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Introduction

À l’Université de Genève, un institut universitaire de formation des enseignants (IUFE) a pris en charge - dès 2008 - la formation des enseignants secondaires, visant une formation universitaire post-master disciplinaire sur deux ans « de haut niveau. Intégrant une composante scientifique approfondie ajustée sur des renouvellements récents des champs disciplinaires de référence de la profession pour contribuer à la qualification de celle-ci » (Hofstetter & Schneuwly, 2009, p. 2-3), elle oeuvre ainsi à la professionnalisation des futurs enseignants. De 2008 à 2011, deux statuts différents d’étudiants en formation professionnelle initiale coexistent : certains suivent les cours à l’IUFE tout en étant enseignants à mi-temps dans un établissement secondaire genevois, d’autres finissent leur master disciplinaire dans une faculté et commencent, en parallèle, leur formation professionnelle à l’IUFE.

L’IUFE offre en première année une unité de formation d’introduction générale à la profession enseignante explorant les multiples facettes du travail enseignant et ses différentes composantes. Dans ce cadre, nous nous intéressons aux représentations des étudiants des deux statuts à propos de leur futur métier. Nous faisons le pari qu’une unité de formation centrée sur la profession enseignante et ses savoirs constitutifs permet d’initier la construction d’une identité professionnelle déjà en formation initiale. Cependant, la coexistence d’étudiants insérés ou non dans un collectif enseignant constitue, selon nous, un angle d’approche permettant de contraster, sur la base d’indicateurs définis au préalable, le processus de construction de l’identité professionnelle qui pourrait être initiée, non seulement par le choc du terrain, mais également en formation au travers de la découverte et de l’appropriation des savoirs constitutifs de la profession.

Dans le cadre de cette unité de formation, nous avons fait émerger les attentes des étudiants à l’égard de la formation et avons pu inférer certaines de leurs représentations à propos des tâches et des rôles de l’enseignant, mais aussi des devoirs et des responsabilités inhérents au métier. Les données empiriques provoquées (Van der Maren, 1999) permettent de mettre en évidence d’éventuels déplacements d’attitudes et d’opinions des étudiants en fonction de leur statut en emploi ou hors-emploi, ces déplacements étant liés, selon nous,- à un processus de professionnalisation.

Pour cerner l’impact de la formation professionnelle initiale sur la construction de l’identité professionnelle des enseignants, nous décrivons d’abord le contexte et l’unité de formation dans le cadre de laquelle des données empiriques ont été recueillies, puis nous analysons les réponses des étudiants, tant en ce qui concerne leurs attentes que leur adhésion ou leur désaccord vis-à-vis d’une grille d’assertions à propos de la profession. Nous nous focalisons sur la troisième volée, les données précédentes servant de point de comparaison permettant de renforcer ou au contraire de nuancer les résultats obtenus. Les réponses à la grille nous permettent d’inférer les représentations des étudiants.

Notre intérêt, qui porte plus spécifiquement sur les attentes et sur les réponses à la grille en fonction du statut particulier des étudiants en emploi ou hors emploi, nous amène à cerner d’éventuelles représentations-types ante, à savoir des représentations qui existent déjà à l’entrée en formation initiale. Nous comparons ensuite ces réponses ante avec les réponses-post (en fin de première année de formation), dans le but de mettre en évidence l’évolution des représentations inférées en fonction de leur statut.

II. Contexte de formation et unité de formation sur la profession enseignante

L’unité de formation d’introduction à la profession enseignante s’adresse à des étudiants issus de disciplines différentes et répartis dans plusieurs groupes interdisciplinaires, en principe, selon la distinction en emploi et hors emploi. Les étudiants en emploi sont déjà engagés dans les établissements de la première et de la deuxième année du secondaire. Les autres, qu’ils aient achevé ou non leur master, sont étudiants à l’IUFE avec pour certains une connaissance du terrain sous forme de remplacements, pour d’autres aucune expérience du terrain. Pour les besoins de notre recherche, nous partons des données administratives qui nous ont été fournies pour considérer les étudiants comme en emploi ou hors emploi, qu’ils effectuent des remplacements ou non. Le recueil de données a été conduit sur trois années consécutives avec un total de dix groupes d’étudiants, six groupes en emploi et quatre hors- emploi : la première année, 100% des étudiants sont en emploi, la deuxième année, 62% et la troisième année, 45%.

Les objets d’étude de cette unité de formation sont d’abord les savoirs institutionnels et les prescriptions de la profession, travaillés à partir de documents de référence de la profession : la Loi cantonale sur l’instruction publique (LIP), la Déclaration intercantonale de la CIIP (2003) posant les principes de l’éducation publique, les différents règlements de l’enseignement secondaire et des établissements scolaires ; ensuite, des savoirs issus des sciences de l’éducation, en particulier les questions de gestion de classe, d’autorité, de motivation ; enfin, un certain nombre de concepts didactiques tels que la transposition didactique ou le triangle didactique. Parallèlement, la profession enseignante est étudiée, notamment du point de vue de son attractivité, à travers divers articles scientifiques et enquêtes, dans le but de mener une réflexion sur les caractéristiques de la profession dans laquelle les étudiants sont désireux de s’engager. En outre, il convient de relever que pour la dernière volée, quelques séances ont été consacrées aux questions relevant de la déontologie professionnelle avec à l’appui l’analyse d’articles, d’exemples de chartes de déontologie déjà existantes et les cahiers des charges des enseignants. Enfin, précisons que ces savoirs sont travaillés par le biais de lectures et de discussions autour d’articles développant telle ou telle question, au moyen d’analyses de cas, mais aussi de discussions thématiques à partir des expériences des uns ou des autres sur le terrain (classes en responsabilité, remplacements, stages), voire en s’appuyant sur des analyses d’extraits de leçons filmées.

1. Cadrage théorique

1.1 Les savoirs de référence et les savoirs professionnels

La question des savoirs de référence de la profession enseignante déclenche un débat. En effet, les savoirs constitutifs de celle-ci sont multiples, non seulement dans les dénominations, mais aussi du point de vue des contenus : savoirs à enseigner, savoirs pour enseigner, savoirs des disciplines de référence, savoirs expérientiels, savoirs d’action, savoirs didactiques, savoirs des sciences de l’éducation, etc. Si la plupart des auteurs s’accordent sur le fait que la professionnalisation de l’enseignant passe par l’acquisition de ces savoirs, ils n’ont pas la même conception du processus de professionnalisation : pour les uns, celle-ci passe avant tout par l’acquisition de savoirs formaliséset, pour les autres, elle découle d’une construction personnelle liée à l’expérience qui s’enrichit des savoirs formalisés (Hofstetter & Schneuwly, 2009).

Selon Tardif, Lessard & Lahaye (1991), les savoirs de la profession proviennent de diverses sources, sont de nature différente et peuvent parfois se renforcer ou s’opposer. Ces chercheurs citent d’abord les savoirs disciplinaires, qui constituent dans certains cas des transpositions des savoirs académiques savants, dans d’autres des transpositions de pratiques sociales de référence. En deuxième lieu, les enseignants doivent connaître les savoirs curriculaires : « Ces derniers correspondent aux discours, objectifs, contenus et méthodes à partir desquels l’institution scolaire catégorise et présente les savoirs sociaux qu’elle a définis et sélectionnés comme modèle de la culture savante et de la formation à la culture savante. Ces savoirs se présentent concrètement sous la forme de programmes scolaires (objectifs, contenus, méthodes) que les enseignants doivent apprendre et appliquer » (p. 59). En troisième lieu, les enseignants ont à leur disposition un certain nombre de connaissances issues de la pédagogie et des sciences de l’éducation que ces auteurs appellent les savoirs professionnels. Cependant, pour ces chercheurs, ces savoirs - non produits par les enseignants eux-mêmes - ne sont pas propres à ce corps professionnel. Les enseignants accordent plutôt un statut privilégié aux savoirs « issus de l’expérience et validés par elle » (p. 60) à partir de leur pratique quotidienne sur le terrain et de la connaissance de leur milieu puisque ces derniers constituent « les fondements de la pratique du métier et de la compétence professionnelle » (p. 56). En effet, comme ils les produisent eux-mêmes et se les transmettent entre pairs, ces savoirs contribuent à leur professionnalisation dans la mesure où, selon Bourdoncle (2000), un corps professionnel régit lui-même la transmission de ses savoirs propres.

Si pour Tardif et al., les savoirs professionnels sont ceux qui sont transmis par les instituts de formation, pour Vanhulle (2009), les savoirs professionnels sont ceux qui s’élaborent dans une subjectivation des savoirs offerts en formation : cette subjectivation consiste dans une reconfiguration personnelle de multiples savoirs de référence, conseils des formateurs, prescriptions diverses, qui peuvent prendre forme et sens dans l’expérience singulière vécue sur le terrain et analysée par l’étudiant formé. Selon elle, l’appropriation de ces savoirs ne peut se réaliser que dans « la quête de logiques d’action ou logiques sur lesquelles se fondent des conceptions et une identification à la profession pour pouvoir exercer un agir que le sujet se représente comme acceptable pour soi et pour autrui » (Vanhulle, 2009, p. 249). L’étudiant filtre, transforme et formalise dans son « style » propre des savoirs qui lui paraissent dans un premier temps utiles et acceptables au vu de la réalité de sa classe et de son enseignement. Selon Lenoir et Vanhulle (2006), ces savoirs professionnels s’appuient sur des savoirs d’action initialement informels, qu’il leur est demandé de mettre en discours. Mais, par leur ancrage dans les références offertes en formation, ces savoirs contribuent à leur manière à formater les actions du jeune enseignant à travers des médiations formatives diverses : compagnonnage réflexif, modélisation, ou processus centrés sur l’imitation et la conformisation. Autrement dit, la formation en tant que lieu d’articulation entre théorie et pratique suscitant des mises en discours des savoirs professionnels en voie de construction peut contribuer à la professionnalisation des enseignants en formation.

