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Introduction

Les principaux acteurs du milieu considèrent généralement que la mission de l’université est la suivante : « Les universités québécoises poursuivent une mission de formation à travers trois volets : l’enseignement, la recherche et les services à la communauté ou à la collectivité. Les volets “enseignement” et “recherche” sont indissociables, l’un nourrissant l’autre et vice-versa. » (Gouvernement du Québec, 2012, p. 1). Cela signifie-t-il que les professeurs d’université sont conduits, dans leur tâche, à développer une démarche méta-professionnelle ?

Au cours des siècles, l’université en tant qu’institution a évolué (Lessard & Bourdoncle, 2002). Au départ, plutôt libérale, l’université était caractérisée par la transmission de savoirs au service de la vérité. Par la suite, au 19e siècle, l’université de recherche fait son apparition, avec pour principale caractéristique la construction des savoirs au service de la science. Aujourd’hui, le modèle dans lequel se situe l’université est plutôt celui du service. Cette « université de service » ou « université entrepreneuriale » est définie par l’application des connaissances au service de la société en général dans une optique de progrès. Moins philosophique ou scientifique, cette approche est parfois vue comme plus utilitaire. Cette évolution a donc, de facto, amené un changement dans la profession même de professeur d’université.

Actuellement, au Québec, au regard de la règlementation, les professeurs d’université doivent se partager entre recherche, formation et service à la collectivité. Pourtant, depuis de nombreuses années, la suprématie de la recherche constitue un défi de taille pour amener ces professionnels à considérer leurs missions dans leur ensemble. De plus, comme le précisent plusieurs auteurs, ce n’est pas parce qu’un professeur est un bon chercheur qu’il est forcément un bon enseignant (Fanghanel & Trowler, 2007; Kolmos, 2010; Rege Colet & Berthiaume, 2009), bien que la « productivité en recherche » semble positivement, mais faiblement, corrélée avec la qualité de l’enseignement (Feldman, 1987). Malgré tout, force est de constater que, dans la plupart des cas, la formation menant à cette profession, soit le doctorat (ou l’équivalent), prépare surtout les futurs professeurs à faire de la recherche. Cela signifie-t-il qu’ils sont capables d’apprendre « sur le tas » leur volet « enseignement » ? Ou encore que c’est en enseignant que l’on apprend à enseigner ? Depuis près de 20 ans maintenant, diverses institutions considèrent que la formation initiale à l’enseignement supérieur est pertinente (Berger, 2012 ; CRÉPUQ, 1996 ; Luzeckyj et Badger, 2008). C’est encore plus vrai aujourd’hui puisque l’université vit une période de mutation sans précédent (Bédard, 2009) dans laquelle réfléchir à un enseignement et à un apprentissage de qualité n’est plus une option (Gouvernement du Québec, 2012 ; Groccia, 2010).

Le champ de l’éducation a connu un changement de paradigme épistémologique (Barr & Tag, 1995). En effet, forte de son histoire, l’éducation a évolué pour s’inscrire, dans une approche cognitiviste puis constructiviste et enfin socioconstructiviste. S’influençant mutuellement, ces éclairages sur la réalité éducative ont permis de donner naissance à la perspective de l’étudiant comme l’acteur-clé de son apprentissage, l’invitant à apprendre dans et par l’action. Plutôt que de favoriser l’accumulation des connaissances disciplinaires, l’enseignant[2] doit maintenant aider l’étudiant à les considérer comme des ressources, parmi d’autres, qu’il va devoir mobiliser judicieusement en fonction du contexte.

Le paradigme de l’apprentissage implique également un changement de vision du corps professoral au sein duquel apparaît la question « Moi, j’enseigne, mais eux apprennent-ils ? »[3]. Ainsi, d’une vision de l’enseignement plus centrée sur la transmission de connaissances, les enseignants sont invités à s’inscrire dans une vision qui conçoit leur rôle comme celui d’un facilitateur ou d’un coach. Ils passent donc d’une approche de la simple transmission à une approche de la compréhension, de la construction et de l’intégration. Mais savoir que le rôle d’enseignant est d’être un guide, un accompagnateur ou un facilitateur est une chose ; tenir ce rôle en est une autre. En effet, choisir une approche pédagogique où l’apprentissage par la pratique est une des caractéristiques centrales de la tâche de l’étudiant, constitue un réel défi professionnel pour les enseignants (Frenay, Galand & Laloux, 2009). Notamment, parce que cela implique de questionner les rôles de chacun. Pour assumer ces nouveaux rôles et ainsi amener les étudiants à relever les défis professionnels qui les attendent, les enseignants doivent non seulement posséder des compétences disciplinaires, mais aussi des compétences didactiques et pédagogiques qui font appel à une certaine réflexion sur leur métier d’enseignant.

