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Introduction

Les problèmes concernant l’insertion des enseignants à l’international et en Belgique

Le départ précoce des enseignants novices : un problème actuel et international

Depuis les années quatre-vingt plusieurs États s’inquiètent du taux de déperdition des enseignants. En 2005, l’OCDE a regroupé les données de 25 pays pour un rapport intitulé « Le rôle crucial des enseignants. Attirer, former et retenir des enseignants de qualité » dans lequel les auteurs insistent sur l’importance de retenir des enseignants de qualité dans les systèmes éducatifs. Ces départs précoces affaiblissent ces systèmes car la qualité des apprentissages est affectée par la discontinuité d’enseignement. Dans leur revue d’études, Desmeules et ses collaborateurs (2017) soulignent que les remplacements d’enseignants s’accompagnent de la perte de lien entre l’élève et l’enseignant, de différences de rythmes et d’habitudes entre les remplaçants et leurs prédécesseurs, ainsi que d’un nécessaire temps d’adaptation du remplaçant qui doit se (re) situer dans le programme. A cela s’ajoute que les élèves sont alors face à un enseignant débutant, dont la professionnalité est toujours en construction. Ces constatations s’accordent avec celles de Karsenti (2017) : les élèves pâtissent de l’inexpérience des « enseignants-décrocheurs (débutants) » aussi bien que de l’inexpérience des remplaçants qui leur succèdent. La pénurie de remplaçants entraîne parfois jusqu’à l’engagement d’enseignants n’ayant pas le titre requis. En FW-B[1], ils peuvent alors posséder uniquement un titre « suffisant » (ils sont formés pour une discipline connexe ou n’ont pas le titre pédagogique adapté à ce niveau d’enseignement) voire, en cas de pénurie, une formation, peut-être dans une discipline connexe, sans titre pédagogique. En plus de la discontinuité pour les élèves, ces enseignants recrutés ont à effectuer un chemin important pour devenir compétent dans les tâches qui leur sont confiées. Les pays, en plus de cette perte de qualité pour les élèves, assument une perte financière. Chaque État, subventionnant en tout ou en partie le système éducatif et la formation des enseignants, assume un coût financier supérieur engendré par la formation d’enseignants qui ne feront pas carrière, ainsi que par les démarches de remplacement des enseignants et d’accompagnement de ces remplaçants. L’OCDE présente encore un autre risque peu visible de la pénurie : l’augmentation des inégalités scolaires. Son rapport montre que les pénuries constatées sont plus présentes dans les zones les plus socioéconomiquement défavorisées. « Dans la mesure où les taux de déperdition sont plus importants dans les zones défavorisées, les résultats des élèves vont s’en ressentir et les inégalités entre établissements scolaires s’aggraver. » OCDE, 2005, p195-196. Enfin, un cercle vicieux peut se dessiner si l’on se réfère aux prédictions de Leroux et Mukamurera (2013). En partant de projections sur les besoins d’enseignants au Québec, elles soulignent l’accroissement de ce manque. La réputation d’une profession qui fait fuir ses travailleurs pourrait entraîner moins d’étudiants dans la formation pour ce métier et ensuite encore moins de professionnels sur le marché de l’emploi. Même si ce constat n’est pas encore vérifié, nous pensons que ce cercle vicieux pourrait encore amplifier les dégâts liés aux départs précoces évoqués ci-dessus.

L’ampleur des départs précoces en Belgique

Selon les régions du monde, les moments d’étude et le niveau scolaire où ils évoluent, le taux de départ des enseignants durant leur carrière varie de 15 à 50 %, en particulier durant les cinq premières années de cette carrière (Karsenti & al., 2008, Mukamurera & al. 2013, Portelance & al., 2008).

En Fédération Wallonie-Bruxelles [FW-B], les chiffres de départs précoces ont été médiatisés par le travail de Vandenberghe en 2000 qui fut résumé dans cette statistique : quatre enseignants sur dix quittent la profession durant les cinq premières années du métier. En 2013, Delvaux et ses collaborateurs ont réalisé une étude plus affinée, basée sur les données administratives concernant l’enseignement. Ils constatent 35,6 % de départs de la profession dans les cinq premières années. La ventilation selon les niveaux d’enseignement montre que dans l’enseignement fondamental (pour les élèves de 3 à 12 ans), le taux de départs précoces des enseignants est de 23,5 %. Il descend à 16,7 % pour l’enseignement secondaire inférieur (enfants de 12 à 15 ans) contre 31,5 % dans l’enseignement secondaire supérieur (enfants de 15 à 18 ans). C’est dans ce contexte et comme formateur de futurs enseignants du secondaire inférieur, que nous avons souhaité étudier ce phénomène.

L’identification des sources du problème

Des facteurs hybrides, issus des recherches sur la déperdition et sur le développement professionnel

Selon Karsenti (2013), ce sont les travaux d’Ingersoll en 2001 qui marquent le début des études sur le départ des enseignants, les plus jeunes en particulier, pour comprendre cette pénurie. Les études sont nombreuses et les facteurs explicatifs de ces départs s’accumulent. La littérature de recherche récente permet de lister des facteurs, parfois classés selon qu’ils sont de risque ou de protection (Beltman, 2011, Delvaux & al., 2013, De Stercke & al., 2010, De Stercke, 2016, Karsenti & al., 2013, Losego & al., 2011, Lebel & al. 2012, Leroux & Théorêt, 2014, Mukamurera & al., 2008). Ces facteurs, souvent issus de recherches quantitatives avec un niveau de représentativité élevé, permettent aux observateurs de les repérer, voire les anticiper dans les trajectoires des novices. D’autres résultats sont issus de la littérature de recherche sur le développement professionnel. Les débuts de carrière compliqués ont aussi des impacts sur les novices qui demeurent dans la profession. Et la recherche sur les débuts de carrière considère cet objet, sans tenir compte des départs, depuis la fin du XXe siècle, avec plusieurs modèles présentés dans les années’90 (Uwamariya & Mukamurera, 2005). Ces facteurs identifiés sont utilisés pour des programmes d’accompagnement des novices, parfois institutionnalisés. C’est le cas au Québec depuis plus de dix ans, avec l’objectif de diminuer les départs précoces, mais aussi d’améliorer les compétences professionnelles des enseignants qui persistent, d’accroître leur bien-être et leur satisfaction au travail comme le soulignent Leroux & Mukamurera (2013).

