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Introduction

Une recherche collaborative[1] menée depuis 2012, portant sur les jugements d’évaluation d’enseignants associés auprès de leurs stagiaires, a contribué à référentialiser leurs pratiques en évaluation, à créer des outils permettant de mieux accompagner les stagiaires et d’accompagner d’autres enseignants associés et à élaborer un site WEB[2]. Après trois ans de travail en collaboration, l’équipe de recherche souhaitait comprendre en quoi cette approche collaborative revêt une utilité pour les participants et les chercheurs, et comment elle leur a permis de s’approprier leur agir professionnel de formateurs de stagiaires. Ce chapitre présente le contexte de la formation des stagiaires au Québec et la problématique de l’accompagnement en milieu de pratique, suivi du cadre théorique mettant en exergue l’agir professionnel d’un enseignant associé et les principes inhérents à l’approche collaborative telle que développée dans cette étude. La méthodologie est ensuite relatée, de même que les résultats et la discussion qui s’en dégage.

Problématique

Les stages en milieu de pratique constituent un moment privilégié pour construire et consolider des assises propres à la professionnalité émergente des stagiaires (Perreard Vité, Balslev & Tominska, 2015 ; Van Nieuwenhoven & Doidinho-Vicoso, 2015). Les gestes professionnels des stagiaires doivent être examinés en tenant compte de la globalité et de la complexité des situations. Chaque stagiaire étant dans une situation singulière en dépit des similitudes qui existent d’un milieu de stage à un autre, la démarche d’accompagnement et incidemment de régulation, nécessite un processus réfléchi de la part des enseignants associés (Allal, Wegmuller & Riedweg, 2008 ; Lebel, Bélair & Monfette, 2015 ; Perreard Vité et al. 2015). Ce processus qui participe de l’agir professionnel s’appuie sur la capacité du professionnel à capter les éléments pertinents de la situation et à leur conférer une signification, ce qui implique de se distancier de son vécu personnel pour entrer dans son travail de formateur (Bucheton & Soulé, 2009).

L’amélioration des pratiques de régulation est tributaire d’une compréhension approfondie du fonctionnement du jugement, en tant que raisonnement cognitif et comme pratique sociale (Allal, 2009). Ce processus fait appel à la capacité des formateurs « d’ajuster et de construire une intelligibilité des situations prenant en compte des acteurs sociaux, des enjeux, des critères éthiques, des valeurs, des cultures d’établissements » (Mottier Lopez & Cattafi, 2008, p. 183). Leroux (2014) illustre à cet égard quatre opérations pour réguler, soit fixer un but et orienter l’action, contrôler la progression, assurer un retour et confirmer ou réorienter la trajectoire. Plus particulièrement lors des rétroactions, l’enseignant associé doit décrire la situation, la mettre en perspective et favoriser une reformulation des échanges avec le stagiaire (Price, Handley, Millar & O’Donovan, 2010). Le jugement de l’enseignant associé est conséquemment multidimensionnel puisqu’il puise sa source dans des référents multiples (Mottier Lopez & Allal, 2010), tout en s’appuyant sur son soi professionnel (Leroux & Bélair, 2015). Ce qui ramène ici au premier plan l’importance d’une réflexion conduite par l’enseignant associé sur son agir professionnel.

Plusieurs recherches ont analysé le rôle crucial de l’enseignant associé (Gervais, 2008 ; Portelance, 2008 ; Portelance, Gervais, Lessard & Beaulieu, 2008 ; Vivegnis, Portelance & Van Nieuwenhoven, 2014). D’autres études ont traité des enjeux de la concertation pédagogique au service d’une évaluation équitable (Bélair, 2009 ; Boies & Portelance, 2014 ; Lebel & Bélair, 2010), et ont porté sur la référentialisation des pratiques de jugement d’évaluation (Lebel, Bélair & Monfette, 2015). Des chercheurs ont ciblé des indices d’une professionnalité émergente des stagiaires pouvant constituer la base d’un jugement évaluatif rigoureux et équitable (Bélair, 2011 ; Van Nieuwenhoven & Van Mosnenck, 2014). D’autres recherches ont montré en quoi les outils d’accompagnement et d’évaluation prescrits par différentes universités facilitent ou non le travail des enseignants associés (Bélair, Lebel, Monfette, Miron & Blanchette, 2017) et comment ces derniers perçoivent leur rôle auprès de stagiaires en situation de handicap (Lebel, Bélair, Monfette, Hurtel, Miron & Blanchette, 2016). Ces travaux témoignent du fait que les enseignants associés sont confrontés à plusieurs enjeux et doivent concilier classe et formation d’adultes.

Dans la majorité des universités québécoises, la formation des enseignants associés est orientée vers la valorisation de leur apport au stagiaire et la sensibilisation à l’exercice de leur rôle de formateur (Portelance et al., 2008). Cette formation vise le développement des compétences des enseignants associés en matière de soutien au développement des compétences du stagiaire et l’évaluation de celles-ci (ibid.). Très importante pour l’appropriation des compétences nécessaires à la formation de stagiaires, cette formation est cependant courte, soit environ de trois à cinq journées réparties sur une ou deux années, ce qui rend plus difficile un travail en profondeur sur l’accompagnement et le processus de régulation des stagiaires. De plus, elle est peu accessible aux enseignants associés, en raison du nombre limité de groupes de formation par commission scolaire. D’ailleurs, en dépit d’un référentiel commun à toutes les universités québécoises, des disparités semblent demeurer au sein des pratiques des enseignants associés qui demandent sans cesse d’être épaulés dans leur travail de formateur et d’évaluateur de stagiaires (Bélair et al., 2017 ; Correa-Molina, 2008 ; Lebel, 2009).