Face à l’imbrication de ces savoirs de référence multiples, les institutions universitaires de formation chargées de les transmettre ne manquent pas de s’interroger sur leurs différents statuts et sur la meilleure façon de permettre aux étudiants de se les approprier.

1.2. Les représentations du métier

Au début de leur formation initiale, les étudiants ont déjà des représentations sur l’école, le métier et les missions éducatives, représentations forgées à travers leur parcours scolaire et d’éventuelles expériences professionnelles enseignantes. Mais que met-on derrière le concept de représentation ? Quelle définition retenir pour cette recherche ?

Selon Sallabery (1996), quand le sujet élabore des représentations nouvelles « ces dernières sont influencées, dans leur élaboration même, par les représentations déjà instituées». En outre, pour cet auteur, la dynamique d’un groupe est « susceptible d’aider les sujets à changer, donc [à] modifier leurs représentations ». Par conséquent, les représentations du métier telles qu’elles existent à l’entrée en formation constituent un point de départ essentiel pour comprendre de quelle manière l’identité professionnelle commence à se construire dans le cadre de séminaires universitaires interactifs. Même si, selon Pfeuti (1996), il n’existe pas de « consensus sur la nature exacte de la représentation, ainsi, par exemple, Abric y voit ‘un processus d’activité mentale’; Jodelet, ‘une forme de pensée générale’ et Moscovici, ‘des systèmes cognitifs qui ont une logique, et un langage particulier’ » (Pfeuti, 1996 : 3, citée par Mugnier, 2006, p. 114).

La théorie des représentations sociales est issue de Durkheim qui, à la fin du XIXe siècle, a élaboré le concept de représentations collectives par opposition aux représentations individuelles. Elle a été ensuite explorée, dès 1961, par Moscovici qui a défini trois dimensions principales de la représentation sociale : l’image, l’attitude et l’opinion. D’autres sociologues comme Bourdieu (1982), Jodelet (1984), et Abric (1994) ont étudié l’impact des représentations sur les pratiques. Comme le précise Jodelet (1994), « l’ensemble de la communauté scientifique s’accorde pour dire qu’une [représentation sociale] est une forme de connaissance, socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la construction d’une réalité commune à un ensemble social » (Jodelet, 1994 cité, par Mugnier, 2006, p.114), Ces représentations constituent un processus par lequel les personnes, en reconstruisant la réalité, lui donnent sens et produisent un savoir social qui influence la nature des relations entre personnes et entre groupes. Ces représentations sont largement dépendantes des croyances et des expériences des personnes qui les élaborent. Toutefois, l’appartenance à un collectif est un facteur qui détermine la construction d’un savoir de sens commun. Selon Moscovici (1961), la spécificité de la représentation sociale réside dans le fait qu’elle est produite et partagée collectivement et peut ainsi constituer une grille de lecture qui témoigne d’un groupe et le définit, tout en organisant l’environnement de ce groupe ainsi que ses communications et ses conduites.

Les deux processus présents dans l’élaboration et le fonctionnement des représentations sociales, objectivation et ancrage, mis en évidence par Moscovici (1961, cité par Mugnier, 2006, p.115), montrent conjointement comment le social peut modifier une information ou un événement en représentation et comment cette représentation transforme à son tour le social (Pfeuti, 1996, citée par Mugnier, 2006, p.115). Cette double transformation témoigne de l’importance des interactions sociales. Les représentations procèdent donc à la fois d’une dimension collective, puisque partagées par un groupe tissant ainsi un lien social, et d’une dimension individuelle singulière dans la mesure où elles sont issues d’une « symbolisation de l’objet et de son interprétation par le sujet » renforçant le lien entre l’objet et l’individu (Jodelet, 1984, cité par Mugnier, 2006, p.115).

Quant au lien entre représentations sociales et fonction identitaire, nous nous appuyons sur les multiples fonctions des représentations sociales à la suite de Jodelet (1994) et de Pfeuti (1996) pour qui la représentation semble assurer une orientation des conduites et peut justifier ainsi certains comportements et prises de position et renforcer l’identité des groupes. C’est pourquoi, la finalité des représentations sociales touche à l’identité en cela qu’elles sont un des éléments qui peut la façonner en rendant compte d’une identité sociale et personnelle, c’est-à-dire compatible avec le « système de normes et de valeurs socialement et historiquement déterminées » (Mugny & Curagati, 1983, cités par Mugnier, 2006, p.117).

En ce qui concerne la profession enseignante, celle-ci subit des attentes sociales contradictoires sous la pression d’instances diverses promouvant des réformes institutionnelles ou élaborant des prescriptions dans le but d’améliorer l’école, et ce, malgré la résistance d’une partie du corps professionnel. Le concept de sédimentation, développé notamment par le GRAFE[1] (Schneuwly & Dolz, 2009), est un concept didactique qui désigne le fait que les nouveaux modes de penser et d’agir ne remplacent pas les anciens, construits historiquement, mais se superposent à ceux-ci, dans la mesure où les anciens résistent à l’innovation et aux apports de la recherche en éducation. Dans ce contexte, le concept de sédimentation peut être élargi aux représentations sociales. L’enseignant novice est déjà imprégné par des représentations sociales de la profession ; celles-ci, loin d’être effacées par de nouvelles représentations de la profession, se sédimentent : « les étudiants ont eux-mêmes un passé social et scolaire dans lequel leurs représentations de l’école et de l’éducation scolaire se sont sédimentées. Les acquis de la formation scientifique peuvent entrer en contradiction avec ces cadres » (Vanhulle, 2009, p. 249).

Dans les instituts de formation, c’est à travers les échanges et les interactions sociales entre pairs que les représentations de l’école et de l’éducation, des tâches et rôles de l’enseignant vont être débattues afin de mieux cerner de quelle manière « des attentes et des représentations sociales, des connaissances de sens commun, des traces de trajectoires personnelles, divers implicites, affectent le processus de construction identitaire et l’usage même des savoirs proposés à l’université » (Vanhulle, 2009, p.246).

1.3. L’identité professionnelle

En ce qui concerne la construction de l’identité professionnelle des enseignants, Ayraud & Guilbert (2000), se plaçant dans une approche sociologique de l’identité, montrent que les futurs enseignants construisent leur identité professionnelle avec des références temporelles ou spatiales. Les premiers s’appuient sur la singularité de leur histoire personnelle pour construire leur identité d’enseignant, en se distanciant du groupe de pairs et en montrant un plus grand intérêt pour les contenus théoriques de la formation. Les seconds recherchent des valeurs collectives, privilégient un apprentissage par la pratique et élaborent leur identité professionnelle en interaction avec les autres acteurs, considérant les apports théoriques comme peu pertinents ou moins efficaces. En formation, on constate que, selon leur « type », certains étudiants se sentent plus à l’aise en s’appuyant sur un cadre théorique, alors que d’autres privilégient les échanges entre pairs. Toutefois, le fait d’être ou non en emploi peut venir renforcer la tendance initiale et joue un rôle dans la construction identitaire.

Pour sa part, Riopel (2006) rappelle que la dimension sociale de l’identité renvoie à la notion d’appartenance à une communauté. Cette dimension met en évidence l’impact du groupe sur l’individu et l’intériorisation par celui-ci de normes et de modèles sociaux de la profession. Ainsi, le processus d’identification correspond non seulement à des connaissances et compétences communes, mais aussi à l’adoption d’un système de normes, de codes et de manières de faire légitimés par le groupe d’appartenance. Si cette dimension sociale de l’identité se définit par le «nous», l’identité psychologique s’exprime en «je» et s’appuie sur la singularisation de l’individu. Lors d’une formation professionnelle, la présence simultanée de ces deux dimensions de l’identité est essentielle pour que celui qui exerce le métier reste lui-même alors qu’il assume son rôle professionnel. Riopel (2006) souligne la nécessité de tenir compte des différences individuelles des sujets, de leurs besoins et intérêts. Le dispositif de formation doit aussi prévoir des occasions où l’étudiant puisse s’identifier à la profession et à ses membres. Une autre piste pour la construction de cette identité est, selon cette auteure, la spécification des savoirs propres et nécessaires à la réalisation de l’activité enseignante. Ainsi, un accent doit être mis sur la dimension interactive de ces savoirs, qui s’actualisent dans des savoirs-être plutôt que dans des « trucs pédagogiques » décontextualisés. Elle considère qu’il est possible de détecter les premières manifestations identitaires en cours de formation initiale, car la construction de l’identité professionnelle et l’appropriation des savoirs professionnels sont influencées par le propre passé scolaire des étudiants, comme le montrent Wentzel, Akkari, & Changkakoti (2008).

Cattonar (2006) & Maroy & Cattonar (2002), qui s’intéressent à la formation des enseignants en Belgique, montrent que l’identité professionnelle se construit essentiellement une fois en action sur le terrain. En effet, l’identité enseignante est une identité spécifique, résultat d’une socialisation professionnelle lors de laquelle les enseignants adoptent les règles, les normes et les valeurs professionnelles qui caractérisent le groupe. Cette identité professionnelle est à la fois une construction singulière liée à l’histoire personnelle et aux multiples appartenances sociales de chacun et un processus relationnel de différenciation et d’identification à autrui. Ils considèrent que la formation, sans contact avec l’emploi, ne peut donner qu’une image incomplète des différentes contraintes auxquelles l’enseignant est soumis et des compétences dont il devra faire preuve pour remplir son mandat : à côté de la noble tâche de transmission de savoirs, l’enseignant débutant se voit contraint d’accomplir, dans une proportion variable selon le type d’établissement, le « sale boulot », celui de la gestion des groupes d’élèves et même de leur éducation et socialisation. Leurs recherches semblent montrer en creux que la formation des enseignants du secondaire n’atteint pas son but, puisqu’elle ne prépare pas ceux qu’elle forme à la réalité qu’ils ne découvrent qu’une fois sur le terrain.

