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Les métiers et les professions actuels sont plus que jamais sommées de s’adapter à un monde en perpétuel changement, qui se traduit dans l’univers du travail (Tardif, 2013). Plus spécifiquement, dans un contexte où l’on doit évoluer dans une profession adressée à autrui tel que l’enseignement, plusieurs dimensions (émotionnelles, relationnelles, éthiques) doivent être mises à contribution afin de pouvoir intervenir adéquatement face à la multitude de défis engendrés par la complexité des situations (Mukamurera, Desbiens, & Perez-Roux, 2018). Et dans toute cette effervescence, il est parfois difficile pour les professionnels de cultiver un sens au travail qui alimenterait leur sentiment de bienêtre et de satisfaction (Goyette, 2016). On remarque, entre autres, que le sens qu’un professionnel accorde à son travail peut avoir des incidences sur sa santé mentale et son engagement (Gosselin, Viau-Guay, & Bourassa, 2014). On peut aussi en déduire que ce sens peut constituer l’un des éléments importants du processus de développement professionnel nécessaire à une saine gestion des changements incessants. Or, le développement professionnel se caractérise par la complexité et son étalement dans le temps. On sait par exemple qu’il permet aux différents intervenants de développer non seulement des compétences, mais aussi des composantes identitaires qui contribuent à la compréhension de leur travail et de leur rôle ainsi qu’à l’enrichissement de leurs pratiques. Ces composantes identitaires personnelles et sociales, en constante interaction, enrichissent leur parcours professionnel par de nombreuses remises en question bénéfiques pour la transformation de certaines représentations envers leur travail quotidien (Gohier, Anadón, Bouchard, Charbonneau, & Chevrier, 2001). On comprendra alors que le développement professionnel s’avère un défi non seulement pour la recherche, mais aussi pour la formation.

Les perspectives de recherche en ce qui a trait au développement professionnel sont, selon Lefeuvre, Garcia, et Namolovan (2011), de deux ordres : développementale, où il est étudié selon des stades d’évolution successive de la profession ou professionnalisante, où l’on s’attarde davantage au processus d’apprentissage des savoirs professionnels afin d’en tirer une certaine efficacité. Deux finalités de recherches orientent les études sur le sujet : heuristique, qui permet la production de connaissances et pragmatique, qui se centre sur les transformations effectuées quant aux pratiques et aux représentations. Loin de débuter lors de l’obtention d’un emploi, le développement professionnel commence dès la formation initiale. Il se poursuit par la suite, tout au long de la carrière, en passant par l’insertion professionnelle et la formation continue (Portelance, Martineau, & Mukamurera, 2014).

Ces phases développementales sont des moments importants chez les professionnels afin de construire leur identité, d’accroître leur engagement, d’assurer leur persévérance ainsi que de consolider leurs savoirs et leurs compétences, éléments essentiels pour l’exercice de leurs fonctions.

L’objectif de ce numéro est justement de se pencher sur les recherches émergentes en lien avec le développement professionnel dans différents contextes nationaux et divers domaines de formation. Les contributions sont regroupées de la manière suivante. Les deux premiers articles se veulent des réflexions de nature essentiellement théorique sur la formation initiale des enseignants en tant qu’étape préliminaire du développement professionnel. Les trois textes qui suivent abordent des aspects du développement professionnel dans l’accompagnement des stages en formation en enseignement. Les sixième et septième articles analysent des problématiques spécifiques à la formation des futurs enseignants en Belgique francophone. Quant aux deux dernières contributions proposées dans ce numéro, elles concernent l’analyse du développement professionnel dans des environnements spécifiques.

