Disputatio

Le moment normatif dans la philosophie austro-allemande[Record]

  • Guillaume Fréchette

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  • Guillaume Fréchette
    Université de Genève
    Université de Salzbourg

Une opposition centrale entre deux approches du langage et de l’esprit traverse l’ouvrage de Kevin Mulligan : l’approche wittgensteinienne, selon laquelle la philosophie de l’esprit formule des règles sur l’usage des mots, et l’approche consistant à formuler des vérités nécessaires ou essentielles au sujet de l’esprit, une approche représentée particulièrement par la tradition brentanienne. Mulligan suggère de voir les descriptions wittgensteiniennes comme des fragments s’insérant dans le système de descriptions mis de l’avant dans la psychologie descriptive brentanienne. Suivant Mulligan, on peut voir l’ensemble des descriptions brentaniennes comme un système, non pas de règles, mais d’ensembles qui correspondent à des règles et qui justifient ces règles. Sur cette base, on peut alors montrer que la contribution de Wittgenstein à la philosophie austro-allemande est aussi une contribution au projet de Brentano. Cette suggestion de Mulligan (SM) n’est certainement pas wittgensteinienne, mais elle n’est pas incompatible avec certaines conceptions des héritiers de Brentano, même si elle n’est pas vraiment défendue par ces derniers. Cette suggestion — considérer la psychologie descriptive brentanienne comme un système de règles, dont certaines sont les règles de Wittgenstein et où toutes les règles sont en partie justifiées par des vérités essentielles, ou (SM) — se base sur deux éléments : Le premier est la thèse descriptive de Mulligan, étayée tout au long du livre, selon laquelle plusieurs des observations communes de Wittgenstein et des héritiers de Brentano sont comprises d’un côté par Wittgenstein comme des expressions de normes et de l’autre côté par les héritiers de Brentano comme des vérités essentielles (TM). Or (TM) et (SM) présupposent que les phrases qui peuvent être lues comme l’expression de vérités essentielles peuvent aussi fonctionner comme des règles (tout en n’étant pas des règles). C’est là le deuxième élément, qui est un principe central de l’ouvrage de Mulligan, qu’on appellera ici le principe Husserl-Mulligan (HM) : Ainsi, la vérité essentielle exprimée par Le cas de (1) et de (2) est une application du principe (HM) à une vérité essentielle concernant le vouloir dire, mais il ne signifie pas que (HM) est limité au cas du vouloir dire. La formulation de (HM) est une extension de deux idées centrales des Prolégomènes de Husserl : la première est celle que les normes sont partiellement fondées dans des vérités logiques : La seconde idée découle de la première : Dans son intervention lors de la table ronde puis dans des échanges ultérieurs, Mulligan proposait d’exemplifier le principe (HM) de la manière suivante pour les vérités logiques : On pourrait élargir cette exemplification en l’appliquant non seulement aux normes, mais aussi à l’évidence, disons (HM*) : Un élargissement semblable est envisageable pour les vérités essentielles non logiques (HM*e) : (HM*) va dans le sens de la conception husserlienne de l’évidence, et rien n’indique que Mulligan refuserait cette application : En d’autres termes, l’évidence des lois logiques — par exemple celle de (P∨~P) dans une logique bivalente — est une relation « idéale et indirecte » avec les propositions purement logiques : le fait qu’idéalement les lois logiques devraient être évidentes n’implique pas qu’elles le sont, et lorsqu’elles le sont, le fait qu’elles le soient résulte du même genre d’« application ou de transposition » (Umwendung) que lorsque les lois logiques sont instanciées par des cas concrets (les actes mentaux correspondants). Bref, que ces lois puissent être instanciées ou qu’elles puissent être évidentes n’est aucunement constitutif de ce que sont les lois logiques. Je reviendrai sur ce point un peu plus loin. (HM), (TM) et (SM) sont employés par Mulligan dans l’ouvrage principalement pour montrer comment la contribution de …

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