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Introduction

Depuis un certain nombre d’années, les sociétés oeuvrent à créer les conditions d’une égalité sociale, juridique et professionnelle entre les hommes et les femmes. Marcel Gauchet, philosophe et historien indique en 2014 que « nous sommes à l’âge de l’égalité » (Gauchet, 2014, p.47) et que nous avons affaire à « une révolution anthropologique ».Désormais, l’humanité n’est plus organisée par la contrainte de l’assujettissement des femmes. Hommes et femmes sont désormais égaux, alors que l’humanité depuis qu’on la connaît s’est toujours pensée dans l’inégalité de différence sexuelle, qui était structurante pour l’identité des gens, s’effondre, obligeant chacun à se débrouiller en dehors de tout cadre symbolique et collectif. (idem, p.48).Nous sommes dans une société de droit dont la force et la puissance de civilisation, la grandeur par certains côtés, relèvent de leur capacité à ériger des lois censées présidées à un vivre ensemble reposant sur de grandes valeurs, telles que l’égalité des hommes et la justice. La référence implicite ou explicite dans leurs textes fondateurs aux principes universels implique de façon plus ou moins appuyée, la prise de ces valeurs universelles sur « l’esprit des lois ». L’égalité est passée de l’idée au concept. Malgré l’existence d’un arsenal juridique important, des inégalités entre les sexes en matière de salaires et de carrières et de la forte concentration du travail féminin persistent. On est en droit de se demander pourquoi il semble fréquent de « qualifier » l’égalité d’un adjectif ou d’un adverbe. La loi du 4 août 2014 dans ses dispositions introduit la notion « d’égalité réelle ».De quoi parle-t-on ? Comment ce concept s’articule-t-il avec celui de l’égalité formelle ? Le passage de l’égalité formelle à l’égalité réelle est-il si difficile à faire ? Ce qui signifie que la mise en visibilité du respect de l’égalité professionnelle ne peut pas être réglée par le seul mécanisme quantitatif.

Le poids des stéréotypes sexistes demeure et favorise toujours des processus de construction des inégalités en amont et en parallèle. Les pouvoirs publics, la commission de « lutte contre les stéréotypes et la répartition des rôles sociaux » ont compris que les transformations allaient être lentes. Au regard de cette problématique, nous nous intéressons aux conditions de réalisation de cette égalité réelle professionnelle. Cela nous amène à introduire le questionnement suivant : quels seraient les outils conceptuels qui nous permettraient de construire cette égalité réelle en tant que nouvel espace relationnel entre les femmes et les hommes ; et quel serait le choix pédagogique pertinent pour accompagner un tel changement dans la lutte contre les stéréotypes sexistes. Faut-il continuer à ériger les stéréotypes en icônes, investis d’un statut anthropologique ou faut-il comme le préconise Fraisse « abandonner de critiquer les « images » ou qualifier les identités, traquer les mauvaises définitions, ou courir après le bon sujet » (Fraisse, 2016, p.42).Nous optons pour trois partis pris. Le premier est qu’il est nécessaire d’inscrire l’égalité professionnelle dans une dimension globale qui relie égalité formelle et égalité réelle ; ce qui nécessite une réforme des mentalités. Le deuxième est que la construction de nouveaux espaces relationnels mixtes coopératifs basés sur des relations réciproques et symétriques favoriserait cette égalité réelle. Et enfin, cette démarche s’accompagne d’un travail pédagogique sur les images pour obtenir une vision partagée de ce que pourrait être l’« égalité professionnelle » pour les femmes et pour les hommes. Les différents dispositifs réglementaires préconisent de mettre en place dans les organisations, des actions de formation, de sensibilisation pour promouvoir cette égalité professionnelle et pour lutter contre les stéréotypes sexistes. Chargée d’accompagner un groupe d’étudiants inscrits dans un parcours de formation « Pratiques et Ingénierie de la formation » au sein  de l’Ecole Supérieure du Professorat et de l’Education (ESPE), nous avons cherché à mettre en place une méthode et une théorie répondant aux enjeux de l’institution et aux nouvelles instructions du ministère de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (Gaudy, 2015) qui sont d’intervenir dans les pratiques professionnelles et pédagogiques des acteurs et actrices du système pour structurer une approche systémique de l’égalité entre les femmes et les hommes. Nous nous sommes efforcée de rechercher les outils conceptuels et pédagogiques pour penser l’égalité professionnelle en tant que nouvel espace social relationnel. Nous avons regardé de quelle façon, la mixité peut encourager la création de cet espace dans une dimension d’ouverture et de décloisonnement dans la relation entre les femmes et les hommes et nous faisons l’hypothèse que dans la mesure où « la mixité dans l’entreprise est admise mais pas encore mise en oeuvre » (GEF, 2015, p.4)[1], une pédagogie créative permettrait de mettre en lumière les stéréotypes sexistes pour qu’ils deviennent des atouts. Un travail sur les représentations individuelles et collectives de « l’égalité professionnelle » est un préalable à la construction de cet « espace mixte ».Il fait appel au langage symbolique et métaphorique pour le définir comme un réceptacle fécond favorisant la coopération des activités conceptuelles et d’imagination. Aussi, s’inspirant des travaux de Bachelard et de Durand (1964 /2012) qui accordent à l’imaginaire la même validité et la même actualité que celle qu’ils décernent à la voie de la rationalité, nous avons choisi d’explorer ce thème en proposant à nos étudiants une démarche d’autoformation qui « suppose en effet un double processus d’émancipation des déterminismes sociaux hérités et incorporés » (Galvani, 2001) et qui implique une suspension des représentations, une nouvelle immersion dans les différents niveaux sensori-moteurs, affectif, symbolique de l’expérience.