1.4 La déontologie comme posture professionnalisante du métier

Partant du point de vue des professionnels, Dubar (2000) considère que les « identités professionnelles sont des manières socialement reconnues, pour les individus, de s’identifier les uns les autres, dans le champ du travail et de l’emploi » (p. 95). Or, selon ce sociologue, dans le domaine du travail, on parle de crise des identités professionnelles depuis trente ans. En effet, les identités de métier supposent, pour se reproduire, une relative stabilité des règles qui les sous-tendent et des communautés qui les soutiennent, alors que les transformations du travail vont dans le sens d’une valorisation grandissante de la responsabilité individuelle et des compétences personnelles.

Pour faire face à cette crise et la dépasser, plusieurs chercheurs avancent la nécessité de développer une éthique professionnelle. Leur optique est d’inscrire la profession dans la perspective de l’individualisme démocratique contemporain qui l’incite de fait à se professionnaliser en se référant aux modèles que sont les professions libérales de médecin et d’avocat (Kahn, 2006).

Parler d’éthique ou de morale pour la profession enseignante (les deux termes pouvant être pris ici comme des synonymes), c’est d’abord, dans une dimension axiologique, réfléchir aux valeurs qui sous-tendent le travail de l’enseignant comme l’égalité de traitement entre les élèves, l’absence de discrimination ou encore le postulat d’éducabilité qui consiste à croire en les capacités qu’a chacun de bénéficier de l’éducation et de l’instruction scolaire. C’est ensuite, dans une dimension déontologique, réfléchir aux normes qui définissent les obligations concrètes auxquelles est soumis l’enseignant, normes qui devraient être définies et regroupées, selon certains chercheurs comme Prairat (2009), dans une charte de déontologie qui aurait pour but de faciliter l’engagement et la prise de décision des enseignants en mettant en place un socle commun de règles, de recommandations et de procédures.

La déontologie, notion relativement nouvelle dans la profession enseignante, relève de l’éthique appliquée. Elle a pour objet d’ « inventorier les règles et recommandations qui s’adressent à un professionnel dans l’exercice de sa tâche » (Prairat, 2009, p.43), dans un contexte sociétal où le juridique commence à prendre de plus en plus d’ampleur. Autrement dit, une déontologie a comme fonction l’organisation d’un groupe de professionnels par la mise en place de points de repères qui leur permettent de s’orienter dans des contextes de travail qui deviennent toujours plus flous et sujets à contestations. Sans fixer de standards, elle a pour but de proposer des critères socioéthiques permettant d’entériner ou au contraire d’exclure telles ou telles pratiques. En cela, elle participe donc à la définition – ou à la redéfinition – d’une identité professionnelle « en précisant, par-delà la spécificité d’un champ d’activités, l’ontologie d’une pratique » (p.43) et en prenant en compte les changements survenus dans la société et dans l’exercice du métier d’enseignant.

À l’instar de Prairat, Moreau (2009) considère qu’une déontologie professionnelle ne saurait être imposée par une autorité extérieure au corpsmême de la profession, dans la mesure où cela ferait « régresser la professionnalité au rang de l’exercice contraint et encadré d’un métier » (Moreau, 2009, p. 365) qui finirait par se réduire à des actions routinières acquises par intériorisation de modèles. Au contraire, dans la mesure où une éthique professionnelle ne peut être le résultat que d’une délibération de l’ « agent moral » avec soi-même et avec les autres acteurs de l’action éducative, une déontologie professionnelle doit être élaborée par les agents mêmes de la profession.

Ainsi Moreau (2009), considérant que l’éthique professionnelle est un des enjeux essentiels de la formation professionnelle initiale des enseignants, défend l’idée d’une formation reposant dans la mise à disposition pour les enseignants en formation d’un certain nombre de concepts et d’outils permettant la problématisation éthique de leur praxis, tout en évitant les tentations prescriptives d’une déontologie qui serait imposée de l’extérieur.

2. Problématique et hypothèses

À partir de ce cadrage théorique, nous postulons d’abord que le métier d’enseignant se construit à partir d’un substrat existant de représentations trouvant parfois leur origine dans le propre parcours scolaire des futurs enseignants, mais surtout en lien avec les représentations sociales du métier et dans l’interaction avec autrui. En effet, nous avons montré (Pellanda Dieci, Weiss & Monnier, 2012) que le fait de faire émerger les représentations sociales et d’en débattre avec les étudiants permet d’affiner leur regard sur le métier et, en conséquence, participe à la construction de leur identité professionnelle. Nous postulons ensuite, dans la ligne de Vanhulle (2009), que les savoirs professionnels sont ceux qui s’élaborent par une reconfiguration personnelle des savoirs apportés par la formation et des savoirs construits sur le terrain.

En ce qui concerne la construction de l’identité professionnelle des étudiants en emploi, selon Riopel (2006), et en nuançant Cattonar (2006), nous pensons que la formation peut jouer un rôle de catalyseur. Plus précisément, il nous semble que, si le choc du terrain constitue un magnifique accélérateur du point de vue de l’identification au contexte local, qui passe entre autres par l’adoption d’un système de normes et manières de faire légitimées par le groupe d’appartenance, la possibilité de réfléchir, en formation, à l’aide d’un certain nombre de concepts théoriques, sur les savoirs de la profession, participe à la professionnalisation. Être un professionnel, c’est s’identifier au collectif professionnel, mais c’est aussi être capable d’identisation, c’est-à-dire d’une intégration qui laisse place à la personnalité individuelle, aux savoirs et aux valeurs propres, afin de se reconnaître dans la profession sans se confondre au modèle-type. C’est pour un enseignant détenir une certaine autonomie et assumer des responsabilités dans l’exercice de son métier (Perrenoud, 1996). Autrement dit, un professionnel est capable de réflexion sur ses pratiques et de régulation tant individuelle que collective. Cependant, les étudiants en emploi, en même temps sur le terrain et en formation, vivent une double allégeance qui peut induire des tensions entre les contenus étudiés en formation et les savoirs assimilés in situ dans le cadre de l’établissement. Comment les aider à dépasser ces contradictions et à permettre à un lieu d’enrichir l’autre ? Ces étudiants sont-ils confortés dans une représentation très typée « terrain » avec une résistance plus forte aux apports de la formation ? Nous posons l’hypothèse que la formation peut aider ces étudiants en emploi à se construire une identité professionnelle qui, tout en prenant naissance sur le terrain, croît et se fortifie en formation par une prise en compte et une remise en cause des représentations sociales, les leurs et celles véhiculées par les collègues, dans le but de favoriser tout à la fois leur intégration au collectif de travail mais aussi leur identisation.

En revanche, la situation semble a priori différente pour les étudiants hors emploi. Ces derniers, sans contact avec le terrain, peuvent idéaliser le métier rendant ainsi plus difficile l’appropriation et l’intégration de savoirs et de postures liés à la profession. Cette représentation peut évoluer grâce au travail anticipatoire mené en formation mais reste déconnectée du terrain ; autrement dit, leur identité professionnelle naissante est fortement imprégnée de leur propre parcours académique et scolaire, de connaissances de sens commun sur le métier et de lectures théoriques desquelles les étudiants hors emploi tirent davantage profit. Quant aux étudiants qui effectuent des remplacements sans être titulaires de classes, il nous semble que leur statut précaire au sein des établissements rend leurs relations tant avec les élèves qu’avec les collègues peu représentatives de celles d’un enseignant formellement engagé. Pour les étudiants hors emploi, la formation peut contribuer à un début de construction de leur identité professionnelle si elle articule les questionnements du terrain avec les savoirs à et pour enseigner, les différentes postures enseignantes et l’identification des responsabilités inhérentes à la profession. Cependant, cet enjeu est terriblement difficile, car la contextualisation des savoirs de la profession, à l’aide d’études de cas, d’analyse de leçons filmées ou de discussions sur des situations vécues par certains d’entre eux, reste insuffisante pour ceux qui ont un répertoire limité d’expériences du terrain.

Comment le statut différent des étudiants influence-t-il la perception que ces derniers se font des tâches et du rôle de l’enseignant ? Quels sont les impacts respectifs de l’emploi et de la formation sur l’évolution de leurs représentations de la profession ? Nous posons l’hypothèse que le regroupement des étudiants en fonction de leur statut joue un rôle non négligeable dans l’évolution de leurs représentations à propos des tâches et des rôles de l’enseignant, de ses devoirs et responsabilités. Autrement dit, nous faisons l’hypothèse que l’évolution des représentations pour les deux statuts est différente. Les étudiants en emploi construiraient plutôt une identité contextuelle (Cattonar, 2006) dans une tension entre ce qu’ils vivent sur le terrain et ce qui est offert en formation initiale ; au contraire, les étudiants hors emploi auraient tendance à juxtaposer les savoirs acquis en formation par-dessus des représentations initiales qui, du coup, ne seraient pas ébranlées et se sédimenteraient davantage.

Enfin, la troisième hypothèse est que les étudiants, en fonction de leur statut, ont des attentes différentes vis-à-vis de la formation. Quels sont les besoins ressentis par les titulaires de classe en contact régulier avec des collègues enseignants chevronnés? L’analyse de leurs réponses ne montre-t-elle pas des préoccupations liées à la gestion des classes difficiles au sens du « sale boulot » décrit par Cattonar (2006) ? A contrario, les étudiants hors emploi, globalement dans une attitude plus académique, n’ont-ils pas des attentes plus diffuses, moins identifiables, liées à un regard plus théorique sur le métier, et qui concernent davantage le « vrai métier » selon Cattonar (2006) ?

3. Types de données et recueil du corpus

Deux types de données ont été recueillis par questionnaires dans le cadre de cette recherche.

