Comptes rendus

Jacob T. Levy, Rationalism, Pluralism, and Freedom, Oxford, Oxford University Press, 2015[Record]

  • François Boucher

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  • François Boucher
    Katholieke Universiteit Leuven

Les personnes libres s’associent pour poursuivre les finalités qu’elles partagent. Elles forment des associations telles que des Églises, afin de pratiquer et promouvoir conjointement une religion, ou des universités, pour approfondir et propager les connaissances. Les individus qui partagent une langue ou une origine ethnique se regroupent afin d’exercer leur autonomie politique ou de faire valoir leurs revendications culturelles. Ces groupes sont des associations intermédiaires, ils s’interposent entre l’État et l’individu, jouent un rôle central dans la socialisation des personnes, et leur donnent une voix dans la sphère publique. Dans son ouvrage Rationalism, Pluralism, and Freedom (Oxford University Press, 2015), Jacob T. Levy examine les enjeux politiques qui naissent de la relation triadique entre les personnes, les États et les groupes ou associations intermédiaires. En plus des Églises, des universités et des groupes culturels, les ordres monastiques, les parlements régionaux et les États fédérés, les villes et les guildes médiévales composent les associations intermédiaires qui sont étudiées dans ce livre. Pour Levy, ces associations ont des engagements éthiques profonds et partagés par leurs membres, c’est-à-dire, une mission ou un but qui leur est propre, comme la propagation d’une foi ou le maintien d’un mode de vie. Elles ont aussi une structure juridique plus ou moins formelle qui institue une forme d’autorité. Les groupes fortement institutionnalisés, comme l’Église catholique, et les groupes informels, comme les groupes culturels, partagent ces deux caractéristiques (p. 16-17). Toutefois, ce livre exclut délibérément de son champ d’études les partis politiques et les lobbys, qui représentent les intérêts de groupes particuliers face à l’État, ainsi que les corporations commerciales et les unions syndicales, lesquelles représentent des intérêts particuliers au sein du marché. Les associations qui sont examinées par Levy sont celles qui sont fondamentalement préoccupées par des questions de gouvernance interne et affirment une conception éthique substantielle, ce qui n’est pas le cas des partis politiques, des firmes et des syndicats (p. 13). Levy s’intéresse tout particulièrement aux tensions que crée la relation triadique individu — association — État pour les penseurs du libéralisme. D’une part, la vie de groupe découle de la liberté individuelle. Elle peut être l’expression du choix d’une conception de la vie bonne et une manière de résister aux tendances centralisatrices et majoritairistes de l’État moderne. La tyrannie de la majorité, l’anticléricalisme et la suspicion envers les groupes intermédiaires sont des figures récurrentes de l’excès de concentration de pouvoir étatique au détriment de la liberté associative. D’autre part, les groupes intermédiaires peuvent être des sources d’oppression interne en instaurant des relations hiérarchiques entre leurs membres et en excluant les non-membres. C’est le problème bien connu en philosophie politique des minorités à l’intérieur des minorités. Par ailleurs, les dérives centralisatrices de l’État sont bien souvent le résultat de la promotion de la liberté individuelle par l’État qui se méfie excessivement du pouvoir des groupes intermédiaires et interfère avec des formes légitimes d’association (p. 34). La thèse centrale du livre est que le libéralisme est traversé par un affrontement entre deux courants : le rationalisme et le pluralisme. Le premier est associé à la théorie du contrat social, à l’autonomie rationnelle, au constitutionnalisme moderne, et à l’uniformité des normes régissant la vie des citoyens. Le rationalisme privilégie le pouvoir de l’État en mettant l’accent sur les dangers que posent les groupes intermédiaires pour la liberté individuelle, et le besoin de protéger l’individu des traditions religieuses et culturelles oppressantes ainsi que des élites locales. Le second est associé à la tolérance, à la diversité culturelle, au pluralisme juridique et au constitutionnalisme ancien. Le pluralisme est par nature inquiet de la …

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