Les travaux de Van Nieuwenhoven et Colognesi (2013) montrent que le fait d’utiliser une démarche de collaboration répond à ce travail de formation et de réflexion pour les participants, tout en mettant en exergue les questionnements issus de la recherche principale, dont ici entre autres, leurs représentations face au jugement professionnel lors de l’accompagnement et de la certification des stagiaires. La collaboration entre chercheurs et praticiens s’avère ainsi toute désignée. Cette praxis qu’est la recherche collaborative se présente comme une activité susceptible de transformer les manières de penser et de faire, par le biais d’une démarche « où se succèdent des épisodes réservés à la réflexion et d’autres à l’action » (Bourassa, Fournier, Goyer & Veilleux, 2013.p. 10). Effectivement, ce jeu itératif entre réflexion et action pourrait conduire à la construction de manières nouvelles de voir et d’envisager l’agir professionnel de l’enseignant associé (ibid, 2013). L’objectif de cette étude est donc de comprendre en quoi cette approche collaborative revêt une utilité pour les participants et comment elle leur a permis de s’approprier leur agir professionnel de formateurs de stagiaires, par la question suivante : en quoi une approche collaborative permet-elle à des enseignants associés de déterminer leur rôle de formateur de stagiaires, de se définir et de transformer leurs pratiques ?

Cadre théorique

Afin de répondre à cet objectif, deux axes sont présentés : l’agir professionnel de l’enseignant associé et la collaboration pour développer son identité professionnelle.

L’agir professionnel de l’enseignant associé

Les recherches sur l’agir professionnel enseignant remontent à plusieurs décennies (Barbier, 2011 ; Bucheton, 2009 ; Bucheton & Soulé, 2009). Ces recherches portent sur des analyses de pratiques qui permettent à l’enseignant de construire « une juste distance » entre son vécu professionnel et le travail qu’il doit accomplir. Cet agir professionnel se caractérise par « une inscription corporelle, perceptive, réfléchissante, en interaction avec un milieu » (Jorro, 2006, p.4). Il se définit au regard des gestes posés par l’enseignant qui deviennent professionnels lorsqu’ils sont posés au bon moment et dans l’intention de transmettre un savoir tout en étant empreint d’une liberté d’action (Jorro, 2011). La matrice de l’agir professionnel illustre un ensemble de configurations de gestes professionnels qui se déploient en fonction d’une analyse rapide de la réalité et qui s’entrelacent pour éventuellement permettre cette transmission de savoirs, allant de gestes langagiers à des gestes de mise en scène du savoir, à ceux d’ajustement et de régulation et à l’éthique de la communication (Lamouric, 2016). Pour ce qui concerne les enseignants associés, cet agir professionnel se traduit conséquemment par le fait « d’accompagner un pair en ayant soin de favoriser une relation formative dans laquelle la posture de formateur joue un rôle important (Jorro, 2016, p. 114).

L’accompagnement s’avère une posture professionnelle spécifique et complexe (Paul, 2004, 2016). À cet égard, Charlier et Biémar (2012) montrent que l’enseignant associé est non seulement appelé à modéliser sa pratique en fonction des contextes et des acteurs impliqués, mais aussi à agir dans l’incertitude constante, tout en ayant la capacité de « laisser la place aux possibles, à l’émergent, au changement et à l’innovation » (p. 159). Cet accompagnement se présente comme un processus d’identification des niveaux de compétences du stagiaire à partir d’observations, d’entretiens et d’échanges au service de la reconnaissance professionnelle émergente du stagiaire. Elle se bâtit sur une structure impliquant l’échange et le dialogue, ce qui demande à l’enseignant associé de décrire comment il se positionne dans l’accompagnement (Veal & Rickard, 1998) et par conséquent de connaître sa posture de formateur et d’être présent à l’autre (Jorro, 2016). Cifali (1999) mentionne qu’être présent n’est pas si simple. Cela nécessite parfois de faire abstraction de nos anxiétés professionnelles ou privées, de nos inquiétudes pour savoir être là et entendre ce qui se passe. Cet accompagnement implique donc de créer des moments au service d’un retour sur les pratiques, en amenant le stagiaire pas à pas vers une prise de conscience de ses gestes. Cela nécessite de planifier des dispositifs de régulation interactive impliquant des échanges sur le vif avec le stagiaire, à la suite des observations et en fonction des compétences analysées (Leroux, 2014) et de prévoir des moments formels de régulation rétroactive pour favoriser un retour et une prise de position du stagiaire sur ses actes posés. L’accompagnement offert par le biais de moments d’arrêts d’analyses des pratiques vécues et de projection sur les pratiques à venir est ainsi au service d’une analyse du développement des compétences par le stagiaire (Bélair 2009).

