Disputatio

Quelle est la norme de la perception ?[Record]

  • Maxime Doyon

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  • Maxime Doyon
    Département de philosophie, Université de Montréal

Dans L’adresse du réel (2017 ; dorénavant AR), Jocelyn Benoist aiguise la conception réaliste de la perception qu’il défend depuis au moins Éléments de philosophie réaliste (2011 ; dorénavant EPR) et Le bruit du sensible (2013 ; dorénavant BS) en mettant de nouveau de l’avant l’importante distinction entre réalité et intentionnalité, qui serait à l’origine d’un certain nombre de confusions en philosophie de la perception. Il ne faut pas confondre la chose même et sa représentation telle ou telle. « Philosophiquement, il faut clairement distinguer entre ce qui relève de la représentation et ce qui relève de la chose, entre intentionnalité et réalité. C’est là la différence ontologique fondamentale, au sens précis d’une différence entre l’être et le logos, entre ce qui est et la façon que nous avons de le déterminer en en parlant et en y pensant » (AR 280). Fidèle à la tradition oxonienne à laquelle il adhère de plus en plus, et contre une certaine tradition phénoménologique de laquelle il paraît par moment s’éloigner, Benoist nous rappelle à très juste titre la préséance de la première sur la seconde : « La grammaire de la représentation présuppose celle de la réalité, et non l’inverse » (AR 279s.). Dans ce contexte, l’une des questions qui se posent concerne la diversité des façons de s’orienter dans le réel, y compris les manières de déterminer cette « réalité » comme telle ou telle. Le réel est ce qu’il est, certes ; c’est lui que je vois dès lors que j’ouvre les yeux. Mais le réel en tant qu’il est perçu comme tel signale qu’il est élevé au rang d’objet, c’est-à-dire de norme par rapport à laquelle il est identifié comme étant cet être et non tel autre. « Dire que la perception est “perception d’un objet” signifie placer le perçu sous une norme : celle d’une identité qui lui est attribuée. Pas d’objet sans possibilité de récognition. Ce n’est pas une propriété de l’objet. C’est sa définition » (AR 271 ; cf. BS 53). Si le réalisme de Benoist cherche à fixer et maintenir l’écart entre le factuel et le normatif, le passage d’une catégorie à l’autre joue un grand rôle dans ses analyses puisque c’est précisément là qu’il situe la possibilité de déterminer le réel, et donc, de lui conférer un sens. Le sensible joue un rôle central dans ce travail d’objectivation du réel. Non seulement perçoit-on le réel en se familiarisant avec certains de ses aspects sensibles, mais ceux-ci sont également constitutifs de l’identité du perçu. Non pas que de tels aspects suffisent à lui conférer son identité, bien sûr ; pour qu’il y ait objet, il faudra aussi « thématiser » ces aspects « afin qu’ils fassent norme » (AR 282). La normativité inhérente au concept d’objet suppose un écart avec le factuel que seule l’application d’une « fonction d’identité sur le réel » (AR 122) peut venir combler. En thématisant certains de ces aspects, le réel est normé, c’est-à-dire qu’il est institué en « pôle d’identité » (AR 277). Le point est important, car c’est seulement en tant qu’il « peut être reconnu comme “le même” » (AR 271) que le réel devient « objet » et fait figure de norme. Ce qu’on appelle objet n’est à vrai dire « rien d’autre que le concept d’une telle identité » (AR 271) à laquelle Benoist rattache la possibilité d’être nommée comme telle dans des énoncés. « C’est une partie, ou une face du concept de perception que celle-ci puisse être exprimée dans de tels …

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