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Les plantes ornementales à fleurs ou à feuillage jouent un rôle important dans l’activité agricole ou horticole ainsi que dans la décoration des jardins des villes. Plusieurs espèces du genre Hibiscus sont utilisées comme plantes ornementales, alors que d’autres sont mises à profit en médecine, pour les textiles ou en alimentation (Perry Lawton 2004). L’étude de l’une de ces plantes ornementales a mis en évidence l’existence de nombreux problèmes phytosanitaires. Les champignons sont parmi les agents pathogènes qui affectent le plus les plantes à feuillage ornemental et causent les maladies les plus sérieuses. Les Hibiscus spp. sont affectées par diverses maladies, à savoir l’oïdium, le mildiou, les maladies telluriques, etc. (Anonyme 1977).

Les isolements réalisés à partir des lésions foliaires de l’Hibiscus rosa-sinensis L. ont permis de révéler la présence d’un complexe fongique diversifié. Parmi les espèces isolées, on note le Setosphaeria rostrata K.J. Leonard (= Drechslera halodes (Drechsler) Subram. & B.L. Jain) et le Cochliobolus spicifer R.R. Nelson (= Drechslera spicifera (Bainier) Arx) qui n’ont jamais été signalés sur les Hibiscus. Ces agents pathogènes font partie des Dématiées et les espèces de cette famille montrent une pigmentation foncée en raison de la présence de mélanine dans leur paroi cellulaire; cette pigmentation est considérée comme un facteur important de la virulence (Alcorn 1988). Les espèces qui faisaient partie du genre Drechslera auparavant ont, en général, une gamme d’hôtes très variée. Les S. rostrata et C. spicifer sont des champignons qui se développent sur le gazon et causent, sur les plantes, des taches foliaires pendant l’hiver, le printemps et l’automne. Entre 15 et 18 °C, l’attaque est importante, mais elle diminue à 27 °C (Smiley et al. 1992). Ils s’attaquent également à l’Oryza sativa L., au Triticum aestivum L., au Saccharum officinarum L. et au Phoenix dactylifera L. (Smiley et al. 1992). Ehteshamul-Haque et Ghaffar (1994) ont signalé que le S. rostrata s’attaque aussi au Lens culinaris Medik; de même, Mullin et al. (1993) ont rapporté qu’il s’attaque à l’Hibiscus cannabinus L. En 1992, Saeed et al. ont rapporté pour la première fois que le S. rostrata et le C. spicifer causent des taches foliaires chez Vitis vinifera L. Chez le Cynodon dactylon (L.) Pers, ils provoquent des lésions de couleur brune (Pratt 2000). Les symptômes apparaissent sous forme de petites taches imbibées d’eau. Les taches ovales ou irrégulières et à contour jaune se développent par la suite et prennent une couleur brun clair et à bord foncé. Cette étude vise à évaluer pour la première fois le pouvoir pathogène du S. rostrata et du C. spicifer à l’égard de l’H. rosa-sinensis. Dans ce sens, nous avons comparé les divers effets de ces espèces sur l’apparition et le développement de lésions foliaires chez l’hôte.

Des plants d’H. rosa-sinensis ont été rapportés d’une pépinière de la ville de Kénitra (nord-ouest du Maroc). Ces plants, âgés de 3 mois, étaient d’apparence saine et issus de bouturage. Les isolements à partir d’une dizaine d’échantillons d’H. rosa-sinensis présentant des symptômes maladifs ont permis d’isoler les souches du S. rostrata et du C. spicifer. Ces souches ont été cultivées sur milieu PSA (potato saccharose agar), une gélose de pomme de terre et saccharose. Les repiquages successifs ont permis de purifier ces agents fongiques pour l’identification qui a été réalisée en se référant à la clef de détermination d’Ellis (1971).

Sur milieu de culture à base de farine de riz (14 g de farine de riz, 15 g d’agar-agar, 4 g d’extrait de levure et 1000 mL d’eau distillée), les colonies du C. spicifer et du S. rostrata sont de couleur gris noirâtre, bien qu’à la marge la couleur soit gris blanchâtre, à texture duveteuse et à revers noir. Sur l’hôte, les conidiophores du C. spicifer sont de couleur brun foncé, solitaires ou rassemblés et entièrement géniculés. Les conidies sont droites, cylindriques ou oblongues à leurs extrémités. Elles ont de une à trois fausses cloisons et mesurent 17 – 23 µm x 7 – 10 µm. Chez le S. rostrata, les conidiophores sont de couleur brun noirâtre, simples ou en paires, souvent géniculés. La dimension des conidies est de l’ordre de 26 – 63 µm x 10 – 16 µm. Ces conidies sont droites ou légèrement courbées, cylindriques à ellipsoïdales, avec deux à sept fausses cloisons.