L’enseignant associé se trouve ainsi au carrefour de trois tensions qui illustrent cette complexité rattachée à la formation d’un stagiaire (Finch et Taylor, 2013 ; Lebel et al., 2016 ; Smith, 2007). Une première concerne le besoin humain de se sentir approuvé par le stagiaire versus la capacité de reconnaître que l’acte observé puisse être d’autant plus pertinent qu’il est différent de ses propres actions (Monfette & Grenier, 2014). En faisant référence au sens clinique, Cifali (1999) rappelle qu’il importe d’éviter de dialoguer avec le stagiaire comme s’il était un patient ou un élève méchant, hors normes, qui embête, et n’est pas conforme à notre image idéale. Il faut, selon elle, aller chercher la réalité de l’autre pour la faire évoluer et non pas vouloir le transformer selon l’image que nous aimerions qu’il soit. « Sinon on crée des situations de confrontation, de pouvoir, on cherche à être celui “qui a raison” » (ibid, p. 10). Dans une situation intersubjective, le professionnel doit parfois changer sa vision et évoluer avec celle de l’autre puisque cet autre est justement intéressant par ce qu’il met en scène de différent.

Une seconde tension naît du mouvement entre la conscience de soi dans un acte professionnel et la situation observée (Damasio, 2010). Le jugement issu de l’observation est effectivement tributaire d’actes précédemment observés chez d’autres stagiaires et dans d’autres situations déjà vécues (Bélair, 2013), ce qui peut créer un biais dans la lecture des gestes observés. De plus, l’accompagnement d’un stagiaire implique des jugements qui englobent les conceptions personnelles de la qualité de l’acte par l’évaluateur, l’interprétation de la performance des stagiaires et des critères d’évaluation fournis par l’établissement d’études, de même que la prise en considération du contexte et du milieu de stage (Bélair et al., 2017 ; Leshem et Bar-Hama, 2008 ; Monfette, Bélair, Blanchette, Miron & Lebel, 2016 ; Tang, 2008).

Une troisième tension porte sur le fait d’amener le stagiaire à analyser sa propre pratique et à « voir » ce qui s’en dégage. Ce nécessaire accompagnement à l’autorégulation par le stagiaire oblige ainsi l’enseignant associé à réguler son jugement et à communiquer ses réflexions de manière à ce que le stagiaire se sente accompagné et qu’il puisse progresser dans le développement de ses compétences (Coles, 2002 ; Smith, 2007 ; Tillema, Smith & Leshem, 2011).

La collaboration pour développer son identité professionnelle

Dans une perspective socioconstructiviste, le travail sur soi et sur son identité gagne à se vivre dans la coconstruction et dans l’échange entre personnes, particulièrement en communautés de pratiques au sein desquelles l’engagement mutuel, l’entreprise commune et le répertoire partagé sont les éléments clés du changement (Wenger, 1999). L’analyse de pratiques en collectivité, par son contexte organisé, facilite le développement d’une conscience préréflexive de l’action chez les participants (Ria, 2013). La conscience préréflexive est d’autant plus pertinente à faire émerger, car elle résulte à la fois du vécu des participants, de leurs expériences et de leurs intuitions dans l’action (Durand, 2008). De telles analyses permettent des espaces d’aller et retour entre activités et réflexions en groupe et favorisent l’ouverture au changement et par conséquent, à la transformation des pratiques professionnelles.

Dans un contexte lié à des projets réalisés par internet, Levan (2004) présente la collaboration comme étant un processus cyclique comportant quatre phases : la co-analyse par un travail de diagnostic qui permet à un groupe de comprendre une situation donnée ; la co-définition qui les incite à construire une vision partagée ; la co-réalisation qui leur permet de fixer les règles du jeu et d’établir un plan d’action ; la co-évaluation qui favorise l’échange en vue de juger des résultats.

Pour favoriser l’émergence d’une transformation souhaitée chez tous les partenaires, la recherche collaborative implique une part d’engagement autant de la part des praticiens que des chercheurs pour mieux comprendre et résoudre des problèmes issus de la pratique et en faire émerger des connaissances (Bourassa et al., 2013). Au sens de Bourassa, Bélair et Chrevalier (2007) et de Chevalier et Buckles (2013), cette recherche collaborative également nommée recherche-action participative (Gonzales-Laporte, 2014), est une action délibérée et méthodique, visant un mieux-être dans le monde réel, engagée à échelle restreinte pour générer des nouveaux savoirs et des projets de sens. Elle répond aux visées des acteurs par une collaboration entre chercheurs accompagnateurs et praticiens réflexifs qui sont reliés par un schéma éthique mutuellement acceptable (Chevalier 2010 adapté de Dubost & Rapoport [2002]).

Chevalier (2010) établit six enjeux entourant l’implantation d’une telle action visant un changement. Le premier enjeu, la démocratie, incite les chercheurs à appuyer les dynamiques groupales entre les différents partenaires par le partage d’expériences. Cette démocratie s’incarne dans une posture militante héritière des sciences citoyennes au sens où chacun est responsable de l’élaboration des connaissances fondamentales régissant notre monde (Gonzales-Laporte, 2014 ; Liu, 2007).

Le deuxième, l’authenticité, exige l’implication de chacun à toutes les étapes du processus, de l’écriture du projet à la diffusion d’articles et communications. La recherche collaborative préconise le partage des expertises, des décisions et des responsabilités dans tous les aspects de la recherche (Israel, Schulz, Parker & Becker, 1998). Elle se définit comme un processus d’apprentissage mutuel, basé sur l’atteinte d’un équilibre entre la recherche et la pratique, et orienté vers un changement social (Bellot & Rivard, 2013 ; Simard, O’Neill, Frankish, George, Daniel & Doyle-Waters, 1997).