Pourtant, les programmes de formation, crédités ou non, en enseignement supérieur, proposant des cours formels portant réellement sur l’apprentissage de la pratique réflexive, sont peu nombreux, et ce, bien que cette compétence soit sans doute visée par plusieurs d’entre eux. Ceci pourrait en partie être dû au fait que cette notion est diversement modélisée sur le plan théorique (Collin, 2009 ; Correa Molina, Collin, Chaubet & Gervais, 2010), ce qui fait d’elle un concept flou, dont les contours semblent difficiles à circonscrire. En contexte d’enseignement supérieur, la pratique réflexive semble donc constituer un apprentissage plutôt informel, c’est-à-dire une bonne pratique qui se développe avec l’expérience. Si certaines expériences semblent bien réussies, d’autres le sont moins. Dès lors, concrètement, comment devenir un enseignant réflexif ? Quelles dimensions de la profession enseignante doivent être questionnées ? Qui peut aider les enseignants du supérieur dans ce cheminement ? Quels dispositifs ou stratégies semblent pertinents ? Comment faire en sorte que les enseignants du supérieur transfèrent cette réflexivité et donc amènent leurs propres étudiants à devenir des praticiens réflexifs ?

Voilà le type de questions qui ont orienté le présent article. Notons par contre dès à présent que notre propos se veut avant tout une réflexion nourrie à partir d’une recension d’écrits scientifiques, de comptes rendus de pratiques et d’une pratique professionnelle en enseignement supérieur à travers plusieurs pays. De plus, notre propos s’inscrit dans une perspective de nourrir les réflexions engagées pour transformer les universités en organismes de formation professionnelle.

En ce qui a trait à la recension des écrits, elle a été réalisée à travers diverses banques de données, comme ERIC, FRANCIS, Repère, etc. Compte tenu de la multitude d’écrits concernant la problématique de la pratique réflexive, il nous a fallu avoir certains critères d’inclusion et d’exclusion. Les textes et les auteurs retenus l’ont été d’une part parce qu’ils sont considérés comme des incontournables dans le domaine, notamment d’un point de vue conceptuel, ou parce qu’ils proposent une perspective nouvelle sur la problématique. Ces textes ont enrichi notre réflexion initiale et nous ont permis d’asseoir notre choix de modèle théorique, celui de Kelchtermans (2001). Ce choix a été fait en considérant notre propre contexte d’enseignement et à partir d’une recherche que nous avons menée en formation à l’enseignement au secondaire, il y a une dizaine d’années (Lison, 2003), et qui fera l’objet d’une prochaine publication. Depuis quelques années maintenant, nous souhaitions amener cette réflexion dans de domaine de l’enseignement supérieur, avec des enseignants de toutes disciplines.

Notre réflexion s’adresse donc à tous ceux qui souhaitent devenir et/ou former des enseignants du supérieur réflexifs, qui se questionnent sur les impacts de leurs pratiques, sur les transformations de la pratique enseignante dans le supérieur ainsi que sur leur propre changement au regard des transformations de cette pratique enseignante. Pour ce faire, nous présentons d’une part l’approche théorique que nous avons retenue, celle de Kelchtermans (2001), pour comprendre le concept de pratique réflexive, et d’autre part une réflexion argumentée sur l’importance de (se) former à la pratique réflexive dans une perspective de développement professionnel. Nous terminons notre propos en abordant le concept de Scholarship of Teaching and Learning tel que nous l’envisageons dans notre pratique en partant du modèle de Kelchtermans. Nous considérons que cette réflexion peut être pertinente puisque si cette question du développement professionnel réflexif est de plus en plus abordée, tout en restant encore en friche, en enseignement supérieur.

1. Comprendre la pratique réflexive : l’approche de Kelchtermans

Depuis des travaux d’Argyris et Schön (1974) et de Schön (1983), la pratique réflexive tend à être identifiée dans les offres de formations professionnalisantes comme un incontournable de la formation, voire une nécessité. Nous pouvons toutefois supposer que cet engouement pour la pratique réflexive ne s’appuie pas toujours sur des fondements épistémologiques solides, mais bien sur un allant-de-soi unanime et indiscutable que des professionnels doivent réfléchir à ce qu’ils font ! La nécessité de réfléchir à notre agir apparaît pour quiconque telle une évidence que l’on pourraît associer, à l’instar de Rolfe (2003) à la maïeutique socratique.

Mais qu’entend-on exactement par pratique réflexive ? Émergeant de l’expérience sociale, le processus réflexif se réfère à la capacité d’un professionnel de devenir objet de sa propre réflexion, et ce, afin de prendre des décisions sur les actions en cours et à venir (Callero 2003; Etherington, 2007). Avant d’aller plus loin, nous souhaitons souligner, comme Collin (2010), que les termes « pratique réflexive », « réflexion » et « réflexivité » ne sont que rarement distingués dans la littérature, et encore pas de façon consensuelle. Par choix, nous privilégions le terme schönien de « pratique réflexive ».

La pratique réflexive peut être appréhendée comme un outil d’autosupervision puisqu’elle permet au professionnel de reconnaître en lui des attitudes et des pratiques qui ne sont pas spontanément conscientes, voire, qu’il s’efforce d’ignorer. Cette capacité d’analyser sa propre activité professionnelle constitue une compétence-clé pour le futur enseignant du supérieur comme pour l’enseignant en fonction qui souhaite faire évoluer sa pratique, s’adapter aux changements ou développer son expertise professionnelle. Or, si les travaux sur la pratique réflexive et la réflexion dans l’enseignement sont en développement depuis les années 1990, l’ambiguïté et la polysémie qui entourent ce concept sont relevées par plusieurs (Birmingham, 2004 ; Lee, 2005).