1. Les enjeux de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes

1.1 Entre égalité formelle et égalité réelle, quels liens possibles ?

L’égalité dans sa dimension universelle ne se construit que progressivement dans l’histoire de l’humanité. Il peut y avoir toutes sortes de degrés d’universalité dans le temps et dans l’espace. Les faits marquants pour la France sont la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 complétée en 1966 qui rappellent l’universalité dans la façon de « dimensionner » ces valeurs dans la vie de l’Etat. L’égalité se pense comme totalité, selon Poulain de la Barre (cité par Fraisse, 2016, p.14), « premier penseur de l’égalité à la fin du XVII siècle. Pour lui, l’égalité ne souffre pas de limite et son affirmation, « l’égalité des sexes » dans son texte de 1673 doit assumer toutes les conséquences pratiques, c’est-à-dire sociales et politiques ». Rousseau coupe court à toute émancipation des femmes dans son premier contrat social. Il y voit un danger pour l’équilibre des sexes et la société toute entière. Pour penser en même temps, l’égalité de tous et l’inégalité des sexes, il suffit de fragmenter la société en différents lieux ou instances et de pratiquer le désordre des affirmations. Avec l’avènement du contrat social, on séparera le civil du domestique, on créera un espace politique, et la femme deviendra la « précieuse moitié de la République » (Fraisse, 2016, p.30).Dans les siècles qui suivent, la logique de l’égalité, dans son « entièreté » voisinera avec des formules plus modérées, par exemple celle du XIXe siècle, à la recherche de la presque égalité. Il convient pour penser l’égalité des sexes, de ne pas séparer les sphères privée et publique et de « joindre ces deux espaces dans une même recherche de vie active » (Fraisse, 2016, p.39).

Le principe de l’égalité professionnelle a en effet été longtemps affirmé dans la loi française au nom d’une exigence éthique d’égalité entre les hommes et les femmes avant d’apparaître comme une dimension importante de de la stratégie européenne de l’emploi. Le Traité de Rome en 1957 a consacré le principe d’égalité de rémunération pour travail égal entre les femmes et les hommes. Une série de directives a été adoptée à partir de 1975 pour préciser ce principe fondamental. Le Traité d’Amsterdam en 1997 a défini l’égalité des chances entre les femmes et les hommes comme une des missions essentielles de l’Union. De nombreuses actions visant à promouvoir cette mission ont été depuis mises en oeuvre par la Commission. En France, un fort arsenal juridique[2]est venu actualiser et renforcer la loi Roudy de 1983.La publicisation des questions de genre à travers les débats autour de la parité politique à la fin des années 1990, la modification constitutionnelle de 1999 et le vote de la loi en 2000, ont relancé l’intérêt pour cette question. Une nouvelle étape est franchie avec la loi n° 2014-873 du 4 août 2014 « pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes » qui a pour objectif de consolider les droits des femmes et d’en garantir l’effectivité lorsqu’elle n’est pas acquise, d’ouvrir de nouvelles perspectives à l’égalité et de créer les conditions d’expérimentation utiles pour la faire avancer ».Elle introduit de nouveaux enjeux d’ordre sociologique, pédagogique et psychosocial par la mise en place d’actions de promotion de la mixité dans les entreprises, de sensibilisation à la lutte contre les stéréotypes sexistes et pour l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Elle institutionnalise cette question comme un thème essentiel de la négociation collective au niveau des entreprises et des institutions publiques. Dans ce contexte, une politique systémique d’égalité est préconisée pour agir de manière globale et transversale sur les causes conjuguées d’inégalité de traitement des femmes et des hommes sur le marché du travail. L’émergence en France des politiques de mixité professionnelle, parfois qualifiées de politiques de diversité, pourrait constituer un tournant.

Egalité formelle et égalité réelle, une dynamique de reliance

La loi du 4 août 2014 en introduisant le concept d’égalité réelle pose-t-elle toute la question de l’écart qu’il y a forcément entre une loi, et sa mise en oeuvre, son acceptation ainsi que la question de la contradiction permanente entre la valeur non dimensionnée de l’égalité qui n’admet pas d’échelle unique, de hiérarchie stable, ni même une définition claire avec celles des valeurs quantitatives et dimensionnables ? Rappelons que ce qui est prescrit n’est jamais suffisant comme seul encadrement pour l’agir. Les organes chargés de contrôler le respect de la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes dressent des bilans mitigés et « n’ont de cesse de promouvoir le recours à des contraintes légales pour déconstruire les processus de discrimination et d’exclusion » ; à des exigences de codification, à des normes quantitatives (strict équilibre numérique entre les sexes) pour acter le droit. En février 2016, un secrétariat d’état à « l’égalité réelle » a été créé pour une durée de vie de 6 mois.[3]Il était chargé par décret n°2016-239 du 3 mars 2016 de « mettre en oeuvre les mesures d’égalité réelle, de décloisonnement et d’ouverture de la société, annoncées par les comités interministériels à l’égalité et à la citoyenneté et le comité interministériel aux ruralités ». Cette définition amène à positionner l’égalité réelle « en tant que système communiquant » (Morin, 2014, p.88) avec l’égalité formelle et son environnement » et dans une dynamique d’ouverture pour exprimer le « message de la complexité humaine qui consiste à comprendre le sens de la parole d’autrui, de ses idées, de sa vision du monde. (Morin, 2014, p.49). « La compréhension humaine, toujours intersubjective, nécessite ouverture sur autrui, empathie, sympathie. Elle reconnaît autrui à la fois comme semblable à soi et différent de soi : semblable à soi par son humanité, et différent de soi par sa singularité personnelle et/ou culturelle » (idem, p.52).Le développement de l’égalité réelle repose sur une réforme des mentalités pour pouvoir apprécier sa dimension humaine. L’acceptation de l’altérité est une nécessité épistémologique. La réciprocité se vit comme un système vivant, un système « transformateur » de l’égalité formelle. Et dans ce cas précis, l’égalité mathématique est impossible. Nous expérimenterons le fait que cette « réciprocité formatrice » puisse favoriser les changements de représentations.

1.2 La mixité, une dynamique sociale vers l’égalité réelle

On pense trop souvent que la mixité est la condition suffisante de l’égalité, alors que dans les faits, le passage de l’un à l’autre reste l’enjeu d’une lutte quotidienne. De nombreux travaux ont montré le rôle joué par l’école dans la construction des inégalités entre les sexes (Mosconi, 2004 ; Duru-Bellat, 2008) et qu’il ne suffit pas de décréter la mixité (même si cela est nécessaire) pour que disparaisse la division sexuée des savoirs, des compétences et de l’orientation. « Il y a donc une illusion de croire que les femmes pourront changer leur condition sociale et professionnelle par un simple changement d’orientation scolaire » (Mosconi, 2004, p.111).Comment sortir du face à face hommes-femmes qui ne peut qu’être enfermé dans une problématique de domination ?