  • Les réponses à un questionnaire portant sur leurs caractéristiques (disciplines de formation et d’enseignement ; remplacements effectués, le cas échéant types de classes dont ils ont la responsabilité à l’année – 1re ou 2e année du secondaire, filières scolaires – autres expériences professionnelles) et sur leurs attentes vis-à-vis de l’unité de formation du point de vue des contenus et des modalités de travail.

  • Les prises de position ante sur les tâches de l’enseignant à partir d’une grille de 30 assertions (ante : lors de la première séance de l’unité de formation).

  • Les prises de position post à partir des mêmes assertions (post : lors de la dernière séance de l’unité de formation).

Nous procédons ensuite de la façon suivante. En ce qui concerne les attentes, nous regroupons les réponses proches émanant des étudiants, d’une part sur les modalités de travail et, d’autre part, sur les contenus. À noter qu’un étudiant peut proposer plusieurs réponses qui sont toutes comptabilisées. Ces regroupements, une fois affinés, sont répertoriés en catégories, tout en gardant la distinction en emploi ou hors emploi des répondants et en prenant en compte, le cas échéant, leur expérience précédente de remplacements. En établissant les fréquences des réponses, nous évitons d’accorder trop d’importance à une attente particulièrement intéressante mais provenant d’une seule personne.

En ce qui concerne les réponses à la grille d’assertions, nous comptons, pour chaque assertion, le nombre de personnes qui l’ont encadrée ou barrée en fonction du statut de ces dernières, en emploi ou hors emploi. Nous n’établissons pas de liens avec les réponses concernant les attentes, tous les questionnaires et grilles remplies étant anonymes. C’est donc à nouveau le statut que l’étudiant s’attribue lui-même qui est pris en considération. Relevons qu’il correspond dans pratiquement tous les cas au statut officiel, puisque nous connaissons par ailleurs le nombre d’étudiants en emploi ou hors emploi des différents groupes. Nous établissons à nouveau les fréquences des assertions choisies et rejetées pour toute la volée et selon le statut des personnes. Cela nous permet de comparer les positions vis-à-vis des assertions aussi bien entre statuts qu’avec les deux volées précédentes.

4. Résultats et interprétations à propos des attentes initiales

Dans le questionnaire proposé lors de la première séance, les étudiants ont été interrogés d’une part sur les modalités du travail souhaitées et, d’autre part, sur les contenus qui devraient être apportés par l’unité de formation. Environ quatre cinquièmes des étudiants de la dernière volée complètent la question des attentes, ce qui peut signifier qu’ils ont déjà une idée de l’unité de formation dispensée pour la troisième fois, dont ils désirent orienter les contenus dans un sens utile pour eux.

4.1 Modalités

Dans leurs réponses, les étudiants des deux statuts différencient trois principaux types de modalités de travail : une participation active à travers des discussions ou des débats (un tiers des réponses), des travaux de groupe (un peu plus d’un tiers) et des travaux pratiques (un peu plus d’un quart). Si on distingue les étudiants selon leur statut, on constate que globalement troisquarts des étudiants en emploi font part de leurs attentes en sollicitant un enseignement leur laissant une part active avec travaux de groupe ou binôme (environ la moitié des réponses) et très interactif avec échanges ou discussions (même proportion de réponses), à la différence des étudiants hors emploi, dont la moitié de ceux qui s’expriment souhaite un travail plus académique tel que présentations orales et travail individuel.

4.2 Contenus

Environ quatre cinquièmes de tous les étudiants des différentes volées s’expriment aussi à propos des contenus de l’unité de formation. Sur ce plan, et à partir de leurs réponses, il nous semble pouvoir mettre en évidence – et ce, malgré leur intrication – quatre types d’attentes :

  1. celles qui concernent les aspects concrets et pratiques du métier – outils, conseils, « trucs et astuces » – (deux cinquièmes des réponses) ;

  2. celles qui sont relatives à l’apprentissage du métier en général ou celles qui relèvent plus précisément du statut, des droits et devoirs ou encore des enjeux de la profession (un tiers) ;

  3. les demandes concernant plus spécifiquement des savoirs pour enseigner (un cinquième), telless la différenciation (prise en compte des différents publics d’élèves de la première et de la deuxième année du secondaire), les méthodes d’enseignement, les stratégies d’enseignement ;

  4. enfin, si beaucoup d’étudiants sont demandeurs d’apports aussi bien théoriques que pratiques non précisément définis, une minorité pense tout de même que l’articulation entre ces deux aspects peut les préparer efficacement à la profession.

La première volée d’étudiants – tous en emploi – souhaitaient avant tout être mieux outillés pour résoudre des cas concrets rencontrés sur le terrain et débattre de la gestion de classe, des relations maître-élèves, des postures de l’enseignant dans sa classe. Les étudiants en emploi des différentes volées semblent ainsi conscients qu’à côté de la transmission des connaissances, il y a le « sale boulot », selon l’expression de Cattonar (2006), pour lequel ils sont très demandeurs de formation. Cette dernière année, les attentes sont plus importantes en ce qui concerne l’apprentissage du métier et la connaissance de la profession ainsi que de ses enjeux (un tiers versus un cinquième antérieurement). Dans chacune des volées, le besoin de travailler sur les aspects éthico-juridiques et sur les droits et devoirs des enseignants est également évoqué par quelques personnes. En comparaison avec la première volée, les demandes de savoirs pour enseigner, bien qu’ayant diminué d’un quart à un cinquième des réponses, paraissent davantage ciblées : sont cités par exemple la connaissance du milieu des adolescents, la classe relais, le fonctionnement psychosocial du groupe classe.

En distinguant les réponses selon le statut pour cette dernière volée, ce sont 90 % des étudiants hors emploi qui expriment des demandes sur le contenu (versus 75 % des étudiants en emploi). En reprenant les quatre catégories ci-dessus, on constate que les aspects pratiques du métier sont davantage sollicités par les étudiants en emploi (50 % des réponses versus 25 % des hors emploi) qui sont soucieux de traiter de problèmes rencontrés sur le terrain, notamment ceux relevant de la gestion de classe. En revanche, les pourcentages des deux statuts sont très proches, d’abord pour ce qui est de leur intérêt pour les spécificités de la profession, (enjeux, statut, image, ou même histoire de la profession et de son futur), ensuite pour la connaissance et l’analyse des savoirs pour enseigner, enfin pour la question de la gestion de classe.

En outre, un dépouillement plus fin, distinguant parmi les étudiants hors emploi ceux qui ont des expériences de remplacements et ceux qui n’ont pas de lien avec le terrain, montre que ces derniers mentionnent moins le désir d’obtenir des recettes et expriment davantage le besoin de savoirs pour enseigner, non traités dans leur formation académique. Par contre, les étudiants ayant une expérience des remplacements tout comme les étudiants en emploi sont à la recherche de solutions pratiques et immédiates. Mais est-ce vraiment une recherche de solutions toutes faites ou ne serait-ce pas plutôt une demande de contextualisation des situations qui seront présentées en formation ?

Par ailleurs, nous constatons que les attentes des étudiants hors emploi sont globalement plus diffuses que celles des étudiants en emploi ou des étudiants qui bénéficient déjà d’expériences d’enseignement, dont les attentes sont mieux ciblées, portant surtout sur des aspects pratiques de gestion de classe. Leur demande plus forte d’espaces de parole et d’analyse de cas concrets permettant de faire part de leurs expériences de terrain peut être considérée comme un signe de leur désir d’articuler théorie-pratique, gage selon eux – et c’est également une de nos hypothèses – d’une préparation efficace à la profession.

En résumé, du point de vue des attentes à propos des modalités de travail, les résultats obtenus rejoignent notre troisième hypothèse stipulant que les deux statuts d’étudiants se différencient clairement vis-à-vis des attentes de la formation. Cependant, les attentes de contenus montrent peu de différences en fonction du statut officiel, des différences notables étant davantage observables en fonction du lien avec le terrain. Autrement dit, une familiarité plus grande avec l’exercice du métier, notamment à travers des remplacements de longue durée, incite les étudiants novices à être plus demandeurs et à mieux cibler leurs besoins de formation. Si le fait d’identifier clairement les besoins de formation est un indicateur d’une identité professionnelle en construction, alors nos résultats rejoignent les constats des enquêtes de Maroy & Cattonar (2002) qui montrent que l’identité professionnelle se construit surtout une fois en action sur le terrain.

5. Résultats des réponses à la grille

5.1 Construction de la grille

Pour mieux cerner les représentations sociales des étudiants sur le métier, nous avons créé, pour trois volées successives, des grilles d’assertions correspondant aux différentes tâches, postures et responsabilités liées au métier d’enseignant, certaines reprenant mot à mot les textes officiels tels que la LIP, la Déclaration de la CIIP (2003), le cahier des charges de l’enseignant, les différents règlements de l’enseignement secondaire et des établissements scolaires. D’autres assertions sont formulées de façon volontairement excessive pour faire réagir les étudiants, par exemple « Sélectionner les élèves en fonction de leurs compétences pour trouver une formation/filière». D’autres encore correspondent à des représentations communes du métier véhiculées par la société, voire par les enseignants eux-mêmes (« une vocation »). Relevons que, du point de vue méthodologique, nous ne pouvons qu’inférer les représentations des étudiants à partir des réponses fournies. Dans la liste distribuée lors de la première séance de l’unité de formation, les étudiants ont encadré les assertions qu’ils considéraient essentielles et barré celles qu’ils jugeaient comme ne relevant pas du métier d’enseignant, tout en ayant l’opportunité de ne pas se prononcer sur certains énoncés (échelle de Likert à trois niveaux). Cette même liste leur a été proposée à nouveau lors de la dernière séance de l’année universitaire. Ainsi, un certain nombre d’inférences sur l’évolution de leurs représentations du métier peuvent être faites à partir des différences observées.