Dans les écrits scientifiques, la pratique réflexive a notamment été considérée comme un processus de réflexion (Dewey, 1933), d’expérimentation (Schön, 1983), de résolution de problèmes (Copeland, Birmingham, De La Cruz & Lewin, 1993), d’apprentissage (Schön, 1983; Korthagen, Kessels, Koster, Lagerwerf & Wubbels, 2001) et métacognitif de régulation de l’action (Korthagen et al., 2001 ; McAlpine, Weston, Beauchamp, Wiseman & Beauchamp, 1999). Dans le cadre de cet article, nous souhaitons l’aborder comme un processus d’apprentissage (Schön, 1983 ; Kelchtermans, 2001 ; Korthagen et al., 2001) inscrit dans le temps, parce qu’il nous paraît capital qu’il y ait des allers-retours entre l’action et la réflexion afin de permettre une transformation de la pratique ; celle-ci représentant alors un apprentissage.

Parmi les nombreux auteurs ayant proposé des modèles de pratique réflexive, nous avons retenu Kelchtermans (2001). Le choix de ce modèle n’est pas hasardeux. D’une part, nous avons opté pour la pratique réflexive comme processus d’apprentissage parce qu’il nous paraît capital qu’il y ait un va-et-vient continuel entre l’action et la réflexion afin de permettre une réelle évolution et donc un apprentissage à la suite de ces allers-retours entre « l’agir et le penser ». Cela s’adapte donc bien au contexte de formation à l’enseignement supérieur dans lequel nous travaillons puisque la plupart de nos étudiants sont des enseignants en fonction. D’autre part, ce modèle est, au départ, conçu pour des enseignants en formation initiale du secondaire, il nous semblait donc intéressant de le mettre à l’épreuve de la formation initiale des enseignants dans le supérieur. À ce titre, il nous paraissait relativement aisé à expliquer aux participants de nos formations quelle que soit leur discipline et à les inviter à le mettre en pratique.

Kelchtermans (2001) déplore que la pratique réflexive ne se limite souvent qu’à des aspects instrumentaux. En enseignement supérieur, cette observation n’est pas surprenante puisque les enseignants n’ont que peu d’outils pour développer réellement leur pratique réflexive. Rappelons-nous que ces enseignants n’ont pas eu de formation initiale et que plusieurs enseignants « font de l’enseignement » par obligation. Nous considérons donc, à l’instar de Paquay et de Sirota (2001) qu’il est essentiel d’élargir le champ d’application à d’autres dimensions puisque la réflexion est « un outil puissant qu’ont les enseignants pour faire face à la complexité des situations d’enseignement en classe et améliorer leur efficacité » (Ibid., p. 11). Kelchtermans (2001) considère même la pratique réflexive comme étant pratiquement le seul outil dont les enseignants disposent pour traiter cette complexité et la nature particulière de l’enseignement en classe. Cette perspective n’est pas sans rappeler le reflection-in-action de Schön (1983).

En outre, pour Kelchtermans (2001), seul le fait de dépasser le côté purement technique de la pratique réflexive permet un développement professionnel. En ce sens, il considère que les questions d’ordre éthique, politique et émotionnel sont celles qui renvoient à la construction d’un soi professionnel. Ainsi, la pratique réflexive serait constituée de quatre dimensions qui sont la dimension instrumentale, la dimension morale, la dimension politique et la dimension affective. Nous les présentons brièvement dans les sections qui suivent.

1.1 La dimension instrumentale

Dans le cadre des formations que nous donnons, nous mettons en place des activités de type microenseignements. Les analyses réflexives produites par les participants à partir des vidéos et des grilles d’observation complétées par les pairs nous amènent à constater que nombre d’entre eux ont, dans un premier temps, tendance à limiter leur réflexion à des aspects purement techniques (atteinte des objectifs, connaissance suffisante du contenu à passer, qualité des supports visuels, etc.).

Force est de constater que cet aspect instrumental fait partie intégrante de la pratique réflexive. Les questionnements qui le définissent reflètent ce que l’on désigne comme l’éthique du sens pratique qui guide le travail des enseignants. En ce sens, nombre d’enseignants ne sont convaincus de la véracité d’une idée ou d’une méthode que s’ils l’ont eux-mêmes expérimentée et qu’ils en ont éprouvé l’efficacité dans le cadre de leur propre pratique. C’est sans doute également dû au fait que la plupart d’entre eux doivent travailler dans une certaine urgence et dans la complexité, c’est-à-dire faire en sorte que cela fonctionne bien, ou à tout le moins minimalement. Rappelons-nous également que ce qui caractérise l’enseignement supérieur, c’est que le corps professoral détient une expertise disciplinaire reconnue (Bédard, 2006 ; Levander & Repo-Kaarento, 2004) sans pour autant posséder nécessairement une formation en pédagogie (Loiola & Tardif, 2001 ; Menges & Austin, 2001 ; Romainville, 2006). Cela amène sans nul doute les enseignants à se poser des questions avant tout très pragmatiques.

