Comptes rendus

Catherine König-Pralong, La colonie philosophique. Écrire l’histoire de la philosophie aux xviiie et xixe siècles, Paris, Éditions de l’EHESS, 2019, 253 pages[Record]

  • Sarah Bernard-Granger

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  • Sarah Bernard-Granger
    École Normale Supérieure de Lyon

L’ouvrage de Catherine König-Pralong est le fruit de deux approches historiographiques complémentaires. Issue d’une communauté d’historiens de la philosophie médiévale, l’auteure adopte dans ses recherches une posture réflexive sur la constitution d’une représentation de son corpus médiéviste par l’historiographie des xviiie et xixe siècles. Elle la généralise peu à peu pour interroger d’un point de vue global, avec une nouvelle génération de chercheurs, une certaine conception de la philosophie élaborée par cette même historiographie. Avec La Colonie philosophique, König-Pralong poursuit cette démarche en interrogeant les ressorts de la constitution disciplinaire de l’histoire de la philosophie qui se caractérise dès le xviiie siècle par une « réflexivité de second ordre » (p. 22), car elle s’élabore consciemment et se légitime comme rationalité nouvelle en se démarquant d’autres formes de rationalité. L’objectif principal de l’ouvrage est ainsi de réaliser une « histoire interdisciplinaire de l’histoire de la philosophie » (p. 22) en analysant comment cette dernière s’est constituée comme discipline autonome en dialoguant avec d’autres disciplines. König-Pralong propose de réintégrer l’émergence disciplinaire de l’histoire de la philosophie à son contexte socioculturel, c’est-à-dire à l’ensemble des représentations structurant le monde savant des xviiie et xixe siècles. L’originalité de la démarche réside ainsi dans son approche interdisciplinaire. L’identité de l’histoire de la philosophie s’élabore sur un mode colonialiste par appropriation ou rejet d’autres disciplines et cultures. À l’ampleur disciplinaire de la recherche s’ajoute donc un large panorama géographique. Mais la méthode et les concepts mobilisés permettent de joindre l’ambition de l’approche et la spécificité de l’objet. En élargissant les perspectives disciplinaires et spatiales, l’auteure propose une extension de la définition canonique de l’histoire de la philosophie, qui produit du même coup une relativisation de celle-ci à d’autres disciplines et cultures. Ce travail présente donc une double originalité. D’une part, au regard de l’ampleur de l’objet étudié. D’autre part, dans la constitution du corpus, étudié via une méthode analytique qui se particularise dans l’étude de cas paradigmatiques permettant de tirer des conclusions plus heuristiques que celles auxquelles nous permettrait de parvenir une démarche exhaustive. L’introduction pose les jalons méthodologiques qui structurent l’ensemble de la vaste enquête présentée dans l’ouvrage. Elle prend pour point de départ des textes produits autour de 1800, qui véhiculent « une conception géopolitique de la philosophie » en forgeant et développant l’idée d’une « colonie philosophique » (p. 12). Cette idée permet de déterminer le rôle de la philosophie « dans la légitimation de l’impérialisme intellectuel qui caractérise une partie des sciences européennes modernes » (p. 12). Elle précise ensuite l’usage qu’elle fait de la notion de « double colonisation savante » (p. 13). Sa première forme, la territorialisation culturelle, renvoie au développement hégémonique de la raison européenne par appropriation ou distinction d’avec de prétendues cultures asiatique, américaine ou africaine, jugées ancestrale, primitive ou irrationnelle. Sa seconde forme, la colonisation du passé, désigne un mouvement d’appropriation d’une tradition culturelle qui situe l’Europe dans l’histoire du progrès en excluant le passé qui, comme le Moyen Âge, n’irait pas dans le sens d’un développement téléologique de la raison européenne. Finalement, l’auteure applique cette notion à l’étude de l’écriture de l’histoire de la philosophie afin de proposer une « histoire du savoir avec des idées » (p. 17). Les deux premiers chapitres prolongent l’introduction et interrogent l’émergence disciplinaire de l’histoire de la philosophie entre 1730 et 1880. Les quatre chapitres suivants analysent sa dimension interdisciplinaire en élargissant le corpus étudié en conséquence. Le chapitre I : « La raison philosophique moderne et ses historiens (1730-1830) », porte sur les mécanismes oeuvrant à l’institutionnalisation de l’histoire de la philosophie …