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Introduction

Problématique

La formation des enseignants en Belgique francophone s’inscrit dans une logique d’alternance intégrative (Pentecouteau, 2012) et offre au futur enseignant plusieurs occasions d’implications sur le terrain allant d’une phase d’observation à une prise en charge complète de la classe. Dans ces temps intenses de stages, deux acteurs principaux l’entourent : le maitre de stage[1] et le superviseur[2]. Actuellement, la recherche se penche sur ces deux acteurs, au départ du constat que peu de balises déterminent leurs fonctions (Gervais & Corréa-Molina, 2005 ; Malo, 2011 ; Van Nieuwenhoven & Colognesi, 2015) et que leurs pratiques sont peu connues et peu partagées comme le mentionnent notamment Gouin et Hamel (2015) à propos des superviseurs. Ainsi, les résultats des études menées ont suscité la mise en place de communautés de pratiques et/ou de dispositifs de formation, mais ils rassemblent majoritairement des accompagnateurs de stage d’un même « métier » : les maitres de stage entre eux, les superviseurs entre eux. Et quand maitres de stage et superviseurs se retrouvent, c’est généralement soit pour une information ponctuelle, organisée dans l’institut de formation de l’étudiant, au cours de laquelle peu de temps est dédié au dialogue et à la coconstruction, soit lors d’une visite de stage où, là encore, le moment n’est pas propice et le temps insuffisant pour un réel échange sur les questions d’accompagnement.

Ainsi, chaque catégorie d’accompagnateur évolue de manière isolée, avec des questions relatives à l’efficacité et au bien-fondé des gestes choisis pour accompagner les stagiaires et cela peut générer des incompréhensions, voire des malentendus, entre les partenaires pourtant engagés tous deux dans l’accompagnement des mêmes étudiants. Ils regrettent le peu de temps alloué à une réflexion conjointe sur les pratiques efficaces pour accompagner les stagiaires, sur une possibilité de comprendre les réalités de l’autre, d’avoir un dialogue autour des gestes professionnels qu’ils mobilisent pour réaliser cette tâche professionnelle complexe qui est d’accompagner un stagiaire (Colognesi & Van Nieuwenhoven, sous presse).

Pour répondre à ce besoin, nous avons mis en place un certificat de formation universitaire destiné à outiller les accompagnateurs de stage tant sur le plan théorique que pratique, une première dans le contexte universitaire. Ce certificat a rassemblé des maitres de stages et des superviseurs permettant ainsi la co-existence des deux terrains : celui de la pratique et celui de la formation initiale des enseignants. Ces personnes ont progressé ensemble pendant un an sur les questions relatives à l’accompagnement. Après leur année d’échanges, les acteurs ont souhaité poursuivre leur travail, dans une perspective de Professional Learning Community, décrit notamment par Darling-Hammond et Richardson (2009) ou Caena (2011), où un groupe d’enseignants évolue ensemble. Chacun fait part aux membres du groupe de son expertise afin de construire des outils et/ou des solutions communes. Il peut s’agir ainsi de réflexions, d’analyses, d’échanges de pratiques, ou autres permettant, collectivement, de réaliser des tâches co-définies qui ont trait à des innovations institutionnelles, partagées et évaluées à leur tour, selon des modalités diverses. Et même si un expert peut être présent comme coach, les enseignants s’engagent à se soutenir mutuellement et à trouver les solutions aux problèmes qu’ils rencontrent. Dans le cas du groupe dont nous parlons ici, l’objectif co-défini était de co-construire une modélisation reprenant les gestes d’accompagnement communs et spécifiques aux acteurs.

Nous avons cherché à comprendre comment ce groupe, qui rassemble deux catégories d’acteurs, d’attaches institutionnelles différentes, qui n’ont pas l’habitude de travailler ensemble et dont les relations ne sont pas nécessairement symétriques, peut fonctionner et comment les membres de celui-ci se développent professionnellement, tant dans le certificat (l’année 1) que dans le groupe de partage (année 2). Trois questions de recherche ont découlé de cette visée : (1) quels sont les moments privilégiés de la formation qui ont optimalisé le développement professionnel dans les pratiques d’accompagnement de stage et qui ont été le moteur de la poursuite de la réflexion en groupe ? (2) Quels sont les mécanismes inter-groupaux qui ont présidé à l’organisation du groupe de partage de pratiques et à la réalisation du modèle envisagé ? (3) Quels sont les leviers qui ont permis des transformations chez les acteurs ? Pour nos analyses, nous avons mobilisé les cadres théoriques du contrat réflexif (Bednarz, Desgagné & Savoie-Zajc, 2012) et de la modération sociale (Mottier Lopez, Tessaro, Dechamboux & Morales Villabona, 2012) ; nous amenant, plus largement, à mieux comprendre et rendre visible les effets du contrat réflexif et de la modération sociale sur le développement professionnel.

Dans les lignes suivantes, le cadre conceptuel mobilisé est tout d’abord présenté, déployant les notions de développement professionnel, contrat réflexif et de modération sociale. Ensuite, les choix méthodologiques réalisés sont explicités. Enfin, les principaux résultats sont avancés, en lien avec chacune des questions de recherche.

