Disputatio

Injustices raciales, responsabilité et déconstruction[Record]

  • Naïma Hamrouni

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  • Naïma Hamrouni
    Département de philosophie et des arts, Université du Québec à Trois-Rivières
    naima.hamrouni@uqtr.ca

Je partage l’essentiel des idées relatives au constructionnisme de la race défendues dans ce livre, d’autant plus que je souscris à une perspective critique similaire en ce qui a trait au genre dans mes propres recherches. Les points plus précis sur lesquels j’aimerais revenir succinctement dans le cadre de cette disputatio concernent davantage la philosophie politique de l’auteure. J’aborderai d’abord le problème de la condamnation morale dans un contexte d’injustices raciales structurelles. J’enchaînerai sur la critique très (trop ?) sévère adressée au multiculturalisme, dont les diverses tendances me semblent jusqu’à un certain point confondues. Je conclurai en posant à l’auteure une interrogation au sujet de la politique de la déconstruction dont je me revendique également, mais dans le cadre de recherches sur le genre. S’il n’y a pas encore de consensus autour de l’usage qui doit être fait du concept de race, tous s’entendent au moins pour considérer le racisme comme une faute morale méritant condamnation. Bessone s’oppose, au cinquième chapitre, à deux grandes conceptualisations du racisme, la première consistant à le réduire à sa dimension institutionnelle, la seconde, à une attitude psychologique individuelle. Elle veut défendre, contre ces deux tendances jugées réductrices, une approche dynamique et multidimensionnelle du racisme, qui intègre ces différentes dimensions et met l’accent sur la manière dont elles se renforcent et s’aggravent l’une l’autre. Si l’on ne peut qu’adhérer à ce projet visant une re-conceptualisation plus riche et fine du racisme, deux remarques peuvent cependant être faites. D’une part, malgré la volonté de défendre une conception multidimensionnelle du racisme, l’auteure en vient en fin de chapitre à mettre de l’avant une conception du « racisme comme manque de respect », pleine de potentiel, mais qui risque justement d’avoir pour effet pervers l’évacuation du caractère « multidimensionnel » du concept. D’autre part, la critique que formule l’auteure à l’égard de la conception institutionnaliste du racisme me semble trop déterminante pour qu’elle puisse vraisemblablement récupérer cette dimension institutionnelle comme l’un des aspects de sa conception « multidimensionnelle ». De plus, la raison invoquée pour disqualifier cette approche ne me paraît pas tout à fait convaincante. Je m’explique. Parce qu’elle présente le racisme comme un trait strictement institutionnel, la conception institutionnaliste a conséquemment eu tendance à confondre racisme et discrimination systémique, nous dit l’auteure. L’un des effets pervers lié à cette confusion est qu’il n’est alors plus possible de procéder à la condamnation morale du racisme. En effet, le racisme institutionnel se reproduisant structurellement, sans que les agents soient nécessairement eux-mêmes racistes ou mal intentionnés, la question du coupable de l’injustice est laissée en suspens. Ainsi, pour ne pas que la « responsabilité morale des individus ou des collectivités » disparaisse tout à fait, Bessone suggère qu’il nous faut distinguer plus clairement racisme et discrimination systémique. Mais, loin d’offrir une réponse satisfaisante au problème de la condamnation morale, cette proposition risque d’avoir l’effet contraire : en laissant entendre que seuls les individus racistes sont moralement condamnables, l’auteure diminue considérablement la responsabilité individuelle et collective que nous avons dans le rétablissement de la justice. C’est ce que je voudrais souligner dans les lignes qui suivent. Bessone me semble en fait souscrire à ce qu’Iris Marion Young a identifié dans son dernier livre comme étant le « modèle juridique de la responsabilité », où la responsabilité se comprend en termes de culpabilité et où le rétablissement de la justice requiert absolument une condamnation morale ou juridique. Or, de plus en plus de penseurs ont soutenu que ce modèle n’était simplement plus adéquat pour appréhender la réalité contemporaine de nos sociétés démocratiques, libérales, post droits-civiques. Dans ces sociétés, l’injustice n’est pas …

Appendices