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Introduction

Accompagner et intervenir dans l’alternance

La formation genevoise des enseignants de l’enseignement primaire s’inscrit dans une logique d’alternance intégrative (Vanhulle, Mehran & Ronveaux, 2007) qui implique des moments de terrain lors de stages en milieu professionnel, et des moments à l’université. Elle propose un dispositif d’intégration des éléments pratiques et des apports théoriques durant toute la formation, notamment à travers les stages en responsabilité. Le dispositif d’accompagnement des stages comprend les interactions des enseignants en formation (EF) avec les superviseurs universitaires (S) et formateurs de terrain (T) lors des séminaires d’intégration et des entretiens de stage. Ces derniers, que nous considérons comme des moments emblématiques de la formation sont l’objet de l’analyse dans cette contribution.

Nous comprenons l’accompagnement d’EF lors des entretiens de stage comme une rencontre pendant laquelle le formé partage des préoccupations communes avec ses formateurs (De Ketele, 2014, p. 75). Effectivement, dans le dispositif genevois, l’EF se retrouve à partager son expérience de la classe et les références institutionnelles avec son T et les apports de la formation (académiques et/ou institutionnels) avec son S. Lors des entretiens de stage, le stagiaire a une possibilité de rendre compte de tous ces éléments aux deux interlocuteurs qui ont une vision partielle de son apprentissage et de sa pratique. De ce fait, les entretiens deviennent des moments d’échanges autour des préoccupations concernant le stage en cours permettant à l’EF d’effectuer une analyse réflexive de sa pratique en y intégrant des outils et des références théoriques. Cette analyse ainsi que la discussion avec les formateurs, provenant de deux mondes différents, sur les préoccupations exposées, ont pour objectif d’aider les EFs dans la construction des savoirs professionnels. En effet, les échanges à trois permettent selon nous de surmonter des difficultés des stagiaires et favorisent la construction du sens à partir des expériences vécues. Nous postulons avec Vanhulle (2015) que ces éléments contribuent à la construction des savoirs de futurs professionnels.

Notre analyse des échanges autour des préoccupations des EFs se focalise sur les interventions des formateurs. Nous identifions donc les moments lors desquels les préoccupations sont discutées, en spécifiant l’objet de la préoccupation, et analysons les manières de réagir et d’intervenir face aux soucis exposés. Nous nous intéressons également aux rôles pris par les formateurs dans ces échanges ainsi qu’au rapport des places qui s’instaure entre les trois interlocuteurs. Nous considérons qu’un stagiaire a besoin d’un espace propice pour s’exprimer, discuter, analyser et problématiser ses préoccupations afin de pouvoir construire ses savoirs professionnels. Cet espace est partiellement construit ou créé par les formateurs, leurs rôles et leurs interventions méritent donc d’être investigués.

Il existe deux types d’entretiens de stages : ceux qui visent une évaluation formative et ceux visent une évaluation certificative. Nous nous demandons si la situation de l’évaluation sommative a une influence sur la manière dont les formateurs accompagnent les stagiaires s’acquittent de leur « triple mission délicate » entre la formation, l’évaluation et l’accompagnement (Perréard Vité, 2011). Pour répondre à cette question, nous analysons quatre entretiens : deux formatifs et deux certificatifs de deux EFs.

Pour structurer notre réflexion, nous proposons d’abord un bref cadre théorique se focalisant sur les visées et les enjeux des entretiens de stage, ainsi que sur les rôles qu’y jouent les formateurs. Nous présentons ensuite le contexte, les questions de recherche ainsi que notre méthodologie. Nous exposons et discutons finalement des résultats afin de proposer quelques pistes interprétatives et perspectives d’ouverture en conclusion.

1. Visées et enjeux des entretiens de stage

Les entretiens de stage, les conseils pédagogiques, les entretiens post-leçons ou encore les « mentoring conversations », font désormais partie des pratiques ordinaires de formation à l’enseignement et visent généralement à articuler les composantes théoriques et pratiques. Plusieurs raisons expliquent cet état de fait : d’une part, la considération du lieu de travail comme un lieu d’apprentissage impliquant l’accompagnement d’un professionnel « expert » (Hennissen et al., 2008) ; d’autre part, la nécessité de mettre en place des lieux d’intégration pour que la formation soit pleinement en alternance (Vanhulle, Merhan & Ronveaux, 2007).

Le dispositif étudié ici prévoit deux moments clés par stage pour ces rencontres : l’entretien formatif à mi-parcours et l’entretien certificatif à la fin du stage. Le premier a pour but de « faire le point » sur la pratique en cours et de proposer quelques régulations nécessaires à l’EF afin de concevoir, améliorer et analyser sa pratique auprès des élèves. Il permet de discuter du déroulement du stage en cours et des préoccupations des EFs. Par préoccupation nous entendons un souci plus ou moins formalisé de l’EF, soulevée par ce dernier ou par un de ses formateurs (Balslev, Dobrowolska, Mosquera & Tominska, 2015 ; Vanhulle, 2015). Celle-ci peut se développer, être investie et discutée à trois, avec les deux formateurs et ainsi se transformer en une problématique professionnelle présentée par l’EF lors de l’entretien certificatif visant l’évaluation du stage par le T et le S. L’entretien certificatif diffère au niveau de son déroulement de l’entretien formatif ; il s’agit d’une conversation structurée en étapes qui donne tour à tour la place à chaque partenaire, afin d’arriver à l’évaluation conjointe finale. Au début l’EF présente une problématique en faisant des liens entre une préoccupation de son choix, les éléments théoriques issus de sa formation et son expérience sur le terrain. Nous considérons avec d’autres que ces problématiques sont le fruit d’une co-construction entre l’EF et ses formateurs (Balslev et al., 2015 ; Ciavialdini-Cartaut, 2009 ; Ottesen, 2007 ; Vanhulle, 2015). Elles émergent souvent dans la discussion lors de l’entretien formatif et constituent une ressource pour la construction des savoirs professionnels.