Si les préoccupations liées à la résolution de problèmes techniques sont bien évidemment légitimes, il est toutefois essentiel de ne pas réduire la formation des enseignants du supérieur à la pratique réflexive à ce seul aspect pour éviter d’omettre l’articulation entre la dimension instrumentale et les trois autres dimensions.

1.2 La dimension morale

Selon Kelchtermans (2001, p. 51), « l’enseignement est […] une activité profondément morale ». Cette dimension découle, d’une part, du fait que l’enseignement contribue à la création des générations futures , et d’autre part, du fait que les enseignants émettent constamment des jugements qui sont significatifs sur le plan moral, que ce soit vis-à-vis des étudiants, des collègues, des personnes qui accueillent les étudiants en stage ou de tout autre individu dans la société. 

De plus, tout enseignant se trouve en permanence confronté à des prises de décisions qui auront tôt ou tard des conséquences morales (Larrivee, 2000), et ce, quelle que soit la décision qu’il prendra et/ou les acteurs concernés par celle-ci. Se préoccuper des dimensions morales de l’enseignement implique habituellement un choix sur un continuum allant de « meilleure conduite » à « moins bonne conduite », et non une dichotomie entre un bon et un mauvais choix. En réalité, il n’y a pas de ligne de conduite claire, pas de principe universel pour décider de la meilleure décision à prendre en toutes circonstances, tout étant finalement dépendant du contexte. Les enseignants doivent ainsi vivre leur vie morale sur un terrain complexe, instable, et ce, d’autant plus qu’en ce début de 21e siècle, les certitudes morales basées sur la tradition ou la science s’effritent et que tout individu doit compter sur sa propre réflexion comme base d’un jugement moral (Hargreaves, 1995).

Traiter de la dimension morale n’est pas aisé, car cela place les enseignants du supérieur dans une position où ils sont susceptibles de devoir affronter les critiques du monde extérieur. En effet, la place des universités, de leurs rôles et de leurs missions est particulièrement questionnée en ce moment. Néanmoins, cette dimension est vitale pour assurer un bon enseignement, particulièrement dans une l’idéologie néolibérale qui assimile l’éducation à une entreprise de service (Lenoir & Vanhulle, 2008). Kelchtermans (2001) ajoute que cette dimension morale n’est pas seulement importante en termes de tâches fondamentales et de devoirs imputés aux enseignants, mais qu’elle l’est également parce que c’est en partie le coeur de leur motivation et de leur satisfaction en tant que professionnels ayant pour mission l’enseignement.

1.3 La dimension politique

Les questions de pouvoir et d’intérêt font très souvent partie intégrante des problèmes et des dilemmes de l’enseignement. Ces questions ne touchent pas uniquement aux valeurs et aux normes ; elles recouvrent également des questions de politique de l’enseignement et du développement professionnel des enseignants et des futurs enseignants. Pourtant, ces questions restent souvent encore relativement peu abordées dans le domaine de l’enseignement supérieur où la recherche a souvent été motrice de changement. Ce manque d’intérêt empêche beaucoup d’enseignants de voir la dimension politique dans leur travail et sa pertinence fondamentale pour leur efficacité, mais aussi pour leur satisfaction professionnelle, la qualité des situations d’apprentissage proposées aux étudiants et leur pratique réflexive (Lison, 2003).

Depuis plus d’une dizaine d’années, de nombreux auteurs ont réalisé des recherches dans le cadre de ce que l’on nomme la micropolitique (Kelchtermans & Vandenberghe, 1998; Manke, 1997). Celle-ci fait référence aux stratégies utilisées par les individus, dans un contexte organisationnel, pour utiliser leurs ressources afin de promouvoir leurs intérêts. Ces questions d’intérêt, de pouvoir, d’influence ou de contrôle se retrouvent aussi bien chez les futurs enseignants que chez les enseignants expérimentés. Elles sont en fait intrinsèques au métier lui-même.

Il importe d’être conscient que les questions d’ordre politique dépassent souvent le simple niveau du programme pour s’étendre à la faculté, voire à l’université en tant qu’organisation. Alors que les discussions sur les valeurs, les buts et les méthodes d’enseignement semblent souvent n’être que de nature technique ou morale, elles comportent en fait fréquemment un côté politique conséquent. Nous pouvons d’ailleurs le constater lorsque des programmes complets s’inscrivent dans une innovation de type curriculaire.

1.4 La dimension affective

Aucun enseignant, de l’école primaire à l’université, ne nie le fait que les aspects psychoaffectifs ont une place prépondérante dans l’enseignement et l’apprentissage. Ils en constituent même une dimension charnière. Cependant, d’aucuns considèrent qu’il ne s’agit que de problèmes de personnalité ou de style d’enseignement, ne prenant alors pas en considération le fait que les émotions constituent l’un des aspects fondamentaux du métier d’enseignant en tant que tel.

