Comptes rendus

Kurt Lenk, Günter Meuter, Henrique Ricardo Otten, Les maîtres à penser de la Nouvelle Droite, traduit de l’allemand par Cécile Rol, Montréal, Liber, 2014[Record]

  • Christian Nadeau

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  • Christian Nadeau
    Université de Montréal

On peut se réjouir de voir paraître cette traduction d’un ouvrage proposant une véritable synthèse de la pensée conservatrice et ce qu’on peut nommer la Nouvelle Droite. Il est permis de se demander ce qui a poussé un éditeur à traduire en français un livre paru en allemand en 1997. La réponse se trouve pour partie dans l’absence d’étude sérieuse et systématique, en français, des origines de la pensée conservatrice. Chez les historiens, il s’agit moins de montrer la mécanique conceptuelle des idées que la propagation de celles-ci par différents mouvements sociaux. Pour ces théoriciens du politique, il s’agit de montrer la genèse intellectuelle d’une droite qui n’a que très peu à voir avec le libertarisme et qui au contraire attribue à celui-ci un rôle clef dans la promotion des valeurs traditionnelles ou imaginées comme telles. Le but des auteurs ici, même s’ils en parlent en termes d’idéologie, n’est pas de proposer une description sociologique ni même historique de la Nouvelle Droite. Leur travail se présente plutôt sous la forme de courtes monographies où est analysée la contribution d’un auteur à ce qui est jugé au final comme un mouvement intellectuel. Certes, les auteurs se limitent à la première moitié du xxe siècle. Il n’en demeure pas moins qu’ils ont à coeur de montrer la systématicité et la cohérence de thèses qui émergèrent en France notamment avec l’oeuvre d’un Georges Sorel, pour ensuite se ramifier dans la pensée d’auteurs tels que Ernst Jünger ou de philosophes comme Martin Heidegger. Le premier chapitre expose les thèses fondatrices de la Nouvelle Droite, que les auteurs retrouvent dans la pensée de Georges Sorel, dont l’héritage intellectuel est pour le moins controversé. Dans ses oeuvres, Sorel oppose la simplicité directe du monde paysan au discours technique et arrogant des défenseurs de la modernité. L’idée de décadence morale apparaît dès lors qu’une séparation s’opère entre le monde de la nature et celui de la culture, par exemple lorsque le contrat social l’emporte sur la communauté familiale comme socle de la société. Chez Sorel, le contenu propre au discours d’une communauté politique compte moins que la force dont elle dispose pour se faire entendre, et la force ici se vérifie dans l’enracinement des pratiques sociales. L’ensemble des notions morales sont dès lors vues comme de simples constructions sociales qui ne correspondent en rien aux moeurs, à la culture et à l’identité des peuples. Lorsqu’un auteur comme Sorel se penche sur la corruption, ce n’est pas la stabilité des institutions qui l’intéresse, mais l’unité de la communauté politique vers une seule et même visée. La corruption est alors signe de décadence : la vertu du collectif s’épuise pour laisser place aux intérêts particuliers. Sorel dénoncera donc la démocratie en elle-même, et non ses dérives ou ses déboires : la démocratie en elle-même, par son égalitarisme, ne peut échapper de manière structurelle à la duplicité et au mensonge électoraliste. Associé au socialisme, Sorel se révèle aux yeux de Lenk, Meuter et Ricardo Otten, un apologiste de la lutte des classes où celle-ci représente un état de guerre. Sorel introduit alors deux éléments qui seront constitutifs du discours de la Nouvelle Droite : le mythe social et la violence qui l’accompagne. Le mythe est seul capable de mobilisation sociale, et la violence est son expression paradigmatique, à l’encontre de la raison qui par définition demande le dialogue et donc la pacification des rapports sociaux. Le deuxième chapitre analyse la pensée d’Oswald Spengler, l’auteur du fameux livre Le déclin de l’Occident, qui encore aujourd’hui tient lieu de référence à de nombreux auteurs. L’idée de « déclin » …