Les présentations des problématiques constituent des discours singuliers exposant des préoccupations, présentant des concepts scientifiques afin d’analyser des évènements concrets, intégrant des normes et des valeurs de la profession, dévoilant les affects… De plus, dans ces discours en interaction, les EFs sont censés « se montrer capables de saisir les finalités de leur activité professionnelle, des situations récurrentes dans lesquelles cette activité se réalise, des savoirs et compétences qu’elle suppose, des dilemmes qu’elle soulève, des ressentis qui s’y nouent » (Vanhulle, 2012, p. 165).

2. Discours en interaction et interventions verbales des formateurs

Nous considérons l’interaction comme un système (Markovà, 1997) résultant d’une co-construction entre deux (ou plusieurs) entités qui sont complémentaires à l’établissement d’une entente, d’une solution, autour d’un objet particulier. Cette conception va de pair avec la définition goffmanienne des interactions comme « les regroupements focalisés » (résumé par Filliettaz & Schubauer-Leoni, 2008) qui se caractérisent par le même vécu social partagé par un groupe d’individus. Le même vécu, investi en tant que « rencontre » autour d’un objet particulier d’attention permet des ajustements mutuels entre les partenaires. Cette conception nous intéresse d’autant plus qu’elle implique des processus médiateurs par lesquels les partenaires s’engagent, prennent place, négocient l’objet de l’échange ou leurs rôles.

Une telle compréhension de l’interaction rejoint la conception de l’accompagnement explicité par De Ketele (2014) : « l’accompagnement est une rencontre entre deux personnes (ou un groupe restreint…) où l’accompagnateur jouit d’un statut particulier aux yeux de l’accompagné (…) dans cette rencontre l’accompagnateur et l’accompagné(s) partagent des préoccupations communes (…) tout en ayant des parcours différents, des expériences diverses, des motivations différenciées ; c’est ce qui fait la richesse de la rencontre » (p. 75). La conception de De Ketele permet de discuter des rôles pris par les formateurs et le rapport de place qui s’instaure lors des échanges. Nous y ajoutons l’importance des interventions verbales des accompagnateurs vis-à-vis des préoccupations exposées. En effet, la façon de réagir face à un souci présenté par un EF peut, selon nous, influencer sa construction du sens et de savoirs. Les formateurs peuvent de fait discuter de la préoccupation avec l’EF, le questionner, l’encourager à développer ou à poursuivre, proposer des solutions, ajouter des éléments nouveaux, mais aussi nier sa préoccupation en en proposant une autre à la place.

3. Accompagnement : entre rôles et places

Un nombre important de chercheurs étudient les rôles joués par les formateurs lors des entretiens de stages : en s’intéressant entre autres aux attitudes ou « styles » adoptés par les formateurs (Hennissen et al., 2008 ; Dugal, 2009) ; la façon dont les formateurs médiatisent les liens entre la théorie et pratique (Pellegrini, 2010). Des recherches pointent également les difficultés rencontrées par les formateurs : Chaliès et al., (2009) parlent des dilemmes des formateurs ; Perréard Vité (2011) quant à elle, évoque « la triple mission délicate » qui incombe aux formateurs T et S de manière conjointe et mouvante suivant les différentes phases du dispositif d’encadrement de stages, et qui se place entre « accompagner, former et évaluer ». Dans une perspective discursive, nos propres travaux montrent les effets des interventions verbales des formateurs sur les apprentissages et le développement du discours des EF (Balslev et al., 2015 ; Balslev, 2016).

Pour mieux cerner les interventions des formateurs, nous prenons appui sur les notions de rôles (Kerbrat-Orecchioni, 2006/1998) et de rapports des places (Vion, 1992) parce qu’elles permettent de relever les jeux de positionnements, qui se créent et se transforment dans l’interaction lors d’un entretien et au fil du temps d’un entretien à l’autre. Les documents d’accompagnement (Université de Genève, 2011-2012) précisent les tâches et les rôles de chaque partenaire de l’échange concernant l’évaluation tant formative que certificative. Néanmoins, un EF dans son discours peut se positionner en tant qu’étudiant en se référant aux cours universitaires, en tant qu’enseignant préoccupé par les apprentissages de ses élèves, en tant que personne exprimant ses émotions, etc. Les formateurs peuvent également se positionner comme des garants du cadre préoccupés par le programme ou les objectifs institutionnel de la formation, comme des enseignants de l’école ou de l’université, comme des collègues de l’EF, comme personne en se référant à des expériences externes au stage, etc. Dans l’actualisation de ces rôles lors des deux entretiens (formatifs et certificatifs), les interlocuteurs ne restent pas figés ni stables. Ils évoluent et s’adaptent aux situations rencontrées, aux changements et imprévus, en prenant ou cédant leur place à l’autre. Cela fait partie de l’accompagnement, raison pour laquelle nous étudions les interactions entre l’EF, le T et le S pour identifier ces rôles et places investis par chaque acteur.