Puisque l’enseignement est un métier de l’humain, il semble difficile de se libérer des émotions positives ou négatives en passant la porte de la classe. Les établissements d’enseignement supérieur, comme tout organisme scolaire, en regorgent. Ces aspects psychoaffectifs jouent donc un rôle dans l’enseignement et, a fortiori, dans la formation des enseignants du supérieur. C’est d’autant plus important que certains enseignants se retrouvent face à des étudiants qui n’ont pas forcément pour visée première la formation dans laquelle ils sont inscrits. Pensons par exemple à certains étudiants de biologie qui veulent en réalité augmenter leur cote R pour entrer en médecine ou à des étudiants inscrits au baccalauréat en enseignement au secondaire profil français langue d’enseignement qui suivent leurs cours disciplinaires avec des étudiants de la Faculté des lettres et des sciences humaines. La problématique se complexifie encore plus lorsqu’il est question de formation en ligne, réalité de plusieurs enseignants du supérieur à l’heure actuelle.

Pourtant qu’il agisse en présentiel ou à distance, l’enseignant est avant tout un être humain avec une histoire, un passé, un vécu, des émotions… Ses propres caractéristiques personnelles entrent alors en interaction avec celles d’autres êtres humains, collègues ou étudiants, qui ont eux aussi leur propre vécu, ainsi que leurs propres sentiments et émotions. Utilisé à bon escient, cet aspect de la pratique enseignante peut devenir un outil puissant de pratique réflexive (Lison, 2003 ; Orland-Barak, 2005) et de développement professionnel.

Pour conclure sur les quatre dimensions de la pratique réflexive proposées par Kelchtermans (2001), il importe de retenir que pour celui-ci, un développement des enseignants qui tient compte de la richesse et de la complexité d’une telle profession doit nécessairement intégrer ces quatre dimensions (instrumentale, morale, politique et affective) relativement imbriquées les unes dans les autres, ou, dans la mesure du possible, tenter de le faire. Et ce n’est qu’à la condition que la réflexion comprenne cette vision ou perspective large de l’enseignement qu’un véritable développement professionnel pourra se concrétiser.

2. (Se) Former à la pratique réflexive dans une perspective de développement professionnel

Dans les écrits scientifiques, les auteurs semblent s’entendre pour considérer l’importance de la démarche réflexive dans le développement de l’identité professionnelle (Beauchamp & Thomas, 2010 ; Schön, 1983). Il en est de même pour les enseignants du supérieur qui n’ont que peu eu l’occasion de questionner leurs pratiques et de faire de la démarche réflexive une seconde nature. Comme le soulignent Mann, Gordon et MacLeod (2007,), la réflexion n’est pas une pratique spontanée, mais bien stimulée par le contexte éducatif lui-même. « De nombreux auteurs ont tenté d’identifier les conditions de la formation à la pratique réflexive, notamment en formation initiale à l’enseignement (Chanier & Cartier, 2006 ; Paquay, Altet, Charlier & Perrenoud, 2001). Nous pensons que plusieurs outils mis en place dans ce cadre peuvent être utilisés à l’ordre supérieur pour développer la compétence réflexive, même cette métacompétence (Correa Molina et al., 2010).

Dans le cadre des formations en enseignement supérieur auxquelles nous avons contribué et participé, le développement de la pratique réflexive s’est fait de manière transversale, c’est-à-dire tout au long du programme. Mais alors, comment évaluer cette compétence ? Comme le soulignent Derobertmasure et Dehon (2009), l’évaluation de la pratique réflexive ne peut se faire que par le biais de mesures indirectes. « Il s’agit de répondre à la double question suivante : les étudiants ont-ils, à quelque degré que ce soit, fait preuve de réflexivité ? Si oui, à quel niveau de réflexivité cette manifestation peut-elle être associée ? » Ces questions nous semblent d’autant plus pertinentes qu’elles dépendent probablement du modèle de pratique réflexive dans lequel s’inscrivent les enseignants.

Comme pour tout domaine d’apprentissage, il apparaît donc important que les apprentissages reposent sur un langage, des concepts et des théories explicites et partagés par tous les acteurs impliqués. Ainsi, il serait peut-être pertinent de s’assurer rapidement de cette compréhension commune. Ceci n’empêche pas, au contraire, que la pratique ou le développement de la pratique réflexive puisse se dérouler sur l’ensemble du cursus, puisqu’il paraît important de laisser du temps et de l’espace à l’apprentissage pratique de la réflexion professionnelle (Correa Molina et al., 2010). En ce sens, il y aurait peut-être une passerelle à établir entre apprenant autonome et pratique réflexive. Réfléchir sur les stratégies d’enseignement et d’apprentissage en cours de formation favoriserait-il la pratique réflexive en pratique, particulièrement en début de pratique professionnelle ?