Des facteurs pesant sur les novices qui persistent dans le métier

Actuellement, l’accompagnement ainsi que la recherche, se centrant sur les individus, visent à conserver les enseignants dans le métier mais aussi à améliorer leur plaisir (Goyette, 2014) et plus globalement leur bien-être psychologique. De Stercke & al. (2010, p. 4) le soulignent : « les troubles névrotiques sont deux fois plus présents chez les enseignants débutants que chez les débutants en insertion dans d’autres professions. » En plus de cette fragilisation psychologique, des débuts difficiles en classe et dans l’école peuvent engendrer un sentiment d’incompétence chez des novices qui exercent (Martineau & Presseau, 2003). Les débuts difficiles ont aussi un effet de compression, voire de répression, sur les souhaits et pratiques (d’innovation) développés par le jeune diplômé. Il arrive qu’il les remplace complètement par les pratiques de l’école dans laquelle il exerce (Lamarre, 2004, Perrenoud, 2018, Richards & al. 2013, Leroux et Théorêt, 2014). Enfin, les multiples changements d’affectation de début de carrière imposent au novice de faire, en début, en cours ou fin d’année, des choix dans une grande incertitude quant à leurs conséquences et qui risquent de réduire ses opportunités futures de carrière (Gesson, 2015).

Des facteurs dispersés issus d’études hétérogènes

La multiplicité des objectifs des études concernant la période d’insertion professionnelle et la diversité de celles-ci donnent une somme de facteurs difficiles à combiner pour plusieurs raisons.

  • La première est la différence d’entrée fonctionnelle prise par les chercheurs. Selon que ceux-ci soient économistes, sociologues, psychologues ou encore accompagnateurs de novices, les études vont utiliser des méthodes, voire se situer dans des paradigmes très différents, offrant des résultats diversifiés et difficiles à mettre en relation.

  • La deuxième, liée à celle-ci ainsi qu’à la globalité des situations étudiées, est l’axe d’observation de l’insertion professionnelle. Certaines études se centrent principalement sur la socialisation des novices, d’autres sur leur professionnalisation, d’autres encore sur la transformation identitaire du jeune enseignant.

C’est ainsi que Hétu, Lavoie et Baillauquès titrent leur livre référence de 1999. En 2006, Martineau & al. déduisent de leur étude sur ces recherches que le concept d’insertion professionnelle se définit généralement à partir de trois axes de tension : socialisation, professionnalisation et transformation identitaire. Enfin, une série d’études portent surtout sur les quantifications de la déperdition dont les résultats offrent peu d’ancrages dans les précédents.

  • Une troisième raison se trouve dans la diversité des contextes d’insertion. Les formations d’enseignants (la formation peut durer trois ans ou cinq ans selon les pays étudiés) comme les conditions d’engagement sont différentes d’un pays à l’autre. Le recrutement et l’encadrement se font de manière centralisée dans certains pays alors que dans d’autres ils sont principalement liés aux initiatives du diplômé. Au sein même de la FW-B, les différences entre les réseaux[2] peuvent affecter ce début de carrière, ainsi que le niveau auquel le novice enseigne, comme le montrent les différences de taux de départ précoce entre le fondamental et le secondaire inférieur ou supérieur.

Une perspective phénoménologique pour comprendre les situations

Devant la difficulté à saisir les situations vécues par d’anciens étudiants entrant sur le marché de l’emploi, nous avons souhaité entreprendre une recherche afin de comprendre leurs parcours. Pour trouver une unité dans les facteurs, trop éclatés selon nous, pour interpréter chaque cas d’insertion de nos jeunes diplômés, nous avons opté pour une approche phénoménologique. Cette position, complémentaire aux autres recherches, nous permet de partir de chaque vécu pour le comprendre, pour réussir ensuite à en interpréter d’autres. Nous identifierons donc d’abord une liste de variables, pour ensuite dépasser l’individualité des cheminements en générant, avec leurs ressemblances et différences, une modélisation des parcours réussis ainsi que celle des parcours ratés. Comme nous avions une relation de proximité avec ces jeunes diplômés volontaires, côtoyés tout au long de leur formation de trois années, nous avons travaillé dans le paradigme interactionniste (Becker, 2009, Le Breton, 2012, Morrisette, 2010). Profitant de la confiance existante qui permettait de recueillir leurs vécus en toute sincérité, nous avons pris le parti de mettre chaque volontaire, avec son parcours, son ressenti et ses actions propres, au coeur de l’étude.

Nos questions de recherche et comment y répondre

Trois questions principales

Notre recherche s’est organisée autour de trois questions.

  1. Selon les jeunes enseignants, quels éléments favorisent ou défavorisent leur insertion professionnelle ?

  2. Quelles combinaisons de ces éléments permettent de décrire les parcours d’insertion professionnelle harmonieux, douloureux ou menant à l’abandon du métier d’enseignant ?