4. Contexte et questions de recherche

Dans le dispositif genevois de la formation initiale à l’enseignement du primaire, les étudiants de la dernière année font trois stages en responsabilité. Des objectifs spécifiques sont attribués à chaque stage, afin de rendre progressive l’entrée formative sur le terrain. Nous analysons les entretiens concernant le dernier stage de cette période cruciale de transition entre la formation et le monde professionnel.

Nos données proviennent d’une recherche plus large, menée par le groupe de recherche TALES sous la direction de Sabine Vanhulle et Kristine Balslev sur « la construction de savoirs professionnels dans les stages en enseignement primaire »[1]. L’ensemble de données contient les enregistrements (audio-vidéo) des entretiens de stages concernant 11 EFs transcrits entièrement. Ces transcriptions permettent de retracer les parcours des EFs. L’encadrement de ces stages implique dans notre recherche 11 superviseurs universitaires et 30 formateurs de terrain.

Cette contribution s’appuie sur une partie de données concernant deux EFs que nous nommons Annabelle et Sébastien. Ils sont accompagnés pendant leur troisième stage par deux Ts, Clara et Zoé, et la même S, Martine.

Pour analyser la façon dont les formateurs interviennent auprès des EFs lors des deux types d’entretien, nous choisissons de nous focaliser sur les interactions entre les trois partenaires autour des préoccupations des EFs. Nous posons les questions suivantes :

  • Quelles sont les thématiques principales développées lors des entretiens formatifs et certificatifs ?

  • De quelle façon les formateurs interviennent-ils sur les thématiques proposées ?

  • Quelle est la place faite à l’EF et à ses préoccupations dans les interactions ?

  • Quels rôles y jouent les formateurs ?

5. Méthodologie

Nous appréhendons ces questions en utilisant des catégories de la grille d’Analyse des Discours d’Apprentissage Professionnel (ADAP) (Vanhulle, 2013) qui contient des indicateurs de la linguistique pragmatique, énonciative et textuelle[2].

Nous identifions en premier lieu les thématiques abordées pour savoir si les trois interlocuteurs traitent les mêmes contenus ou non, ainsi que pour voir comment ces contenus évoluent au cours d’un entretien et d’un entretien à l’autre. Dans les contenus thématiques nous identifions des sujets récurrents qui constituent des préoccupations des EFs discutées lors des entretiens.

Nous nous intéressons ensuite aux rôles (Kerbrat-Orecchioni, 2006) pris et attribués par les formateurs aux EFs et leurs interventions verbales auprès des stagiaires. Ces interventions peuvent varier entre des demandes de préciser, mieux expliciter, analyser ou des tentatives de questionner, réorienter la discussion, manifester son désaccord. Elles sont les plus proches des énoncés des acteurs et rendent visible la part langagière de la situation. Nous essayons également d’identifier le rapport des places (Vion, 2000) pour saisir l’impact des enjeux institutionnels de la formation et de l’évaluation sur le discours des EFs ainsi que la place qui leur est attribuée dans ces échanges.

Ces catégories permettent de saisir le type d’accompagnement des formateurs ainsi que le lien entre les visées des formateurs et leurs rôles entre « accompagner, former, évaluer » dans une situation d’évaluation formative et certificative. Notre démarche qualitative et interprétative contient trois étapes :

  1. Découpage des transcriptions de quatre entretiens selon les thématiques abordées

  2. Analyse des entretiens selon les catégories sélectionnées dans la grille ADAP

  3. Choix des extraits représentatifs (saturation des indicateurs correspondant aux catégories choisies) pour une analyse approfondie et leur interprétation

6. Résultats

Nous avons choisi les extraits concernant deux EFs, Annabelle et Sébastien, issus d’un entretien formatif et d’un entretien certificatif pour chaque stagiaire afin de proposer une comparaison entre les interventions verbales des formateurs dans les deux types d’entretiens.

6.1 Martine (S), Clara (T) et Annabelle

Notre premier cas concerne Annabelle qui fait un stage dans une classe de 5P[3] accompagnée lors de ses entretiens par Clara (T) et Martine (S).

