Comptes rendus

Catherine Malabou, Métamorphoses de l’intelligence. Que faire de leur cerveau bleu ? Paris, Presses universitaires de France, 2017, 184 pages[Record]

  • Ivan Bricka

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  • Ivan Bricka
    Université du Québec à Montréal

Si, tout comme le livre auquel il répond, Métamorphoses de l’intelligence s’inscrit dans une mouvance critique face au projet des sciences cognitives de capter scientifiquement la structure et l’activité mentales, le nouvel essai de Malabou se distingue en avouant humblement le caractère désuet de la frontière entre le biologique et l’électronique du point de vue de l’implémentation de la pensée. Aveu remarquable, faut-il le souligner, car à travers lui l’auteure concède aux partisans des approches computationnalistes en sciences cognitives que la vie dans son acception biologique n’a peut-être ni le monopole de la pensée ni celui de l’expérience, et qu’en ce sens le fonctionnalisme pourrait bien se retrouver immunisé contre les critiques lui reprochant de nier la dimension sémantique de la pensée — critiques émises tant par Searle et ses successeurs que par de nombreux continentaux, inspirés par la phénoménologie merleau-pontienne, et dont Malabou est l’héritière directe. C’est donc le contexte technoscientifique de notre époque qui conditionne ce tournant chez Malabou. Ce contexte, par ailleurs, ne se limite pas aux bouleversements annoncés dans le domaine des modélisations de l’esprit : il se manifeste aussi dans la « gestion » de l’intelligence développée par les nouvelles technologies de télécommunication. Car s’il faut relever, dans ce livre, une force particulière, c’est bien qu’il s’intéresse à l’intelligence sous toutes ses facettes : biologique, fonctionnelle, mais aussi sociale et politique, et l’auteure se fait un devoir d’explorer, comme s’il s’agissait d’un miroir des métamorphoses de l’intelligence, les progrès techniques des deux dernières décennies tant du point de vue de ce qu’ils permettent en ce qui concerne la simulation de cognition que de celui des rapports sociaux qu’ils modifient — notamment sur le plan de la distribution et de la répartition de la connaissance. Ces trois conférences « remaniées » s’articulent autour de la notion d’intelligence sans en donner une définition claire, mais en observant plutôt comment ses acceptions ont évolué depuis les Lumières. Le parti pris méthodologique est agréablement pertinent en ce qu’il évite au lecteur d’appréhender les différentes conceptions de l’intelligence comme présentant un écart par rapport à une description objective qui en aurait été fournie d’entrée de jeu, et lui permet au contraire de saisir plus justement le point de vue de chaque paradigme sur la question de l’intelligence. La perspective historique est aussi d’autant plus adéquate que la notion d’intelligence est de nos jours considérée par plusieurs comme « floue », voire galvaudée, comme en témoignent depuis plusieurs décennies les discussions autour du concept d’« intelligence artificielle », discussions dont nous trouvons aujourd’hui des échos dans certaines mécompréhensions des termes comme « téléphone intelligent » ou encore « ville intelligente ». L’objectif du livre est donc de présenter l’utilisation contemporaine de la notion d’intelligence par les pouvoirs scientifiques et politiques à la lumière de son histoire, d’en faire, d’une certaine manière, sa généalogie, et de comprendre le changement de paradigme qui s’opère à son sujet comme une « métamorphose » parmi d’autres. Selon Malabou, l’intelligence a subi depuis le début du xxe siècle trois métamorphoses. La première est son assimilation au déterminisme génétique et au domaine des objets mesurables. C’est par la rencontre de la biologie et de la psychologie expérimentale qu’est capturée l’intelligence : elle est objet de science, elle est déterminée, et on peut en observer les manifestations par des tests rigoureux. L’apparition des échelles de mesure, dont la plus célèbre est celle du quotient intellectuel, et la recherche du « gêne de l’intelligence » s’inscrivent alors dans la pratique des sciences normales de l’intellect. Bien entendu, cette époque de la science occidentale baigne dans un contexte politique …

Appendices