Le troisième enjeu, le chaosmos, terme emprunté à Joyce et repris par Deleuze (2003), réfère au fait qu’il faut accepter que l’ordre et le désordre, les règles et la liberté, se situent sur un continuum en mouvance entre le chaos et le cosmos. Le chaosmos influence les façons de penser des individus et fait en sorte que les praticiens et les chercheurs acceptent l’incertitude et apprennent à se méfier des repères automatiques pour entrer dans l’ouverture à la nouveauté et conséquemment au changement. Cet enjeu implique une reconnaissance de l’autre, un abandon de ses certitudes au sens où il faut que chacun accepte de reconnaître autrui dans ses réflexions et ses actions, de même que ses capacités à proposer des pistes pertinentes pour poursuivre la réflexion et provoquer le changement (Bellot & Rivard, 2013).

Le quatrième enjeu, la complexité présuppose que les chercheurs acceptent de renoncer au « contrôle » des participants (Chevalier, 2010) et vivent avec les contradictions apparentes, liées à cette rencontre entre des univers organisationnels dont les procéduriers diffèrent dans le temps, les échanges et les actions. Cette coconstruction suppose dès lors que chaque participant est autonome au sens où il est considéré comme un acteur à part entière ; c’est lui qui effectue ses propres choix, à la lumière des échanges et des discussions (Philion & Lebel, 2010).

En lien avec la complexité, l’art du savoir apprenant, le cinquième enjeu, met en exergue le fait que les résultats issus des communautés d’apprentissages ne sont pas nécessairement reproductibles, mais qu’ils sont transférables. Les chercheurs doivent ici accepter que les résultats tangibles ne soient pas immédiats, que parfois le recul soit nécessaire, que chaque participant puisse avoir un rythme qui diffère de celui du groupe et notamment celui des chercheurs (Bourassa et al., 2013).

Le dernier enjeu nommé par Chevalier (2010), regards et conversations croisés, se présente comme un mélange de savoirs, de pratiques et de théories qui s’enchevêtrent pour favoriser un changement. Il s’agit de repenser, voire de bouleverser le rapport entre savoir et pouvoir, pour privilégier une dynamique de production de la connaissance qui interpelle véritablement de nouveaux acteurs, autrefois absents de cette scène (Bellot & Rivard, 2013 ; Pay&, Rostaing & Giuliani, 2010).

La recherche collaborative s’appuyant sur ces enjeux, se veut incidemment un levier de changement dans un cadre démocratique impliquant une relation symétrique entre acteurs de terrain et de recherche et favorisant la coconstruction des savoirs (Israel et al., 1998). Elle vise la production d’une connaissance enracinée dans l’expérience subjective des acteurs et orientée vers le changement social (Chevalier & Buckels, 2008).

Méthodologie

Cette section présente le cadre méthodologique lié à la question suivante : en quoi une approche collaborative permet-elle à des enseignants associés de déterminer leur rôle de formateur de stagiaires, de se définir et de transformer leurs pratiques ? Cette étude s’inscrit conséquemment dans une démarche de recherche développement (Loiselle & Harvey, 2007) au service d’une recherche évaluative et interprétative (Gohier, 2004) au sens où l’équipe de recherche s’engage à la fois dans des activités de collaboration et de production avec des participants, dans l’analyse de ces activités au fur et à mesure de leur déroulement et dans l’évaluation de l’ensemble de la démarche, objet de ce présent article. Elle inclut une analyse du processus, de la conception à la diffusion, dans le but de dégager de l’ensemble des situations, un fil conducteur permettant de voir en quoi ce processus a revêtu une utilité susceptible de permettre aux participants de se transformer et quelles en sont les retombées pour eux et pour les chercheurs.

Une première étape d’analyse a été effectuée à partir du journal de bord des chercheuses et ce, afin de recenser le déroulement des communautés de pratiques et d’indiquer le type d’implication des participants dans les travaux et dans leur diffusion.

En deuxième lieu, un questionnaire comportant quatre questions ouvertes inspiré de la recherche de Van Nieuvenhoven et Colognesi (2013) a été envoyé par courriel en mai 2015 à tous les membres présents dans la recherche depuis 2012. Treize des 18 participants ont complété le questionnaire et deux entretiens de groupe ont permis d’approfondir les réponses fournies face à l’utilité d’une telle démarche. Les deux chercheuses ont aussi répondu individuellement au questionnaire en vue de trianguler les données des participantes et également pour que leurs réponses fassent partie des résultats analysés dans le cadre de cette recherche évaluative.

Les tableaux suivants présentent les 13 participants[3] en indiquant leur niveau d’enseignement et leur implication dans les travaux de la communauté de pratiques et la diffusion de la recherche.

