Comptes rendus

Guillaume Lejeune, Hegel anthropologue, Paris, CNRS Éditions, 2016, 200 pages[Record]

  • Emmanuel Chaput

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  • Emmanuel Chaput
    Université de Montréal

La visée initiale de Hegel anthropologue, de Guillaume Lejeune, est assez ambitieuse : penser avec Hegel les défis contemporains liés notamment au transhumanisme tout en résolvant l’énigme anthropologique dans l’oeuvre systématique de Hegel. Le résultat sera au final plus modeste sans être moins intéressant pour autant. Néanmoins, l’ampleur des enjeux que l’auteur entend soulever dès son avant-propos est telle que les pistes de réponse suggérées tout au long de l’ouvrage et culminant dans la conclusion s’avéreront forcément schématiques et par trop générales. L’auteur en a d’ailleurs conscience lorsqu’il écrit en conclusion : « D’aucuns pourraient être déçus de la généralité de nos conclusions et regretter que l’on ne donne un avis tranché sur la question anthropotechnique » (p. 132). Il se défend d’un tel reproche en évoquant la phronesis philosophique, prudence consistant à ne pas se prononcer trop hâtivement sur des enjeux controversés, qui par ailleurs se transforment et évoluent constamment. On a cependant l’impression d’un ouvrage tiraillé entre deux tâches qui auraient chacune pu faire l’objet d’un livre à part entière. D’un côté, l’ouvrage soulève l’enjeu plus expressément exégétique de l’anthropogenèse dans la pensée de Hegel. Dans la mesure où « [l]e système hégélien a pour objet l’esprit et non l’homme isolé » (p. 9), il s’agit d’expliquer la place qu’occupe la genèse de l’être humain et la question anthropologique dans l’articulation du système. Il faut, comme l’écrit l’auteur, « montrer comment l’homme se lie au monde de l’esprit » (p. 10). Or cette relation n’a rien d’évident en soi. Il y a bien sûr la tentative kojèvienne de faire de la Phénoménologie de l’esprit le socle anthropologique du système, ou celle des néo-pragmatistes américains de réduire l’esprit à des pratiques intersubjectives entre des individus humains. Mais ces « solutions », comme le montre avec raison Lejeune, ne sont pas sans faire violence à la pensée de Hegel, soit par un réaiguillage forcé de la Phénoménologie vers une anthropologie philosophique, soit par une interprétation déflationniste faisant plus ou moins l’impasse sur l’esprit absolu. D’un autre côté, les prétentions de l’auteur ne se limitent pas à cette entreprise exégétique visant à rendre compte de l’articulation, sous-thématisée par Hegel lui-même, entre l’esprit et son fondement anthropologique. Comme l’écrit Lejeune : « Au-delà de la seule reconstitution de la logique de l’anthropogenèse hégélienne, de son inscription dans le monde de l’esprit qui l’encadre, il s’agit aussi de la confronter à des enjeux actuels concernant l’anthropotechnique » (p. 18). En cela, l’ouvrage ne se veut pas uniquement une réflexion sur Hegel, mais bien également une réflexion avec Hegel. La philosophie hégélienne tendait en effet elle-même à se définir par son effort à penser le présent, et c’est à partir d’un même leitmotiv que l’auteur cherche à aborder les enjeux contemporains liés à la technoscience et à l’anthropotechnique. Cette double tâche laisse néanmoins un léger sentiment d’incomplétude, comme si en voulant faire deux choses à la fois l’auteur n’arrivait à mener à bien ni l’une ni l’autre. Quant à la dimension exégétique de l’ouvrage, l’auteur, qui au demeurant n’est pas le premier à le faire, affirme que « [l]’étude de l’homme court […] sur tout le développement de la philosophie de l’esprit » (p. 14). Mais la démonstration d’une telle affirmation aurait probablement nécessité un commentaire suivi de l’ensemble de la troisième partie de l’Encyclopédie de Hegel. Au lieu de cela, Lejeune privilégiera plutôt une approche thématique, en discutant successivement des conceptions hégéliennes de la folie, de la mort et de l’éducation. Ces analyses thématiques sont certes riches de contenus, mais elles ne peuvent que corroborer et …

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