Pour vérifier nos hypothèses, il nous semble judicieux de ne pas traiter les assertions indépendamment les unes des autres. Nous les regroupons donc autour de quatre domaines travaillés dans l’unité de formation, à savoir la transmission du savoir, autrement dit le « vrai métier » (Cattonar, 2006), les différentes postures de l’enseignant, y compris les relations maître-élèves, les savoirs institutionnels et les prescriptions, et enfin les questions relevant du champ de la déontologie professionnelle. En effet, aussi bien les textes officiels que le collectif de travail demandent de la part de l’enseignant secondaire d’adopter toute une palette de postures professionnelles qui dépassent la tâche de transmission des savoirs d’une discipline dans son acception restreinte. Bien que ces catégories soient arbitraires et que la classification des affirmations soit parfois discutable, une affirmation pouvant être rangées dans deux, voire trois catégories, selon le point de vue adopté (c’est le cas de « être un médiateur entre le savoir et l’élève » que nous avons classé parmi les postures de l’enseignant, mais qui relève aussi d’une prescription des plans d’études), elles sont essentielles si l’on veut disposer d’une ligne directrice pour l’analyse des données. Précisons aussi que cette catégorisation, propre aux chercheuses, n’apparaît pas dans la grille proposée aux étudiants.

Tableau 1

Les vingt-quatre assertions discutées dans cet article selon les quatre catégories retenues

Les vingt-quatre assertions discutées dans cet article selon les quatre catégories retenues

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5.2 Résultats de l’analyse des données de la grille ante

En début d’année, un certain nombre d’assertions parmi les trente proposées sont encadrées ou barrées individuellement et anonymement par les étudiants de la troisième volée. En moyenne, ceux-ci choisissent environ huit assertions sur les trente proposées et en rejettent un peu moins de quatre, ce qui correspond approximativement au même taux que ceux des deux volées précédentes[2] (voir Pellanda Dieci, et al., 2012, et Pellanda Dieci & Weiss, sous presse). Notons cependant une première différence entre les deux statuts : avant de commencer leur formation, certains étudiants hors emploi n’ont pas d’idée très précise sur la profession et sur ce qu’elle recouvre, alors que leurs collègues, intégrés dans les écoles, ont déjà affiné leurs représentations du métier. C’est la raison pour laquelle, selon nous, les étudiants en emploi choisissent globalement moins d’assertions et en rejettent davantage (sept choix et cinq rejets en moyenne), alors que les étudiants hors emploi en sélectionnent neuf et en refusenttrois, se montrant par là moins sélectifs, comme on avait déjà pu le constater lors d’une volée précédente.

En analysant les réponses ante des étudiants, on aboutit aux constats suivants. D’abord, l’ensemble des étudiants encadre de façon massive les affirmations liées aux aspects de transmission du savoir. En effet, environ trois quarts de tous les étudiants encadrent l’assertion « Développer le sens critique chez les élèves, les entraîner à la réflexion »[3] , à savoir 83 % des répondants hors emploi versus 68 % de leurs camarades en emploi [4]. Serait-ce que les étudiants qui sont en contact direct avec les élèves savent un peu mieux la difficulté de faire progresser les élèves sur le plan de la réflexion, alors que cette compétence peut être idéalisée par les étudiants hors emploi ? Viennent ensuite à égalité, « Transmettre les savoirs de ma discipline » (56 %) et « Donner aux élèves le goût de ma discipline » (56 %)[5] . Puis, on trouve « Développer chez les élèves des méthodes de travail » choisie par 51% des étudiants, de façon proche par les deux statuts. On peut donc supposer que déjà en début d’année tous les étudiants sont conscients que l’apprentissage ne peut se faire sans méthodes de travail adéquates.

À l’opposé, sont rejetées en masse les affirmations qui relèvent d’une relation affective maître-élèves. On trouve ainsi « Aimer les élèves » et « Être aimé par mes élèves » rejetées par respectivement 58 % et 71 % des étudiants[6] . Il est intéressant de noter que ces rejets sont supérieurs chez les étudiants en emploi (73 % et 82 %) par comparaison aux autres (43 % et 61 %). En effet, plusieurs étudiants hors emploi font des remplacements et sont confrontés à des difficultés relationnelles avec les classes, ils cherchent donc à établir le meilleur contact possible avec eux.

Deux autres affirmations valent la peine d’être mises en évidence parce que choisies par environ la moitié des étudiants en emploi. Il s’agit d’« Éveiller chez les élèves le respect d’autrui » (55 %) et de « Favoriser l’autonomie » (50 %). C’est comme si ces derniers avaient déjà intégré certaines prescriptions institutionnelles de la LIP par le contact avec leurs collègues sur le terrain. Cela nous semble également refléter la connaissance que ces étudiants – déjà enseignants – ont des manques de certains élèves peu enclins à se prendre en charge, parfois agressifs et irrespectueux envers les enseignants et les camarades, connaissance que leurs collègues hors emploi ne partagent pas encore.

Retenons également, toujours pour les étudiants en emploi, « Amener les élèves à atteindre les objectifs du PE » sélectionnée par 41 % d’entre eux. Ce choix, qui concerne les savoirs institutionnels, reflète une préoccupation concrète d’un enseignant inséré dans un établissement et lié par un contrat à l’institution, puisque seuls 26 % des étudiants hors emploi encadrent cette assertion.

En conclusion, en début de formation initiale, tous les étudiants ont tendance à se dire en accord principalement avec les assertions qui relèvent de la transmission des savoirs en lien avec la formation académique dans leur discipline. En plébiscitant largement cette transmission, qui relève du « vrai métier », selon Cattonar (2006), ils considèrent que le métier d’enseignant secondaire consiste d’abord à transmettre, par le biais de dispositifs appropriés, des savoirs d’une discipline et à veiller au développement des capacités intellectuelles des élèves. En corollaire, ils sont soucieux de donner à leurs élèves des méthodes de travail, se montrant lucides à propos de la nécessité d’apporter une aide pour l’apprentissage. Sur un autre plan, l’idée d’établir des relations affectives avec les élèves est rejetée par tous, les étudiants étant majoritairement porteurs de représentations sur le métier où l’affectif n’a pas de place. Toujours en début d’année, certaines prescriptions institutionnelles en lien avec le cadre de travail et les savoirs institutionnels tels les objectifs à atteindre du plan d’études représentent déjà pour les étudiants en emploi, contrairement aux étudiants hors emploi, des savoirs constitutifs du métier.

5.3 Évolution des réponses des étudiants entre ante et post

En comparant les grilles ante et post, nous constatons que les réponses des étudiants évoluent numériquement en cours d’année. En effet, en fin d’année, tous les étudiants choisissent dix assertions en moyenne et en rejettent quatre, les étudiants en emploi s’engageant plus, avec une moyenne de presque douze choix et six rejets par personne[7] , alors que les autres encadrent onze assertions (neuf en ante) et en barrent trois restant ainsi stables dans leurs rejets. Le fait que les étudiants des deux statuts se prononcent davantage constitue un premier indice d’une connaissance plus claire des tâches propres au métier ; en particulier, la transmission des savoirs qui se confirme pour tous comme un élément central de la profession. Tous s’annoncent aussi prêts à assumer des tâches d’ordre éducatif, comme donner le goût du travail bien fait et de l’effort. Néanmoins, les chiffres par statut montrent deux effets : contrairement à la situation ante, non seulement les étudiants en emploi choisissent plus d’assertions que leurs camarades, mais aussi leur déplacement quant aux représentations du métier est plus important.

5.3.1 Assertions concernant la transmission du savoir

Dans les assertions les plus sélectionnées en fin d’année, les énoncés concernant la transmission des savoirs disciplinaires, loin d’être mis au second plan, sont encore plus plébiscités qu’en début de formation. Sur les quatre assertions prioritairement choisies en ante, trois assertions augmentent en effet de manière significative aussi bien pour les étudiants en emploi que pour les étudiants hors emploi. Il s’agit de : « Développer le sens critique chez les élèves, les entraîner à la réflexion » (90 %), « Développer chez les élèves des méthodes de travail » (68 %) ainsi que « Transmettre les savoirs de ma discipline » (68 %).

S’il y a sans conteste évolution des opinions des étudiants quant aux savoirs à et pour enseigner, celle-ci ne se fait pas exactement dans le même sens ni de la même manière chez les étudiants en emploi et hors emploi. Ce sont les étudiants en emploi qui augmentent fortement leur choix de « Développer le sens critique chez les élèves, les entraîner à la réflexion » (+23 %) rejoignant ainsi en fin d’année les positions de leurs camarades hors emploi qui étaient au départ plus nombreux à la choisir. Ils plébiscitent aussi « Transmettre les savoirs de ma discipline » (+23 %), alors que les autres ne lui accordent qu’une faible augmentation (+8 %). Au contraire, le choix de l’assertion « Donner aux élèves le goût de ma discipline » évolue en sens inverse dans les deux groupes, augmentant chez les étudiants hors emploi (+13 %) qui l’avaient moins choisie au début et diminuant chez les autres (-14 %). Comment comprendre l’évolution de cette dernière assertion. et en particulier sa diminution chez les titulaires de classes ? Il semble bien que le terrain, qui les confronte aux difficultés de leur travail quotidien d’enseignant, les rende plus réservés vis-à-vis de certains enjeux ambitieux.

5.3.2 Différentes postures de l’enseignant

En fin d’année, plus d’étudiants en emploi choisissent « Donner le goût du travail bien fait et de l’effort » (+19 %). Ceci serait un effet du terrain impliquant que les étudiants déjà enseignants ont pris conscience de leur responsabilité quant au travail scolaire de leurs élèves. Cette finalité n’étant pas explicitement présente dans les textes institutionnels étudiés en formation, nous créditons ce changement de position à leur acculturation progressive dans l’établissement où cette finalité est mise en avant, en particulier dans les établissements difficiles où la part de « sale boulot » est importante et où les responsabilités éducatives deviennent prioritaires.