  3. Comment les enseignants novices définissent-ils la réussite de leur parcours ?

La première question nous guide vers la recherche, dans le discours des novices, des variables qui vont pour plusieurs voire tous, influencer leur parcours. Quels sont ces éléments, congruents avec les études antérieures ou bien originaux, à prendre en compte dans l’étude de leurs parcours ? Et particulièrement, comment ceux qui vivent l’insertion la décrivent-ils, avec des dimensions inattendues et peut-être éloignées de la pratique du métier (Kelchtermans, 2009, Orofiamma, 2002), afin de comprendre plus précisément ces situations ? La deuxième est la recherche de combinaisons entre ces variables. Nous pensons que l’approche doit être multifactorielle (De Stercke, 2016, Morin, 2015, Raedermaeker & al., 2016) pour permettre une compréhension globale. De plus, chercher une modélisation doit permettre de rendre intelligibles ces combinaisons et donc ces parcours. (Clénet, 2008, Gendron & Richard, 2015, Poupart, 2012). La modélisation apporte en outre une vérification de la cohérence de la théorisation ainsi obtenue, grâce à la recherche de saturation dans cette modélisation (Savoie-Zajc, 1996a).

La troisième question a été ajoutée en cours de travail. La recherche de ce qu’était une insertion réussie a révélé que les différences d’approches et d’enjeux des chercheurs donnent des définitions très diverses de cette réussite. Dès lors, puisque nous plaçons le novice en acteur principal de son parcours et sujet de cette étude, nous avons souhaité identifier avec chacun ce qu’était la réussite de son parcours : comment il la qualifie et comment il la ressent. La réponse à cette troisième question sera essentielle au travail de combinaison effectué pour la deuxième question. Dans cet article, nous allons présenter les réponses à la première question, autrement dit les variables, majeures ou mineures, énoncées par ces novices sur leurs débuts de carrière.

Une méthode souple pour y répondre

Pour découvrir les éléments importants selon les novices et en dresser une liste utilisable, nous avons demandé à près d’une quarantaine de jeunes diplômés de rédiger leur vécu à plusieurs étapes de leur processus. Parmi ces volontaires, 22 ont été conservés. Nous avons utilisé un processus de recueil, d’analyse et de validation en quatre étapes.

Échantillon

L’échantillon de (futurs) enseignants a été choisi par convenance. Au moment de leur première participation à la recherche, ces volontaires étaient tous diplômés depuis moins de quatre années d’une formation d’enseignants pour le secondaire inférieur (AESI Sciences Humaines) dans laquelle nous travaillons. Nous avions proposé à tous les diplômés de 2010 à 2014 de participer à l’étude, sans distinction d’âge, de sexe, d’expérience dans l’enseignement. Les seuls critères étaient d’être diplômé(e) de cette formation et d’accepter de participer. Une trentaine a rédigé de manière ponctuelle ou régulière. Seuls ceux qui ont rédigé au moins quatre textes par année ont été conservés dans les analyses finales. Ces vingt-deux participants ont été interrogés en fin de récolte, comme nous le décrirons plus loin. Cet échantillon est composé de 6 hommes et 16 femmes, diplômées entre 2010 et 2014. Les participants avaient entre 21 et 23 ans au moment de leur diplôme et, à la fin du recueil, avaient travaillé soit dans la même école plusieurs années, soit dans plusieurs écoles sur une seule année, ou dans plusieurs écoles sur plusieurs années.

Le recueil de données

Chaque volontaire était invité à rédiger un texte, biographique, décrivant comment se passe sa vie (professionnelle) à un moment-clé de l’année[3] : le jour avant la rentrée, lors des congés de Toussaint (octobre-novembre), de Noël (décembre-janvier), de carnaval (février), de Pâques (mars-avril) et en fin d’année (juin). La demande de rédaction, faite par mail, était toujours accompagnée de portes d’entrée diverses sur le plan formel, pour lancer l’écriture. La participation étant libre, le nombre de textes rédigés variait d’un moment à l’autre. Nous n’avons gardé pour l’analyse que les participants réguliers, comme présenté dans le point précédent.

Tableau 1

Nombre de rédactions recueillies au fil de la recherche et nombre de rencontres finales

Nombre de rédactions recueillies au fil de la recherche et nombre de rencontres finales

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Le codage des données par grille évolutive

Pour identifier les variables au sein de plusieurs écrits et de plusieurs parcours, nous avons utilisé une grille de codage volontairement incomplète. Nous y avions placé trois catégories de facteurs, issues de la synthèse de De Stercke & al. (2010). Elles correspondaient aux difficultés influençant de manière pesante les départs précoces : celles concernant d’abord le pédagogique et didactique, ensuite celles touchant au structurel et à l’administratif et enfin les difficultés d’ordre relationnel. Notre souhait d’être complémentaire aux recherches antérieures et de permettre l’émergence de nouvelles variables laissait place à d’autres catégories. Nous avons tâtonné au départ des textes des participants pour la compléter. Lorsque la lecture d’un écrit permettait la sélection d’une unité de sens qui n’entrait pas dans une des catégories, une nouvelle catégorie était créée. La segmentation des rédactions en unités de sens leur longueur, leur quantité, leur pertinence, est une tâche ardue qui dépend plus des choix du chercheur que de règles orthodoxes, avec des risques et fortunes variés (Ayache & Dumez, 2011, Boutigny, 2005, Miles & Huberman, 2003, Mukamurera & al. 2006). Nos choix étant de chercher au-delà des connaissances déjà accumulées et d’identifier les variables ainsi que leur influence positive ou négative, nous avons choisi des segments plus longs que des mots. Chaque unité était au moins une phrase (une proposition autour d’un verbe) qui possédait deux caractéristiques : une variable apparaissait et on pouvait en lire au moins une influence sur le vécu de l’auteur. Certaines fois, un paragraphe entier était considéré comme un seul segment, s’il avait ces deux qualités. Une phrase comprenant plusieurs propositions pouvait aussi présenter deux variables et donc compter pour deux unités de sens distinctes. Pour diminuer les risques de circularité, nous avons donc mis en oeuvre un « bricolage », nécessaire pour éclairer des phénomènes connus sous un autre angle (Ayache & Dumez, 2011), une logique inductive permettant d’ouvrir, comme nous le souhaitions, une « boîte noire » (Paillé & Mucchielli, 2003). Comme De Stercke (2016), nous recherchions aussi à identifier les variables qui expliquent le maintien dans la profession, et pas uniquement les départs. Dès lors, nous postulions que chaque variable (comme celles issues du travail de synthèse repris ci-dessus) pouvait jouer en faveur ou en défaveur de l’insertion. Par exemple, certains pouvaient s’appuyer sur des facilités relationnelles pour compenser d’autres difficultés, alors que d’autres pouvaient peut-être souffrir de difficultés relationnelles malgré une bonne maîtrise didactique. Avec la première version de cette grille, nous avons donc classé et codé les unités de sens dans les catégories de variables en indiquant aussi si l’auteur lui attribuait une valeur positive ou négative, voire les deux, dans son processus. Pour chaque texte, nous relevions le nombre d’occurrences ainsi que la polarité de chacune. Toutefois pour éviter de nous laisser emporter dans la création abusive de variables à chaque fois qu’une nouvelle catégorie apparaissait, nous avons fixé des règles pour vérifier si nous gardions ou pas les nouvelles variables. En suivant les recommandations méthodologiques de Thomas (2006), nous conservions les catégories aux propriétés suivantes. Il fallait pouvoir :

