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Introduction

En 1908, la Société de protection des plantes du Québec (SPPQ) voyait le jour. Elle fut mise en place par le professeur W. Lochhead du Collège Macdonald. Les premières discussions sur les problèmes de mauvaises herbes ont eu lieu avec M. Douglas Weir, professeur adjoint de biologie au Collège Macdonald. Depuis 100 ans, les préoccupations, les problèmes et surtout les solutions ont-ils changés? Les mauvaises herbes et les moyens pour les réprimer représentent-ils encore une part importante des dépenses des producteurs agricoles? Nous vous laissons le loisir d’en juger!

Période 1908-1932

Déjà à cette époque, nous trouvons dans les Rapports annuels de la Société les sujets suivants :

  • Mise en place des premiers cours sur les mauvaises herbes;

  • Dégâts et pertes de rendement occasionnés par les mauvaises herbes;

  • Dissémination et fécondité des mauvaises herbes;

  • Caractéristiques et classification;

  • Répression.

Dans un discours de 1910, le professeur Lochhead s’exprime ainsi : « Pour la province de Québec, il n’est pas actuellement de problème agricole plus ardu que celui des mauvaises herbes. La multiplication de celles-ci devient véritablement inquiétante. On en voit partout dans les campagnes. Si elles continuent à se répandre sans que l’on prenne des mesures pour les détruire, il y a lieu de se demander ce que vont devenir les fermes. À moins que nous ne changions notre système de culture, il faudra les abandonner. »

La rotation des cultures est pratiquement inconnue à cette époque et la qualité des semences laisse encore à désirer.

Le 1er septembre 1905, le gouvernement fédéral met en place le « Seed Control Act ». Il a pour but de rendre les semences exemptes de graines de mauvaises herbes. La qualité des semences s’améliorant, l’introduction de certaines mauvaises herbes sera diminuée.

Dès 1909, le désherbage chimique des cultures est reconnu. À cette époque, les traitements recommandés par le professeur Lochhead contre la jeune moutarde sont, entre autres, le sulfate de fer (vitriol vert) et le sulfate de cuivre (vitriol bleu) dans 40 gallons d’eau. En 1916, un document produit par leprofesseur Bryce du Collège Macdonald parle de l’efficacité du sel de cuisine, du cyanure de calcium, de l’acide sulfurique et de l’arsénite de soude pour lutter contre la moutarde.

En 1920, M. Omer Caron (président de la SPPQ de 1934 à 1936) est nommé botaniste provincial au Bureau de l’entomologie du ministère de l’Agriculture du Québec. Le bureau prend alors le nom de Bureau de la protection des plantes. Ce bureau est en fait le précurseur du Service de recherche en défense des cultures.

En 1928, le Québec vote la Loi des mauvaises herbes.

Période 1933-1949

L’année 1937 voit le déploiement du Service de la protection des plantes avec la formation d’une section« Mauvaises herbes » qui compte alors un directeur et deux spécialistes. L’application de la Loi des mauvaises herbes, l’organisation des campagnes d’éradication de certaines mauvaises herbes, la vulgarisation des meilleures méthodes de destruction des mauvaises herbes et différents travaux de recherche sont les mandats confiés à cette section.

En 1937, la province est découpée en districts pour la surveillance de l’application de la Loi des mauvaises herbes. Un inspecteur-agronome est aussi identifié comme responsable de cette activité. Des inspecteurs nommés par les corporations municipales de l’époque travaillent étroitement avec le ministère de l’Agriculture. Ils agissent comme propagandistes et éducateurs auprès des producteurs agricoles afin d’enrayer les mauvaises herbes. De 709 qu’ils étaient en 1937, ils passent à 2060 en 1949.

Des campagnes d’éradication, des enquêtes et des essais expérimentaux sont menés pour éliminer la moutarde des champs, l’herbe à poux, la cuscute, la salicaire pourpre (devenue aujourd’hui une plante ornementale) et l’euphorbe cyprès.

Le 2,4-D fera son apparition à la fin de cette période, en 1946-1947.

Période 1950-1970

En 1950, le Comité provincial pour la lutte aux mauvaises herbes est créé. Il regroupe des intervenants des organisations suivantes :

  • Le Service de la protection des plantes du ministère de l’Agriculture du Québec;

  • Les stations fédérales de la province;

  • Les institutions d’enseignement agronomique;

  • Le Conseil des recherches agricoles;

  • Le Jardin botanique de Montréal.