De même, en ce qui concerne « Être un médiateur entre le savoir et l’élève », qui augmente significativement (+25 %) pour atteindre 65 % des choix des étudiants. Cependant, ce sont 75 % des étudiants hors emploi qui la plébiscitent, alors que moins de la moitié de leurs collègues en charge de classes (45 %) la considère comme une posture enseignante. Celle-ci, pourtant présente dans les textes officiels, est difficile à mettre en pratique même si les étudiants peuvent être d’accord sur son principe. Elle demande en effet à l’enseignant de se mettre par moments dans un retrait cognitif, où l’enseignant permet aux élèves de construire ou de consolider leurs savoirs.

Les affirmations qui relèvent des relations affectives maître-élèves sont autant rejetées qu’en début de formation. Il s’agit d’« Être aimé par mes élèves » rejeté par 71 % des répondants, et de « Aimer mes élèves » par 55 %. L’assertion « Aimer les élèves » reste stable dans les rejets pour les deux statuts d’étudiants, même si on observe un rejet plus important pour les étudiants en emploi (73 %) que hors emploi (45 %). Les rejets augmentent encore jusqu’à 91 % chez les étudiants en emploi pour « Être aimé par mes élèves », et restent stables (60 %) chez les autres. Pourquoi ces deux affirmations sont-elles aussi fortement rejetées surtout par les étudiants en emploi ? Il semble bien que, sur ce plan, l’expérience sur le terrain soit importante pour pouvoir se déterminer et que la responsabilité de classes implique la construction d’un autre type de relation avec les élèves que celle que peut établir un remplaçant ponctuel pour qui la priorité est moins l’acquisition de contenus – enseignés généralement de façon détachée de tout contexte et sur un laps de temps très court – que le bon déroulement de la leçon dépendante d’une bonne relation avec des élèves qui ne sont pas toujours très tendres avec les remplaçants.

Dans ce même domaine des relations affectives, parmi les rejets qui trouvent un consensus parmi les étudiants, l’assertion « Compenser les déficits éducatifs et affectifs de certains élèves » est davantage rejetée qu’en début d’année, passant de 40 % à 45 %. Cette faible évolution collective est due essentiellement à celle des étudiants en emploi, dont 64 % considèrent en fin d’année (versus 41 % en début de formation) qu’il ne s’agit pas là d’une responsabilité enseignante, seul un tiers des étudiants hors emploi (35%) se ralliant à cette position. Or, il convient de relever que si l’on supprime l’adjectif « affectif », on retrouve l’esprit de l’article 5 de la LIP.

Enfin, l’assertion qui défend l’idée de vocation comme une caractéristique constitutive du métier obtient un score intéressant. En début d’année, elle est choisie par 29 % et rejetée par 16 % de tous les étudiants. En fin d’année, le pourcentage de choix reste identique avec des variations non significatives pour les deux statuts[8]. Quant à l’augmentation des rejets, elle est due principalement aux étudiants en emploi (+28 %) alors que les rejets augmentent seulement de +6 % pour les étudiants hors emploi. Or, cette assertion entre clairement en contradiction avec les finalités de la formation. De ce point de vue, être enseignant n’est pas une vocation, c’est être un professionnel fondant sa professionnalité sur des savoirs qui s’acquièrent dans l’alternance théorie-pratique. Le fait que le tiers des étudiants hors emploi continue de véhiculer cette idée montre que les représentations sociales communes restent vivaces chez eux, justement par le fait que la dialectique entre savoirs travaillés en formation et expériences vécues sur le terrain n’existe que de façon simulée en formation, ce qui conduit les instituts de formation à s’interroger sur les formes d’alternance les plus efficaces.

5.3.3 Prescriptions et savoirs institutionnels

En fin d’année, les assertions qui relèvent des responsabilités éducatives de l’enseignant ont au contraire tendance à passer au premier plan et à être mises au même niveau que les affirmations relevant de la transmission des savoirs. Il s’agit d’: « Éveiller chez les élèves le respect d’autrui, l’esprit de solidarité et de coopération » qui passe de 47 % à 77 % (+30 %) et de « Favoriser l’autonomie des élèves » qui passe de 44 % à 68 %. La première assertion est fortement choisie par les deux statuts, augmentant respectivement de +27 % pour les étudiants en emploi et de +36 % pour les étudiants hors emploi. Quant à la deuxième assertion, elle augmente de +23 % pour les étudiants en emploi et de +26 % pour les étudiants hors emploi. Le fait qu’on constate une augmentation pour tous permet de penser qu’elle est due à la formation. Autrement dit, c’est comme si la formation initiale jouait un rôle dans la sensibilisation des futurs enseignants à observer davantage le climat de classe, les liens entre élèves ainsi que l’autonomie dans le travail des élèves.

L’assertion « Apprendre aux élèves à respecter les règlements et la loi » serait du côté des prescriptions institutionnelles, mais elle n’est pas formulée ainsi dans les textes officiels et est considérée, dans les représentations sociales, comme une tâche des familles qui devrait être renforcée par les enseignants. En début d’année, elle se trouve davantage rejetée que choisie à des taux négligeables (13 % et 4 %), alors qu’en fin d’année, elle est plus sélectionnée (26 %) que refusée (19 %). Cependant, on assiste à une évolution opposée chez les deux statuts d’étudiants : si les positions sont semblables en début d’année, elles divergent par la suite, avec 36 % des étudiants en emploi qui rejettent cette assertion en fin d’année alors que 30 % des étudiants hors emploi la choisissent. Un des objectifs de la formation, à savoir rendre conscients les étudiants qu’ils doivent assumer un certain nombre de responsabilités éducatives semble ainsi ne pas être atteint, neutralisé peut-être par l’expérience pratique qui témoigne de la difficulté à endosser ce rôle avec certaines classes de moins en moins respectueuses de l’autorité.

D’autres affirmations portant sur les prescriptions et les savoirs institutionnels sont davantage plébiscitées en fin d’année. Ainsi, « Amener les élèves à atteindre les objectifs du plan d’études de ma discipline » est encadré de façon plus importante. Alors que 73 % des responsables de classes ont intégré en cours d’année qu’il s’agit là du contrat qu’ils ont avec l’institution, elle continue de faire peu réagir les étudiants hors emploi (40 %). Là encore, bien que ce point fasse partie des contenus abordés en formation, le déclencheur principal semble bien être le terrain.

Le dilemme de l’orientation-sélection, fortement liée aux savoirs institutionnels, est un point qui évolue au cours de l’année de formation chez les étudiants hors emploi, mais très peu chez les étudiants en emploi. En effet, « Sélectionner les élèves en fonction de leurs compétences pour les aider à trouver la formation/filière adéquate » est moins barré par toute la volée. Si 55 % des étudiants en emploi maintiennent leur rejet, ce ne sont plus que 10 % des étudiants hors emploi qui le refusent versus 30% à l’entrée en formation. À nouveau, il semble possible d’imputer l’attitude des premiers à un phénomène d’acculturation à leur établissement, en lien avec une crainte de porter une trop grande responsabilité sur la suite du parcours scolaire des élèves. Ainsi, à Genève[9], les choix d’orientation par les élèves et les familles se font de plus en plus sur la base d’un système essai-échec dans la filière la plus prestigieuse possible, plutôt que sur des arguments d’intérêt et de compétences des élèves, les enseignants étant collectivement partie prenante de ce jeu. L’intégration dans le collectif enseignant des uns peut ainsi expliquer la différence des attitudes des deux statuts face à l’orientation et à la sélection. À remarquer aussi que le terme sélection avec son idée implicite de couperet peut faire peur aux étudiants, les rejets ayant été moins nets les années précédentes[10] quand c’est le terme orientation qui avait été utilisé.

En lien avec la question de l’orientation, une autre assertion mérite notre attention, justement parce qu’elle est une injonction formulée dans la LIP et qu’elle évolue beaucoup même si le pourcentage de choix est inférieur à 50 %. Il s’agit de « Corriger les inégalités de chance de réussite ». En début d’année, seulement environ un cinquième d’étudiants la retient (les étudiants hors emploi sont un peu plus nombreux), que ce soit pour la choisir ou la rejeter. En fin d’année, après que la LIP ait fait partie des documents ressources de l’unité de formation, près de deux cinquièmes des étudiants la choisissent et pratiquement plus aucun ne la rejette. Pour cette assertion, la différence entre les deux statuts est minime, ce qui permet d’imputer son évolution plutôt à la formation. On peut cependant se demander pourquoi trois cinquièmes des étudiants maintiennent leur indifférence malgré son statut légal.

5.4 Réponses des étudiants relatives à la déontologie professionnelle

Pour la troisième volée, il a été ajouté à la grille douze assertions plus ou moins en lien avec la déontologie. Le premier constat que l’on peut faire, c’est que les assertions de ce champ sont globalement peu encadrées ou barrées en début d’année (en moyenne 2,3 assertions encadrées et 1,1 assertion barrée[11]), comme si les étudiants considéraient que ce domaine n’avait que peu de rapports avec la profession enseignante. Pourtant, il existe de grandes différences entre les deux statuts d’étudiants : en début d’année, les étudiants en emploi choisissent et rejettent moins d’assertions que leurs camarades (en moyenne 1,6 encadrée et 1,7 barrée par les uns, versus 3,4 encadrées et 2 barrées par les autres). En fin d’année, les deux statuts voient une évolution inverse puisque les premiers en choisissent en moyenne 3,5 et en rejettent 2 alors que les seconds diminuent un peu, totalisant en moyenne 3,2 choix et 1 rejet.

Pour aller dans le même sens, il convient de relever que l’assertion « Agir en fonction d’un code de déontologie des enseignants » recueille les voix de seulement un quart des étudiants en début et en fin d’année, et ce, malgré le travail mené au sein de l’unité de formation. Cela laisse entendre que la représentation commune selon laquelle la déontologie est liée aux professions libérales et est peu pertinente pour la profession enseignante est suffisamment sédimentée chez certains étudiants pour que la formation n’ait pas de réel impact sur cette question pour trois quarts des étudiants.