Tableau 1

G1 (commission scolaire A, 8 participants)

G1 (commission scolaire A, 8 participants)

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Tableau 2

G2 (commission scolaire B, 5 participants)

G2 (commission scolaire B, 5 participants)

Tableau 2 (continuation)

G2 (commission scolaire B, 5 participants)

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La démarche de Wanlin (2007) a été adoptée pour l’analyse de contenu des réponses au questionnaire ainsi que celle des verbatim des rencontres de discussion. Elle a permis de faire ressortir des catégories, dont certaines associées aux enjeux de la recherche collaborative. Le croisement des données a facilité la mise en mots du vécu relaté par ces participants. Ces extraits sont suivis du prénom du participant dans le souci de respecter la parole de chacun d’eux.

Résultats

La première partie présente l’analyse du contenu du journal de bord des chercheuses afin d’illustrer le déroulement de la recherche. En second lieu, il sera question des résultats en fonction de chacune des questions posées aux participants, suivis d’une analyse réflexive par les chercheuses face à l’ensemble du processus.

Genèse de la recherche par le biais du journal de bord

L’analyse du journal de bord montre que les échanges ont été réalisés en fonction de différentes étapes.

La première étape : L’introspection

Par le biais d’outils d’analyse sociale (Chevalier Buckles, 2013), les participants ont répondu aux questions suivantes : qui suis-je comme accompagnateur et comme évaluateur auprès des stagiaires ? Quels liens entre la manière d’accompagner un stagiaire et les différents rôles associés à l’accompagnement dans une pratique ? Également, des entrevues individuelles sur les pratiques comme enseignant associé ont été menées afin d’élaborer le profil des participants à la recherche pour fins de discussions lors des rencontres collectives subséquentes (Lebel et al. 2016).

La deuxième étape : L’analyse de pratiques

Lors de la 2e année, plusieurs participants ont souhaité s’observer dans leurs pratiques, lors des entretiens avec le stagiaire. Ces initiatives ont donné lieu à des duos d’observateurs qui ont présenté les analyses de leurs observations au groupe, et ce, dans le but d’orienter les discussions autour des enjeux et des besoins relatifs à l’accompagnement de stagiaires. Tout ceci a débouché sur la création d’outils pour des enseignants associés novices[4].

La troisième étape : La recherche de réponses

Des chantiers de recherche sont nés des échanges et des travaux. Pour chacun d’eux, des participants ont pu élaborer les questionnaires, animer des groupes de discussions, analyser des résultats, présenter ces résultats dans des congrès et corédiger des articles. D’autres participants ont voulu élaborer des outils pour aider les enseignants associés à mieux comprendre leur rôle dans la formation des enseignants stagiaires. Ces outils, grilles d’observations, faits vécus, vidéos ont été expérimentés et validés par l’ensemble des participants.

La quatrième étape : Le partage des travaux des chantiers

Le partage des travaux se vit au fil des rencontres et lors de manifestations scientifiques et professionnelles. Un réseautage s’est établi depuis 2014 avec des chercheurs, superviseurs et enseignants de différents horizons et les communications scientifiques sont toujours partagées entre enseignants et chercheurs.

La cinquième étape : Des experts à reconnaître

De participants d’une formation à acteurs au sein d’une recherche collaborative, les participants du projet considèrent qu’une expertise reconnue par les institutions faciliterait l’aide et l’accompagnement de nouveaux enseignants associés ou d’enseignants associés aux prises avec des défis à relever.

Analyse des entretiens et des groupes de discussion

Les résultats sont présentés pour chacune des questions posées. Ils sont issus à la fois des questionnaires complétés par les participants et dans le cadre des deux groupes de discussion.

Q1. Comment je me sens utile dans le processus de recherche depuis ses débuts et jusqu’à maintenant ?

Trois catégories permettent d’expliquer comment les participants ont perçu leur utilité depuis les débuts de la recherche.

D’un flottement à un ancrage

Pour la plupart des participants, le processus a été relativement long avant de saisir la portée de leur présence et de leur implication dans le groupe. Certains ont mentionné qu’au départ, ils se voyaient comme des participants plutôt passifs à une formation offerte par l’université plutôt que comme acteurs à part entière dans une recherche collaborative. Cette perception s’est radicalement transformée deux ans plus tard, lors d’une foire présentant leurs travaux dans le cadre d’une rencontre collective[5]. Il s’agit donc d’un moment charnière qui leur a permis de voir in situ la portée de leurs réflexions et de leurs travaux, et de prendre conscience du rôle actif qu’ils jouent dans ce processus de coconstruction du savoir d’expérience.

Au tout début je me demandais ce que moi, un simple enseignant, pourrais faire comme différence dans ce processus de recherche. On nous demandait nos points de vue, on ne savait pas où on s’en allait, mais je pense que c’était un passage obligé

Christelle

On partait de loin ! La foire a changé mes perceptions.

Julie

Ça me faisait capoter ! Maintenant, j’ai le désir d’aller plus loin

Nadine

On devrait être connus et reconnus de la part des directions et des autres enseignants. Être disponibles pour eux dans l’accompagnement d’un stagiaire et des collègues

Sophie

Comme producteurs de savoirs

Les rencontres ont permis aux participants d’analyser leurs besoins comme enseignants associés et au fil du temps, de choisir des chantiers de travail dans lesquels ils souhaitaient s’impliquer. Certains chantiers étaient de nature plus pragmatique, telle la conception d’outils, d’autres étaient plutôt associés aux chantiers de recherche. Indépendamment des choix de chantiers, les participants affirment s’être sentis à égalité, parties prenantes de la recherche, utiles et ce, dans une ambiance de collaboration où la hiérarchie était absente. Que ce soit par l’élaboration d’outils à expérimenter et à, éventuellement, déposer sur un site web, ou par l’implication dans des chantiers de recherche, tous visaient à répondre aux besoins et aux demandes exprimées par le groupe.

