Disputatio

Vérité. Réalité. Universalité.[Record]

  • Isabelle Thomas-Fogiel

…more information

  • Isabelle Thomas-Fogiel
    Département de philosophie, Université d’Ottawa

Toute disputatio suppose un opponens qui formule des objections. La tâche est ardue et hardie s’agissant de Bitbol. J’ai déjà indiqué dans une recension (lectio) combien son texte contre le réalisme spéculatif était fondamental ; j’ai analysé les arguments des deux partis en légitimant (en dépit de quelques perplexités que je ne souhaite pas répéter ici) la démarche de Bitbol, assumant ainsi le rôle du respondens. Mais Disputatio oblige, il faut maintenant objecter. Pour ce faire, il serait commode d’extraire de ce texte quelques thèmes particuliers qui, indépendamment de l’opposition à Meillassoux, expriment le contenu positif de la philosophie de Bitbol. Mais lesquels choisir, autres que ceux déjà évoqués dans ma recension (l’usage de la contradiction performative, le « je » existentiel, la référence au mystique ?). Les analyses abondantes, limpides et passionnantes sur la physique quantique ? Elles m’ont convaincue. Ce qui tombe bien, car étant donné la compétence hors pair de Bitbol en physique, j’aurais éprouvé quelque embarras à m’y opposer en détail. La description du « vécu » de l’absolu ? Il me faudrait, et ce serait trop long, dire à partir de quel point de vue je puis, sans arbitraire, opposer un vécu à un autre. Son interprétation de Kant ? Mais Bitbol ne se prétend pas commentateur. Qu’importe donc si le portrait de Kant, non plus en vieux chinois mais en pragmatiste américain (voir plus bas), m’a quelque peu chiffonnée ? Bref, n’ayant trouvé de salut dans l’analyse d’un thème particulier, il ne me restait, hormis me taire, qu’à considérer la totalité. Avant qu’une franche hilarité ne gagne le lecteur à l’annonce d’un tel programme, sans doute faut-il spécifier, à ma décharge, que la philosophie de Bitbol se présente comme un enchaînement de raisons étroitement liées entre elles, et non comme une rapsodie de vues changeantes. Cette circonstance atténuante plaidée, je tacherai, tout d’abord, de mettre en lumière la structure du système, en faisant surgir les gestes les plus généraux, et les principes fondamentaux qu’ils induisent, pour exposer l’articulation entre les moments principaux de sa philosophie. Je le ferai en comparant son architectonique à celle de Meillassoux, afin de montrer la position de chaque joueur. Une fois cette vue en plongée effectuée, je m’intéresserai, par un brusque changement d’axe de la caméra, à un point de détail du livre de Bitbol, un minuscule grain de sable, mais susceptible, par la suite, de provoquer des objections en chaîne. Pour le dire d’un mot qu’éclaireront les analyses suivantes, l’essentiel de mon objection portera sur l’articulation entre philosophie réflexive, théorie de la connaissance et endo-ontologie. Les deux systèmes se laissent aborder à partir de trois mots que revendique Bitbol, et qui s’opposent à ceux qui qualifient la position de Meillassoux. C’est donc par la notion d’action réciproque que Bitbol entend résoudre l’énigme de la connaissance : d’où procèdent les connexions que nous établissons entre les phénomènes, connexion comme la loi de la cause et de l’effet, ou connexion des différents moments du temps par la position de la permanence ? Entre une réponse (globalement réaliste) qui affirmerait que c’est l’objet en soi qui informe (aux deux sens du terme) nos énoncés et une réponse (réputée idéaliste) qui attribuerait ces connexions aux compétences universelles d’un sujet connaissant, Bitbol montre comment ces « structures légales surgissent du jeu d’action et de réaction » entre une partie du monde et un sujet à la fois situé, immergé et agissant en son sein. Ce geste de mise en relation réciproque s’oppose au geste de position d’un en soi par soustraction, qu’exemplifie le parcours de Meillassoux. En effet, une partie …

Appendices