5.4.1 Règles de déontologie qui concernent les élèves

L’affirmation « Travailler avec toute la classe sans laisser certains élèves de côté » subit une évolution importante qui la place au premier plan des affirmations retenues en fin d’année par les étudiants. En début d’année, cette affirmation obtient l’aval de 74 % des étudiants hors emploi, alors que seuls 59 % des responsables de classes la choisissent, comme s’ils hésitaient face à une charge qui peut se révéler impossible dans certaines classes. L’hétérogénéité des élèves oblige l’enseignant à définir un rythme moyen, trop lent pour certains et trop rapide pour d’autres, rendant le travail avec toute la classe problématique. En fin d’année, le même nombre d’étudiants hors emploi continue de l’encadrer, alors que la totalité des étudiants en emploi la plébiscite, signe que ces derniers se donnent des principes à respecter en tant que professionnels et que l’expérience du terrain vient renforcer le travail effectué en formation.

« Prendre en compte le comportement des élèves dans l’évaluation de leur travail » est refusé par tous à 33 %, en particulier par les étudiants en emploi (45 % de rejets). En fin d’année, les rejets de cette assertion augmentent d’environ 10 % pour les deux statuts. Les différences entre les deux statuts en début d’année semblent dues à l’intégration des uns dans un collectif enseignant à la différence des autres, car l’ajout de l’évaluation du comportement dans les notes est un problème qui concerne le terrain. Comment, face à des élèves parfois réfractaires au respect des règles de vie dans la classe, ne pas céder à la facilité d’introduire des notes-sanctions ? Cependant, la réflexion menée en formation amène les étudiants en emploi à ne pas céder à cette facilité. Pour les étudiants hors emploi avec peu de contacts avec le terrain, ce débat peut être considéré comme en dehors du champ professionnel.

Quant à l’assertion « Me sentir responsable des apprentissages de mes élèves », elle recueille en début d’année autant de choix que de rejets de la part de tous les étudiants. Par contre, en fin d’année, seuls les choix augmentent et on constate une nette scission entre les positions des deux catégories d’étudiants : rejet de 36 % des étudiants en emploi et acceptation de 40 % des étudiants hors emploi ! L’étudiant en emploi a-t-il compris au cours de son année sur le terrain que le fait de tout mettre en oeuvre pour que les élèves puissent apprendre (obligation de moyens) ne va pas forcément de pair avec la réussite des apprentissages des élèves ?

5.4.2 Règles de déontologie qui concernent les enseignants

Les assertions suivantes voient leurs choix augmenter pour atteindre en fin d’année environ un tiers des suffrages. D’une part, « Obéir aux prescriptions qui encadrent le travail enseignant : LIP, cahier des charges, règlements, curriculums » passe de 22 % à 35 % pour tous les étudiants et, d’autre part, « Être responsable et autonome dans mon travail » augmente 22 % à 39 %. Notons que ces deux assertions sont surtout choisies par un tiers des étudiants hors emploi en début d’année (respectivement 30 % et 35 %) sans évolution ultérieure. Inversement, les étudiants en emploi, qui choisissent peu ces deux assertions en début d’année (respectivement 14 % et 9 %) les encadrent à 45 % en fin d’année. Bien que ces résultats semblent paradoxaux, ils sont probablement à imputer à la formation, que l’expérience du terrain vient renforcer, ces injonctions faisant explicitement partie des contenus enseignés en cours d’année.

6. Interprétation de l’évolution des représentations inférées

Pour vérifier nos hypothèses, nous tentons de vérifier l’impact de la formation sur les représentations initiales que se font ces étudiants – quel que soit leur statut – quant aux tâches et au rôle d’un enseignant. Ensuite, en différenciant les deux statuts, nous nous interrogeons sur le rôle que joue le terrain dans l’évolution de leurs représentations sur une année de formation : constitue-t-il un frein ou un accélérateur pour leur construction identitaire ? Enfin, nous tirons des conclusions quant au lancement d’un processus de professionnalisation des étudiants dès la formation initiale qui – suivant Riopel (2006) et en nuançant Cattonar (2006) – jouerait un rôle de catalyseur dans la construction d’une identité professionnelle, identifiée par le biais de l’évolution des représentations sur le métier.

6.1 Impact de la formation sur les représentations des étudiants des deux statuts

En fin d’année, les étudiants des deux statuts plébiscitent davantage les tâches qui relèvent des responsabilités éducatives de l’enseignant – développer chez les élèves le respect d’autrui, la solidarité, l’esprit de coopération, l’autonomie – et le devoir inscrit dans la loi de corriger les inégalités de chance de réussite. De même, l’augmentation parallèle, pour les deux statuts, des rejets de certaines assertions relatives à la déontologie, notamment la prise en compte du comportement des élèves dans l’évaluation, peut s’interpréter comme un effet de la formation puisque ces concepts sont travaillés avec tous les étudiants en formation initiale.

6.2 Impact de la formation sur les représentations des étudiants hors emploi et idéalisation du métier

Quel impact la formation a-t-elle sur les représentations initiales des étudiants hors emploi, non soumis à l’influence des collègues et des élèves réels ? Assiste-t-on à l’abandon ou au maintien de l’idéalisation du métier et des représentations communes ? Nous avons posé l’hypothèse que la formation les aide à se départir d’un regard trop idéalisé sur le métier et les élèves et à remettre en cause les représentations communes dont certains sont imprégnés en s’inscrivant à la formation.

Effectivement, en début de formation, les réponses confirment que les étudiants hors emploi mesurent mal les compétences que les adolescents du secondaire peuvent acquérir et sont peu réalistes sur l’attitude de ces derniers vis-à-vis du travail scolaire. Par contre, en fin d’année, certains rôles et tâches de l’enseignant sont plus largement retenus par les étudiants hors emploi, leurs choix portant également sur des aspects de médiation du savoir et des responsabilités à endosser pour préparer les élèves à la suite de leur scolarité. Leur représentation du métier s’est élargie, même si encore idéalisée, prenant en compte diverses facettes de la profession. On pourrait ainsi dire que, comme dans nos recherches antérieures (Pellanda Dieci et al., 2012; Pellanda Dieci & Weiss, sous presse) ces étudiants hors emploi se projettent dans leur futur métier en désirant assumer toutes les responsabilités relatives à celui-ci, y compris celles relevant d’une déontologie du métier, même si sur ce point l’évolution des étudiants en emploi est plus forte.

6.3 Terrain : frein à l’appropriation de certains savoirs de la formation

Il convient d’abord de relever que ce sont les étudiants en emploi qui rejettent le plus d’assertions. Craignent-ils de se surcharger avec d’autres responsabilités moins directement liées à l’enseignement de leur discipline à proprement parler ? À titre d’exemple, leur rejet de « Compenser les déficits éducatifs et affectifs de certains élèves » peut s’interpréter comme un effet terrain qui rend les titulaires de classes plus prudents quant à leurs responsabilités vis-à-vis des élèves. Ou sont-ils tellement pris dans l’urgence des multiples tâches à gérer quotidiennement dans leurs classes et au sein du collectif professionnel qu’ils parviennent moins à intégrer des éléments de la formation présentés dans le cadre de la formation initiale, le terrain constituant alors un frein à l’intégration de savoirs préconisés par l’institut de formation ? Certaines de leurs positions semblent en effet entrer en contradiction avec les contenus travaillés dans l’unité de formation. Ainsi, paradoxalement, ils acceptent moins que leurs camarades l’idée qu’un enseignant est un médiateur entre le savoir et l’élève et leur évolution en cours d’année est très faible sur ce plan. Il semble que le décalage existant entre les deux statuts d’étudiants reflète le fait que, selon notre hypothèse, une expérience de terrain peut freiner, dans un premier temps en tout cas, l’appropriation des savoirs dispensés dans la formation, par exemple quand ceux-ci concernent des postures difficiles à adopter en classe comme celle de médiateur ou des tâches malaisées à réaliser comme celle d’apprendre aux élèves à respecter les règlements et la loi, que l’on peut relier à la difficulté rencontrée par certains enseignants débutants à maintenir un cadre de travail et à inciter les élèves à le respecter.

Toujours par rapport aux responsabilités de l’enseignant, la dichotomie des opinions à propos de « Me sentir responsable des apprentissages de mes élèves » témoigne à la fois d’une idéalisation du métier de la part des étudiants hors emploi et d’un certain réalisme sur les possibilités réelles d’action de l’enseignant du côté des étudiants en emploi. Autre exemple de cet état de fait, l’idée de donner aux élèves le goût de leur discipline recueille plus de voix de la part des premiers, alors que les étudiants en emploi ont une évolution inverse. Si une certaine responsabilité enseignante sur la motivation des élèves fait partie des valeurs de la profession promues en formation, les contraintes du terrain sont fortes et font probablement porter à ces enseignants débutants un regard un peu méfiant sur l’applicabilité de certains principes.

6.4 Terrain : accélérateur de l’appropriation des savoirs de la formation

Pourtant, et contrairement à cette hypothèse, on constate également – à propos d’un certain nombre d’autres assertions – que le terrain facilite l’intégration de certains savoirs proposés en formation. Considérons d’abord le fait que les étudiants en emploi élargissent leur regard sur les tâches et rôles de l’enseignant, plébiscitant davantage que les autres en fin d’année la transmission des savoirs, mais aussi les tâches d’ordre éducatif qui sont liées à leur acculturation dans leurs établissements respectifs. Leur position vis-à-vis d’autres assertions évolue également comme la volonté de travailler avec tous les élèves de la classe, intégration d’un principe déontologique qui dépasse les articles du cahier des charges ; le fait d’amener les élèves à atteindre les objectifs du plan d’études, injonction fortement véhiculée dans les établissements ; ou la responsabilité de développer la créativité et l’imagination des élèves.