  • lui donner un nom, une étiquette qui l’identifie en quelques mots tout au plus ;

  • en faire une description, reprenant ses caractéristiques, qui la distinguent des autres catégories ;

  • y associer des illustrations, exemples issus des textes ;

  • observer des liens avec les autres catégories, plausibles ou effectifs ;

  • trouver des liens avec d’autres réseaux de concepts, pas uniquement au sein des catégories de cette recherche, mais aussi dans d’autres sources.

Nous n’avons donc conservé que les variables qui remplissaient ces cinq conditions.

La saturation de la grille

La grille de codage s’est enrichie et affinée au fil des discours reçus et analysés. Des trois premières catégories issues de notre brève revue, nous en sommes arrivés à neuf catégories au total au bout de la première année. C’est à ce moment que nous avons jugé notre grille « saturée » (Savoie-Zajc, 1996b), c’est-à-dire que les nouvelles lectures et analyses des discours n’y apportaient pas de nouvelles variables et que celles-ci se trouvaient effectivement dans les monographies rencontrées. Chaque partie des monographies fut analysée à nouveau avec cette grille revue plusieurs fois et finalisée. Tous les textes reçus depuis le début ont ainsi été analysés avec la grille finale, saturée.

La validation des variables identifiées

Puisque nous, chercheur unique, étions l’outil principal de catégorisation, nous avions conscience de l’importance de notre propre rôle dans ces analyses. « Le chercheur est le plus important des instruments de recherche » (Poisson, 1991, p. 19). Partant, nous souhaitions obtenir une validation rigoureuse et indépendante de nos interprétations (Mukamurera & al. 2006). Les neuf variables identifiées, labellisées, illustrées et liées à d’autres sources, ont, parallèlement à cette saturation, été validées par plusieurs étapes.

  • Au bout de la première année, les participants (« members check », selon Blais & Martineau, 2006) recevaient la grille ainsi que son utilisation sur leurs textes. Ils avaient alors deux semaines pour réagir, par écrit ou oralement à la clarté et la pertinence des catégories.

  • Au même moment, ces catégories ont été présentées à deux enseignants ayant le même diplôme que les auteurs des textes. Ces deux enseignants étaient eux insérés, et se considéraient comme tels, depuis au moins dix ans dans un établissement. Ils avaient également deux semaines pour réagir à la clarté et la pertinence des catégories, nommées et illustrées d’extraits de texte.

  • Enfin, une collègue possédant le même diplôme que ces auteurs et un master en sciences de l’éducation et qui travaillait, la première année de recherche, en formation continuée avec ce public de jeunes diplômés, a elle aussi évalué la pertinence et l’existence des neuf variables.

Les incompréhensions partagées par ces personnes ont permis d’améliorer l’étiquette donnée aux variables et leur identification, leur explication. Ce travail de clarification fut double : d’une part pour les lecteurs du travail qui pouvaient alors mieux saisir celui-ci, d’autre part pour nous chercheur, qui pouvions mieux en rendre compte et les utiliser, y compris au sein même de la lecture des textes libres des participants. Cette étape participait tant à la validation qu’au processus itératif de la recherche. Mukamurera & al. (2006, p. 113) le décrivent ainsi : « En définitive, une nouvelle avenue d’itération se dessine, c’est ce que nous appelons l’itération tri-directionnelle. Il s’agit d’une itération qui a lieu non seulement entre le chercheur et les données, mais aussi et en complémentarité entre le chercheur et les participants, entre le chercheur et d’autres chercheurs. En d’autres termes, le modèle itératif peut permettre aux sujets de participer à l’analyse et au chercheur de mieux tirer profit de la validation inter-juges suite à l’implication d’autres chercheurs ». Une autre phase de validation s’est déroulée en fin de processus de recherche, avec l’ensemble des participants réguliers, en 2017. À l’été 2017, chaque participant a reçu sa monographie de six à douze pages, composée d’un condensé de ses textes ainsi que des mises en évidence des variables agissant sur son parcours. Dans cette rencontre, de 45 minutes à deux heures, il pouvait valider, amender, discuter ce document directement avec le chercheur. Elle permettait de recevoir son accord de diffusion, mais aussi de vérifier si les productions étaient correctes, pertinentes et si le participant se reconnaissait dans ce travail. Cette validité écologique (Mukamurera & al. 2006, Miles & Huberman, 2003) de contrôle par les acteurs nous semblait indispensable pour la rigueur comme pour la relation avec ces enseignants novices. Pour achever ce processus, une autre action de validation fut mise en place tout au long du travail. Du début à la fin de la recherche, nous avons souhaité faire un lien explicite, pour chacune des variables, avec les recherches existantes sur le thème de l’insertion. L’objectif de validation et de précision était accompagné du souhait de faciliter la comparaison, la réfutation aussi. Comme le signalent Mukamurera et ses collaborateurs (2006), se centrer sur des corpus de recherche hors de la formulation du problème permet d’améliorer la rigueur de la recherche. Les résultats de recherches antérieures, y compris dans des perspectives et paradigmes différents, permettaient de constituer une partie théorique cohérente, de prendre du recul pour ne pas accepter les perceptions des acteurs comme une réalité absolument intouchable. Comme Poupart (2012, p. 69) l’écrit : « il me semble qu’il faut à la fois prendre en compte les interprétations des acteurs et s’en distancier, ce qui s’avère souvent une entreprise aussi éclairante que passionnante ». La combinaison des recueils et confrontations des méthodes et des outils a donc permis de trianguler (Miles & Huberman, 2003, Savoie-Zajc, 1996a) afin de garantir la validité des contenus identifiés et de ne pas se limiter à un travail journalistique, qui bien qu’intéressant n’aurait pas la valeur scientifique attendue dans ce travail.