Comment la mixité peut-elle se définir ? Selon le dictionnaire le Petit Robert, est mixte, un ensemble composé d’éléments de nature différente. Un postulat de différence de nature fonde ce concept. L’égalité en tant que principe politique s’oppose à inégalité et non à différence, comme cela est trop souvent observé. Aussi, la mixité à condition d’être problématisée et accompagnée, est un moyen incontournable d’y parvenir et pourra dès lors, constituer un signe d’une véritable égalité sociale, à partir du moment où les acteurs seront formés à concevoir et à construire l’égalité réelle en tant que nouvel espace social.

1.2.1 Mixité, rapports sociaux de sexe

La sociologie du travail par les travaux de Kergoat (2010) démontre qu’il n’y a pas de prééminence d’un rapport social sur les autres mais qu’ils se situent dans une articulation possible. Aussi, les rapports sociaux de classe, de sexe, et de « race » sont « co-substantiels », c’est-à-dire qu’ils s’interpénètrent constamment, et ne s’ajoutent pas les uns aux autres. Penser en termes de rapport social de sexe « donne un statut privilégié à l’antagonisme, au conflit, à l’idée de mouvement social sexué. Pour certains auteurs, « les rapports sociaux ne sont pas du déterminisme, mais au contraire une manière de penser et de travailler la liberté » (Molinier, 2006, p.234). Ce qui fait débat ici, c’est la manière d’accélérer la mise en oeuvre de la mixité et non ce qu’il adviendra des rapports entre les femmes et les hommes, une fois la mixité pleinement réalisée. En imposant la mixité par la loi, on la considère comme un moyen permettant d’accélérer un mouvement d’égalisation des positions sociales respectives des deux sexes et de l’analyser comme la marque de cette même égalité. Elle est pensée à la foi comme un moyen et comme fin en soi, c’est-à-dire une mixité pleinement réalisée ou paritaire. Le point de vue numérique en devenant le terrain de l’égalité ne respecte pas l’aspect non dimensionnable de l’égalité. La division du travail entre les sexes produit une situation pour le moins inattendue dans des espaces de travail en voie de mixité. L’assignation différentielle des tâches fait que dans l’espace social mixte, les deux groupes de sexe cohabitent plus qu’ils ne coexistent. On ne reconnaît pas ou pire, on dévalorise ce que les femmes pourraient apporter à l’espace de travail jusqu’alors ségrégué. Les hommes de leur côté, redoutent que la mixité n’affaiblisse le groupe et ses (construction d’un entre-soi) capacités de résistance. Fortino (2000) a repéré dans ses travaux que la mixité lorsqu’elle signifie un renforcement de la présence masculine dans un secteur numériquement dominé par les femmes, est valorisé par les femmes et simultanément elles dénigrent l’espace de travail féminisé. « A cet instant, veulent-elles bien croire, parce qu’on leur fait croire, qu’un homme est seul à même à réguler un espace qu’elles dominent du moins en apparence, du fait de leur nombre ; qu’il est le seul en mesure d’apporter au collectif, ce qu’aucune d’entre elles ne se sent capable d’apporter » (Fortino, 2000, p.199).D’un autre côté, des pratiques sociales originales ayant pour objectif de compenser la dissymétrie Homme/Femme traditionnelle émergent « lors du mouvement social des infirmières en 1992.Les hommes minoritaires dans ce mouvement, se sont interrogés sur leur légitimité à dominer l’action collective et ont cherché à ne pas reproduire les schémas féminins-masculins » (idem, p.199). L’égalité réelle ne serait-elle pas ce processus qui pourrait apporter du neuf au groupe de relations interpersonnelles ou d’organisation de travail. Au sein de ces nouveaux espaces relationnels, ne peut-on admettre « l’idée selon laquelle grâce à la mixité, les femmes pourraient transmettre au groupe de cadres, un souci plus fort envers une articulation équilibrée des sphères domestiques et professionnelles, pour que le temps du travail salarié ne domine pas ou plus l’ensemble des autres temps sociaux ; et que les hommes aient sans doute des choses à transmettre aux femmes, notamment leur rapport plus solidaire au collectif de travail, leur « être ensemble » (Fortino, 2000, p.195).Cela amène à penser la mixité au-delà de l’aspect quantitatif pour éviter de retrouver « les nouveaux habits de la ségrégation sexuelle » (Fortino, 2000, p.188).Aujourd’hui, il n’y a de nécessité ni dans la spécialisation des rôles masculins et féminins, ni de complémentarité des fonctions. Des territoires sexués d’activité, des domaines réservés à l’un ou à l’autre sexe se recréent en permanence : l’expertise pour les femmes cadres, le management pour les hommes ; la recherche et le développement pour les ingénieuses, la production industrielle pour les ingénieurs…L’inédite redéfinition du paysage professionnel suscite autant d’espoirs que d’inquiétudes, de la part des femmes comme celles des hommes.

1.2.2 Des pratiques sociales en évolution

Bien souvent, la réponse apportée pour rompre les inégalités se résume en avantages potentiels de la mixité professionnelle à tous les niveaux et qu’il est essentiel que la part des femmes dans les emplois qualifiés et très qualifiés progresse et qu’elle s’équilibre avec la part des hommes. Hommes et femmes coexistent dans des espaces sociaux qui sont à suprématie numérique tantôt féminine, tantôt masculine, et qui connaissent tantôt une situation proche de l’équilibre (40%-60%), tantôt très éloignée. Bien que le « processus de mixité au travail soit bel et bien en marche, de façon accélérée dans certains cas, plus laborieuse dans d’autres » (Fortino, 2000, p.58), elle aura du mal à se mettre en oeuvre dans les organisations si l’on n’interroge pas le sens qui permet « un élargissement des points de vue et des idées et favorise la créativité » (GEF, 2015, p.4).Comment appréhender ce nouvel espace social ? Selon nous, la mixité permettrait aux hommes et aux femmes de coopérer ensemble et de construire progressivement et en permanence les représentations partagées de l’égalité professionnelle. Dans ce cas précis, il n’est pas inéluctable que la mixité conduise à l’assimilation des pratiques, identités et représentations sociales d’un sexe sur l’autre. In finé, ne peut-on imaginer qu’une fois le processus de mixité véritablement accompli dans la sphère du travail, une nouvelle façon d’être ensemble et pourquoi pas, de nouvelles solidarités émergeront visant à créer du collectif et feront que la mixité pleinement réalisée ne se traduira pas par un maintien des discriminations sexuelles ?