6.1.1 Evolution des contenus thématiques : entre la préoccupation d’EF et celle de T

Lors de l’entretien formatif Annabelle traite des aspects didactiques et organisationnels du travail enseignant. Sa préoccupation face à la classe où elle a un sentiment de « ne plus savoir gérer » donne lieu à un questionnement sur l’ambiguïté de son rôle oscillant entre enseignante et stagiaire. Elle expose sa difficulté à choisir entre « se greffer » sur le programme et les activités prévues par sa T et réaliser des activités en créant ses propres moyens d’enseignement. Annabelle formalise son sentiment de déstabilisation de la manière suivante :

« en fait c’qui m’embête c’est que/ jusqu’à maintenant mon point fort j’estimais que c’était justement l’organisation et maintenant il passe dans les points faibles pour ce stage-là (…) dans les autres stages c’était/ MOI j’organisais un peu/ tout c’que j’allais faire c’était/ j’amenais beaucoup d’choses/ nouvelles/ et du coup/ toute l’organisation/ je j’la créais autour de ça (…) alors que là j’ai l’impression que ça doit rouler mais en fait/ pas forcément/ (…) donc en fait j’ai dû/ ouais voilà j’ai dû m’greffer (…) sur ce qui était DÉJÀ en place »

ETF, 308-355[4]

Clara (T) manifeste également un sentiment de déstabilisation, lié à la présence de l’EF dans sa classe :

« (…) ah et tout est chamboulé /tout est chamboulé/ parce que du coup on on mardi c’est le 1er mai (…) alors elle vient vendredi pour remplacer/ mais comme elle vient vendredi pour remplacer ça prend sur les heures de CSP (…) qui du coup change son programme de lundi puisqu’elle (…) elle fait la suite/ elle commence lundi elle finit ven- (…) c’est c’est c’est/ c’est euh voilà »

ETF, 179-188

Elle met en avant l’accumulation des changements qui « chamboulent » toute la préparation et gestion du travail en classe. Martine (S), prise entre les préoccupations de ses deux partenaires de l’entretien, essaye de considérer la situation comme une ouverture possible et une opportunité d’apprentissage professionnel pour Annabelle et réoriente souvent les propos de Clara vers les dires de l’EF.

Lors de l’entretien certificatif, Annabelle formalise sa préoccupation de l’entretien précédent en parlant de son autonomie en tant qu’enseignante en devenir lors du stage. Pour ce faire, elle présente d’abord la situation des élèves dans la classe qui sont en train de développer, eux aussi, leur propre autonomie. Ensuite, elle pose la question de l’autonomie de l’enseignant et en particulier de l’enseignant en formation. Cette réflexion se termine avec un constat de réussite de ce stage ainsi qu’avec une énumération de ses acquis à travers son parcours de formation qui permet d’ouvrir une discussion avec ses formatrices. Clara revient en écho à son rôle de formatrice et à sa compréhension des intentions et besoins d’Annabelle en tant que stagiaire. Sa prise de conscience de ses représentations sur son rôle auprès d’Annabelle, qu’elle considère comme une stagiaire singulière, capable et déjà autonome, provoque chez elle un changement d’attitude marquant le « lâcher prise » sur la classe, laissant à Annabelle plus de place en tant qu’enseignante :

« et moi par rapport à cette autonomie moi j’ai mis un certain moment j’l’ai senti (…) t’étais/ de plus en plus à l’aise au fur et à mesure que t’avançais parce qu’en fait au départ/ t’as voulu t’cadrer au maximum à/ à c’que j’faisais moi pour qu’il y ait bien un suivi qu’il y ait bien une continuité (…) t’es arrivée/ t’avais tout planifié ton stage/ pis après tu t’es bien rendu compte que ben/ voilà déjà y’avait cette fête qui a bien chamboulé pas mal »

ETC, 826-838[5]

Clara donne son appréciation détaillée et positive du travail fourni par Annabelle. Martine, quant à elle, souligne l’originalité de la présentation « vraiment intéressant/ et je trouve que/ en tout cas c’est une vraie analyse de pratique », les ressources mobilisées autant académiques que venant de la pratique et du vécu de stage « dans l’sens que c’est vraiment je PARS de quelque chose que j’ai vécu (…) puis vous êtes allée chercher des bouquins (…) mais j’ai quand même l’impression qu’au-delà de le faire pour l’exercice ».

6.1.2 Interventions verbales : du déroulement du stage « chamboulé » vers les prises de conscience formatives

Lors de l’entretien formatif, Martine négocie souvent avec la T la place accordée aux paroles d’Annabelle en la questionnant, en validant ses idées ou démarches réalisées en classe et relatées lors de l’entretien. Elle accentue les difficultés mentionnées par Annabelle, en soulignant et renforçant l’importance des préoccupations énoncées comme celle du dilemme entre « se greffer » dans ce qui est fait ou oser l’indépendance créatrice. Elle résume et reformule ce qu’Annabelle dit, s’assure de sa bonne compréhension, facilite la mise en mots de ses préoccupations par les questions précises. Face à sa collègue, elle adopte des interventions valorisantes et se sert de ses propres pratiques et expériences afin d’indiquer à Clara sa compréhension des pratiques de la T en tant qu’enseignante et la réorienter vers les énoncés d’Annabelle.

Clara quant à elle, décrit le contexte de la classe et de la situation actuelle, justifie ses décisions et ses démarches dans la classe, donne des exemples de sa pratique, explicite ses raisons et sa façon de penser et de faire concernant l’organisation de sa classe, les planifications de l’enseignement et l’organisation du stage.

Lors de l’entretien certificatif, Martine valide et valorise les éléments mis en avant dans la présentation d’Annabelle, renforce son analyse de la situation en stage, salue ses acquis notamment dans la prise en charge autonome de la classe. Elle évoque l’utilisation du référentiel de la formation, de manière à en faire un outil, une grille à usage de stagiaire afin de favoriser son autoévaluation face aux savoirs professionnels attendus à la fin de la formation. Elle reformule certains propos en questionnant l’EF pour aller plus loin dans la réflexion ; elle synthétise et évalue l’analyse de la pratique d’Annabelle.