Résultats

Neuf variables pour décrire l’insertion

Au travers des 22 monographies reprenant des parcours d’un à trois ans, nous avons identifié neuf variables, qui peuvent influencer positivement ou négativement leurs parcours. Elles sont donc présentées ci-après, accompagnées d’exemples issus des contributions des participants dans deux versions, une positive et une négative. Les trois premières sont celles issues des difficultés identifiées dans la littérature avant de commencer le recueil, les suivantes sont présentées dans l’ordre de leur identification, au fil de l’analyse des discours.

  1. Les facilités ou difficultés dans les aspects didactiques et/ou pédagogiques

    Le jeune diplômé peut estimer facile ou difficile d’évaluer, différencier, gérer la classe/les contenus, planifier les apprentissages, finir le programme…

  2. Les facilités ou difficultés dans les aspects administratifs et/ou structurels

    Il peut être l’aise ou en difficulté avec les déplacements, les documents à remplir, le journal de classe, le cahier des matières, les locaux à réserver, les locaux imposés, les photocopies, les consignes et injonctions données par l’établissement, les rencontres hors classe avec différents acteurs,

  3. Les facilités ou difficultés dans les aspects relationnels

    Il peut être l’aise ou en difficulté avec l’ambiance de l’école, avec les collègues, la collaboration pour le partage des ressources, la construction des activités, pour discuter d’autres sujets que le travail, la relation avec la direction, les éducateurs, les parents, les élèves dans et en dehors de la classe, des collègues en dehors de l’école,

  4. Une relative (in) cohérence entre formation initiale et vie professionnelle

    Il peut estimer que la formation initiale l’avait (assez) bien outillé pour cette vie professionnelle, préparé aux tâches à accomplir, en classe comme en dehors, permis de construire une image réelle du métier, ou au contraire qu’elle était lacunaire quant à ces aspects, voire qu’elle a leurré le diplômé sur cette vie professionnelle.

  5. Les répercussions (positives ou négatives) sur le reste de la vie

    Il peut trouver que le rythme entre les périodes de travail et celles de vacances est un atout qui pousse à s’investir dans le métier, comme l’image que lui renvoient les gens car il fait un travail formidable, ou estimer que la stabilité d’emploi lui permet de faire un emprunt et s’installer, à l’inverse, il peut exprimer que le métier impacte négativement le reste de sa vie : tous les temps libres sont consacrés aux préparations, corrections, Fancy-fair, trouver que les railleries sur le nombre de jours de congé sont trop fréquentes, mal vivre le stress, au quotidien même en dehors des moments scolaires,

  6. Les implications (ou non) sur la société actuelle et à venir

    Il considère que devenir enseignant signifie remplir un rôle d’acteur social. Certains considèrent alors que ce métier permet d’influer sur la société, l’avenir des élèves, de remplir une fonction d’acteur social importante, des missions qu’il assigne à ce métier. Au contraire, d’autres pensent que le métier comme il est vécu ne correspond pas aux valeurs qu’il doit porter pour la société ce qui donne envie d’aller viser ses objectifs autrement qu’en étant enseignant, ou dans une autre école.

  7. Le niveau de maîtrise de la matière et le rapport aux cours confiés

    Il peut trouver dans sa bonne maîtrise et/ou son rapport aux cours confiés un atout qui soulage pour se consacrer à d’autres difficultés voire se sentir à l’aise dans des cours pour lesquels il n’est pas formé. À l’inverse, il peut estimer que c’est une difficulté particulièrement gênante et impossible à dépasser rapidement, lorsque les heures de travail proposées passent par des cours inconnus et/ou non souhaités comme sciences, religion, informatique voire des cours de sciences humaines qu’il apprécie/maîtrise moins.

  8. Les démarches pour obtenir/conserver un emploi stable (à temps plein)

    Dans certains parcours, entrer directement dans une école à temps plein pour un long moment est un réel atout, qui booste l’investissement. Et augmenter son temps de travail au sein d’une école ou plusieurs est souvent un souhait. Cette situation peut arriver par chance ou surprise parfois. Inversement, dans d’autres parcours, il apparaît bien plus aisé de sortir de la formation d’enseignant que de rentrer dans l’enseignement secondaire, les démarches pour trouver un emploi sont jugées lourdes. Et lorsqu’il obtient un temps partiel, il n’est pas facile d’obtenir plus ou de combiner avec un autre temps partiel. Parfois au cours d’un intérim, on doit se plier à certaines pratiques de l’école, même si on ne les apprécie pas, pour espérer être repris ensuite.