On a construit des chantiers qui ont débouché sur des résultats, des articles scientifiques ou des outils pour le site WEB pour des EA

Jeanne

C’est un moment privilégié pour réfléchir sur nos pratiques. On l’a pas ce temps de qualité là dans nos écoles. Ça permet de nous enrichir et c’est très proche de notre réalité. C’est une formation continue qu’on n’a plus maintenant, car on n’a plus de sous.

Julie

Regards et conversations croisés

Cette catégorie a émergé essentiellement lors des deux entretiens de discussion. Les échanges autour de leur utilité dans la recherche ont fait ressortir l’importance du sentiment d’appartenance et donc d’être en groupe et de faire partie du groupe. Tous ont manifesté leur intérêt à poursuivre l’aventure et d’autres chantiers se sont même amorcés.

On est de différentes réalités, on a partagé ensemble nos expertises

Martine

Chaque membre a besoin des autres pour avancer. Quand un sujet n’avance plus, c’est tout le groupe qui s’en ressent. Ensemble, on se tourne vers des solutions

Nadine

Je sentais que j’avais un soutien quand je venais ici. Je n’étais plus seule

Carolane

Q2. Quelles transformations se sont opérées chez moi au niveau de l’évaluation des stagiaires ?

Cette question a donné lieu à beaucoup de commentaires écrits par courriel. Tous les participants ont affirmé être plus à l’aise, en sécurité et en contrôle lorsque vient le temps d’évaluer un stagiaire. Puis, lors des rencontres de groupes de discussion, une participante a qualifié ces transformations comme étant une : « re-prise de possession de nos moyens (Christelle) », propos qui ont été entérinés par l’ensemble des participants.

Je me sens plus en moyen vs l’évaluation qui était le gros morceau. Lorsque j’évalue un stagiaire, j’ai plus de précision et de justesse. Je me donne des moyens, des traces pour justifier mes jugements

Nadine

Mon objectivité est plus forte et plus ancrée

Line

Mes attentes sont plus claires envers le stagiaire

Marc

Je leur demande leur planification détaillée. Avant, je ne pouvais pas leur dire pourquoi c’était si important. Maintenant je l’exige et je leur explique pourquoi

Suzie

Le guide de stage est moins stressant. Je suis capable de le décortiquer et de dire à la stagiaire : « il faudrait que tu les regardes tes compétences. C’est là-dessus que je vais t’évaluer. » C’est le plus bel outil maintenant ce petit guide-là

Martine

J’ai une meilleure maitrise et une meilleure compréhension des compétences à évaluer

André

Je connais mieux le rôle des superviseurs et j’ai travaillé en collaboration avec eux

Carole

Q3. Quels effets en termes de développement professionnel ? De connaissances ? De compétences ?

Les effets se répartissent en trois catégories qui reflètent différents aspects du développement professionnel.

Intérêt partagé pour la recherche

Cette catégorie a été mentionnée par des participantes qui se sont impliquées autant dans les chantiers de recherche du projet que dans les volets plus pragmatiques. Il est question d’un intérêt nouvellement marqué pour la recherche, ce qui se manifeste chez certains par le fait de lire des résultats de recherche, de souhaiter participer à des congrès scientifiques ou chez d’autres, de débuter une maitrise après plusieurs années d’enseignement.

Quand je pense que notre chantier a débouché sur un article, c’est fabuleux !

Sophie

J’adore lire les résultats de recherches et surtout de lire les réflexions qui en découlent

Christelle

Ce projet m’a amené à m’inscrire en maîtrise en éducation et je compte effectuer mon mémoire sur les postures de l’accompagnement de l’enseignant associé lors des rétroactions

Nadine

L’acceptation de son expertise

Lors de la première rencontre, l’équipe de recherche a demandé aux enseignants comment ils vivaient leur expertise comme enseignant associé. Or, malgré le nombre de stagiaires parfois très élevé qu’ils avaient reçu, aucun participant ne voulait se voir attribuer le titre d’expert en ce domaine. Lors des rencontres de groupe de discussion trois ans plus tard, la même question leur a été posée. La réponse a été différente au sens de démontrer une ouverture face à leur expertise. Tous ont affirmé de manière convaincue qu’ils pouvaient aider de nouveaux enseignants associés et qu’ils se reconnaissaient une expertise dans ce domaine sans être encore complètement à l’aise avec le titre d’expert.

J’ai dû faire une introspection face à mon métier d’enseignante et d’EA

Carole

J’ai accepté d’être experte même si ce n’est pas encore facile pour moi de l’avouer

Sofia

Ce que je développe, ce n’est plus pour mes besoins personnels, mais plutôt dans le cadre d’un partage pour favoriser une utilisation à grande échelle

Carolane

Responsabilité accrue

Cette catégorie découle directement de l’expertise reconnue par les participants. De fait, une bonne partie d’entre eux ont décrit leur agir professionnel en mettant en exergue l’analyse constante et réflexive de leur pratique, de même que la responsabilité qui leur incombe en tant qu’enseignant associé. Ils se sentent désormais imputables et garants de la formation pratique de futurs collègues enseignants.