Cadre conceptuel

Deux volets constituent notre cadre conceptuel. Dans le premier volet, nous déployons les leviers de développement professionnel en cours de carrière dans une approche professionnalisante. Dans le second volet, nous considérons les cadres permettant de comprendre la manière dont un groupe peut évoluer : le contrat réflexif (Bednarz, Desgagné & Savoie-Zajc, 2012) et le principe de modération sociale (Mottier Lopez, Tessaro, Dechamboux & Villabona, 2012).

Approche professionnalisante du développement professionnel en cours de carrière

Le développement professionnel des enseignants se réfère à l’augmentation de leurs compétences professionnelles et aux transformations identitaires qui les amènent à pouvoir réagir aux situations rencontrées sur le terrain (Paquay, Van Nieuwenhoven & Wouters, 2010). Uwamaryia et Mukamurera (2005) identifient deux approches du développement professionnel : l’approche développementale (Huberman, 1989 ; Nault, 1999 ; Wheeler, 2003) qui renvoie à une succession de stades constitutifs du cycle de la carrière, et l’approche professionnalisante qui considère l’acquisition et la maîtrise de savoirs professionnels. C’est dans cette approche que nous nous inscrivons et nous retenons ainsi, à l’instar de beaucoup d’autres, la définition de Mukamurera (2014) qui estime que le développement professionnel est

un processus graduel d’acquisition et de transformation des compétences et des composantes identitaires conduisant progressivement les individus et les collectivités à améliorer, enrichir et actualiser leur pratique, à agir avec efficacité et efficience dans les différents rôles et responsabilités professionnelles qui leur incombent, à atteindre un nouveau degré de compréhension de leur travail et à s’y sentir à l’aise

Mukamurera, 2014, p.12

Dans ses écrits, Paquay (2000) relève six transformations qui touchent particulièrement le développement professionnel des enseignants s’engageant dans dynamique de formation continue que nous détaillons ci-après.

Le recyclage disciplinaire et didactique

Les savoirs évoluent dans toutes les disciplines et une mise à jour est indispensable pour que les savoirs enseignés soient en phase avec les savoirs théoriques en évolution. Les différentes sphères du processus de construction des savoirs enseignants sont prises en compte pour assurer une alimentation réciproque des savoirs théoriques formels et codifiés et des savoirs pratiques issus du terrain et construire ainsi le savoir enseignant. Malo (2000) souligne la nécessité de « multiplier, tout au long de la formation (initiale et continue), les moments et les lieux de “conversation” des différents savoirs nourrissant la pratique enseignante, conversation avec le contexte, avec les autres enseignants et avec les autres producteurs de savoirs » (p. 233). Ainsi l’actualisation du savoir enseignant contribue largement au développement professionnel de celui-ci.

L’accroissement des compétences professionnelles

De plus, les réformes actuelles centrées sur le développement de compétences et donc sur la mobilisation pertinente de savoirs, de savoir-faire et de savoir-être dans des situations complexes et authentiques incitent à questionner les dispositifs d’enseignement et les conditions qui favorisent les apprentissages. Des pratiques plus créatives et plus collaboratives commencent ainsi à voir le jour (Romainville & Rege Colet, 2006) et leur mise en oeuvre implique chez les enseignants le développement de nouvelles compétences.

Face aux étudiants « natifs du numérique », la recherche menée par Endrizzi (2012) questionne aussi l’impact réel des technologies sur la qualité des enseignements et des apprentissages dans l’enseignement supérieur et souligne qu’il ne suffit pas de mettre les nouvelles technologies à disposition pour que les usages se développent avec fruit. Ces nouvelles compétences se développent par l’exercice du métier et le partage d’expériences et l’apport de connaissances scientifiques en sciences de l’éducation en favorisent la mobilisation à bon escient.

Du côté des accompagnateurs de stage, l’accroissement des compétences professionnelles est une nécessité pour sortir de l’état de survie dans lequel ils sont plongés, étant donné le peu de formation initiale ciblée sur cette posture. Ils apprennent sur le tas, par tâtonnement et cheminent avec les étudiants et les autres interlocuteurs rencontrés vers le développement de gestes professionnels adaptés.

Le partage avec des pairs et le développement d’une identité professionnelle

Beaucoup d’enseignants vivent leur métier dans la solitude sans avoir l’occasion de partager leurs difficultés, mais aussi de faire part de leurs ressources. Ce sentiment se révèle encore plus fort au sein de leur posture d’accompagnateur des stages pour laquelle ils se sentent peu formés (Van Nieuwenhoven & Colognesi, 2015). Payette et Champagne (1997) précisent que « l’apprentissage du métier n’est jamais complètement fini, que ce soit pour le jeune professionnel qui confronte son mince vécu à l’expérience de ses aînés ou pour le professionnel ayant davantage d’expérience qui cherche quand même à comparer ses normes et ses pratiques professionnelles avec celles de ses collègues » (p.14). Dans cette perspective, les communautés d’échanges de pratiques sont très utiles pour sortir de l’isolement et réorganiser les répertoires d’expériences de chacun.

L’ouverture culturelle et sociale

Les formations proposées permettent aussi aux enseignants de sortir de leur quotidien, de rencontrer des personnes qui ne sont pas toutes issues du monde académique ou qui fondent leurs pratiques sur d’autres ancrages disciplinaires tels que la sociologie, le management, etc. Cette confrontation à d’autres logiques favorise un recul critique par rapport à leurs propres pratiques.