  9. La réalisation professionnelle et la remise en question : Suis-je (vraiment) fait pour ça ?

    Pour lui, la pratique permet de confirmer ses intentions, de constater (et mettre en place des choses pour) une progression, une véritable réalisation professionnelle. Il se convainc d’être fait pour cela et les différents retours le lui confirment : il est à sa place et y est bien. À l’inverse, les remises en question peuvent être nombreuses, parfois trop, vu les expériences vécues, et il ne se sent pas évoluer. Il y a une distance entre son impression de la qualité de son exercice de la profession et les retours qu’il reçoit, lui faisant même douter de sa place dans la profession. Parmi ces neuf variables, on peut lire que les variables 5 et 8 sont peu liées à l’exercice du métier en classe, que la variable 6 concerne la vision à long terme des actes et décisions professionnels posés ou non, et que la variable 9 est une introspection, récurrente, quant au métier. Cette liste, issue des déclarations des novices, conduit à mener l’investigation aussi hors des classes, hors de l’école et hors de l’instantané du métier pour comprendre le processus d’insertion des enseignants. Les six variables générées au départ des écrits des participants ont toutes des liens avec les facteurs identifiés dans d’autres études. Afin de valider leur existence, comme expliqué dans la partie méthodologique, la mise en évidence de ces liens permet aussi d’envisager les relations entre ces variables ainsi que l’explication des impacts dans le processus d’insertion.

Ces variables ont des similarités avec les facteurs issus d’autres études

Pour chacune des variables identifiées, nous avons cherché dès son identification dans un texte, son existence dans la littérature de recherche, portant sur l’insertion ou non, dans le métier d’enseignant ou non. Une fois la liste finalisée, comme présentée ci-dessus, nous avons souhaité comparer celle-ci avec d’autres études listant des facteurs impactant l’insertion des jeunes enseignants. Pour cela, nous avons sélectionné des études qui avaient les caractéristiques suivantes :

  • Être récentes (du XXIe siècle)

    • Comporter au moins 10 participants

  • Porter explicitement sur l’insertion des enseignants, la lutte contre l’abandon du métier, la persévérance des enseignants

  • Mettre en avant des facteurs identifiés comme en faveur ou défaveur de l’insertion de manière durable dans le métier

  • Préciser des facteurs à l’impact vérifié et pas uniquement présumé

Pour débuter, le travail de De Stercke & al., (2010) nous a permis de proposer les trois premières variables, ainsi qu’une justification a posteriori pour la cinquième. C’est pour cela que nous trouvons cette référence dans le tableau qui suit.

Ensuite, deux revues de la littérature (Beltman & al., 2011 et Karsenti & al., 2013) ont assuré un relevé large donnant une assise à ce tableau. Lorsqu’une source était déjà présente dans l’une de ces revues, nous ne l’avons pas ajoutée pour ne pas donner un poids supérieur à une variable. Enfin, d’autres études correspondant aux critères présentés ci-dessus ont permis de compléter cette comparaison. On trouvera dans ce tableau 2 :

  • dans la première colonne la variable issue de cette étude

  • dans la deuxième, les facteurs ou variables similaires relevées au sein d’autres études,

  • dans la troisième, les références ainsi que l’impact favorable ou non sur l’insertion.

Cette dernière information doit permettre d’envisager pour chacune des variables issues de notre étude, si elle a une influence polarisée de manière favorable ou défavorable par rapport à l’insertion professionnelle.

Tableau 2

Similarités entre les variables de cette étude et d’autres études

Similarités entre les variables de cette étude et d’autres études

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Les neuf variables de notre travail ont donc été signalées dans d’autres études. Nous pouvons lire que la variable 8 mise à part, toutes les autres peuvent regrouper des facteurs de protection et de risque. Cela conforte notre idée de départ préférant relever pour chaque cas comment ces variables sont jugées par le diplômé plutôt que d’estimer a priori la variable comme un facteur agissant positivement ou négativement. Le calcul des poids de chacune dans notre étude pourra toutefois modifier cette impression.

Poids différents et influences inégales de ces 9 variables

Après l’identification de chaque variable et la vérification de son existence, nous souhaitions étudier s’il existait une hiérarchie au sein de ces variables. À cette fin, nous avons relevé les occurrences de ces variables au sein des différents textes des 22 participants. C’est une étape conseillée par Miles & Huberman (2003). Compter, au sens large, repérer des occurrences et les dénombrer, les comparer aussi permet de remplir trois objectifs : appréhender la situation, vérifier une hypothèse et assurer l’intégrité de l’analyse. Dans la partie présentée, c’est pour appréhender la situation que nous avons calculé les apparitions de ces variables. Ce comptage nous permettra ensuite de guider nos observations puisque certaines variables, vu leur poids, sont très importantes voire présentes dans chaque trajectoire, alors que d’autres sont peut-être plus rares et spécifiques à certaines de celles-ci. Pour ce faire, chaque fois qu’un texte traite d’une des variables, une occurrence est signalée pour ce texte. Nous avons choisi de ne les compter qu’une seule fois par texte afin d’éviter de donner une importance surestimée à une influence qui serait répétée plusieurs fois. Nous pouvions rencontrer cela dans un texte servant de défouloir par exemple. Le tableau 3 présente les occurrences totales pour chaque variable afin d’établir si certaines d’entre elles sont prédominantes dans les discours et les parcours considérés globalement. Il présente ensuite le poids des variables sous forme polarisée, afin de vérifier si certaines sont plus souvent des soutiens ou des freins dans le parcours d’insertion. En identifiant les variables et leur polarité, nous avons dénombré 1 222 occurrences parmi les monographies des 22 auteurs.

