Comptes rendus

Christine Korsgaard, Fellow Creatures : Our Obligations to the Other Animals, Oxford, Oxford University Press, 2019, 252 pages[Record]

  • Virginie Simoneau-Gilbert

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  • Virginie Simoneau-Gilbert
    Université de Montréal

Dans la seconde moitié du xxe siècle, et en particulier depuis la publication de Lalibérationanimale de Peter Singer en 1975, des enjeux tels que l’élevage industriel et l’expérimentation animale ont fait l’objet de vives critiques de la part des philosophes oeuvrant au sein de l’éthique animale. Cependant, si Korsgaard affirme, tout comme Singer, que la manière dont nous traitons les animaux relève de « l’atrocité morale », elle rejette l’utilitarisme de Singer, selon lequel nous pouvons juger de la nature morale d’une action par sa tendance à augmenter ou diminuer le plaisir de tous les êtres sensibles concernés. Contre l’utilitarisme, Korsgaard propose un argument de type déontologiste, lequel se développe en trois temps. Dans la première partie de Fellow Creatures, Korsgaard offre une critique de la position utilitariste, pour qui le plaisir et la douleur sont considérés comme moralement bon ou mauvais de manière absolue, et pas seulement pour l’être sensible qui en fait l’expérience. Pour Singer, le plaisir et la douleur sont pris en considération dans le calcul d’utilité en tant qu’expériences impersonnelles. C’est ce qui amène notamment Peter Singer à affirmer, dans La libération animale, que le fait d’élever et d’abattre sans douleur des animaux non humains, tout en les remplaçant perpétuellement par d’autres dont les expériences sont tout aussi plaisantes, ne pourrait être mal. La somme totale du plaisir ne se trouve pas affectée et, par conséquent, l’action commise ne saurait être qualifiée de répréhensible moralement. À l’inverse, Korsgaard refuse d’ériger une théorie morale sur la base de valeurs absolues ou impersonnelles. Toute valeur est « liée » (tethered), c’est-à-dire que le plaisir et la douleur sont bons ou mauvais pour l’être sensible qui en fait l’expérience (good-for). Il en va de même pour la valeur de la vie, qui est toujours « bonne-pour » et valorisée par l’individu auquel cette vie appartient. Malgré les différences cognitives notables entre les êtres humains et le reste du règne animal, on ne saurait déduire de ces spécificités une supériorité ontologique de l’être humain, dont l’existence serait plus importante. Même si la plupart des animaux ne possèdent pas le même sens du futur qu’un être humain et, par conséquent, la même conception de la vie comme un « tout » qui s’échelonne dans le temps, un tel fait ne saurait prouver que les expériences d’un être humain revêtent une plus grande importance que celles d’un autre animal. Comme le note Korsgaard, Ainsi, pour Korsgaard, la vie est un bien pour tous les animaux qui sont dans un assez bon état physique pour jouir de leur existence. Certes, les êtres humains, avec leur mémoire à long terme et leur sens du futur hautement développé, font preuve d’un degré plus élevé de conscience de soi que le reste du règne animal. Néanmoins, les animaux non humains, qui possèdent également la capacité d’apprendre et de se souvenir, ont ce que Korsgaard appelle « des vies conscientes étendues à travers le temps », qui ne sont pas simplement composées de moments spontanés. Les expériences des animaux modifient leur personnalité et leur point de vue sur le monde, formant ainsi à travers le temps un « soi unifié » (unified self). Nous pouvons, par exemple, songer à certaines expériences traumatiques (cruauté, privation de nourriture, etc.) qui peuvent venir affecter la personnalité d’un animal. Pour Korsgaard, la plupart des animaux vivent donc des vies bonnes ou mauvaises, et pas seulement des expériences momentanées qui ne seraient pas constitutives d’un soi. Toutefois, selon l’autrice, une différence majeure entre les êtres humains et le reste du …

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