2. Stéréotypes sexistes et représentations partagées de l’égalité professionnelle

L’image serait-elle plus forte que les sujets, porteurs des images ? Dans un nouvel espace relationnel, le préalable est de partir de celui qui vit le monde de l’« égalité professionnelle », qui en fait l’expérience dans sa quotidienneté et de construire progressivement et de manière permanente les représentations partagées.

2.1 Les stéréotypes sexistes, freins et atouts

En 2014, le Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes souligne la polysémie de ce terme en précisant que « les stéréotypes de sexe sont à la fois « des agents de la hiérarchie entre les femmes qui outillent les discriminations et servent à légitimer, a posteriori, les inégalités. Pour autant, contrairement à ce qui est souvent énoncé, les stéréotypes de sexe ne sont pas la source des inégalités entre les femmes et les hommes » (2014, p.9).Comment mener des actions de lutte contre les stéréotypes sexistes encouragées par la loi du 4 août 2014 ? En 2016, Fraisse confirme qu’il s’agit bien de détruire la contrainte hétérosexuée mais que les « images ne sont pas des « en soi ». « En les désignant les images stéréotypées, en les disqualifiant comme archaïques et asservissantes, on les constitue comme des réalités « hors sol », hors tout contexte, hors tout lien avec les personnes qui les portent et les véhiculent » (p.40).La norme et les stéréotypes, en devenant des substances, des réalités en soi, annulent l’importance du sujet, sujet critique peut-être, mais surtout pensant comme tout un chacun-e. Pour autant, pour avancer sur les champs de l’égalité réelle, il nous faut redonner une place au sujet et travailler l’ambivalence de ces images.

Notons que dans l’espace en voie de mixité, on constate qu’un mouvement de déplacement puis de reconduction sous d’autres formes et modalités de discriminations sexuelles et de l’assignation différenciée du travail est à l’oeuvre. La mixité amène un changement de mentalité qui « ne se fera jamais spontanément s’il reste déconnecté de la division du travail concrète » (Kergoat, 2000, p.40).La division sexuelle du travail s’incarne désormais dans une inégale répartition de la charge émotionnelle et affective du travail. En 2015, Banon (2015, p. 91-93) montre que dans une organisation marquée par une culture masculine, (aux postes managériaux), les femmes s’approprient des codes supposés masculins ; et dans le cas d’un univers professionnel mixte qui est celui des infirmiers-e-s travaillant en psychiatrie (Fortino, 2000, p.155-157), les infirmiers font « l’homme dans un métier de femme » avec violence et transgressions masculines ; et les infirmières dissimulent tout ce qui dans leurs comportements au travail, les éloigneraient de l’image de la femme « incapable-d’infliger-la-souffrance-à-autrui » (p.157).Un changement pourrait s’opérer au sein de ces nouveaux espaces relationnels en accompagnant les personnes à faire évoluer leur regard dans la construction progressive des représentations partagées de l’égalité professionnelle..

2.2 Une construction des représentations partagées

L’enjeu social de la mixité, se trouve dans la capacité des institutions à se réinventer et dans la capacité des individus à porter un regard neuf. C’est dans ce sens et en reprenant la définition d’Alter sociologue de l’innovation (2000/2005, p.1), que l’on pourrait inscrire la mixité dans un mouvement permanent et la qualifier de processus innovant dans la mesure où elle détruit les règles sociales de la domination masculine dont la stabilité donne sens aux pratiques, assure la socialisation et l’accès à l’identité. Et d’un autre côté, en donnant une place à la coopération entre les femmes et les hommes, elle rompt avec la dissymétrie des statuts, elle ouvre et enrichit les modes de sociabilités, elle défait des positions acquises pour donner un autre sens au monde. La mixité « conçue comme un processus non synchronique (Alter, 2000/2005, p.1) va bousculer un bon nombre de pratiques professionnelles, de coutumes. L’important, c’est de comprendre l’essence des représentations que chacun a de l’égalité professionnelle pour développer un savoir coopérer.

Construire les représentations partagées de l’égalité professionnelle nécessite de faire appel à un nouvel esprit anthropologique qui favorisera la reliance de l’égalité professionnelle dans ses deux dimensions. Les travaux de Durand (1964 /2012) disciple de Bachelard nous aident à appréhender cette globalité dans la mesure où il n’y a pas de « coupure entre le rationnel et l’imaginaire » […] et où, « l’imagination se révèle comme le facteur général d’équilibration psycho sociale » (idem, p.88-89). Pour Durand, l’imaginaire est le substrat de la vie mentale, une dimension constitutive de l’humanité et comme nous le dit Bachelard (1943, p.19) « l’habitude est l’exacte antithèse de l’imagination créatrice». Les exemples cités précédemment montrent combien il est nécessaire d’interroger ses propres pratiques et de se demander quels sont les préjugés que nous véhiculons malgré nous. Se confronter, c’est admettre la possibilité de déconstruire l’illusion de vouloir traiter tout le monde de la même manière. L’imaginaire est considéré comme un lieu privilégié de « l’entre-savoir ». « Pour explorer l’univers de l’imaginaire, de la reconduction symbolique, c’est la phénoménologie qui s’impose, et permet seule de « réexaminer « d’un regard neuf les images fidèlement aimées.» (Durand, 1964 /2012, p.75). Le sujet de la phénoménologie n’est pas le sujet que pense et formule la science. Il ne perçoit pas de la même façon qu’il pense, il ne pense pas comme il imagine et il n’imagine pas comme il perçoit. Il s’agit donc de dépasser le sujet.