Clara part de la présentation d’Annabelle en revenant sur la situation difficile de ce stage et en relevant ses capacités à y faire face, en trouvant son espace de créativité dans les activités proposées :

« (à Martine) ça lui a permis de gérer tous ces imprévus (…) sans être complètement débordée quoi (…)/ (s’adressant directement à Annabelle) tu savais où tu voulais aller/ pis après ben t’as pris/ d’autres [chemins] (…) mais tu revenais à chaque fois à (…) c’que tu voulais (…) mais en fin d’compte/ tu y es arrivée (…) t’es arrivée au bout »

ETC, 973-987

Ensuite, Clara justifie sa posture de formatrice, explicite son cheminement dans l’encadrement de ce stage, valide et renforce les acquis professionnels d’Annabelle, évalue positivement cette expérience d’accompagnement.

6.1.3 Rôles pris et attribués

Lors de l’entretien formatif, Martine prend un rôle de garante du cadre pour gérer le déroulement de l’entretien en se centrant sur les dires d’Annabelle et en essayant d’intégrer Clara dans la conversation sur la préoccupation d’Annabelle. Clara résiste aux tentatives de réorientation de Martine et reste fixée sur sa propre préoccupation. Elle prend majoritairement le rôle de l’enseignante gérant le « chamboulement » survenu en classe au moment de l’arrivée de sa stagiaire. Annabelle endosse le rôle de stagiaire, elle aspire toutefois au rôle qui lui a été reconnu lors des stages précédents, celui « d’enseignante à part entière » qui prévoie, organise et crée les activités de manière autonome. Elle se résigne à rester dans le rôle de stagiaire, que lui attribue Clara, qui implique de « se greffer » dans ce qui existe déjà, qui a été prévu et préparé par sa formatrice de terrain. Les deux formatrices se différencient en attribuant les rôles contrastés à Annabelle, car Martine la voit comme une future enseignante se projetant dans sa pratique professionnelle.

Lors de l’entretien certificatif, Annabelle prend avec assurance le rôle d’enseignante « dans sa classe » et est reconnue comme telle par Martine. La S n’est plus uniquement une garante du cadre. Cette fois-ci elle anime la séance en tant que formatrice qui accompagne et évalue son étudiante en collaboration avec sa partenaire, la T :

« moi j’trouve très intéressant que vous (s’adresse à Clara)/ vous disiez ça parce que c’est EXACTEMENT c’que j’ai ressenti moi en vous entendant tout à l’heure/ et j’pense que le thème de l’autonomie a mis ça en évidence probablement (…) parce que c’était quelque chose que VOUS avez (…) AMENÉ dans la classe et/ INNOVÉ d’une certaine manière/ tout en vous inscrivant (…) dans un projet général qui est d’amener petit à petit ces enfants vers (…) l’autonomie/ mais avec une classe qui a (…) ses problématiques etcétéra etcétéra »

ETC, 891-895

Clara aussi change sa posture et se concentre sur l’évaluation d’Annabelle et reconnait ses capacités de future enseignante : « voilà t›as fait tes propres règles/ (…) MAIS elles étaient cohérentes par rapport à la (…) réalité qu›t›étais en train d›vivre ».

6.1.4 Rapport des places

Concernant le rapport des places, les interlocutrices, elles-mêmes, remarquent un déséquilibre au début de l’entretien formatif : Clara prend beaucoup de place et son discours brouille la centration sur le discours d’Annabelle. Martine négocie le déplacement de l’objet de discours vers les préoccupations d’Annabelle, leur donne une place importante et veille à les préserver.

Lors de l’entretien certificatif, le rapport de places est plus symétrique, plusieurs fois la discussion traite des dires et des préoccupations d’Annabelle. Sa présentation et ses acquis sont discutés par les formatrices, mais elles impliquent peu l’EF dans leurs échanges. Un autre déséquilibre se fait sentir : Clara bien qu’en s’adressant à l’EF (usage de « tu ») pour parler des situations partagées avec Annabelle en classe, les raconte et les analyse à sa place. Son évolution est encore en cours, elle veut bien reconnaitre la place de « presque enseignante » à Annabelle, mais a encore une difficulté à l’assumer.

6.2 Martine (S), Zoé (T) et Sébastien

Notre deuxième cas concerne Sébastien qui effectue son stage dans une classe spécialisée, il est accompagné lors de ses entretiens par Zoé (T) et Martine (S).