Tableau 3

Poids et polarité des variables dqns la totalité des discours analysés

Poids et polarité des variables dqns la totalité des discours analysés

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Les nombres du tableau 3 nous donnent deux types d’indications : les deux premières colonnes présentent les variables les plus présentes, les suivantes indiquent celles qui ont une influence plus positive ou négative. Quatre constats se dégagent de l’analyse du tableau :

  • Les variables 2, 4, 6 et 7 sont marginales, atteignant au mieux 8 % des occurrences totales. Les variables plus importantes sont les 1, 3, 8 et 9 et plus fortement encore la cinquième, concernant les répercussions sur le reste de la vie. Elle est le plus souvent exprimée, elle reprend à elle seule plus d’un cinquième des occurrences (21 %).

  • Dans l’ensemble, les écrits comportent presque autant d’influences positives que négatives sur leurs parcours.

  • Plusieurs variables sont surtout perçues négativement. C’est le cas pour les aspects administratifs et/ou structurels (variable 2), le niveau de maîtrise ou le rapport aux cours confiés (variable 7) ou encore, et de manière très marquée, la relative incohérence entre formation initiale et vie professionnelle (variable 4). Si ces trois variables apparaissent comme moins importantes dans l’ensemble, ainsi qu’indiqué précédemment, les variables 5 et 8 représentent 35 % des occurrences et sont en déséquilibre vers le pôle négatif. Concernant la variable 8, c’est avec peu de surprise que l’on lit que les démarches pour trouver un emploi, le garder ou encore augmenter son temps de travail semblent plus peser qu’être vécues positivement. C’est d’ailleurs cohérent avec le constat posé sur cette variable à la lecture du tableau précédent ou encore le travail de Bourque & al. (2009). Concernant la cinquième variable, la plus représentée dans l’ensemble, on pourrait y lire que l’insertion dans le métier provoque plus de répercussions négatives que positives sur le reste de la vie, aux yeux de ceux qui, dans notre étude, vivent cette insertion.

  • À l’inverse, deux variables sont plus largement représentées positivement. Pour la variable 3, au poids globalement important, deux tiers de ces relevés concernant les aspects relationnels sont positifs. La variable neuf, relative à la consolidation ou la remise en question de son projet professionnel représente près d’un cinquième du total des occurrences et apparaît plus souvent positivement que négativement.

Discussion

Des variables à l’influence surtout négative ou positive

Une première conclusion se dégageant de l’étude est que les démarches pour chercher un emploi ou les répercussions sur le reste de la vie (v5 et v8) sont, vu leurs poids et leur polarisation négative, des facteurs de risque. Ces deux variables ne sont pas liées directement à l’action menée en classe, ou dans l’école d’ailleurs, ce qui nous conforte dans l’idée de ne pas limiter notre observation aux dimensions techniques du métier. Sur les mêmes bases, les variables concernant les facilités de relation et la perception de sa réalisation professionnelle (v3 et v9) apparaissent plutôt comme des facteurs de protection. Bien entrer en relation serait important pour bien entrer dans le métier. La neuvième variable, concernant la réalisation professionnelle, nous semble particulièrement intéressante car elle permet une compréhension dynamique : le sujet prend une importance cruciale dans cette variable changeable et relativement contrôlable de l’insertion professionnelle. C’est moins le cas pour l’obtention d’un emploi par exemple, qui dépend de bien d’autres (f) acteurs. Nous y insistons, la huitième variable concerne bien les démarches et non l’obtention d’un emploi, mais les démarches, même si les perceptions divergent selon les participants, sont étroitement liées à cette obtention.

Il nous semble aussi que cette neuvième variable, la réalisation professionnelle et la remise en question : Suis-je (vraiment) fait pour ça ? peut-être tant une variable dépendante qu’indépendante. Cette complexité demandera à être clarifiée, si elle se révèle aussi porteuse que nous pouvons le penser au vu des analyses actuelles. Elle a des liens avec deux sujets largement étudiés que sont d’une part le développement identitaire et les tensions qu’il engendre (Bajoit 2006, Devos, 2016, Hétu & al. 1 999) et d’autre part les sentiments de compétence (Losego & al. 2011) et d’auto-efficacité (Leroux & Théorêt, 2014). Enfin parmi les variables les plus pesantes, la première concernant les facilités et difficultés pédagogiques ou didactiques sont relevées aussi souvent positivement que négativement, ce qui donne peu d’indications sur l’impact de cette variable.

Des variables marginales mais pas négligeables

Les quatre autres variables peuvent sembler insignifiantes au vu de leur faible proportion. Nous ne pouvons toutefois les négliger, pour deux raisons : d’abord, leurs poids sont calculés sur l’ensemble des parcours et ensuite une variable peut être déterminante même si elle n’apparaît qu’une seule fois. Ainsi, cette faible représentation est peut-être due au traitement appliqué, qui considère les variables sur l’ensemble des parcours.

Il nous semble plausible qu’un parcours par exemple soit fortement marqué par une de ces variables. Celui-ci pourrait illustrer un parcours remarquable de l’insertion professionnelle des enseignants. Il est aussi légitime de penser qu’une occurrence d’une variable puisse modifier grandement le parcours, même si elle n’apparaît qu’une seule fois. Si elle se révèle comme un événement significatif, dans une rédaction qui y est entièrement consacrée par exemple, elle n’apparaît tout de même qu’une seule fois dans notre comptage. Cela pourrait être le cas de la variable six, très peu représentée, et pourtant attachée aux motivations principales de choix du métier d’enseignant (Quittre & al., 2019), de même que la quatrième, sur la cohérence entre formation initiale et vie professionnelle pourrait se lire avec les lacunes, soulignées récemment par les enseignants en FW-B, en TIC, interculturalité et liaison primaire-secondaire (Quittre & al., 2019).