La promotion sociale

Dans certains cas, les formations proposées conduisent à une certification, mais la plupart d’entre elles sont suivies, parfois de manière assidue, par les enseignants sans pour autant leur reconnaître de l’expertise supplémentaire et conduire à des promotions ou à des réorientations. Paquay (2004) a montré les écueils, mais aussi les bénéfices des évaluations des acquis pour le développement professionnel des enseignants.

La redécouverte du point de vue de l’apprenant

Les formations permettent aux enseignants de redécouvrir la posture d’apprenant avec son lot d’expériences positives, mais aussi d’obstacles à surmonter. Pour mettre ces variables au coeur de l’apprentissage à jour, des dispositifs d’explicitation doivent être prévus pour permettre une intériorisation et encourager un transfert au sein des pratiques.

Comprendre le fonctionnement d’un groupe

Pour soutenir l’analyse de la dynamique qui s’est installée dans le groupe, deux concepts sont convoqués : le contrat réflexif mis à jour au coeur de recherches collaboratives par des auteurs québécois et la modération sociale comme moteur de négociations et de co-constructions de savoirs entre les membres du groupe.

Le contrat réflexif

Bednarz, Desgagné et Savoie-Zajc (2012), partant d’observations effectuées sur des « collectifs de recherches participatives », ont établi le concept de contrat réflexif comme régulateur des démarches de recherches collaboratives. Selon eux, au-delà du contrat explicite qui lie les partenaires au niveau des modes de fonctionnement et des buts à atteindre

d’autres règles, plus implicites [… ]se construisent dans l’interaction, au fil des rencontres, en fonction des partenaires, de leurs attentes, des rapports qu’ils établissent entre eux, en fonction, somme toute, du besoin de se comprendre, de coordonner ses efforts, d’une rencontre à l’autre, vers une cible qui, elle-même comporte une part d’indétermination et qui se négocie au fil des interactions des partenaires

Bednarz et al., 2012, p.6

C’est un espace d’interactions privilégié entre les participants, basé sur des règles implicites relatives au relationnel (confiance mutuelle, climat, l’humour, etc.), où la réflexion est canalisée autour d’un objet commun qui traverse et justifie la démarche de recherche. Le contrat réflexif se situe entre la relation et le contenu dans le sens où il concerne la démarche par laquelle le contenu de sens se co-construit et se base sur les quatre principes du contrat de communication de Ghiglione (1986) :

  • le principe de pertinence qui soutient l’idée selon laquelle, les partenaires, dans un acte de communication, vont se reconnaître une disposition, voire une compétence, à co-construire un sens partagé ;

  • le principe de réciprocité à l’appui duquel les partenaires sont capables d’échanger les perspectives et les motivations des uns et des autres en vue de s’y appuyer pour converger vers la cible commune ;

  • le principe de contractualisation sur la base duquel les partenaires, pour coordonner leurs efforts, vont stabiliser des manières d’interagir, en d’autres termes, vont adopter des règles d’interactions, dans l’implicite ;

  • le principe d’influence selon lequel les partenaires, sur la base d’enjeux à considérer dans l’échange, vont chercher à faire valoir leur point de vue auprès des autres, dans un processus constant de négociation de sens.

Ces principes pilotent l’idée d’un contrat tacite de communication, défini comme le fruit d’une construction conjointe des partenaires de l’intérieur même de l’interaction.

Le principe de modération sociale

Parallèlement au contrat réflexif, Mottier Lopez, Tessaro, Dechamboux et Morales Villabona (2012) ont développé, sur la base des travaux de Linn (1993), un autre type de concept qui émerge dans le cadre des recherches participatives, celui de la modération sociale. Pour ces auteurs, un dispositif de modération sociale tend à « favoriser des confrontations et la construction sociale de consensus non seulement entre les subjectivités de chaque enseignant, mais également au regard d’un sens collectif progressivement élaboré à partir du processus intersubjectif » (Mottier Lopez et al., 2012, p.166). Ainsi, la co-construction des savoirs et la formalisation itérative de consensus, partagés, admis et contestés au sein du groupe prennent une grande importance, d’autant plus si les échanges sont guidés par une « modération critique » d’un chercheur.

Deux temps sont identifiés par les auteurs comme incontournables. Dans le premier temps, on assiste à une « émergence dialogique des significations autour » (Mottier Lopez et al., 2012, p. 168) d’une notion donnée, d’un thème donné. Il s’agit d’échanges verbaux dans diverses configurations possibles qui se font sous forme d’un débat permettant les prises de position des acteurs en discussion avec l’aide structurante du chercheur modérateur. Ces échanges débouchent tant sur « une description narrative de la succession et de l’itération » des thématiques évoquées, que sur une « transcription et l’analyse des épisodes interactifs jugés significatifs par rapport à leurs fonctions épistémiques ». Dans le second temps s’opèrent des analyses a posteriori sur des savoirs collectifs engrangés au terme de la première partie du processus, ce qui génère chez les participants un ajustement cognitif appelé « renouvellement conceptuel » (Mottier Lopez et al., 2012, p. 170). En somme, retenons comme critères que :

  • le dispositif est un lieu privilégié de négociations, de savoirs collectifs, propice à l’émergence de savoirs nouveaux ;

  • cette construction/négociation concerne tout autant les praticiens que les chercheurs ;

  • ce processus social se joue dans une dialectique où l’acteur (chercheur ou praticien) permet un avancement des savoirs collectifs en même temps que le collectif permet un développement de la pensée individuelle.