J’ai une plus grande responsabilité envers les stagiaires et les EA. Je me désole du manque de support à leur égard

Jeanne

Je me remets en question concernant l’évaluation et je prends ça avec beaucoup de sérieux

André

Je tente de développer des outils et des stratégies qui ne me serviront pas uniquement pour moi, mais aussi dans un cadre plus large de passeur et de guide pour les autres

Martine

Q4. Sommes-nous dans une dynamique de recherche collaborative où ensemble nous allons vers un objectif général commun ?

En lien avec les enjeux de Chevalier (2010), quatre catégories émergent des propos, tant dans les réponses écrites que lors des groupes de discussion. La plupart se sentent engagés dans ce processus et sont fiers à la fois de cette implication et du site web qui en émerge. Ils ressentent que la relation participants-chercheurs est différente des recherches dans lesquelles ils étaient impliqués auparavant et surtout, ils croient que celle-ci risque de faire accroître le savoir d’expérience issu de leur pratique. Finalement, une participante a bien illustré la notion du chaosmos de Chevalier (Ibid) en mettant de l’avant l’importance de la reconnaissance de son apport pour être mieux à même d’accepter de vivre certaines incertitudes et éventuellement évoluer dans ses pratiques.

Démocratie et engagement

Je sens que je fais désormais partie d’un tout où chaque membre est lié et important

Marc

Nous sommes fières de l’évolution de notre recherche et avons hâte de nous revoir afin de partager le fruit de nos efforts. Il nous arrive même de travailler sur des chantiers qui nous déstabilisent, mais nous le faisons non pas de force, mais par souci de le faire pour la recherche, pour le groupe, pour faire avancer les choses. Le temps investi n’est pas comptabilisé, on le fait parce qu’on y prend un réel plaisir

Christelle

Authenticité

On est impliqué dans toutes les étapes : compilation, interprétation des résultats. On a soulevé le questionnement, on a été associé quand d’habitude les contacts sont différents. Les universitaires viennent voir comment ça se passe dans le milieu, font une analyse et mettent en lien avec leur propre questionnement. On est tellement habitué à cela que parfois, on se demande même sur quoi et pourquoi on devrait se questionner

Nadine

L’art du savoir apprenant

Cela rapproche l’exercice du métier des résultats de recherche. On le transfère dans le milieu et les gens savent qu’il se passe quelque chose avec la recherche collaborative. Habituellement, les gens de l’université ne s’adressent qu’à leurs collègues ou à des enseignants qu’ils connaissent. Ici c’est différent, car il y a une diversité de points de vue parce que nous sommes des gens qui, au départ, ne se connaissaient pas nécessairement et on a une expérience différente. Juste avec des collègues de l’adaptation scolaire, je ne suis pas certaine que cela m’aurait permis d’évoluer autant. Maintenant on est un groupe

Sofia

Le chaosmos

Au début c’était flou, on nageait dans le néant. On ne savait pas où on s’en allait… Un océan de noirceur. Dans les activités, je ne connaissais pas toujours le but, cela prenait plus de temps, mais j’embarquais quand même

Christelle

Analyse réflexive des chercheuses

Cette analyse est issue d’extraits du journal de bord et des réponses au questionnaire. Pour les deux chercheuses, le chaosmos a été aussi un enjeu fort important, car le projet se construisait au fur et à mesure des rencontres, et ce, même si l’équipe avait un objectif clair de recherche. Accepter de vivre dans le flou, de respecter les demandes et attentes des participants et de planifier les journées de rencontre face à celles-ci a parfois été aussi déstabilisant pour l’équipe de recherche. Du point de vue de la complexité de cette démarche, il fallait constamment accepter que les participants ne souhaitaient pas tous s’impliquer de la même façon et aux mêmes étapes. À ceci s’ajoute le fait qu’il fallait composer avec les structures administratives autant universitaires que scolaires (demandes de libération, délais de réponses, obligations financières, etc.) qui, parfois, freinent les élans, voire enferment le groupe dans des obligations de procédures.

Pour amener un réel changement, il est apparu clair qu’il fallait donner beaucoup de temps au temps et accepter d’attendre. De fait, un cheminement est nécessaire pour développer une conscience préréflexive (Durand, 2008). Il faut d’abord imaginer, se penser et ensuite coconstruire (Bourassa, 2014). Ce cheminement ne s’est pas vécu de la même manière et dans un même laps de temps pour tous les participants. Finalement, une telle recherche implique aussi qu’il faut outrepasser les écoles de pensée traditionnelles pour redonner toute la place aux participants. Ces regards et conversations croisés initiés au départ par notre questionnement se sont déplacés lorsque les participants ont pris le relais. Les chercheuses sont ainsi passées de l’avant-plan à l’arrière-scène.

Discussion

L’ensemble des résultats amène l’équipe à voir en quoi cette approche collaborative permet à des enseignants associés de déterminer leur rôle de formateur de stagiaires, de se définir et de transformer leurs pratiques. Au fil des questionnaires et entretiens, on remarque que les rencontres ont clairement été identifiées comme étant une communauté de partage et d’apprentissage. Dans la lignée des travaux menés par Bucheton et Soulé (2009) et Ria (2013), les analyses de pratique menées dans le cadre de cette recherche collaborative ont été enrichissantes autant pour les participants qui se sont davantage impliqués dans des chantiers en s’investissant dans des rencontres de travail parallèles, que pour ceux qui avaient choisi de surtout participer aux rencontres collectives en donnant des rétroactions et en validant les propositions des autres. Tout ce processus était prétexte à l’analyse de pratiques et à la référentisalisation de l’agir professionnel dans son entièreté.