6.2.1 Évolution des contenus thématiques : d’une thématique à une problématique professionnelle

Dans le premier entretien, Sébastien aborde les thématiques relevant d’aspects didactiques et organisationnels de la classe qu’il dit bien assumer, « tout va bien » est l’expression qui revient fréquemment. Il accorde une grande importance à la relation avec les élèves dans cette classe spécialisée :

« alors pour ce stage/ (…) depuis le début je me suis senti très bien parce que c’est vrai dès le moment de l’observation enfin quand je suis passé voir un peu les élèves de la classe (…) j’ai déjà pu me faire une idée (…) en plus ensuite j’ai pu discuter avec T un peu de ce qu’on prévoyait/ de ce qu’elle prévoyait et puis elle m’a un peu expliqué comment cela se passait/ j’ai découvert la classe/ et c’est vrai que ça m’a vite mis à l’aise (…) j’ai eu un temps d’adaptation et puis je pense que je l’ai toujours (…) en fonction des élèves/ du rythme surtout (…) de chacun/ c’est vrai que c’est une question que je me suis posée dès le départ (…) de savoir comment je vais adapter ce que j’ai fait par rapport à leur rythme »

ETF, 18-39

D’après sa T, c’est cette relation professionnelle, reconnaissant à chaque élève ses capacités et ses potentialités, qui définit la gestion de la classe et des apprentissages (des rythmes et de l’autonomie notamment) que Sébastien a su instaurer dans cette classe. Il mentionne certains de ses acquis, de ses savoirs professionnels déjà là. Martine commence un questionnement plus profond pour définir d’où lui viennent ses acquis. Le début de l’entretien est marqué, d’un côté, par sa volonté de dépasser le discours profane de Sébastien « c’est naturel chez moi » et de le guider vers des éléments de réflexion qui lui permettent de reconstruire son parcours et la genèse de ses savoirs professionnels sur la base d’une analyse des exemples concrets. De son côté, Zoé fournit des éléments d’exemplification, d’illustration de ce que Sébastien sait et fait afin d’assumer si bien son rôle d’enseignant. Elle complète son discours par ses propres observations en classe. Son expression « moi je sais pourquoi » marque sa volonté d’aider Sébastien : elle l’a vu fonctionner et essaie de fournir des exemples concrets tirés de la pratique de l’EF. Martine poursuit son objectif d’approfondir et de questionner la vision initiale de Sébastien sur ses propres compétences. Elle précise également ses attentes

«  donc c’est quoi ce naturel c’est quoi qui fait que vous avez pas besoin/ (…) quels sont vos points forts (…) moi je veux qu’il dise (…) pourquoi qu’il analyse (…) parce que vous allez pouvoir reproduire une fois (…) une fois que vous aurez conscientisé le truc »

ETF, 97-108

Lors de deuxième entretien, la problématique de Sébastien traite deux aspects principaux : d’un côté, son travail avec les élèves - la différenciation dans la classe spécialisée, sa mise en place et son sens pour lui et pour les élèves ; de l’autre côté, son parcours de formation, son devenir professionnel progressif à travers les stages et le sens qu’il donne aux autres expériences pédagogiques qu’il a vécues. Ses formatrices entrent en discussion et évaluent la présentation en soulignant les aspects nouveaux qui y apparaissent, surtout au niveau de la maitrise discursive de son exposé – un changement qu’elles attendaient et qui a fait l’objet de la discussion lors de l’entretien formatif. Cette transformation dans la construction du discours de l’EF fait partie des échanges évaluatifs entre les deux formatrices, impliquant néanmoins de temps à autre Sébastien. Martine se concentre sur l’exposé de l’EF, analyse en détail tous ses aspects en vue de l’évaluation certificative. Zoé quant à elle, se focalise sur les exemples concrets de l’action enseignante de l’EF au quotidien de la classe. Elle en donne également une excellente appréciation.

6.2.2 Interventions verbales : établissement et soutien de relations symétriques entre les partenaires

L’analyse des interventions verbales révèle un travail à trois sur les thématiques annoncées par Sébastien, permettant à ce dernier d’évoluer et de se rendre compte de ses propres capacités et de la richesse de son parcours. Les deux formatrices se mettent à disposition de l’EF en amenant des éléments nécessaires à son développement : Zoé de sa position de T, partageant avec Sébastien la vie de la classe ; Martine en étant attentive aux manières d’analyser la pratique de l’EF.

Martine et Zoé interviennent en duo, l’une complétant les propos de l’autre afin d’évaluer, valoriser et valider le travail accompli par Sébastien.

Martine écoute attentivement Sébastien et Zoé au début de l’entretien formatif et décèle assez vite une évidence : il n’est pas aisé pour l’EF de parler de ses points forts, de ses réussites, des origines de ses savoirs professionnels qui se remarquent sur le terrain. Elle questionne donc Sébastien afin de lui faciliter la mise en mot de ses savoirs professionnels déjà construits et de mener une réflexion plus approfondie sur les origines de ses capacités « d’où viennent-elles ? ». Elle l’incite à développer ses propos et l’encourage à mieux expliquer les activités qu’il a fait, la planification qu’il a construit et sa gestion de la classe. Martine insiste beaucoup pour que Sébastien décortique sa pratique en donnant des exemples concrets pour, au final, lui permettre de se rendre compte de tous les aspects qui contribuent à la construction de son enseignement.

Zoé confirme et souligne l’importance des éléments mis en place par Sébastien : l’établissement de la relation avec des élèves leur permettant d’avancer, la gestion des situations difficiles avec tact et exactitude. Elle donne des exemples concrets tirés de la pratique de l’EF en stage et interpelle Sébastien pour qu’il raconte lui-même les situations significatives ou les évènements vécus en classe. Elle lui donne le rôle principal dans ce compte rendu adressé à Martine.