Questions de méthodologie

Pour rappel, notre visée est de comprendre comment le groupe a fonctionné et quels sont les effets produits en termes de développement professionnel des acteurs. Nous présentons ici succinctement le groupe, les grandes lignes de la formation (le certificat, année 1) et des temps de rencontre du groupe collaboratif (année 2) ainsi que les outils de recueil et d’analyse des données qui s’inscrivent dans une démarche de recherche qualitative.

La cohorte suivie pendant deux ans

Le groupe collaboratif (année 2) est constitué d’acteurs qui se sont rencontrés dans le cadre du certificat à l’accompagnement des pratiques professionnelles (CAPP, année 1)[3], rassemblant tant des maitres de stage que des formateurs cherchant à améliorer leurs pratiques d’accompagnement des stagiaires. Les participants ne se sont donc pas choisis. Le groupe est constitué de 17 personnes : sept superviseurs d’instituts de formation pédagogique différents, sept maitres de stage, un étudiant chercheur ainsi que de deux chercheurs.

Grandes lignes de la formation et des rencontres du groupe collaboratif

Le certificat (année 1)

Le certificat en accompagnement des pratiques professionnelles (CAPP) est né dans les perspectives développées par le GRAPPE – Groupe de Recherche sur l’Accompagnement des Pratiques Professionnelles Enseignantes – (Colognesi & Van Nieuwenhoven, 2017 ; Van Nieuwenhoven & Colognesi, 2013, 2015) et à la demande des instituts pédagogiques qui souhaitaient que les acteurs, accompagnateurs d’étudiants en stage, puissent développer collégialement des compétences pour assurer cette fonction. La figure 1 donne à voir les différents axes et modules proposés dans la formation. L’objectif général annoncé est le développement professionnel des accompagnateurs de stagiaires en formation sur le terrain. Pour valider la formation, les participants sont amenés à réaliser deux tâches : la construction individuelle d’une schématisation de ce qu’est l’accompagnement, d’une part, et le développement en sous-groupe d’un dispositif destiné à répondre à une problématique d’accompagnement issue de leur terrain professionnel, d’autre part. Trois types d’activités sont organisées pour soutenir les participants dans la réalisation de ces tâches :

  • des temps d’outillages conceptuels, répartis en fonction des différentes dimensions de l’accompagnement ;

  • des temps de séminaires de travail sur la schématisation à créer ;

  • des temps de séminaires d’accompagnement du travail collectif.

Figure 1

Schématisation du certificat d’accompagnement des pratiques professionnelles

Schématisation du certificat d’accompagnement des pratiques professionnelles

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Le groupe collaboratif (année 2)

Les acteurs ont choisi de se rencontrer sur base volontaire, hors cadre et sans enjeux institutionnels, en soirée, à cinq reprises, à raison de séances de travail de quatre heures. Un comité de pilotage, constitué de quatre membres représentant les différents « métiers », a été constitué lors de la première rencontre. Le tableau 1 offre un aperçu des activités vécues lors des séances.

Tableau 1

Activités du groupe de partage

Activités du groupe de partage

-> See the list of tables

Outils de récolte et d’analyse des données

Pour Mukamurera, Lacourse et Couturier (2006), les analyses des données qualitatives s’inscrivent dans un paradigme compréhensif et interprétatif. Pour eux, la finalité de l’analyse qualitative est de donner du sens, de comprendre des phénomènes sociaux et humains complexes. Par conséquent, les enjeux de l’analyse qualitative sont ceux d’un processus discursif et signifiant « de reformulation, d’explicitation ou de théorisation de témoignages, d’expériences ou de pratiques » (Mukamurera et al., 2006, p. 111). Nous avons donc fait le choix de cette approche pour appréhender nos deux premières questions de recherche, tandis que l’approche quantitative a été privilégiée pour la troisième question, comme nous le présentons dans les points suivants.

Le certificat

Pour obtenir des informations permettant de saisir notre première question de recherche (les moments privilégiés de la formation qui ont optimalisé le développement professionnel et qui ont été le moteur de la poursuite de la réflexion en groupe), deux groupes de discussion (Kitzinger, 1995) ont été réalisés avec les participants au certificat. Le premier a eu lieu au milieu de la formation et le second en fin de formation. Ils ont porté sur le sentiment de développement professionnel et les activités clés reconnues par les acteurs comme leviers de transformation. Ces moments ont été enregistrés et retranscrits sous la forme de verbatims. De plus, tout au long du dispositif de formation, les productions que les acteurs ont réalisées pendant les séances de travail ont été récoltées pour pouvoir mettre en relation les propos issus des groupes de discussion avec les réalisations concrètes.