Notre parti pris est de considérer que le dynamisme antagoniste des images stéréotypées sexistes permet de « rendre compte des grandes manifestations psychosociales de l’imagination symbolique et de leur variation dans le temps » (Durand, 1964/2012, p.90). L’utilisation d’un langage métaphorique et symbolique (le blason) permettra d’ouvrir l’esprit vers des chemins nouveaux et d’orienter notre démarche dans le sens « présent-futur-passé » et non dans le sens linéaire du temps « passé-présent-futur ». Elle parcourt le futur en quête d’étapes à atteindre et envisage le passé, en tant que réservoir de ressources et d’apprentissages utiles.

3. Les conditions de l’exploration des images et des représentations

3.1 Le Terrain de recherche

Au regard de notre expérience dans les institutions publiques et dans une posture clinique, nous avons souhaité expérimenter le concept d’égalité professionnelle en tant qu’espace coopératif mixte; travailler sur les représentations individuelles et collectives avec un groupe de 18 étudiants composé de 16 femmes et de 2 hommes suivant un parcours en ingénierie de la formation. Le dispositif de l’approche clinique de l’analyse de pratiques composé de 4 séances de 3 heures (Gautier Chovelon, 2014 ; 2015) a permis cette recherche.

3.2 Méthodologie

Une approche rigoureuse a été mise en place pas à pas. Le travail préalable a été de faire le point sur le sujet en analysant toute la littérature juridique en vue d’appréhender le concept d’égalité professionnelle ; d’élucider cliniquement le concept d’espace mixte coopératif et d’essayer de comprendre en quoi un travail en amont sur les représentations permettrait de repérer les variations psychosociales de l’égalité professionnelle dans le temps et ;d’expérimenter une pédagogie de la créativité en vue d’accompagner cette problématique dans les organisations. L’espace collectif coopératif a été construit à partir d’outils systémiques que sont les métaphores et il a été proposé aux étudiants d’imaginer un dispositif de formation permettant à des entreprises de promouvoir l’égalité professionnelle. Le dispositif du blason a permis ce travail sur les représentations individuelles et collectives de l’égalité professionnelle. L’utilisation de cet outil s’inscrit dans un double héritage, celui des travaux de Galvani (1997) qui a utilisé « la symbolisation des expériences pour explorer les dimensions existentielles où se jouent le sens et les valeurs que les personnes donnent à leurs pratiques et à leurs expériences » (Galvani, 2004, p.105) ; et de Philippe Caillé, thérapeute familial systémicien (2004), qui a voulu créer « un contexte d’expérience qui favorise la contemplation de ces émotions et donc leur élaboration, sans passer par les mots seuls et la simple énonciation » (Caillé, 2004, p.159).Le blason « Egalité professionnelle » a été élaboré autour de 5 items que sont la devise, un personnage, un symbole, des enjeux, les compétences du formateur accompagnant cette problématique et qui place l’égalité professionnelle dans une dynamique circulaire passé-présent-avenir

L’analyse des données s’est faite à partir d’une grille d’analyse composée d’indicateurs (les représentations ; les valeurs ; les modèles des rapports sociaux entre les femmes et les hommes ; les compétences du formateur) issus de l’analyse de contenu (Bardin, 1997/2003) des items composant le blason et d’un recueil des traces écrites individuelles des étudiants explicitant les processus vécus de construction individuelle et collective du blason. L’analyse de chaque catégorie s’est effectuée en rassemblant les similitudes et les différences. Dans ce nouvel espace relationnel, des règles ont été posées pour faciliter la mise en place de la mixité. Des animateurs et des observateurs ont été désignés par le groupe.

3.2.1 Création du nouvel espace relationnel

L’approche clinique de l’analyse de pratiques a été utilisée dans la ligne de Blanchard-Laville et Fablet (1996) et de Cifali (2012) pour apprendre aux étudiants d’assumer leurs fragilités sans être dans un clivage ou un cadrage trop rigide, pour que les représentations puissent se modifier souplement sans crainte des remaniements possibles, ni être trop soumis à des représentations contraignantes.

Organisation spatiale

L’espace relationnel est, comme l’espace du groupe et celui du formateur, une métaphore illustrant la modélisation du cadre de rencontre souhaité. Il prend une dimension concrète dans la géométrie de la salle des séances. Ces prémisses constituent l’étape que nous considérons comme essentielle pour que le groupe de formés se reconnaisse dès les premiers contacts un certain niveau de compétence et d’interdépendance dans la relation avec le formateur. Il y a une position de respect envers les formés. C’est à partir de cette reconnaissance que se fonde une véritable alliance basée sur une finalité acceptée par tous, que se tient une position éthique qui se manifeste par le refus de toute instrumentalisation, le refus de la dynamique dominant/dominé.

Utilisation du langage métaphorique, passage de l’individuel au collectif 

Pour favoriser une dynamique d’émancipation individuelle et collective, le langage métaphorique et symbolique du blason a été utilisé. Il a été demandé aux étudiants dans un premier temps, de répondre à la fois oralement puis par écrit à la question posée « Comment je me vois en tant que professionnel et quelle métaphore utilisée ? ». Les réponses ci-dessous sont des images poétiques qui désignent la vie personnelle professionnelle par sa vivacité.

Figure 1

Présentation des métaphores utilisées

Présentation des métaphores utilisées

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L’analyse de chaque métaphore nous permet de voir comment le masculin et le féminin-le féminin-surtout-travaillent nos rêveries. L’utilisation de ces mots permet de « se garder trop vite des pensées habituelles » (Bachelard, 1960, p.57). Le poisson incarne le symbole de la régénération, de la renaissance ; des éléments pour plonger dans sa nouvelle vie universitaire. L’étudiante qui a choisi l’image de la rose en bouton s’identifie à une « rose qui s’épanouit, arrosée de cours durant cette année de Master II, afin de devenir une rose éternelle qui ne fanera jamais ». Dans cette alchimie, les conjonctions du masculin et du féminin sont complexes. On retrouve la puissance de l’animus (dans la mesure où la rose ne fanera jamais) et « le principe de l’anima, la nature en nous qui se suffit à elle-même, c’est le féminin tranquille » (Bachelard, 1960, p.60).La gazelle, symbole de cette alchimie complexe, incarne à la fois force et légèreté.