Selon Perrenoud (2001), se former à la pratique réflexive, c’est apprendre à douter, à s’étonner, à poser des questions, à lire, à mettre des réflexions par écrit, à débattre, à réfléchir à haute voix. Il est également question d’apprendre à sérier les problèmes, à répartir les tâches, à trouver des informations, à s’assurer de l’aide. C’est aussi apprendre à utiliser des savoirs théoriques qui permettent de formaliser l’expérience, à envisager et échafauder des hypothèses, à modéliser le réel, à jongler avec les idées, à suivre des intuitions. Ainsi, apprendre aux futurs enseignants et enseignants du supérieur à réfléchir sur leur pratique revient à leur apprendre à faire le deuil des certitudes, des problèmes définitivement résolus, à leur apprendre à vivre dans la complexité de la profession enseignante. Mais c’est aussi leur apprendre à tirer profit de leur expérience quotidienne pour continuer à développer et à parfaire leurs compétences d’enseignant (Brockbank & McGill, 2007 ; Donnay & Charlier, 2008 ; Loughran, 2006).

L’enjeu d’une telle formation n’est donc pas seulement de doter les enseignants d’un mécanisme de « reproduction » des pratiques vécues, mais de les inviter à une éthique et à une pratique régulière du doute, de l’analyse et du développement professionnel les amenant à pratiquer des allers-retours continuels entre leur pratique et la formation qu’ils suivent. Ainsi, cela permettrait de rendre un apprentissage actuellement informel (non structuré, aléatoire, dépendant de la volonté des enseignants, fondé sur des bases théoriques plus ou moins validées ou reconnues, etc.) en un apprentissage formel (structuré, fondé sur des bases théoriques solides et partagées, etc.). Une formation à la pratique réflexive devrait permettre au futur enseignant du supérieur d’être celui qui définit les problèmes émanant de sa propre pratique et les résout. Or, force est de constater que nombre de débutants « récupèrent » tout simplement ce qui est fait par le précédent sans forcément questionner les approches ou les méthodes d’évaluation.

Nous considérons que l’un des avantages majeurs des étudiants en formation à l’enseignement supérieur est qu’ils sont à la fois en apprentissage et en pratique, ce qui leur permet une certaine autorégulation. Par contre, cela n’empêche pas que, pour devenir un praticien réflexif, il faille non seulement du temps (Larrivee, 2000) et un environnement supportant (Mann et al., 2007), mais également un accompagnement (Donnay & Charlier, 2008). Il est également intéressant de questionner l’intérêt d’une supervision qui permettrait au praticien de rester lucide sans se dévaloriser ou d’un compagnonnage (Beckers, 2009) qui permettrait un dialogue avec des collègues dans une relation de confiance.

Le compagnon réflexif[4], un pair ou un collègue, doit pouvoir, dans les situations de travail de l’enseignant avec lequel il dialogue, l’aider à aller au-delà des routines de fonctionnement, du train-train quotidien, des clichés, des habitudes installées, des à priori. C’est ce que nous tentons de mettre en place dans le cadre des formations, en étant un compagnon réflexif pour les enseignants participants et les incitant à le devenir les uns pour les autres. Le compagnon réflexif peut aider son collègue à se rapprocher du réel, à le voir sous d’autres angles afin de l’appréhender plus objectivement. Il ne s’agit donc pas d’imposer une façon de voir, mais plutôt de se placer dans une relation triangulaire où un tiers facilite la mise en présence du réel et de l’enseignant (Donnay, 1997 ; Lison, 2003 ; Perrenoud, 2001).

Les comportements du compagnon réflexif sont susceptibles de favoriser chez un futur enseignant ou un enseignant du supérieur : (1) une réflexion sur sa pratique, (2) un apprentissage à partir de sa pratique, et (3) une intégration des nouveaux apprentissages dans sa pratique ainsi revisitée. Il est à noter que le compagnon réflexif peut être représenté par un individu tel que mentionné plus haut, mais aussi par ce que l’on nomme une communauté de pratique (community of practice) (Whitehead & Fitzgerald, 2007). Évidemment, accéder à une telle communauté de pratique suppose d’en apprendre les discours, les normes et l’éthique professionnelle, de même que d’en faire évoluer la culture pour créer sa propre identité (Crossouard, 2010) professionnelle. Accéder à une telle communauté de pratique pourrait être pertinent, particulièrement en début de carrière, puisque pour bon nombre de nouveaux enseignants, les premières expériences sont difficiles. Leur doctorat ne les a pas préparés à l’enseignement et les contenus qu’ils doivent enseigner sont parfois assez loin de leur champ de spécialisation.

La pratique réflexive peut alors apparaître comme une démarche permettant, d’une part, de faire le lien entre la théorie et la pratique (Collin, 2010; Fazio, 2009) et, d’autre part, de différencier ce qui dépend de sa propre action professionnelle de ce qui lui échappe. Elle incite, dans le cas qui nous occupe, l’enseignant à accepter de ne pas être une machine infaillible. Ainsi, l’entraînement à une pratique réflexive présente une double utilité : d’une part, il permet de poser un regard lucide sur son propre fonctionnement, et d’autre part, il permet une augmentation de la qualité de l’enseignement et de l’apprentissage (Mann et al., 2007)