Le groupe collaboratif

Afin de pouvoir réunir du matériau pour répondre à notre deuxième question de recherche (les mécanismes inter-groupaux qui ont présidé à l’organisation du groupe de partage de pratiques et à la réalisation du modèle envisagé), toutes les séances de travail, qu’elles soient collectives ou en sous-groupe, ont été filmées et retranscrites, sous la forme de verbatims. Un observateur extérieur (étudiant chercheur) a pris note tant des échanges verbaux que non verbaux entre les participants, en direct. Ces données ont fait l’objet d’une analyse sur la base de trois catégories. La première catégorie regroupe les interactions, les échanges verbaux et non verbaux, les différents dispositifs de travail mis en place et les moyens de communication. La deuxième catégorie de données porte sur la composition et la structuration du groupe lui-même (le nombre de participants, les différents statuts professionnels, la coordination des activités des membres du groupe). La troisième catégorie de données fait référence à l’ensemble des co-productions réalisées progressivement par le groupe.

Par ailleurs, dans l’optique de nous saisir de la troisième question de recherche (les leviers qui ont permis des transformations chez les acteurs), nous avons choisi de joindre une approche quantitative à l’analyse qualitative menée pour les questions 1 et 2. Ainsi, un questionnaire a été soumis aux participants pour recueillir leurs impressions sur le fonctionnement du groupe. Il est structuré en huit items pour lesquels les participants ont exprimé leur degré d’accord ou de désaccord, suivant une échelle de Likert à 5 niveaux. Nous avons calculé un Cronbach alpha pour garantir la validité et la fidélité de l’échelle, qui se trouve être très élevé (α = .867). Trois items complémentaires portant sur l’atteinte des objectifs co-fixés par les participants ont été composés et le Cronbach alpha est également très élevé (α = .88) et amènent aussi les participants à écrire leur avis librement au-delà de l’échelle.

Présentation et discussion des résultats

La présentation des résultats est structurée en regard des trois questions de recherche, en lien avec le matériau spécifique récolté, présenté supra. Ainsi, nous abordons successivement les moments privilégiés de la formation qui ont optimalisé le développement professionnel et qui ont été le moteur de la poursuite de la réflexion en groupe de partage de pratiques ; les mécanismes inter-groupaux qui ont présidé à l’organisation du groupe et à la réalisation du modèle envisagé et les leviers qui ont permis des transformations chez les acteurs.

Les moments privilégiés de la formation qui ont optimalisé le développement professionnel

L’analyse des propos recueillis lors des groupes de discussion, dont certains verbatims emblématiques sont présentés pour illustration, révèle que quatre types d’activités issues de la formation (année 1) ont été un levier de développement professionnel et surtout une source de motivation des acteurs pour continuer à évoluer ensemble, sous forme de groupe collaboratif :

  • les jeux de rôle

    « Les jeux de rôle où on devait prendre des postures différentes, on devait entendre, se projeter ; les jeux de rôles où j’ai pris la posture que je n’avais jamais prise avant, ça m’a fait avancer dans le chemin ».

    NA
  • les temps de co-construction en sous-groupes

    « En co-construction, on doit apprendre de l’autre, on apprend à tenir compte de sa manière de voir, et on réagit en fonction de ça ».

    AG

    « Le projet qu’on mène en groupe, écouter l’autre, construire ensemble, c’est aussi un moment important. On a un produit commun qui fait avancer. On peut prendre en compte l’expertise de chacun au profit du projet ».

    MH
  • L’analyse en sous-groupe et collective d’incidents critiques amenés par les acteurs.

    « On apprend tout le temps : quand quelqu’un raconte un problème avec le stagiaire, sa façon de réagir, la dynamique de groupe. On cherche le point de vue de l’autre, à partir de son métier ».

    SA

    « Analyser un incident critique à travers les enjeux, les contraintes, même si on vit à travers la peau de différents acteurs. Voir les enjeux de chacun, c’est une prise de recul. Comprendre comment l’autre fonctionne, ça permet de lire l’incident critique autrement ».

    SE
  • le partage autour des modèles personnels de l’accompagnement

    « En trio, quand on présente le modèle, on voit la vision de chacun. Sur base de l’écrit de l’autre, le modèle, le schéma, le visuel, j’ai pu comprendre les logiques de chacun ».

    EV

Par ailleurs, les acteurs relèvent que les moments formels en général, mais aussi informels, ainsi que le climat relationnel entre participants et avec les formateurs ont été un levier de motivation et de transformation.

« Ici on est motivé, c’est le temps d’échanger sur les pratiques professionnelles. C’est grâce à cette formation que j’ai pu développer et continuer à construire une expertise. Ça va me manquer. Tous les apports théoriques aussi m’ont énormément appris. Chacun est venu avec une facette du métier, une expertise énorme, ça m’a permis d’entrevoir ce que je n’imaginais même pas. Et le fait de les réfléchir ensemble ».

GE

« L’attitude et la bienveillance du groupe et des formateurs. Le fait de partir de notre expérience, ça nous fait prendre conscience de la réalité de chacun. Les formateurs ont donné beaucoup d’importance à ce qu’on a dit, ça nous a permis d’apprendre »

MH

Il est important de relever que les activités qui ont été les plus appréciées et considérées par les participants comme soutien de leur développement professionnel sont essentiellement collectives, les mettant directement en scène et particulièrement ancrées dans leurs pratiques.