Lors de l’entretien certificatif, Martine valide d’abord l’exposé de Sébastien en exclamant « wow », mais elle laisse la place à sa collègue, Zoé, pour qu’elle puisse en faire le premier commentaire. Les deux formatrices partagent une excellente appréciation de la présentation de l’EF qui démontre une intégration des apports de la formation et de la pratique, donnant sens à l’expérience de stage. Toutes les deux remarquent un changement qualitatif dans le discours réflexif de Sébastien, l’apprécient, le valorisent. Un phénomène intéressant se produit entre les deux formatrices : l’une reprend la parole de l’autre afin de l’appuyer, donner son accord, apporter une précision de son point de vue de formatrice de terrain ou de l’université, mais les deux locutrices vont toujours dans le même sens. En voici un exemple :

« T : ben moi j›trouve excellent fin l›analyse fin je vois vraiment une différence entre la tripartite qu›on a eu formative et aujourd›hui/ je trouve qu›il y a quelque chose que se construit vraiment (…)

S : moi j›ai le même sentiment/ mais je crois qu›on a franchi alors (…) qu›il y a un changement qualitatif dans la manière de parler la pratique entre ce que vous avez dit à la tripartite intermédiaire »

ETC, 136-149

Dans la discussion qui suit, Martine intervient souvent pour demander des précisions, elle reformule ce qui est dit, valide et renforce les dires de Sébastien, l’évalue, le félicite. Zoé dans son évaluation positive valide avant tout les actions menées en classe auprès de ses élèves qui sont devenus lors du stage également des élèves de Sébastien. Elle met en évidence les savoirs professionnels de l’EF, son analyse, sa capacité à faire face aux situations complexes avec les élèves. Elle l’interpelle et l’inclut toujours dans la discussion.

6.2.3 Rôles pris et attribués

Lors de l’entretien formatif, Martine prend au début le rôle de garante du cadre, mais très vite elle passe vers le rôle de formatrice, conseillère, ensuite dans la discussion alimentée par les exemples de classe fournis par Zoé, elle adopte le rôle de collègue et enseignante. Zoé se place comme enseignante, mais aussi comme collègue de Sébastien, une collègue un peu plus expérimentée qui le guide dans la mise en place des enseignements dans sa classe, en lui apportant les éléments nécessaires pour qu’il puisse y fonctionner. Elle se met à sa disposition, l’accompagne et le forme en observant comment Sébastien se débrouille. L’EF prend la place d’un enseignant, bien qu’au moment de l’entretien son discours est hésitant, il cherche ses arguments et ses réponses et passe fréquemment la parole à Zoé qui donne des exemples de ce qu’il a réussi à installer comme dispositif.

Les deux formatrices reconnaissent Sébastien comme enseignant ou futur enseignant capable et sachant mettre en mots ses savoirs professionnels. Zoé affirme : « il y a pleines de choses qui font que tu leur fais faire des liens et ça moi je trouve que dans une classe spécialisée c’est juste euh/// primordiale (…) et puis (…) tu as la place pour chacun (…) ».

Quant à Martine, elle intervient sur ces exemples, en questionnant l’origine des capacités de Sébastien, comment et par quelles expériences il les a construits. Cette manière de se compléter l’une l’autre induit une co-construction à trois lors de cet entretien.

Lors de l’entretien certificatif, Martine prend davantage le rôle d’évaluatrice que de formatrice et, par moments, elle devient une garante du cadre en faisant avancer l’entretien, en distribuant les tours de parole, en gérant le temps. Zoé se positionne comme formatrice et évaluatrice du travail accompli par Sébastien. Les deux formatrices continuent de se compléter, elles reconnaissent le rôle d’enseignant à Sébastien et lui-même l’assume cette fois-ci dans son discours qui devient plus affirmé. Voici Martine intervenant après le commentaire de Zoé qui résume la complémentarité entre les deux formatrices :

« S : (à Zoé) je trouve très intéressant que ce soit vous qui le disiez et pas moi (…) (à Sébastien) qu’il y a un changement qualitatif dans la manière de parler la pratique entre ce que vous avez dit à la tripartite intermédiaire (…) pour moi vous êtes EXACTEMENT là où on a envie d’amener les étudiants à la fin d’une formation (…) »

ETC, 145-245

Zoé rajoute à cette intervention de Martine : « c›est comme si il y avait tout/ (…) il y a toutes les connections ».

6.2.4 Rapport des places

Le rapport de places lors de l’entretien formatif devient rapidement symétrique dans le discours centré sur ce que Sébastien peut encore améliorer dans sa pratique ou dans l’exercice de l’analyse de celle-ci. Chaque interlocuteur est écouté, chacun occupe une place de partenaire d’une discussion visant l’établissement négocié des objectifs ainsi que des régulations possibles pour la suite du stage.

Lors de l’entretien certificatif, les deux formatrices entretiennent ce rapport symétrique et essayent d’accorder le plus de place possible à Sébastien dans leurs évaluations. L’EF prend la parole avec plus d’aisance en se positionnant en tant que professionnel débutant et futur collègue de Zoé.