La mise en place des règles de la mixité

Ces règles ont été mises en place pour « apprendre que la relation, c’est de la dentelle » (Héber-Suffrin, 2011, p.108).Elles ont permis à certains clarifier le concept d’égalité par rapport à la mixité et la parité et d’élaborer un nouveau système relationnel basé sur la coopération. Deux animateurs (femmes) et deux observateurs (dont un homme) ont été choisis par les groupes. Ils ont adopté une posture faite « d’écoute, de respect, de bienveillance, de non-jugement, de respect du cadre établi et des règles de travail » (Blanchard-Laville, 2004, p.21).Ils ont distribué la parole, commenté les idées, reformulé et opéré un recadrage afin de ne pas s’égarer. La construction d’un cadre rassurant et respectueux de la parole de chacun a abouti par la suite à la co-construction du blason collectif. 

Le groupe formé dans une confiance mutuelle a permis au seul homme du groupe d’être force de proposition et de par ses explications, de par le sens qu’il a exprimé, il a su créer une nouvelle représentation commune. Cette exploration a permis de nourrir le groupe (parole d’une étudiante).

4. La mise en image des représentations de l’égalité professionnelle

4.1 L’émergence du sensible : l’atelier des blasons

Le dispositif du blason encourage les formateurs « en devenir » à partager leurs représentations, et à les matérialiser sous forme de blason collectif.

Mode d’emploi

Il a été proposé les éléments ci-dessous pour composer le blason « Egalité professionnelle ». La séance du blason a été scindée en 3 parties : la constitution du blason individuel ; l’échange sur les représentations de chacun pour arriver à un partage et la création d’un blason collectif

Figure 2

Les éléments constitutifs du blason « Égalité professionnelle »

Les éléments constitutifs du blason « Égalité professionnelle »

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Cette étape s’est faite en silence, instaurant un cadre réflexif. L’appréhension de cet exercice et de la thématique a suscité tout d’abord inquiétude, complexité, surprise et satisfaction. Cette phase de réflexion personnelle est un peu inhabituelle et déstabilisante dans le cadre d’un travail de groupe, nous dit une étudiante. Cependant, « cette implication m’a transportée vers la découverte de l’astuce, de l’esthétique, de la créativité » (parole d’un étudiant).

4. 2 Les images collectives de l’égalité professionnelle

L’exercice a permis de poser la question de l’influence de la médiatisation de cette thématique sur les représentations personnelles. « En prenant du recul, je me demande à quel point justement cette médiatisation influence mes représentations? » (parole d’une étudiante). La vision négative d’un sentiment d’inéquité entre les femmes et les hommes a émergé. L’égalité formelle qui établit que les hommes et les femmes sont égaux en droit a permis des avancées sociétales non négligeables (droit de vote des femmes ; droit à l’avortement ; droit à la pratique de tous les métiers ; droit de se présenter à l’élection présidentielle). Cependant, cette égalité ne va pas de soi et les freins culturels sont identifiés, quel que soit l’âge et le sexe. « Ma vision globale de l’égalité des sexes est plutôt négative dans ce sens où l’égalité est loin d’être parfaite » (parole d’une étudiante). « Les stéréotypes sexués sont cruellement ancrés dans les mentalités et ce quelles que soient les générations » (parole d’un étudiant).

Plusieurs axes se dessinent, suite à l’analyse des items passé, présent, objets du blason.

L’égalité professionnelle incarnerait un besoin de justice, d’équité, d’ouverture et d’avancées sociales impliquant fortement les pouvoirs publics. C’est Simone Weil femme d’action devenue une héroïne de l’histoire du siècle qui en est l’incarnation. Elle a fait consensus (citée 6 fois dans chaque groupe).Elle a été retenue pour ses multiples casquettes politiques et sa participation dans la transformation de la société avec la dépénalisation de l’avortement (loi du 17 janvier 1975).Les deux hommes ont choisi Ségolène Royal pour sa modernité, pour son accession au 2 éme tour des élections présidentielles (2007) et Nelson Mendela pour le choix d’une société plus humaine. 

Le port du pantalon (choisi à l’unanimité) serait le reflet de cette égalité professionnelle et le symbole du féminisme, signe d’émancipation de la femme. Mais, Il faudra attendre les années 1960 pour voir le pantalon devenir un vêtement incontournable du placard féminin, autant qu’il peut l’être pour les hommes. Cependant, l’ordonnance du 7 novembre 1800 intitulée « ordonnance concernant le travestissement des femmes » n’a toujours pas été abolie. Le droit du travail autorise toujours sous certaines conditions, un patron à imposer la jupe à ses employées. Un des hommes à travers cette image y voit une neutralisation de la différence dans la mesure où « les hommes ne peuvent pas porter de jupe ». On distingue le poids de l’imaginaire social. « La question du sentiment de justice se pose bien si l’on veut que la conscience de réciprocité se développe » (Héber-Suffrin, 2011, p. 101). La balance que l’on retrouve 3 fois dans chaque groupe incarne la justice, cet équilibre souhaité des droits, des chances, des salaires entre les hommes et les femmes. « Il n’y a qu’une autorité étatique qui peut faire changer les inégalités et les injustices sociales » (parole d’un étudiant). En même temps, à travers les images de l’arbre, du couple main dans la main, de la machine à laver, on perçoit la mixité comme un processus non synchronique, charriant-pèle-mêle des traditions, des résistances, et des découvertes. Effectivement, l’arbre représenté à plusieurs reprises incarne le symbole de l’élévation, de la vie, du chemin ascensionnel. Il représente la force. Des racines au tronc, aux branches, aux feuilles et aux fruits, il peut incarner la puissance du processus de l’égalité professionnelle qui se construit au fil des actions, des lois, des postures personnelles professionnelles et qui s’adapte à son environnement. Le couple main dans la main, indique la réciprocité dans sa dimension relationnelle ; et se fait grandir mutuellement dans la coopération ; dans la meilleure compréhension de l’autre. « J’ai choisi la représentation d’un couple, se tenant la main et surtout marchant dans la même direction. Ils sont à la même hauteur, l’un à côté de l’autre. La résultante de leur force permet de décupler leur force, pour réussir les projets. Ils sont égaux, dans la vie privée et dans la vie professionnelle (mêmes droits, accès aux mêmes professions, même salaire) » (parole d’une étudiante). La machine à laver est un objet représentatif d’un pouvoir de se libérer de certaines tâches matérielles et qui est significatif d’une certaine époque et d’un certain vécu. « Je me remémore les images de mon enfance, celle de ma mère, d’autres femmes de sa génération » nous dit une étudiante. La notion de temps revêt de l’importance pour le développement de l’égalité professionnelle.