3. Penser la pratique réflexive dans une approche de Scholarship of Teaching and Learning

L’augmentation de la qualité de l’enseignement et de son impact sur l’apprentissage, c’est la visée même du Scholarship of Teaching and Learning (SoTL). Née d’une réflexion initiale de Boyer (1990) concernant la valorisation de l’enseignement et l’importance de rendre cet acte « public », au même titre que la recherche l’est, l’idée a fait son chemin pour en arriver aujourd’hui au concept de SoTL. Bien que plusieurs auteurs aient tenté une traduction de ce concept (Langevin, 2007; Rege Colet & Berthiaume, 2009; Rege Colet, McAlpine, Fanghanel & Weston, 2011), nous n’en considérons aucune satisfaisante. Nous utiliserons donc l’acronyme SoTL. Le SoTL est une forme de développement professionnel basée sur une conception professionnalisante de l’enseignement universitaire et de son développement (Bélanger, 2010). Concrètement, cela amène les enseignants à s’inscrire dans une démarche systématique d’analyse et de modification de leur pratique (Hutchings et Shulman, 1999). Dès lors, la perspective du SoTL est inséparable de celle du praticien réflexif. Nous proposons ci-dessous une carte conceptuelle du SoTL afin de permettre au lecteur de rapidement comprendre le processus dont il est question.

Figure 1

Carte conceptuelle du SoTL

Carte conceptuelle du SoTL

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Depuis quelques années, plusieurs auteurs ont tenté de proposer un modèle permettant d’expliquer le processus du SoTL (Kreber & Cranton, 2000 ; McKinney, 2007 ; Smith, 2001 ; Trigwell, Martin, Benjamin & Prosser, 2000). McKinney (2007) considère que la démarche comprend trois paliers : un enseignement efficace (good teaching), un enseignement rigoureux et réflexif (scholarly teaching) et le SoTL. Pour parvenir à s’inscrire dans un processus SoTL, trois étapes-clés sont à considérer : une pratique réflexive, une investigation sur cette pratique et une communication sur les résultats de l’investigation et les potentiels changements mis en place. Ces trois étapes sont nécessaires pour considérer une démarche SoTL. Dès lors, la pratique réflexive n’est que la première étape du processus. De plus, il importe de noter qu’il ne s’agit pas de faire de tous les enseignants des chercheurs en éducation, et ce, indifféremment de leur discipline. Ce serait même l’un des effets pervers du SoTL, selon Rege Colet et al. (2011). Au contraire, le SoTL valorise grandement le regard que pose le praticien chercheur de l’intérieur de sa discipline, c’est donc au coeur même de celle-ci que doit en fait se développer une recherche en pédagogie de l’enseignement supérieur.

Pour réussir à amener les enseignants qui participent à nos formations à l’enseignement supérieur à penser leur enseignement dans une approche SoTL, nous leur demandons avant de poser un regard critique et réflexif sur leurs pratiques à partir du modèle de Kelchtermans (2001). En effet, l’approche réflexive à travers les quatre dimensions proposées (instrumentale, morale, politique et affective) nous semble un point d’entrée pertinent pour les enseignants. Facile à comprendre, ce modèle permet également aux enseignants de réaliser que l’enseignement n’est pas une « simple tâche instrumentale », mais qu’il est traversé par d’autres considérations qui doivent tout autant être prises en compte.

Pour travailler la pratique réflexive, plusieurs stratégies sont possibles, du portfolio (Orland-Barak, 2005), au storytelling (Binks, Smith, Smith & Joshi, 2009), en passant par le journal de bord (Polster, 1987), le retour sur vidéo (Harford & MacRuairc, 2008), les groupes de discussion et de réflexion collaboratifs (Fazio, 2009), les communautés de pratiques en ligne (Collin, 2009), voire les études de cas (Périsset Bagnoud, Andrey-Berclaz, Steiner & Ruppen, 2006). Dans le cadre de notre enseignement, nous avons choisi de proposer aux enseignants de tenir un carnet réflexif, qui s’apparente à ce que plusieurs auteurs nomment le journal de bord. Dans ce carnet qui se veut avant tout un outil personnel, nous les incitons à penser leurs pratiques à partir des quatre dimensions du modèle de Kelchtermans (2001). En effet, première étape du processus SoTL, la pratique réflexive semble plus creusée à travers les différentes dimensions de Kelchtermans (2001) puisque les enseignants sont « forcés » de la penser sous divers angles. Afin de rendre l’analyse des pratiques et la réflexion sur celles-ci plus solides, nous conseillons fortement aux enseignants de remplir leur carnet réflexif après chaque séance de cours afin d’avoir clairement en mémoire ce qui s’est (réellement) passé, en se posant, pour chacune des quatre dimensions de Kelchtermans (2001), des questions-clés. Celles-ci sont présentées dans la figure 2.