Pour la production d’inoculum, le C. spicifer a été cultivé sur un milieu à base de farine de riz (14 g de farine de riz, 4 g d’extrait de levure, 15 g d’agar-agar et 1000 mL d’eau distillée), alors que la culture du S. rostrata a été réalisée sur un milieu à base de farine de maïs (50 g de farine de maïs, 15 g d’agar-agar et 1000 mL d’eau distillée). Les cultures ont été mises dans un incubateur à 28 °C avec alternance d’obscurité (7 j) et de lumière (3 j). Après 10 j d’incubation, la surface chargée de spores a été raclée à l’aide d’une spatule métallique stérile et le mycélium a été mis en suspension dans l’eau distillée, puis remué pendant quelques secondes. La suspension ainsi obtenue a été filtrée à travers une mousseline afin de séparer les spores des fragments mycéliens, puis diluée avec de l’eau distillée stérile contenant 0,05 % de Tween 20 et 5 % de gélatine de façon à obtenir une concentration finale de 105 spores mL-1.

L’inoculation a été réalisée par pulvérisation de 60 mL de chacune des suspensions sporales préparées et ajustée à 105 spores mL-1 sur la surface foliaire des plants d’H. rosa-sinensis. Pour chaque agent pathogène étudié, trois répétitions ont été réalisées. Les plants témoins ont été inoculés avec de l’eau distillée additionnée de 0,05 % de Tween 20 et 5 % de gélatine. Les plants inoculés ont été placés durant 48 h sous une housse en plastique noir afin de maintenir une humidité relative de 100 %. Ils ont ensuite été replacés en serre pour le développement des symptômes. La collecte des données a été effectuée chaque jour durant la période d’incubation de 27 j, en notant les divers effets des deux espèces fongiques sur le feuillage des plants d’H. rosa-sinensis.

Tableau 1

Classification des symptômes induits par le Drechslera oryzae, selon l’échelle de notation de Barrault (1989) adaptée à la description des symptômes foliaires induits par les espèces de Drechslera testées sur l’Hibiscus rosa-sinensis

Surface foliaire

Classe

Description des symptômes

0

0

Aucune infection foliaire

0 – 2,5

1

Petites lésions : aires nécrotiques minuscules qui peuvent ou non être accompagnées de chlorose des tissus qui les entourent

2,5 – 5

2

5 – 10

3

10 – 20

4

Lésions de petites ou moyennes dimensions : aires nécrotiques de taille moyenne entourées de zones de chlorose

20 – 30

5

30 – 40

6

40 – 50

7

50 – 75

8

Lésions moyennes à larges : feuilles sévèrement infectées avec des aires nécrotiques larges entourées par des zones de chlorose = feuilles mortes

75 – 100

9

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Le dénombrement des lésions foliaires a été fait sur toutes les feuilles inoculées. La première notation du nombre de lésions a été effectuée dès l’apparition des premiers symptômes, permettant ainsi de suivre l’évolution du nombre de lésions foliaires dans le temps. La surface foliaire nécrosée a été quantifiée en calculant le pourcentage de lésions par rapport à la surface foliaire totale. La sévérité de la maladie a été déterminée par le pourcentage de surface foliaire infectée, estimée d’après l’échelle de notation de Barrault (1989) (Tableau 1). Le coefficient d’infection (C.I.) a été calculé en multipliant la sévérité de la maladie (S : pourcentage de surface foliaire infectée estimé d’après l’échelle de notation de Barrault (1989)) par l’incidence (I) (nombre de feuilles présentant des symptômes), soit C.I. = S x I (Loegering 1959).

La sporulation a été évaluée suivant la technique de Hill et Nelson (1983) par l’estimation du nombre moyen de spores produites par unité de surface des lésions observées chez l’hôte (nombre de spores cm-2). Après 10 j d’incubation, les feuilles présentant des lésions ont été prélevées. Elles ont été découpées en fragments de 1 cm chacun qui ont par la suite été placés dans des boîtes de Pétri contenant trois rondelles de papier filtre stérilisé imbibées d’eau distillée stérile (une lésion foliaire par boîte). Les boîtes ont été incubées à 28 °C durant 48 h sous un éclairage continu constitué de lampes fluorescentes. Les fragments de chacune des feuilles lésées ont ensuite été placés dans un tube à essai contenant 1 mL d’eau distillée stérile, puis agités au vortex pendant 2 min afin de détacher les conidies des conidiophores. La quantité de spores ainsi obtenue a été estimée en se servant d’une lame de Malassez (10 comptages par échantillon).

Les résultats obtenus de la surface foliaire nécrosée, du coefficient d’infection et de la sporulation des souches des agents pathogènes ont été traités par le logiciel SAS 9.13 (organisme INRA MAROC). Une analyse de la variance a été réalisée sur chaque donnée. Les interactions entre les différents facteurs étudiés ont également été identifiées. Quand le résultat de l’analyse de la variance enregistrait au moins une différence significative au seuil de probabilité de 5 %, un test statistique de la comparaison de moyennes (test LSD) était appliqué sur ces valeurs.