Les mécanismes inter-groupaux lors des partages de pratiques

L’analyse des données recueillies aux différents temps de travail du groupe, pendant l’année 2, a permis de relever des éléments renvoyant au contrat réflexif et à la modération sociale.

Le contrat réflexif en jeu

Plusieurs types d’interactions ont été repérés au fil de la progression du groupe collaboratif :

  • un tour de table instauré au début et à la fin de chaque séance permettant à chaque participant soit de revenir sur une séance antérieure, soit d’exprimer une opinion personnelle ;

  • un temps de révision et d’adaptation de l’ordre du jour ;

  • des temps de partage collectifs pour la mise à plat des concepts ;

  • des temps de co-construction en sous-groupes divers (groupes rassemblant les praticiens d’un même secteur ou les mélangeant).

Il ressort de l’analyse des enregistrements un climat de convivialité et la présence d’échanges avec de l’humour. Les images montrent les participants, dans plusieurs circonstances, en train de sourire, d’être complices et de ne pas voir le temps passer jusqu’à oublier la pause du repas, après une journée de travail.

Nous avons choisi dans cet article d’étudier plus finement le type de communication instaurée dans le groupe, à la lumière du contrat réflexif collégialement installé. Comme signalé dans le cadre théorique, Ghiglione (1986), repris par Bednarz, Desgagné et Savoie-Zajc (2012), explique que pour qu’un contrat de communication s’établisse entre les membres d’un groupe, ceux-ci doivent se reconnaitre les uns les autres des dispositions et des compétences à co-construire un sens partagé à une thématique. Ils satisfont ainsi au principe de pertinence. Les membres du groupe doivent être capables d’échanger des perspectives et les motivations, de s’y appuyer pour converger vers la cible commune, rejoignant ainsi au principe de réciprocité. Un processus constant de négociation de sens entre les participants doit être de mise, sur la base d’enjeux groupaux pour satisfaire au principe d’influence. Les partenaires, dans un but de coordonner leurs efforts, doivent stabiliser des manières d’interagir en adoptant des règles interactives dans l’implicite, afin de répondre au principe de contractualisation.

Concernant les enjeux à poursuivre, le groupe a co-défini l’objectif de travail qu’il se donnait : co-construire un « glossaire » ou du moins harmoniser un vocabulaire commun à tous les acteurs de l’accompagnement des stages, via le modèle envisagé. Le but commun, posé dès le départ et évalué, a tout au long du processus renvoyé au principe de pertinence. Rejoignant ce concept, nous avons observé que la modélisation de l’outil d’accompagnement s’est réalisée en partant des modèles individuels des participants. Toutefois, les chercheurs et certains superviseurs qui n’en disposaient pas, l’ont reconnu et ont annoncé faire confiance à ceux qui en possédaient. Tout le processus de modélisation s’est co-réalisé sur cette base de confiance. Ainsi, une partie des participants a, dans cette situation, reconnu à l’autre des dispositions et des compétences à co-construire un sens partagé sur la thématique de l’accompagnement des étudiants en stage. Ces spécificités reconnues ont été un levier pour converger vers la cible commune, renvoyant au principe de réciprocité. Par ailleurs, dans ces moments de co-constructions, les débats ont permis aux uns et aux autres de mettre de l’avant leur point de vue et de l’argumenter, dans un processus de négociation. On retrouve dans ces temps le principe d’influence.

Vers un principe de modération sociale

Pour Mottier Lopez et ses collaborateurs (2012), un dispositif de modération sociale favorise les auto-confrontations et la construction sociale de consensus. Ces échanges peuvent être modérés par un chercheur et prennent place dans un climat positif favorable à l’expression de chacun. Les différents extraits suivants, issus des enregistrements récoltés, ont été choisis parce qu’ils témoignent du climat installé pour laisser place aux négociations et aux prises de décisions collégiales.

CA (SUP[4]), pose aux maitres de stage la question suivante : « Avec les étudiants de 1re année êtes-vous également dans le dirigisme ? ». Nous avons noté deux types de réactions : un premier groupe de maitres de stage pense que « oui ». Mais PI (MDS) a une autre façon de procéder : « Dès que j’accueille l’étudiant, je pose un cadre. Je demande à l’étudiant de me lister ses besoins et ce qu’il attend de moi en tant que maître de stage. Je le dirige s’il a besoin d’être dirigé ». Sur cette intervention, un échange houleux a eu lieu. Certains pensent « qu’un étudiant qui vient d’arriver ne sait pas nécessairement ce dont il a besoin, par conséquent, ne serait pas capable de dire au maître de stage ce qu’il attend de lui ».

La suite de la discussion tend à faire émerger l’idée qu’en 1re année, les maîtres de stages n’appliquent pas l’accompagnement. CH (MDS) exprime même que « l’accompagnement des stagiaires de première année s’apparente à une forme d’enseignement que le MDS leur dispense ». À ces propos, le chercheur n° 1 relance le débat en lui demandant à CH (MDS) de préciser pourquoi, malgré tout, elle pense que c’est un accompagnement. Par un langage métaphorique, elle compare cet accompagnement à celui effectué par un guide de montagne. Vu la dangerosité de l’activité, le novice « doit se faire enseigner en même temps qu’il se fait accompagner ».