Conclusion : Intervenir pour accompagner

Le dispositif genevois d’encadrement des stages donne une place complémentaire aux deux formateurs, une place qui n’est pas évidente à prendre et à assumer. Nous avons montré deux cas des EFs, deux situations différentes incluant des préoccupations et des acteurs différents. Résumons nos résultats brièvement.

Lors de ses entretiens de stage, Annabelle arrive à construire dans son discours la place d’enseignante à laquelle elle aspirait. Cette évolution est certainement due à l’appui, à la reconnaissance et à la valorisation de ses dires par Martine lors de l’entretien formatif, mais également au changement opéré par Clara. La T essaye de changer sa posture face à Annabelle, d’ouvrir les possibilités pour celle-ci de réaliser ses idées en classe. Elle développe sa posture de formatrice, dans le sens de De Ketele (2014) qui considère que dans l’accompagnement la rencontre change et l’accompagné et l’accompagnateur. Dans le cas de Clara, ce changement concerne sa conception de l’accompagnement formatif en stage, la prise en compte des besoins et des capacités de l’accompagnée qu’elle a peut-être trop vite mise de côté en préparant elle-même des leçons en début du stage.

Concernant les deux entretiens de Sébastien, les formatrices se centrent sur les préoccupations de l’EF. Ce tissage à trois, où Sébastien est incité à s’exprimer, permet lors du premier entretien de déceler les lacunes dans cette compétence discursive difficile à saisir pour l’EF : « mettre en mots ses savoirs professionnels ». Les principales suggestions d’améliorations concernent cet aspect discursif encore à développer. Ses formatrices par leur accompagnement et leur questionnement ont su provoquer le déplacement important : Sébastien étudiant-stagiaire utilisant le discours académique lors du premier entretien et se « cachant » derrière les possibles imperfections et hésitations se transforme en un professionnel assumé qui met les concepts au service de l’analyse de sa pratique (Dobrowolska et al., 2016).

L’accompagnement des EFs est un travail complexe pour les formateurs qui doivent constamment s’adapter à des situations et des contextes différents. Dans les cas présentés ici, nous avons relevé le rôle très important de la S en tant que facilitatrice du dialogue à trois, grâce à qui, tous les participants de la conversation trouvent leurs places et les préoccupations de l’EF restent au centre d’échanges. Martine prend fréquemment le rôle de garante du cadre afin de gérer le déroulement de l’entretien, rester focaliser sur la préoccupation de l’EF et distribuer la parole de manière équilibrée. De ce fait, la S a à jouer un rôle d’accompagnatrice à double titre, celle des EFs mais aussi parfois celle des tuteurs, qui prennent parfois trop de place et ne permettent pas aux stagiaires de prendre la responsabilité de la classe en voulant garder son contrôle, ou qui veulent expliquer ou dire à la place de l’EF en ne lui laissant pas assez de temps pour réfléchir et raconter les exemples concrets de sa pratique. Nos analyses démontrent que Martine essaye toujours de comprendre la situation et le rapport de places entre l’EF et son tuteur avant d’intervenir. Souvent elle s’allie avec les Ts, si la situation le permet (comme dans le cas de Sébastien), elle accompagne et renforce la relation qui s’établit entre la T et l’EF dans le sens de compagnonnage. La reconnaissance et la valeur données à l’autre permettent de « cheminer avec » (Vial & Caparros-Mencacci, 2007) comme le font Martine et Zoé auprès de Sébastien.

Le contexte institutionnel demande à la S d’adopter le rôle d’évaluatrice une fois dans une visée formative, une autre fois certificative. Cela est d’autant plus important que la S peut créer les opportunités d’apprentissage et de développement professionnel pour les EFs.

Le dispositif prône la responsabilité partagée entre les deux formateurs concernant les progrès des EFs et leur évaluation. On voit que cette évaluation dépend fortement de la reconnaissance de la place de l’EF, de son autonomie qui se négocie sur plusieurs niveaux, comme le relève le cas d’Annabelle. La comparaison entre les entretiens formatifs et certificatifs, nous amène à la conclusion qu’il ne s’agit pas d’une rupture d’un entretien à l’autre, comme on pourrait supposer à cause de la certification, mais plus d’une continuité tant sur le plan des contenus abordés que concernant les manières d’intervenir des formateurs auprès des stagiaires. On voit également un vrai développement des EFs quant à leur manière de réfléchir et à la mise en discours de leur pratique.

Dans les perspectives de cette recherche, il serait intéressant de se pencher plus sur les entretiens formatifs. Pendant ces entretiens les formateurs ont la possibilité de questionner l’EF sur diverses thématiques que ce dernier annonce lui-même ou lui en proposer d’autres, dans le but de vérifier ce qui doit être travaillé en priorité, ou – encore - déceler des lacunes et lui permettre de les travailler. Ces entretiens dépassent largement les discussions « libres ». C’est là où se négocient les régulations à mettre en place, c’est là où l’EF se confronte aux regards croisés de ses formateurs, c’est là où il doit s’exercer à décrire ses compétences déjà là ou en émergence, c’est là aussi où se discute les sujets susceptibles de devenir une problématique pour l’exposé certificatif. Autant d’enjeux de formation se jouent en ce moment et en complémentarité (tant que possible) entre les deux formateurs. La médiation des formateurs est donc centrale dans le développement des savoirs professionnels des enseignants en devenir.