Du point de vue de leur relation affective avec les élèves, les étudiants en emploi se montrent plus déterminés à poser des limites, l’expérience du terrain les amenant à réfléchir à la relation maître-élèves. Quant aux choix en lien avec les prescriptions institutionnelles[12] , les étudiants en emploi les adhèrent davantage puisque ces injonctions font explicitement partie des contenus de la formation mais aussi, pour partie, des demandes internes aux établissements. Quant aux responsabilités lourdes et mal acceptées par les professionnels, comme celle de la sélection des élèves, les étudiants en emploi les refusent, alors que la majorité des étudiants hors emploi y devient indifférente. Tout se passe comme si leur double allégeance à la formation et au terrain incitait les étudiants en emploi à avoir des représentations plus déterminées et plus précises à propos des tâches à assumer.

L’idée de vocation reste controversée, rejetée par une petite majorité d’étudiants en emploi et sélectionnée par un tiers des autres, montrant un impact différent de la formation en fonction du statut. Si cette représentation persiste dans les représentations communes du métier, elle va à l’encontre de l’idée de professionnalisation de l’enseignement, qui vise – grâce à une forte intrication entre théorie et expérience – à former des professionnels qui se définissent par la maîtrise de savoirs de référence multiples (Tardif et al., 1991), infléchis, formalisés, subjectivés par l’expérience du terrain (Vanhulle, 2009), selon un ensemble de règles de déontologie librement choisies par les membres du corps professionnel (Prairat, 2009). Ainsi, le rejet de l’idée de vocation semble témoigner d’un début de professionnalisation chez les étudiants en emploi, le terrain jouant aussi ici le rôle de filtre additif.

6.5 Déontologie et professionnalisation

Le faible intérêt, dont font preuve les étudiants des deux statuts à l’égard des assertions relatives à la déontologie en début d’année, évolue pour les étudiants en emploi vers une augmentation des choix et laisse supposer que, sur ce plan, le processus de professionnalisation est plus engagé pour ceux-ci. En particulier, l’idée d’agir en fonction d’un code de déontologie des enseignants ne recueille en fin d’année que peu d’accords, tous statuts confondus, malgré le travail mené au sein de l’unité de formation à l’aide d’un certain nombre d’articles théoriques sur la question. Il semble bien que la représentation commune reste prégnante pour trois quarts des étudiants, la formation n’ayant pas eu d’effet visible sur leurs représentations dans ce domaine. En ce qui concerne les étudiants en emploi, on peut se demander dans quelle mesure ils sont influencés par la culture de leur établissement ; en effet, combien d’enseignants chevronnés choisiraient les assertions de ce domaine qui reste très controversé pour caractériser leur profession ? Dans la ligne de Moreau (2009), il semble cependant que la complexification croissante de travail enseignant constitue un argument majeur pour travailler ces questions en formation initiale ; et même la lecture d’articles pourrait être complétée, comme le défend Moreau (2009), par la problématisation éthique de leur praxis, c’est-à-dire par des discussions sur des expériences vécues sur le terrain ou des analyses de cas. D’ailleurs, tous les auteurs se rejoignent sur le fait que la déontologie ne se résume pas à un règlement imposé de l’extérieur, mais doit se construire à l’aide d’outils et de concepts en articulation étroite avec la pratique, par les agents mêmes de la profession. Dans ce domaine, la forte évolution des étudiants en emploi par comparaison avec les autres confirme l’importance d’être déjà sur le terrain pour se sentir concerné par ces questions.

Une assertion fait cependant exception : c’est l’idée de travailler avec toute la classe sans laisser certains élèves de côté, plébiscitée par tous les étudiants ; les étudiants en emploi, initialement plus réservés, lui accordant une forte augmentation en fin d’année, alors que la position des étudiants hors emploi reste stable. Les étudiants en emploi connaissent le problème de l’hétérogénéité des classes et la difficulté d’appliquer une stricte égalité de traitement envers tous les élèves. Il s’agit donc là, à notre sens, d’un indice de leur professionnalisation naissante : est professionnel un enseignant qui s’est forgé un ensemble de principes qui, même s’ils sont difficiles à mettre en pratique, définissent sa ligne de conduite en fonction d’objectifs supérieurs, dépassant par exemple les injonctions du cahier des charges. Si les étudiants hors emploi ne modifient pas leur adhésion à ce principe, c’est que même s’ils font des remplacements, ils ne sont pas confrontés au problème sur le long terme. Cela montre aussi la nécessité du terrain pour une problématisation de la praxis.

Conclusion

En conclusion, il semble bien que l’intégration des étudiants en emploi dans un collectif de travail leur permet de mieux s’approprier ou de redéfinir certaines postures et d’intégrer des prescriptions institutionnelles ainsi que certains savoirs didactiques apportés par la formation. Par conséquent, en ce qui concerne l’effet de l’expérience de terrain vécue en parallèle avec la formation professionnelle, l’hypothèse selon laquelle le terrain joue un rôle de filtre, à la fois frein et accélérateur, pour la construction des savoirs professionnels semble confirmée par nos données. Plus précisément, le terrain facilite l’intégration de certains apports de la formation en fonction de l’application plus ou moins directe de ces savoirs dans les situations de classe rencontrées et de la cohérence plus ou moins forte entre le discours de la formation et l’expérience professionnelle des étudiants. Relevons à ce propos que les étudiants en emploi exprimaient dans leurs attentes le désir d’une articulation théorie-pratique, nécessaire selon eux à une bonne préparation à la profession. On rejoint alors, pour les étudiants en emploi, d’une part la thèse de Cattonar (2006) à propos de la construction de l’identité professionnelle enseignante qui s’appuie de façon importante sur l’identité contextuelle, d’autre part la position de Vanhulle (2009) concernant la définition et l’appropriation des savoirs professionnels de l’enseignant puisqu’avec un dispositif semblable pour les deux statuts, ce sont les étudiants en emploi qui, profitant d’une forme d’alternance entre le terrain et la formation, voient une évolution supérieure de leurs représentations, montrant que le processus de leur construction identitaire professionnelle est lancé.

En revanche, le statut des étudiants hors emploi est ambigu[13] puisque certains n’ont aucun contact avec le terrain, alors que d’autres effectuent régulièrement des remplacements, ce qui rend les données difficiles à analyser. Toutefois, le fait qu’ils choisissent moins d’assertions que leurs camarades et que leur déplacement, quant à leurs représentations du métier, est moins important, confirme notre hypothèse d’une appropriation moindre de certains apports de la formation. Ils restent ainsi plutôt dans des représentations sédimentées, selon l’expression de Vanhulle (2009) et portent un regard plus idéalisé sur le métier. Il faut cependant nuancer ces résultats : c’est par comparaison avec les étudiants en emploi que ces étudiants hors emploi sont moins pointus dans leur définition des tâches et des rôles de la profession enseignante et qu’ils prennent moins en compte certains principes déontologiques.

Comme dans toute recherche se basant sur des données provoquées (Van der Maren, 1999), une analyse complémentaire, à la fois du dispositif et des écrits produits par les étudiants des deux statuts au cours de l’année académique, permettrait de rechercher des indices d’authenticité dans l’énonciation afin d’étayer les réponses. Remarquons cependant que les modalités de recueil des données – barrer ou encadrer des assertions – offrent un caractère de spontanéité qui laisse à penser que les étudiants ne sont pas dans une posture stratégique de désirabilité sociale, constituant par là un moyen intéressant de recueil de données. De ce point de vue, il est envisagé, dans le prolongement de cette recherche, de continuer à collecter ce type d’informations. Cela nous permettra de mieux saisir les impacts respectifs du terrain et de la formation initiale sur la construction de l’identité professionnelle de l’enseignant secondaire, indépendamment de sa discipline d’enseignement.

Les constats liés à l’impact du terrain quant à l’appropriation des savoirs constitutifs de la profession montrent l’importance d’une formation professionnelle qui soit en même temps un lieu où les préoccupations et les représentations sociales du métier peuvent être discutées et analysées dans un mouvement ascendant bottom-up, de la pratique à la théorie, ou, comme l’expriment Chevallard & Cirade (2009), « du métier à la profession », ainsi qu’un lieu où est menée avec les étudiants une réflexion sur les textes et les savoirs constitutifs de la profession, dans un mouvement symétrique top-down.

Pour ce faire, il semble indispensable d’encourager une articulation entre recherche et formation dans la ligne de nos travaux précédents (Monnier & Weiss, 2010) en particulier dans le cadre de la formation professionnelle initiale universitaire. Cette articulation permet à la fois de prendre la mesure de la complexité de la profession enseignante et de mieux cibler les besoins en formation dus à l’étendue des problèmes soulevés quotidiennement dans l’exercice du métier. L’universitarisation de la formation professionnelle des enseignants secondaires, mise en place à Genève, offre un nouveau cadre pour développer une réflexion approfondie sur les dispositifs de formation et la place que le terrain y occupe. Cette réflexion gagnerait à être menée conjointement par les chercheurs, les formateurs, voire les professionnels du terrain, pour enrichir mutuellement les dispositifs de formation et les questionnements de la recherche, les préoccupations de la formation faisant écho à celles de la recherche. En effet, pour reprendre Chevallard & Cirade (2009), « Créer à l’université une formation universitaire et professionnelle des enseignants n’est pas chose anodine : c’est un défi lancé à l’homo academicus. Les conditions de possibilité d’une telle création s’expriment d’abord en termes de conceptions et d’organisation d’une recherche idoine, incluant des recherches fondamentales, qui concourent à créer les réponses appelées à nourrir la formation des professeurs et, du même coup, à contribuer au développement de la profession de professeur, aujourd’hui encore scandaleusement sous-développées » (p. 55). Si l’expression est forte, les enjeux qu’elle sous-tend le sont aussi : la qualité des apprentissages des élèves !