Comptes rendus

Juan Vincente Cortés, La notion de jouissance chez Spinoza. Essai de reconstruction conceptuelle, Paris, Éditions de la Sorbonne, coll. « La philosophie à l’oeuvre », 2019, 172 pages[Record]

  • Anaïs Delambre

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  • Anaïs Delambre
    Université de Montréal

« Toujours du sentiment ! comme si le monde ne contenait pas autre chose. » Cette citation de Flaubert, mise en exergue du présent ouvrage, donne le ton de la réflexion menée par Juan Vincente Cortés. Docteur en philosophie et chercheur adjoint à l’Universidad Alberto Hurtado à Santiago du Chili, il enseigne actuellement la philosophie moderne. En publiant la première partie de sa thèse (préparée sous la direction de Chantal Jaquet et soutenue à l’Université Paris-I Panthéon Sorbonne en 2014), il a pris le risque de se joindre à la longue liste des commentateurs de Spinoza, qui, depuis de nombreuses années, tentent de rendre toujours plus intelligible sa philosophie, sous peine d’user les passages par leurs études successives. J.-V. Cortés a eu raison de prendre ce risque. La notion de jouissance n’est pas étrangère aux commentaires traditionnels. Mais ces derniers se restreignaient généralement à l’étude de l’affect gaudium. Or, comme le montre le travail de J.-V. Cortés (à la fin du premier chapitre et au début du deuxième chapitre), le lexique spinoziste désignant cette notion est plus riche et rend plus complexe la reconstruction d’un tel concept. En effet, la notion de jouissance n’est pas réductible à l’affect passif de joie (gaudium), tel qu’il est défini dans le livre III de l’Éthique. D’autres termes sont également utilisés pour exprimer cette jouissance : à côté de gaudium, il faut ajouter fruitio, delectatio, acquiscentia et obtinentia. En outre, en s’intéressant à la jouissance, notion périphérique, mais pourtant majeure, de la pensée de Spinoza, il apporte de nouveaux éclairages sur sa métaphysique, son ontologie et sa philosophie politique. Dès lors, si, comme Flaubert, nous avons l’impression que tout n’est que sentiment, c’est parce que ces derniers sont non seulement au coeur de notre vie affective, mais aussi de notre vie en tant que mode fini et en tant qu’individu, membre d’une société, visant in fine, la jouissance de la liberté. Le premier chapitre suit un balancement constant entre des questions de vocabulaire et des problèmes de traduction, et des enjeux métaphysiques. Il passe ainsi par les concepts d’affects et celui d’individu, et notamment par le rapport entre gaudium et individu, afin de « déterminer si la vie affective est coextensive à la vie du mode existant en acte, ou bien si, sous un certain rapport bien déterminé, il ne serait pas possible de concevoir l’existence des modes affectée de quelque chose qui ne serait pas exactement de l’ordre de l’affect ». Se laissant guider par ce mouvement, le lecteur est invité à poser clairement les cadres de réflexion qui permettront ensuite une exploration plus en profondeur de la notion de jouissance comme concept et comme notion qui traverse toute la pensée de Spinoza. À l’issue de ce premier chapitre, et c’est là un point intéressant de son travail, J.-V. Cortés s’est affranchi du livre III de l’Éthique et met au jour « toute une constellation de termes relatifs à la jouissance […] qui montre que la question de la jouissance n’est pas tranchée par le seul recours à la définition donnée dans l’Éthique III, 18 S 2 ». Nous avons donc sous les yeux un concept éclaté, une notion écartelée par cette « constellation » de termes qui lui sont rattachés et que la suite du livre doit réunir pour reconstruire son unité. Le deuxième chapitre reconstruit le parcours conceptuel et sémantique de la jouissance suivant les différents termes latins, et à travers les écrits métaphysiques, éthiques et politiques de Spinoza. L’on découvre que la notion de jouissance évolue pour atteindre sa forme …

Appendices