Comptes rendus

Katharina Schneider (dir.), Der politische Feuerbach, Münster, Waxmann, 2013, 167 p.[Record]

  • Emmanuel Chaput

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  • Emmanuel Chaput
    Université de Montréal

Bien que Feuerbach écrivait lui-même qu’« il faut que la politique devienne notre religion », depuis les célèbres Thèses sur Feuerbach de Marx publiées pour la première fois en 1888, en appendice du Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande d’Engels, il est généralement admis, du moins chez les penseurs marxistes ou s’inspirant du marxisme, qu’on ne saurait trouver dans toute l’oeuvre feuerbachienne aucune véritable dimension politique, ce dernier demeurant essentiellement fidèle à un certain aristotélisme faisant de la contemplation le plus grand achèvement de l’activité proprement humaine : « [Feuerbach] ne considère comme vraiment humaine que l’activité théorique […] C’est pourquoi il ne comprend pas l’importance de l’activité “révolutionnaire”, de l’activité “pratique-critique”. » Dans ce contexte, si l’on retient encore aujourd’hui le nom de Ludwig Feuerbach (1804-1872), c’est le plus souvent pour le réduire au rôle d’intermédiaire, de figure de transition entre l’idéalisme hégélien et la philosophie du jeune Marx. C’est, en un sens, contre cette tendance lourde, que l’ouvrage collectif Der politische Feuerbach trouve sa raison d’être. C’est l’occasion de découvrir un autre Feuerbach que celui présenté par Marx et ses épigones. C’est aussi l’occasion de comprendre, en se référant au contexte historique de l’écriture de l’oeuvre, comment une philosophie portant en apparence sur tout autre chose que les questions politiques classiques peut néanmoins servir de levier pour contester les institutions politiques en place. Certes, comme l’écrit Joaquín Gil Martínez : « Feuerbach did not deal, in any of his main writings, with political issues or directly related to political philosophy. » En fait, Feuerbach est surtout connu pour deux choses, sa critique de la religion d’abord et, dans une moindre mesure, son matérialisme, que d’aucuns ont qualifié de physiologique — lorsqu’on ne le qualifiait pas tout simplement de matérialisme vulgaire — et qui reste attaché à son aphorisme célèbre « L’homme est ce qu’il mange » (Der Mensch ist, was er isst). La force de l’ouvrage dirigé par Katharina Schneider est cependant de souligner la dimension politique, souvent cachée, mais néanmoins présente derrière ces dimensions plus manifestes de l’oeuvre feuerbachienne. Markus Bohlmann souligne ainsi dans sa contribution à l’ouvrage collectif « Feuerbach als Naturwissenschaftlicher Materialist — Die Moleschott-Rezension als politischer Akt » (« Feuerbach comme matérialiste naturaliste — la recension Moleschott comme geste politique »), la dimension résolument pratique et politique du matérialisme naturaliste allemand des années 1850-1860, représenté par Ludwig Büchner, Carl Vogt et Jakob Moleschott, et qui non seulement fut grandement influencé par Feuerbach lui-même, mais, certainement, l’influença à son tour. Si certains ont voulu voir dans ce courant le signe d’une dépolitisation progressive, après la révolution avortée de 1848, du mouvement matérialiste qui, déçu sur le plan politique, se serait retourné vers les sciences dures et un certain positivisme scientiste, Bohlmann défend au contraire qu’en tentant de vulgariser pour le peuple (für das Volk) les dernières découvertes de la physiologie et de la biologie, l’objectif du matérialisme scientifique et de Feuerbach était au final de rendre manifeste la nécessité quasi naturelle, quasi biologique, du changement social. En soulignant les ravages d’une sous-alimentation systémique sur l’organisme vivant, c’était la misère et les souffrances d’un régime inégalitaire que l’on cherchait à attaquer sous couvert de vulgarisation scientifique. Si Bohlmann s’intéresse à la dimension politique des oeuvres plus tardives de Feuerbach, c’est-à-dire publiées après 1848, la plupart des contributions s’intéresseront plutôt aux rapports que Feuerbach entretint avec les mouvements révolutionnaires allemands de 1848, ou encore à son influence sur ce qu’on appelle communément en Allemagne, la période du …

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