ce mouvement est celle qui s’accomplit au tout début de la période intermédiaire, quand une crise s’abat sur le projet tractatuséen, et les anciennes réponses ne sont désormais plus recevables. Ou, en une formulation plus neutre : les anciennes questions ne peuvent désormais plus être articulées de la même manière. Mais posé même que les questions discutées dans les articles qui composent ce volume aient une importance historique indéniable, l’importance proprement philosophique que pourraient avoir ces discussions est loin d’être claire. Qu’importe, après tout, une philosophie provisoire, passagère, à laquelle l’auteur lui-même n’a pas accordé quelque peu que ce soit une forme définitive. Il nous semble que ce genre de question réveillera immédiatement chez nombre de lecteurs le souvenir d’un texte séminal écrit par Peter Hylton il y a plus de vingt-cinq ans. Nous pensons naturellement à « The Nature of Proposition and the Revolt against Idealism », l’article qui est à l’origine du livre important que Hylton publiera quelques années plus tard sur la philosophie de Bertrand Russell. Écrit pour un recueil dont le thème était justement les relations entre la philosophie et son histoire, l’article se divise en deux parties bien tranchées. Dans la première, Peter Hylton fait une description minutieuse de la genèse de la théorie du jugement comme relation multiple que Russell présente d’abord dans l’essai sur la nature de la vérité et de la fausseté, en 1910, et qu’il tente ensuite de développer dans le célèbre manuscrit inachevé de 1913. Nous sommes en 1984, l’année même où ce manuscrit a finalement été publié. Même avant sa publication, il avait déjà déclenché un bouleversement des études wittgensteiniennes. La théorie de l’image du Tractatus reçut un nouvel éclairage à partir de travaux qui la projetaient sur l’arrière-plan des critiques que Wittgenstein adresse à Russell à l’époque où celui-ci est en train de préparer ce manuscrit. L’étude de ce texte de Russell mettait en évidence ce contre quoi le Tractatus venait établir ses prises de position, ce qui à son tour aidait …

Appendices