Figure 2

Questionnement autour du SoTL (Bélisle, 2012)

Questionnement autour du SoTL (Bélisle, 2012)

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L’objectif de ces questions, tournées plutôt sous l’angle de l’apprentissage que de l’enseignement, est d’amener les enseignants à s’inscrive dans le paradigme de l’apprentissage plutôt que de l’enseignement (Barr & Tagg, 1995). En échangeant avec les enseignants lors des activités de formation que nous donnons, nous avons pu constater que cette prise de position les a parfois déstabilisés. Si les dimensions de Kelchtermans (2001) les incitaient à questionner leur propre pratique, ils n’avaient pas tous fait un lien systématique avec l’apprentissage de leurs étudiants. Nous avons tendance à penser que les enseignants qui s’inscrivent plutôt dans le paradigme de l’apprentissage feraient preuve de davantage de réflexivité. Mais en parallèle, nous avons également pu constater, lors des échanges et de la lecture de différents carnets réflexifs, que leurs préoccupations réflexives n’étaient pas nécessairement axées sur la même dimension. Nous postulons que ces différences sont dues à la formation (plus professionnalisante d’une part et plus fondamentale d’autre part) dans laquelle les enseignants interviennent, à leur expérience (débutants ou expérimentés), mais également à leur « position » (permanents ou non) dans leur faculté ou leur institution. Ainsi, les enseignants non permanents semblent par exemple accorder une importance particulière aux aspects instrumentaux et affectifs, tout en considérant que la dimension politique leur échappe alors qu’elle leur paraît essentielle dans leur situation. Cela nous semble aller dans le sens de plusieurs recherches qui démontrent que les novices, préoccupés par des problèmes très concrets, ont parfois tendance à chercher des recettes (Åkerlind, 2007; Beney & Pentecouteau, 2008). Dans le même ordre d’idées, les non-permanents pourraient être sensibles à la dimension affective possiblement en lien avec l’évaluation des enseignements qui peut avoir un impact significatif sur la suite de leur carrière académique. Ces constats et les interprétations que nous en avons faites ne sont par contre pas établis scientifiquement et une recherche en bonne et due forme permettrait probablement de les asseoir de manière plus formelle.

L’approche SoTL permet aux enseignants de s’inscrire dans une posture professionnelle qui conjugue à la fois pratique réflexive appuyée sur la base de textes scientifiques et recherches-actions ou evidence-based dans une perspective d’amélioration de leurs pratiques et de l’apprentissage des étudiants. Ce qui nous semble particulièrement pertinent, c’est alors de démontrer aux enseignants expérimentés que leur réflexion individuelle a intérêt à être partagée collectivement, même avec des débutants, afin d’inscrire leur démarche dans un développement professionnel continu. C’est sans nul doute en partie cela la professionnalisation du métier de professeur d’université.

Conclusion

C’est probablement dans le secteur des métiers de l’humain que le concept de praticien réflexif a acquis ses lettres de noblesse. Aujourd’hui, plus de vingt-cinq ans après la publication phare de Schön (1983), la conception du professionnel qui réfléchit sur sa pratique s’est largement diffusée dans les organisations préoccupées par une visée de professionnalisation. Dès lors, est-il utopique de penser que la formation des enseignants du supérieur passe avant tout par une pratique réflexive qui amène une démarche de SoTL ? Nous ne le pensons pas. Au contraire, nous croyons donc qu’il est de notre responsabilité de le faire. En tant que compagnon réflexif, nous nous devons d’amener les enseignants à questionner leur enseignement et les impacts qu’il a sur les apprentissages des étudiants. Pour y parvenir, les dimensions proposées par Kelchtermans (2001) nous paraissent une avenue intéressante à considérer. Mais cette exploration suscite de nombreuses questions qui pourront alimenter plusieurs recherches. Le modèle de Kelchtermans est-il le plus adapté pour développer la pratique réflexive des enseignants du supérieur dans une logique SoTL ? Comment assurer le développement durable d’une pratique réflexive chez les enseignants de différentes disciplines ? Et comment les amener à passer de la « simple » pratique réflexive à une réflexivité appuyée par la recherche ? Si l’on veut réellement permettre aux enseignants du supérieur de s’inscrire dans une logique de développement professionnel du type SoTL, doit-on leur imposer un passage par la formation ? Ou devrait-on remettre sur pied un centre de formation et de recherche dont la mission serait de favoriser les liens entre recherche et enseignement ? Dans ce cas, les institutions d’enseignement supérieur elles-mêmes ne devraient-elles pas prendre une position ? Par exemple, en mettant en place ce que Wouters, Lanarès, Frenay et Berthiaume (2010) appellent un dossier d’enseignement (teaching dossier, teaching portfolio) ? La valeur de cet article réside donc en partie dans le fait d’ouvrir une avenue de recherche sur le développement de la pratique réflexive en enseignement supérieur.

Nous considérons que favoriser la formation des enseignants du supérieur ne peut avoir que des effets positifs, que ce soit du coté personnel pour les enseignants et les étudiants, mais également le coté collectif, et notamment celui de la profession elle-même. C’est la mission de ses acteurs que de la faire évoluer et s’adapter aux besoins de la société. Mais pour y parvenir, il faut y consacrer du temps et accepter de remettre en question nos us et coutumes, notamment en matière de prédominance de productions de recherche. Par ailleurs, il est probable que cette saine curiosité et cette perpétuelle remise en question soient le chemin le plus réaliste vers l’apprentissage professionnel, mais surtout celui qui prépare le mieux au travail collaboratif avec d’autres professionnels. Alors, peut-être pourra-t-on dompter un apprentissage encore trop informel ou le formaliser clairement pour redonner du pouvoir (empowerment) aux enseignants du supérieur qui rencontrent des défis professionnels toujours plus grands et toujours plus complexes.