À nouveau, PI (MDS) revient avec une nouvelle interrogation à l’adresse des participants : « Accompagner, n’est-ce pas apprendre la réflexivité à l’apprenant ? » Il renchérit par : « Qu’est-ce qui différencierait un stagiaire à qui l’on donnerait tout, d’un stagiaire à qui l’on apprendrait à réfléchir ? ». L’intervenant fait part de son point de vue qui est que l’étudiant à qui l’on apprend à réfléchir devient réflexif, définit ses besoins et serait capable de solliciter de lui-même, au moment opportun, un accompagnement. Pour CA (SUP), c’est comme si l’on créait progressivement chez l’étudiant un besoin d’être accompagné, besoin qu’il satisfera tôt ou tard par la demande qu’il adressera à cet effet à son maître de stage. Finalement, et selon JO (MDS), « faut-il être réflexif pour demander et être accompagné, ou, c’est parce que l’on est bien accompagné, les repères sont établis, qu’on devient réflexif ? » Dans la foulée de la question précédente, AG (SUP) se demande et demande à l’assistance : « Comment rendre les étudiants conscients de l’attitude de réflexivité qu’ils doivent avoir ? » Le système éducatif dans lequel nous évoluons est fait de sorte que ce soit la logique de réussite à tout prix qui prédomine.

Cette longue retranscription d’échanges met bien en exergue la dynamique de co-construction qui permet à chacun de dépasser ses premières conceptions pour mettre en partage des hypothèses, reprises par d’autres sous la forme d’un débat qui permet, in fine, de poser la question importante du développement de la réflexivité chez les étudiants en début de formation. Plus précisément, nous retrouvons bien les deux temps importants considérés comme déterminants par les auteurs du concept (Mottier Lopez et coll., 2012) : dans un premier temps, émergence d’une notion, le dirigisme dans ce cas, qui fait objet de prises de position sous la forme d’un débat entre les différents interlocuteurs avec la modération du chercheur qui apporte une aide structurante. Dans un second temps s’opère une prise de recul qui laisse émerger des questions au coeur de la réflexion liée à l’accompagnement des stagiaires autour de la réflexivité. Cette question vient alors alimenter l’élaboration du modèle d’accompagnement.

Les leviers de transformations des acteurs

L’analyse des questionnaires a permis de mettre en évidence à la fois le degré de satisfaction des acteurs à l’issue du travail d’une année en groupe collaboratif et les effets qu’ils estiment percevoir sur leur développement professionnel.

Ainsi, il ressort que 13 répondants sur 14 sont d’accord avec le fait que « le projet de groupe a permis des réflexions approfondies sur la problématique de l’accompagnement des stagiaires ». Tous sont d’accord avec l’assertion selon laquelle, « les ressources et expériences de chacun ont été mises au service du groupe pour enrichir les réflexions ». Concernant « les échanges entre les participants qui ont permis de continuer à apprendre dans le domaine de l’accompagnement », huit participants sur quatorze sont tout à fait d’accord et cinq sont d’accord alors qu’un seul est sans avis. Pour le fait « d’avoir pris du plaisir à participer aux rencontres », 10 participants sur 14 sont tout à fait d’accord et les quatre autres déclarent être d’accord.

Par rapport à l’item « Pour moi, l’objectif de me développer professionnellement autour des gestes d’accompagnement est atteint », les résultats sont les suivants : 86 % des répondants sont au moins d’accord de l’avoir atteint. Les participants expriment que le levier prioritaire de développement professionnel a été les échanges tant avec des personnes qui exercent une fonction identique (maitre de stage ou superviseur) que le partage avec ceux qui exercent une autre fonction et ayant d’autres points de vue.

Eu égard aux transformations identifiées par Paquay (2000), soutenues par l’engagement en formation, nous pouvons, par le biais de l’analyse des propos libres laissés dans le questionnaire, en retrouver largement des traces. Tout d’abord, les participants relèvent, dans le travail en groupe collaboratif, la possibilité d’actualiser leurs savoirs dans le champ de l’accompagnement par le biais de la construction de leur modèle personnel ou dans l’élaboration collective du modèle partagé (recyclage disciplinaire et didactique). Ils soulignent également la qualité des échanges entre eux pour soutenir la construction de leur identité professionnelle et mieux comprendre le métier de leurs collaborateurs (partage avec des pairs en lien avec l’identité professionnelle). Ensuite, ils rendent compte d’un accroissement de compétences professionnelles dans l’exercice de leur fonction d’accompagnateur d’étudiants en stage et soulignent enfin la nécessité d’expliciter leurs dispositifs pour se les approprier et en permettre le transfert dans leurs pratiques. Les propos ci-dessous illustrent en effet ces transformations.

« Nous sommes revenus sur les concepts vus l’année passée ».

RU

« Le schéma intégratif est construit et pourra servir de base au développement de futurs outils ».

AG

« Les échanges ont permis de découvrir les spécificités du métier de chacun tant au niveau des ressources que des contraintes ».

GE

« La connaissance des deux métiers à travers diverses institutions était très riche ».

CA

« Beaucoup d’échanges d’abord entre personnes de métier identique pour ensuite confronter avec le métier de l’autre ».

JO

« Nous avons fait des activités collectives où nous avons échangé nos pratiques d’accompagnement et vu les points communs, les spécificités ».