Les perspectives

Notre approche étant principalement clinique, nous allons maintenant observer si, au sein des 22 parcours, les quatre variables les plus relevées et polarisées peuvent contribuer à distinguer les parcours d’insertion harmonieux allant vers une entrée résistante[4] dans le métier des parcours, conduisant à quitter le métier ou à y demeurer de manière peu satisfaisante, en sursis peut-être. Toutefois, nous allons en même temps analyser la possibilité inverse : que plusieurs variables parmi les neuf, pas uniquement ces quatre dominantes, soient aussi, voire plus, importantes pour certains parcours. Cette position de doute quant aux poids déterminants de l’une ou plusieurs variables, essentielle pour un chercheur, est soutenue par les conclusions de Karsenti & al., 2013 : « Malgré les quelques tendances évoquées ci-dessus, il semble difficile de hiérarchiser clairement les facteurs de décrochage. Nous serions plutôt enclins à penser qu’il s’agit de facteurs potentiels qui se vérifient ou non suivant la spécificité de chaque contexte d’enseignement-apprentissage et de chaque enseignant. Par ailleurs, on peut penser qu’ils sont étroitement liés, de sorte qu’un facteur peut en appeler un ou plusieurs autres ». Ces « étroites liaisons » sont postulées dans notre travail, sans encore pouvoir en attester, mais ne peuvent pour des raisons d’espace, figurer dans cet article. L’importance des contextes individuels nous pousse donc, a priori, à ne rejeter aucune variable décrite, même représentée très minoritairement.

Des variables absentes de notre étude

À côté des neuf variables présentées, le travail de comparaison avec d’autres études nous a permis d’en découvrir d’autres. Concernant les facteurs de protection (Beltman & al., 2011) ou de persévérance (Lebel & al., 2012), nous avons soulevé les suivants. Une partie de la catégorie « attributs personnels » chez Beltman : l’optimisme, l’enthousiasme, le sens de l’humour, l’intelligence émotionnelle, la patience, la flexibilité, l’acceptation de l’échec, être une femme (car elles utilisent plus de stratégies d’adaptation), ou encore le locus of control, s’il est interne, ainsi que les attitudes proactives et les capacités à dépasser un échec. Lebel souligne des attitudes assez similaires avec la confiance en soi, l’engagement, la motivation et la résilience. Karsenti & al. 2013, soulignent eux quelques facteurs possibles de décrochage : les caractéristiques émotionnelles et psychologiques difficilement compatibles avec la profession enseignante, les caractéristiques sociodémographiques et professionnelles de la personne, la grossesse et enfin le faible attrait de la profession. Ces éléments ne sont pas apparus ou nous n’avons pas pu, ni le chercheur, ni les participants, relever ceux-ci dans les rédactions et parcours. Notons qu’ils sont tous, à part la grossesse et le faible attrait de la profession, des variables individuelles, souvent internes qui demandent des outils de mesure psychologiques et standardisés non présents dans notre recherche.

Les limites

Si les variables issues des rédactions sont un outil pertinent pour modéliser ensuite les parcours, nous venons de rappeler que d’autres facteurs existent, même s’ils n’apparaissent pas, ou de manière très indirecte, dans les écrits des participants. Notre méthodologie de recherche inductive, centrée prioritairement sur les productions des acteurs et non sur la littérature de recherche, conduit à cette sélection du nombre de variables. Par contre, la construction de celles-ci, sur des cas complexes, permet de considérer chacune comme une partie reliable aux autres.

C’est l’objectif de cette approche phénoménologique et de notre souhait de comprendre des parcours complexes. Les seules neuf variables identifiées sont aussi propres à un échantillon de 22 (futurs) enseignants du secondaire inférieur, tous formés dans une seule discipline (les sciences humaines) et par la même équipe de professeurs. Nous n’avons pas la visée, ni la prétention d’en faire un relevé représentatif des facteurs de risque ou de protection pour tous les jeunes enseignants. Par contre, cette liste peut fournir aux accompagnateurs une grille de lecture des parcours d’autres jeunes diplômés proches par la discipline, la formation ou le niveau d’enseignement visé.

Conclusion

Devant les difficultés à comprendre et enrayer le problème des départs précoces du métier d’enseignant, nous avons entamé une étude s’étalant sur plusieurs années auprès de jeunes diplômés cherchant à s’insérer dans le métier. Cette étude qualitative a permis d’identifier avec eux neuf variables qui favorisent ou non l’entrée dans le métier. Celles-ci conduisent à chercher la compréhension des parcours d’insertion dans les actes de chaque novice mais aussi en dehors de l’action en classe et de son traitement instantané. Notre perspective de recherche, d’une part ancrée dans le vécu relaté librement par chaque (futur) enseignant et, d’autre part, longitudinale, permet d’envisager ces dimensions. La quantification des occurrences pour chaque variable, et l’importance de l’influence positive ou négative, montrent que globalement les répercussions sur le reste de la vie et les démarches pour obtenir/conserver un emploi à temps plein et stable sont des variables qui constituent majoritairement un frein dans les parcours. À l’inverse les facilités relationnelles et le sentiment de se réaliser professionnellement sont des variables plutôt soutenantes pour ces novices. L’envie de comprendre de manière fine des parcours singuliers, avant d’essayer d’y trouver des similitudes et de donner des tendances générales, passera par une modélisation des combinaisons de ces variables, y compris les moins représentées. Celles-ci pourraient être des déclencheurs d’autres, ou encore, dans une perspective différentielle, se montrer importantes dans quelques parcours et complètement absentes de la plupart. Il est possible que ces parcours soient alors symptomatiques de certaines insertions et, à ce titre, très intéressants.