L’égalité professionnelle incarnerait selon eux l’évolution de la société qui participerait à l’émancipation de chacun. Au-delà du rôle indéniable joué par les institutions (loi sur la parité, loi du 4 août 2014 sur l’égalité réelle entre les hommes et les femmes dans toutes ses dimensions, droit communautaire…), cette thématique s’inscrit dans une histoire sociale et politique qui est celle d’un mouvement coopératif du « vivre et travailler ensemble » ; et qui intègre le concept de double réciprocité où « chacun apportant aux autres et chacun recevant des autres des connaissances et des savoirs. Des exemples sont apportés tels que le rôle des femmes expertes envers les débutantes ; l’entraide entre femmes ; l’évolution des modèles familiaux et des rôles attribués à chacun des sexes ; l’accès à l’information comme vecteur d’émancipation des femmes … « Nous nous sommes facilement reconnus dans l’idée que c’est avant tout l’évolution de la société et de la famille qui a facilité l’émancipation des femmes dans le milieu professionnel (expression du groupe 1).

L’analyse des items avenir et devise du blason fait ressortir que la mise en place de l’égalité réelle dans les entreprises reposerait sur une conscience de la réciprocité. « La valeur de partage semble être davantage associée à l’égalité réelle, dans le sens où le symbole d’égalité fait référence à des luttes, à des combats plus institutionnels » (parole d’une étudiante). Elle introduit la « conscience de la réciprocité formatrice dans ses dimensions de dons, de parité, d’apprentissage, d’institutions de rôles partagés, de coopération » (Héber-Suffrin, 2011, p.108).Ils en donnent une définition. « C’est se nourrir et se construire dans et par l’expérience et la connaissance des autres, tout en apportant soi-même ce que l’on a construit et vécu » (parole d’une étudiante).

L’accomplissement de l’égalité réelle passerait par l’adoption et l’opérationnalité de la devise suivante : « Informer-Partager-Eduquer-Fédérer ».Le poids de l’égalité formelle est important. Ce sont aux acteurs institutionnels d’informer, de faciliter le partage, d’éduquer et de fédérer en aidant par des dispositifs les entreprises, les organisations à s’inscrire dans ce mouvement. Cependant, en réfléchissant sur ce que pourraient être les missions et les compétences d’un formateur accompagnant cette problématique, ils ont positionné l’égalité professionnelle dans une pensée globale. Selon eux, le formateur doit pouvoir disposer à la fois de capacités processuelles afin de faire un diagnostic global de l’entreprise en utilisant des outils quantitatifs et juridiques ; des capacités relationnelles suscitant les échanges et l’étonnement pour accompagner les équipes dans la construction des représentations partagées; et des techniques d’animation favorisant l’adhésion autour de cette problématique.

5. Discussion

On s’intéresse dans cette partie aux enseignements tirés de la mise en visibilité de la construction de l’espace mixte coopératif en tant que processus innovant, qui nous amène sur le terrain de l’éthique et qui interroge les compétences des personnes qui souhaitent accompagner cette problématique dans les organisations.

5.1 L’espace mixte coopératif, une exigence éthique

Qu’apportent ces images mentales à une meilleure compréhension de ce que pourrait être un espace mixte coopératif ? On y trouve le nourrissement réciproque et l’interdépendance ; l’importance de ces liens pour une meilleure adaptation avec l’environnement et une équité sociale ; un lien systémique avec l’environnement social et naturel ; l’importance du temps, de la durée pour la maturation, la résistance de ce qui peut affaiblir, la proposition de circulations rendues possibles et la notion d’élévation quel que soit le sexe de la personne. La référence à l’arbre est intéressante pour évoquer le rôle transformateur de la mixité qui favorise les changements de représentations, les changements de conceptions. Elle permet de regarder le monde « d’ailleurs » que de soi ; elle élargit et diversifie les points de vue ; elle introduit apposition et composition en même temps qu’opposition toujours possibles. Elle se propose comme démarche pour donner une chance à la diversification des façons de parler du monde et de faire le monde. « Oser la mixité équivaut à l’accomplissement d’un rite de passage vers une nouvelle génération sociétale. Un nouveau degré dans l’humanisation de notre monde » (Banon, 2014, p.152) qui nous amène comme l’indique Morin (2004, p.127) à la compréhension de la complexité humaine. Cependant, malgré les progrès accomplis, plane la menace d’un recul des droits des femmes. C’est pourquoi, nous considérons l’espace mixte coopératif comme un espace-temps particulier où peut se jouer malgré l’asymétrie des statuts, une réciprocité formatrice.

5.2 Un concept centré sur une réciprocité formatrice

Dans cet espace, la réciprocité se construit dans l’altérité, dans l’affirmation qu’autrui est l’incarnation d’une humanité partagée. La reconnaissance de l’autre comme un autre moi est au coeur de cette démarche. 

Nous avons fait preuve d’une grande ouverture à l’autre, d’une meilleure acceptation de l’autre. Nous avons fait preuve d’écoute, de respect, de bienveillance, de non jugement, de respect du cadre établi. Nous avons appris la rencontre de l’autre, dans le respect de la logique de chacun. Nous avons pu constater une transformation de notre rapport à la situation. (Expression du groupe 1).

