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IntroductionDerrida en cours[Record]

  • Nicholas Cotton and
  • Maxime Plante

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  • Nicholas Cotton
    Visiting Research Collaborator, Princeton University
    Professeur de littérature et de français, Collège Édouard-Montpetit

  • Maxime Plante
    Chercheur postdoctoral, Département de philosophie et Département des littératures de langue française, Université de Montréal

« Derrida en cours » : cette expression marque à la fois l’engagement universitaire d’un philosophe qui a enseigné durant quarante-trois ans et l’actualité de la pensée derridienne avec laquelle nous ne finissons pas de nous expliquer. L’expression fait aussi signe vers l’énorme chantier de l’édition en cours des séminaires dont le dernier volume en date, Le parjure et le pardon (1998-1999), est paru en novembre 2020. Depuis 2008, ce sont ainsi six volumes qui ont été publiés, remontant à rebours de 2003 à 1984 (pour les séminaires donnés à l’École des hautes études en sciences sociales), en plus des inédits comme Heidegger : la question de l’Être et l’Histoire (ens, 1964-1965), Théorie et pratique (ens, 1976-1977), La vie la mort (ens, 1975-1976) et finalement Geschlecht III qui reprend en grande partie le séminaire « Le fantôme de l’autre » (ehess, 1984-1985). Selon l’équipe éditoriale de ces cours et séminaires, il s’agit de l’infime partie d’un corpus d’une taille colossale dont les pronostics font s’étaler l’édition jusqu’en 2033 pour les séminaires donnés à l’ehess seulement (1984-2003). Nous pouvions déjà raisonnablement croire que le lecteur — même vorace — n’en aurait jamais fini avec l’oeuvre publiée du philosophe qui représente un ensemble gargantuesque d’une centaine de titres. Tout lire, lire à nouveau, « lire comme un autre », pour reprendre la formulation de Jacques Derrida lui-même, s’avère une tâche « impossible ». Cette exigence interminable de la lecture, Derrida l’a enseignée de manière exemplaire, jouant de la philosophie avec la littérature, à l’intérieur même de l’institution universitaire et dans des oeuvres phares comme La Carte postale ou Passions qui sont tout entières consacrées à cette question. L’édition des cours et des séminaires vient par conséquent à la fois confirmer et décupler cette exigence ; elle nous voue à lire les cours eux-mêmes selon le principe d’un « dispositif retard », mais aussi à relire l’oeuvre publiée à la lumière de l’enseignement dispensé par Derrida. Plus que jamais, notre travail de lecture est donc en cours et structuré par les cours. L’accessibilité nouvelle à la parole enseignante de Jacques Derrida modifie en profondeur, à chaque nouvelle parution, notre connaissance de la pensée du philosophe. Elle l’approfondit, la nuance, la met en perspective et souvent aussi la remet en question. Plus de dix ans après la parution du premier volume du Séminaire La bête et le souverain (2008) et à l’heure de la relance de l’intérêt pour l’enseignement du philosophe, marquée notamment par la toute nouvelle collection « Bibliothèque Derrida » aux Éditions du Seuil, il nous est apparu incontournable de consacrer un numéro à cette question : « Derrida en cours ». L’édition des séminaires de Derrida a été l’occasion pour plusieurs de reconnaître en lui — en plus d’un grand philosophe — un grand enseignant. De l’aveu de Denis Kambouchner, qui fut son élève, « c’était là un enseignement exigeant », et ce, parce que « les séances constituaient des leçons de lecture, non à la manière classique de l’explication de texte ou de l’analyse doctrinale, mais sur un mode hyper-interrogatif qui démultipliait les registres ». Le parcours professionnel de Derrida, on l’a souvent noté, a été profondément marqué par le mariage forcé qui correspond sur le plan institutionnel à l’opposition parfois rigide entre la figure du « chercheur » et celle de l’« enseignant ». Au cours des dernières années, on a pu déplorer le fait que cette distribution des rôles ait confiné Derrida à une fonction marginale au sein de l’institution, comme si cela avait entravé le développement de …

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