À l’instar des résultats de Bourrassa et al. (2013), les propos des participants mettent en évidence que les échanges et la continuité leur ont permis de poursuivre leur réflexion, de l’alimenter, d’y revenir par un partage avec des collègues et de coconstruire des solutions aux problématiques rencontrées dans l’accompagnement des stagiaires. Ils relèvent l’impact positif du temps pour expérimenter, revenir se confronter, se confirmer ou s’infirmer dans des actions posées, ce que permet ce type de recherche collaborative à l’intérieur de laquelle les participants se choisissaient des moments de rencontre en parallèle aux rencontres collectives. Cette mouvance a facilité l’appropriation graduelle de l’agir professionnel en raison du fait qu’elle leur a permis de poser un regard le plus lucide possible sur les gestes professionnels pertinents pour former des stagiaires (Jorro, 2011). Le temps d’être dans leur milieu, d’expérimenter et de revenir, de mettre des mots sur des actions concrètes qu’ils posent, ont tous été vecteurs d’une meilleure compréhension de leurs gestes professionnels. Ce processus spiralaire a participé à une consolidation d’intuitions ainsi qu’à une prise de conscience du rôle que leur est imparti comme formateur de stagiaire, de leurs responsabilités et de leur imputabilité.

Conclusion

L’analyse des verbatim permet sans contredit d’affirmer que cette recherche collaborative se solde par un gain non négligeable et en quelque sorte imprévu de la part des chercheuses, à savoir que les participants ont développé un sentiment d’appartenance envers le groupe REÉVES et qu’ils sont fiers des productions qui en sont issues comme le représente bien le site WEB. Leurs propos méritent d’ailleurs d’être analysés à l’aune des facteurs de la persévérance (Bélair et Lebel, 2007) puisque ce sentiment d’appartenance peut non seulement favoriser l’émergence de leur persévérance au sein du groupe, mais les amener à être acteurs de changement au sein de leurs communautés propres et accroitre ainsi leur sentiment d’efficacité personnelle. Il ressort que tous les participants affirment leur besoin de faire la différence, autant chez les stagiaires qu’ils sont appelés à former que chez leurs collègues, et ce, en lien avec l’agentivité, un facteur important de persévérance qui met en exergue le fait qu’un être d’action soit capable d’agir sur le monde (Bandura). De ceci découle le sentiment de compétence de ces participants par la prise en compte du fait qu’ils se sentent plus en mesure de mobiliser des ressources au service des situations auxquelles ils font face, tant face au stagiaire en l’amenant à s’autoréguler, que vis-à-vis des collègues. Leur confiance en soi s’en trouve accrue et le plaisir se manifeste dans leurs verbatim, surtout lorsqu’ils parlent du temps alloué à cette réflexion, sans lourdeur ni contraintes apparentes, tout en étant conscient du privilège qu’ils ont d’être libérés pour échanger et réfléchir.

Il demeure cependant que certains éléments peuvent atténuer à degrés divers ce sentiment de plaisir collectif. De fait, toute recherche collaborative est assujettie à des subventions et les participants ont d’ailleurs manifesté leurs craintes face à une disparition éventuelle de REÉVES. L’enjeu de l’équipe de recherche sera donc d’alimenter ces échanges autrement, de faire vivre le site web pour justement en faire état et d’accroître les réseaux d’échange.

Au-delà de ces considérations positives qui ressortent des verbatim, l’équipe reste tout de même vigilante face à l’effet Hawthorne qui montre que des participants à de telles recherches sont enthousiastes et positifs envers les innovations proposées et que, une fois la recherche terminée, ils peuvent revenir à des habitudes de travail ancrées depuis longtemps dans leur habitus. Sans pouvoir résoudre ce biais non négligeable, l’équipe demeure convaincue que le fait d’avoir choisi des chantiers de travail et d’expérimenter des outils au rythme de chacun, de même que la possibilité que chaque participant a eue de s’impliquer à toutes les étapes du processus laissera des marques. Il demeure toutefois intéressant d’être à l’affût de cette situation.

Cette aventure qui s’est poursuivie avec l’ajout d’enseignants de trois autres commissions scolaires en 2016 illustre l’importance de s’engager dans des communautés de pratiques à échelle restreinte pour éventuellement contribuer à un mieux-être dans un monde réel donné (Chevalier, 2010). Ouvrir à d’autres horizons, d’autres groupes pour amener ce changement chez des enseignants sous-entend une reconnaissance à part entière de l’expertise des participants et une ouverture à la créativité, par le biais de réseautage pouvant se traduire par des communautés de pratiques ou des échanges entre pairs pour résoudre un problème via des réseaux sociaux, etc. Cette avenue permettrait d’intensifier le dialogue entre enseignants ayant eu l’opportunité de réfléchir sur l’agir du métier, sur les implications liées à l’accompagnement et la formation de stagiaires et sur les enjeux de leur rôle comme formateurs de terrain engagés.