Sur les feuilles de l’H. rosa-sinensis, le C. spicifer a été le premier agent fongique à induire des symptômes foliaires, après 3 j d’incubation. Les symptômes ont été visualisés au début sous forme de lésions de couleur brun clair apparaissant sur la marge des feuilles, puis ces lésions se sont développées vers le centre et sont devenues brun foncé à contour pâle. Les symptômes provoqués par le S. rostrata ne sont apparus qu’après 7 j d’incubation. Ils se sont manifestés sous forme de lésions irrégulières de couleur brun clair ou noirâtre qui sont apparues sur la marge et le centre des feuilles. Quatre j après l’apparition des symptômes, ces zones infectées se sont desséchées.

Figure 1

Nombre moyen de lésions foliaires provoquées par le Cochliobolus spicifer et le Setosphaeria rostrata en fonction du temps (jours) sur l’Hibiscus rosa-sinensis.

Nombre moyen de lésions foliaires provoquées par le Cochliobolus spicifer et le Setosphaeria rostrata en fonction du temps (jours) sur l’Hibiscus rosa-sinensis.

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Le nombre de lésions foliaires observées sur les feuilles des plants de l’Hibiscus a augmenté avec le temps (Fig. 1). La figure 1 montre l’augmentation des symptômes à chaque semaine. Toutes les lésions hébergeaient un seul des deux agents pathogènes, les ré-isolements à partir des lésions étant tous positifs. Les plants témoins n’ont présenté aucun symptôme au cours de l’étude. Les pourcentages de surface foliaire nécrosée provoquée par le C. spicifer (31) et par le S. rostrata (32) n’ont pas montré de différence significative. Par contre, le coefficient d’infection du C. spicifer a été significativement plus important (C.I. = 44) que celui du S. rostrata (C.I. = 17). De même, ces espèces fongiques ont été capables de sporuler sur les lésions foliaires de l’Hibiscus rosa-sinensis. Une différence significative a été notée entre le nombre de spores produites par le C. spicifer et le S. rostrata. Le nombre de spores produites par le C. spicifer a été de l’ordre de 55 x 103 spores cm-2 alors que celui induit par le S. rostrata a été de l’ordre de 30 x 103 spores cm-2.

L’H. rosa-sinensis est une espèce d’origine tropicale, cultivée aussi bien pour son inflorescence que pour son feuillage abondant. La croissance importante d’une masse foliaire crée un microclimat propice au développement des agents pathogènes foliaires. Le S. rostrata et le C. spicifer sont deux espèces isolées des lésions foliaires et elles ont montré un comportement différent sur l’H. rosa-sinensis. Le C. spicifer est une espèce très commune, isolée à partir de 77 plantes hôtes différentes, aussi bien au niveau des parties aériennes que souterraines de ces plantes (Ellis 1971). Sur les feuilles de l’H. rosa-sinensis, cette espèce fongique provoque des lésions foliaires de couleur brun clair qui apparaissent au début sur la marge des feuilles avant de progresser vers le centre. Le C. spicifer cause aussi des lésions foliaires chez le Phoenix dactylifera (El-Morsy 1999) et provoque des pourritures de la tige et des racines chez des espèces de Cynodon et de Zoysia (Smiley et al. 1992).

Certains auteurs ont rapporté que les espèces de Drechslera sont des champignons communs dans l’environnement, se retrouvant sur le sol, les plantes et en particulier sur les herbes (Domsch et al. 1980; McGinnis et al. 1986). Chez l’H. rosa-sinensis, le S. rostrata provoque des lésions de forme irrégulière et de couleur brun clair ou noirâtre qui finissent par se dessécher. Il cause des symptômes similaires à ceux de la rouille sur les jeunes plants du Saccharum officinarum et des lésions foliaires chez le Cocos nicifera L. ainsi que chez le P. dactylifera (El-Morsy 1999). Il est également responsable de pourritures racinaires chez une espèce de Cynodon (Chuan 2003). Pratt (2000) a rapporté, à la suite de tests d’inoculation, que le S. rostrata était plus virulent chez le Cynodon dactylon que le C. spicifer, le premier causant des nécroses très importantes chez la plante.

L’étendue de la surface foliaire nécrosée des plantes a permis d’apprécier l’aptitude de ces deux espèces fongiques à altérer le feuillage de l’H. rosa-sinensis. En se référant également au coefficient d’infection et à l’aptitude des deux espèces à sporuler sur les feuilles, on peut considérer pour la première fois le C. spicifer et le S. rostrata comme deux nouveaux agents pathogènes de l’Hibiscus. En effet, ces deux espèces altèrent le feuillage de l’hôte et sont capables de produire de nombreuses spores chez la plante étudiée.