  Nos divers travaux de recherche (Gautier Chovelon, 2011 ; 2014 ; 2015) nous ont permis d’expérimenter la construction de cet espace mixte coopératif et de repérer les conditions de mise en visibilité de cette réciprocité. La mise en oeuvre du processus de mixité destiné à être toujours inachevé, interminable, va nécessiter des « pratiques pluridimensionnelles, forcément coopératives, et une transversalité ouverte des savoirs » (Héber-Suffrin, 2011, p.90). La réciprocité formatrice est une logique qui permet de construire des réponses aux problèmes qui nous concernent qu’avec les savoirs de tous. La réciprocité est une énergie qui va permettre de résister à la domination d’un groupe social sur un autre ; de résister à nos propres représentations sexuées devant la conception d’une société où l’égalité réelle s’avère être un facteur de transformation sociale. Au fond, « cette réciprocité formatrice est une réciprocité systémique. […] Un processus qui nous apprend à penser autrement » (Héber-Suffrin, 2011, p.113).

5.3 Emergence de valeurs universelles

La construction de ce nouvel espace relationnel repose sur des savoirs relationnels ; des savoirs de la pensée ; des savoirs liés à la coopération et sur une adhésion de tous à des valeurs universelles de l’ordre de l’empathie, l’attention aux autres, la coopération et la solidarité. Dans le monde du travail dominé par la division sexuelle du travail, ces valeurs sont habituellement qualifiées de « féminines ». Dans le cadre de cette révolution anthropologique, le travail à conduire est de faire en sorte qu’elles deviennent de puissants vecteurs de changement face à un monde exclusivement masculin où auraient longtemps régné la compétition, l’agressivité, la violence. Dans ce sens, la mixité permettrait aux hommes et aux femmes de construire de nouvelles façons d’être ensemble basée sur une nouvelle dynamique coopérative. Bien que la mixité dans notre groupe de recherche ne réponde pas à un critère quantitatif, elle apparaît cependant « comme la condition nécessaire pour l’exercice du pouvoir par les femmes comme un instrument pour transformer les rapports de pouvoir […] Le pouvoir dont il est question est un pouvoir diffus, non concentré, collectif et qui n’est pas lié à la domination » (Kergoat, 2010, p.73). 

5.4 Quelle place peut-on donner au langage métaphorique symbolique en formation ?

L’imagination a permis de montrer que « nous nous formons dans et par le symbolisme qui émerge de nos expériences. Prendre conscience de ce symbolisme existentiel devient alors un mode essentiel de travail sur soi » (Galvani, 2004, p.116).L’utilisation de la métaphore et du blason a permis de décloisonner la pensée et de déjouer subtilement les mécanismes des résistances au changement ainsi que les relations de domination. « Cet exercice était finalement une bonne expérience pour moi. J’avais un peu d’appréhension au début car je pensais que mes références sur ce thème seraient forcément différentes des autres « (parole d’un étudiant). « J’ai trouvé l’exercice ludique et attractif, même si au départ, je me demandais ce que j’allais inscrire dans mon blason » (parole d’une étudiante).

5.5 L’accompagnement à l’égalité professionnelle, quelles compétences pour un formateur ?

Apprendre quelque chose de nouveau suppose de dépasser les limites du déjà connu et implique « une posture clinique mise en oeuvre dans l’accompagnement des pratiques professionnelles […] qui exige du doigté, de la patience, de la présence d’esprit et de l’humilité » (Cifali, 2007, p.12-15). Nous avons repéré que pour « travailler avec » dans cette situation, cela nécessite de la part du formateur accompagnateur de mettre en place un travail coopératif, de formation composé d’un dispositif à quatre pôles facilitant le processus d’émancipation individuelle et collective. Il serait constitué de savoirs relationnels pour favoriser la création du nouvel espace et un travail sur les représentations et pour acquérir une posture clinique d’écoute, de respect, de bienveillance, de communication ; de savoirs pédagogiques permettant d’utiliser le groupe comme espace accueillant récit, image, symbole ; et de savoirs techniques concernant la législation sur le thème de l’égalité professionnelle. « Dans la filiation de l’herméneutique, un clinicien est davantage dans un essai de compréhension que d’explication » (Cifali, 2007, p.18).

Conclusion

Cette expérimentation bien que ne reposant que sur un groupe majoritairement féminin (16 femmes et 2 hommes) a permis de faire naître un embryon de réflexion autour de la mixité en tant que processus innovant nécessitant la production de nouvelles normes et représentations. Au regard d’un échantillonnage restreint, elle mérite d’être poursuivie et approfondie. Un « penser autrement » indispensable à la construction d’un espace mixte coopératif a pu émerger. Il est basé sur la mise en jeu de l’initiative, de l’inventivité, de la créativité et des formes d’intelligence spécifiques. L’égalité professionnelle dans ses deux dimensions pourrait s’expérimenter au sein de ce nouveau construit social. La création de l’espace mixte coopératif a fait apparaître un lien avec l’aspect novateur de l’ingénierie pédagogique, pilier d’un dispositif professionnalisant à l’université. Dans ce cas précis, la réciprocité ne saurait advenir sans un ensemble « de règles de la mixité » qui s’imposent à chacun d’entre nous. S’interroger sur l’accompagnement de cette problématique sociale dans les institutions permet de repérer les savoirs nécessaires à un formateur pour faciliter une culture transversale, une chance pour la démocratie. L’utilisation du langage métaphorique symbolique a permis de concevoir la situation de formation comme une métaphore pédagogique de la situation professionnelle et de considérer le groupe de formation comme lieu d’expérimentation de systèmes de communication, d’interrelations et de connaissance de soi, dans les approches centrées sur la vie de groupe.

L’innovation a consisté à « oser » la mise en place d’une approche métaphorique symbolique de l’égalité professionnelle ; à tenter une approche des conditions narratives et herméneutiques de la formation professionnelle. Il a été créé un espace clinique à partir de l’analyse de pratiques pour que les étudiants puissent vivre et comprendre la signification de cet espace dans l’évolution des pratiques sociales. La création de cet espace s’est faite dans le mode d’interprétation/compréhension appelé « herméneutique instaurative » (Durand, 1964/2012,p.62) et qui emprunte le paradigme systémique pour intégrer le temps dans ses trois dimensions sur un mode circulaire et non de manière linéaire, passé, présent, futur. Cette communication met en débat l’idée de faire un travail de prise de conscience de nos perceptions et de nos résonances symboliques dans l’accompagnement à la mise en oeuvre de la mixité et de s’inscrire dans une approche globale reliant l’imaginaire au rationnel.