Comptes rendus

Michel Foucault, Les aveux de la chair, Paris, Gallimard, 2018, 448 pages[Record]

  • Mélissa Thériault

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  • Mélissa Thériault
    Université du Québec à Trois-Rivières

C’est quatre décennies après la parution du premier tome de Histoire de la sexualité, de Michel Foucault (1926-1984), que le quatrième tome, Les aveux de la chair, conclut le projet colossal sur lequel le philosophe français, pourtant réfractaire à l’idée d’être publié à titre posthume, a oeuvré jusqu’au crépuscule de ses jours. Comment les réflexions sur la sexualité menées par les Pères de l’Église peuvent-elles intéresser le lectorat contemporain des sociétés sécularisées ? C’est ce qu’entreprendra d’exposer Foucault en déterrant les fondements théoriques qui ont mené à l’établissement de valeurs comme le culte de la vie et le mépris du corps, la soumission et la domination de la volonté (p. 127). En étudiant comment la patristique réfléchit sur la conduite des corps, Foucault entend montrer comment, par la direction des pensées et des désirs, de même que par l’articulation des premières en actions et comportements « adéquats », le sujet en arrive à se révéler à lui-même et à concilier divers registres de vérité souvent en tension. C’est là l’un des paradoxes de la spiritualité chrétienne : « la véridiction de soi-même est liée fondamentalement à la renonciation à soi » (p. 145), c’est-à-dire que le soi est appelé à se renier lui-même pour arriver à correspondre, en pensées comme en actions, aux préceptes d’un idéal transcendant. C’est ainsi que l’institution religieuse est devenue un puissant outil de contrôle, dont l’une des formes les plus manifestes de l’exercice de ce biopouvoir se trouve dans la capacité de convaincre les fidèles de se reproduire ou non (p. 252, 259). Le quotidien des couples et l’organisation de la cellule familiale sont alors tombés sous la juridiction des structures étatiques et des injonctions religieuses prenant en charge la gestion du désir (p. 253). Foucault montre, par le recours aux textes et lettres des Pères de l’Église, par quelle habile substitution le régime de l’aphrodisia (celui des plaisirs valorisés par l’Antiquité) fait place à un régime où la fonction morale du devoir conjugal (fabriquer de nouvelles âmes) subordonne l’acte sexuel à une obligation morale. Pour les chrétiens, la réflexion sur la sexualité importe parce qu’elle est le corollaire d’un principe central : le refus d’accorder une quelconque valeur à la vie matérielle. Dans cette perspective, tout élan hédoniste doit être réprimé et, dans l’éventualité où cela s’avèrerait impossible, dompté, d’où l’invention de l’institution du mariage, qui a par ailleurs l’avantage de permettre de réguler la gestion des avoirs (c’est d’ailleurs ainsi qu’apparaît le concept de patrimoine) comme la reproduction. C’est dans cette optique que les femmes, également, doivent être « gérées », puisqu’elles portent en elles les moyens de (re)production : elles n’auront, sauf exception, de statut juridique en tant que personnes que bien tardivement. Par la mise en place d’une structure qui permet d’étendre le contrôle de la sphère publique à celle du privé, et qui fut exposée par ce qu’on appelle souvent la deuxième vague féministe, on en vient à reproduire à l’échelle de l’intime les mécanismes de contrôle qui seront implantés à plus grande échelle par la suite : « La vie des individus, nous dit Foucault, dans ce qu’elle peut avoir de privé, de quotidien et de singulier, se trouve ainsi devenue objet, sinon d’une prise en charge, du moins d’un souci et d’une vigilance qui ne sont sans doute semblables ni à ceux que pouvaient assurer les cités hellénistiques, ni à ceux qu’exerçaient les premières communautés chrétiennes » (p. 352). L’ouvrage permet ainsi de comprendre comment « la constitution d’un code sexuel, organisé autour du mariage et …