L’article de Goyette et Martineau intitulé Les défis de la formation initiale des enseignants et le développement d’une identité professionnelle favorisant le bien-être ouvre ce numéro. Les auteurs proposent une réflexion sur la formation initiale basée sur quatre concepts fondamentaux : le développement professionnel, l’identité professionnelle, le bien-être et les forces de caractère. Ils soutiennent qu’au Québec, la formation initiale des enseignants fait trop peu de place à une réflexion sur soi en tant que personne et professionnel. Suit le texte de Buysse dont le titre est Enseignant en formation, structure en élaboration. L’auteur interroge la formation initiale des enseignants à partir des acquis de la psychologie du développement. Il met notamment en lumière quelques-uns des moyens pouvant faciliter l’élaboration de nouvelles structures cognitives nécessaires au développement professionnel. De leur côté, Colognesi et Van Nieuwenhoven, dans un article ayant pour titre Quel développement professionnel pour les accompagnateurs de stage ? Suivi d’une cohorte de maitres de stage et de superviseurs évoluant ensemble pendant deux ans, s’interrogent sur le développement professionnel des accompagnateurs de stagiaires que ce soit les maîtres de stage ou les superviseurs, issus des Hautes Écoles pédagogiques en Belgique. Ils portent notamment un regard approfondi sur le contrat réflexif co-défini par le groupe ainsi que le principe de modération sociale au coeur de la dynamique du groupe collaboratif. La recherche collaborative et son apport au développement de l’agir professionnel d’enseignants associés, contribution de Lebel et Bélair, présente les résultats d’une recherche évaluative sur les impacts d’une recherche collaborative dans l’évolution des pratiques des chercheurs et des enseignants associés. Les auteures ont cherché à comprendre en quoi l’approche collaborative peut permettre aux participants de mieux s’approprier leur rôle comme enseignant associé tout en soutenant la transformation des pratiques. L’article de Portelance, Le codéveloppement professionnel d’enseignants associés réunis en communauté de pratique, présente les résultats d’une recherche subventionnée par le ministère de l’Éducation du Québec dont l’objectif général était de soutenir le développement des compétences des enseignants associés. Pour ce faire, l’auteure a mis en place une communauté de pratique où les participants discutaient de leurs pratiques d’encadrement du stagiaire. Dans leur contribution à ce numéro intitulée L’observation professionnelle en formation d’enseignants du secondaire en Belgique francophone, Vifquin et Frenay identifient et catégorisent ce sur quoi se focalisent l’attention sélective et le raisonnement des étudiants en formation initiale à l’enseignement des écoles secondaires en Belgique francophone.

Leur recherche fait notamment ressortir certaines caractéristiques que des étudiants considèrent pertinentes lors de leur observation et le type de raisonnement que ceux-ci mobilisent. Quant à elles, Duroisin et Goyette, dans une contribution dont le titre est Autodétermination et bien-être au travail : le défi des enseignants belges francophones face à la pluralité des programmes d’études, mettent en évidence la complexité de la tâche des enseignants en Belgique francophone. Ces derniers doivent en effet prendre en compte la pluralité des programmes d’études issus de plusieurs réseaux d’enseignement différents. Ce texte montre que cette situation nuit au bien-être et à l’autodétermination des enseignants. L’avant-dernier article de ce numéro, celui de Munoz, Villeret et Bourmaud, Développement et situation : analyser le travail enseignant lors de débats scientifiques en classe, analyse l’activité d’enseignants lors d’une situation d’observation après débriefing, activité qui portait sur les phases de la Lune. Avec ces enseignants, les auteurs ont examiné dans quelle mesure les débats réalisés en classe conduisaient les élèves du primaire à problématiser et à conceptualiser le phénomène étudié. Plus spécifiquement, ils se sont demandé en quoi l’activité des élèves pouvait contribuer à questionner et à transformer l’activité enseignante. Les auteurs sollicitent les concepts de « situations potentielles de développement » et d’environnements « capacitants ». Enfin, pour clore ce numéro, le texte L’engagement dans une pratique culturelle comme occasion de développement professionnel. Le cas de salariés associatifs en situation d’accompagnement de bénévoles, de Tardif Bourgoin aborde la question de la reconnaissance de l’éthos professionnel en situation d’accompagnement de bénévoles. Pour ce faire, l’auteure présente une recherche qui repose sur des entretiens (semi-directifs et d’explicitation). Ces entretiens ont été réalisés auprès de coordinateurs en charge d’une activité « cours de français pour adultes » dans quatre centres sociaux. L’engagement dans une pratique d’accompagnement de bénévoles est conçu ici comme une occasion de développement professionnel.