MA

« J’ai découvert d’autres manières d’accompagner avec des lunettes différentes ».

SE

« Les échanges sont libres et authentiques ».

ER

« Les discussions ont amené chaque participant à préciser son modèle d’accompagnement en fonction de son “métier” ».

AG

Quand on questionne les acteurs sur les progrès qu’ils estiment avoir faits, les réponses renvoient à nouveau aux connaissances nouvelles relatives à la notion d’accompagnement ainsi qu’aux gestes professionnels à mettre en pratique dans l’accompagnement des étudiants.

« J’ai évolué au niveau des gestes concrets à mettre en place en situation d’accompagnement ».

RU

« En construisant le modèle collectif, j’ai continué à me développer, à apprendre, à affiner ma conception des choses de manière théorique, mais aussi pratique, en faisant des liens vers mes gestes professionnels ».

GE

En outre, 11 répondants sur 14 souhaitent « poursuivre » les activités du groupe collaboratif. Ils imaginent atteindre des objectifs tels que la création d’outils pratiques comme des grilles d’observation et d’évaluation. Ils souhaitent également « confronter » le modèle co-construit à la « réalité » du terrain, pouvoir y apporter des améliorations, approfondir la thématique de l’évaluation et identifier des contextes favorables à la collaboration.

Conclusion

Le projet de notre contribution est de mieux comprendre, de documenter et de rendre visibles les effets du contrat réflexif et de la modération sociale sur le développement professionnel. Alors que la première année, les accompagnateurs étaient regroupés pour suivre une formation certificative à l’université, la seconde année, le même groupe d’acteurs a pris l’initiative de poursuivre ses rencontres de manière plus informelle et de co-définir de nouveaux objectifs.

Après une présentation des moments de la formation formelle de la première année qui ont particulièrement soutenu l’implication des acteurs et nourri les participants au niveau conceptuel, nous avons porté, dans un premier temps, notre attention sur la mise en place du contrat réflexif qui a guidé le travail collaboratif du groupe de partage de pratiques. Dans un second temps, le principe de modération sociale, installé par le groupe, a révélé la dynamique de co-construction de nouveaux concepts et de gestes professionnels au service d’un accompagnement authentique des étudiants par les deux acteurs concernés : le maître de stage et le superviseur.

Par ailleurs, sur le plan de la formation, on retrouve bien l’accroissement des compétences professionnelles et le partage des pairs, comme moteur de développement d’identité (Paquay, 2000). C’est ainsi par la connaissance et reconnaissance mutuelle du métier de l’autre que la réorganisation des répertoires d’expérience de chacun s’est réalisée au fil des deux années de cheminement du groupe.

Les participants sont largement satisfaits du double dispositif dans lequel ils se sont engagés. Les effets relevés en termes de développement professionnel se caractérisent par un apport conceptuel en matière d’accompagnement, un accroissement des compétences et gestes professionnels et une occasion de partager et de prendre du recul sur ses pratiques. La majorité des membres du groupe sont motivés à poursuivre leur réflexion, reste à voir comment s’y prendre. Les maitres de stage et superviseurs concernés vont-ils s’emparer de la planification et de l’organisation de nouvelles rencontres en l’absence des deux chercheurs qui souhaitent leur laisser totalement la main ? La dynamique collaborative instaurée et soutenue par le contrat réflexif du groupe a-t-elle permis à chacun de prendre confiance en soi et à développer une autonomie suffisante pour poursuivre les rencontres ? L’absence du chercheur met-elle en difficulté la modération sociale qui sous-tend es les échanges ? Certains membres du groupe pourraient-ils changer de rôles et de postures ?

Pour les chercheurs, la deuxième année de travail a été vécue comme une réelle opportunité de vivre des temps d’échanges de pratiques avec des accompagnateurs de terrain, dans une relation symétrique et autour d’objectifs co-construits. Eu égard aux recherches collaboratives (Bourassa, Bélair & Chevalier, 2007), chacun a pu mettre au service de tous son expertise et a pu se développer au niveau professionnel en fonction de sa posture de maître de stage, de superviseur ou encore de chercheur.

Au niveau des limites de la recherche, nous pouvons relever la difficulté de rendre compte de l’ensemble des données recueillies surtout au niveau de l’observation et de la retranscription des interactions du groupe lors de la seconde année. L’analyse des traces laissées par les participants (productions écrites de sous-groupes) est très riche pour illustrer les progressions conceptuelles en termes de modélisations, mais il est difficile d’en rendre compte dans un espace limité ; c’est l’objet d’une autre publication (Colognesi & Van Nieuwenhoven, sous presse). Le non-verbal est également intéressant pour qualifier le climat de travail qui traduit le contrat réflexif, mais le décodage précis des vidéos nécessite un traitement lourd et énergivore.

En prolongement de cette étude, nous envisageons de porter un regard distancé sur l’implication des chercheurs, de manière à identifier la nature de leurs apports, les types d’implications qu’ils ont et si celles-ci se font à leur initiative ou à la demande du groupe. L’enjeu étant de mettre au jour les bénéfices que représentent la recherche collaborative aussi pour les chercheurs, toujours dans l’optique de comprendre dans une perspective située, ce qui est au coeur de leur agir (Lave & Wenger, 1991 ; Mottier Lopez, 2008).