Les raisons d’être de ce comité sont nombreuses :

  • C’est un comité consultatif concernant l’étude des problèmes reliés aux mauvaises herbes pour les humains, les animaux et les cultures;

  • Il mène des études sur les moyens d’éradication et de destruction des mauvaises herbes;

  • Il propose des sujets de recherche;

  • Il fait des recommandations de nouvelles lois ou règlements si nécessaires ou propose des amendements à la Loi des mauvaises herbes;

  • Il fait la promotion de la lutte aux mauvaises herbes.

Après seulement une année d’existence, le comité avait déjà réalisé les travaux suivants :

  • Une liste alphabétique des noms français, anglais et scientifiques des plus importantes mauvaises herbes au Québec;

  • Un feuillet de 24 pages sur la destruction chimique des mauvaises herbes (premier guide d’emploi des herbicides);

  • Un inventaire des travaux de recherche effectués au niveau provincial;

  • Finalement, à la suite des rencontres du comité, plusieurs travaux de recherche ont été mis en place.

Durant cette période, le 2,4-D ouvre la porte au développement de nouveaux herbicides. Il faut cependant convaincre les producteurs agricoles de l’efficacité et de la rentabilité de leur utilisation. Commence alors une série de démonstrations partout en province. De 1952 à 1959, plus de 5 000 démonstrations ont lieu. Des conférences de presse et des rencontres de producteurs sont aussi réalisées. Au début des années 1960, la chimie agricole progresse rapidement. Les travaux de recherche effectués en malherbologie sont orientés vers la mise au point de traitements efficaces dans les différentes cultures. En 1970, la réalisation de tous ces travaux permet de développer un protocole expérimental uniforme pour les essais d’herbicides.

Un cours de taxonomie végétale est maintenant offert aux étudiants de l’Université Laval en soulignant l’importance des caractères végétatifs des plantes et le premier cours en malherbologie est enseigné en 1965 par Gilles Émond (président de la SPPQ en 1973-1974). Durant cette période, Camille Rousseau développe une clé d’identification des plantes nuisibles à différents stades de développement afin de permettre une identification précoce des plantules de mauvaises herbes.

Fin des années 1970 et début des années 1980

La répression chimique constitue un secteur important de recherche dans lequel oeuvrent les malherbologistes. Ces essais servent à l’homologation des nouveaux produits. L’accent est mis sur les sujets suivants :

  • La tolérance des cultivars;

  • La répression chimique de certaines espèces importantes difficiles à détruire;

  • La rémanence des produits dans le sol;

  • L’apparition des biotypes résistants aux herbicides (identification des premiers cas au Québec en 1977 par Bruno Maltais et Claude-J. Bouchard).

En 1977, la section IV relative aux mauvaises herbes de la Loi sur les abus préjudiciables à l’agriculture (Québec) est révisée. À la fin des années 1970, le comité consultatif de malherbologie du Canada priorise les études d’inventaire en fonction des pertes. Jean-Marc Deschênes (Agriculture Canada) et Dominique Doyon (Agriculture Québec) présentent, en 1979, un plan d’action sur la recherche en malherbologie à la suite d’un travail sur l’état de la recherche. Un des grands projets consiste à faire l’inventaire des 12 régions agricoles du Québec.

Claude-J. Bouchard entreprend également des travaux sur la caractérisation et l’illustration des plantules de mauvaises herbes. D’autres travaux portent sur la cytotaxonomie pour bien différencier les espèces de plantes à l’intérieur d’un même genre (ex. : Chenopodium). La biologie des mauvaises herbes constitue un autre secteur de recherche. Il profite notamment au développement de projets d’études pour des étudiants chercheurs des deuxième et troisième cycles.

Période 1981-1986

Le Service de recherche en défense des cultures du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ) propose trois volets pour la recherche en malherbologie :

  • Diagnostic et évaluation de l’importance du problème des mauvaises herbes dans les cultures :

    • Identification et illustration des espèces;

    • Caractérisation et délimitation des taxons;

    • Enrichissement des collections botaniques (herbier);

    • Évaluation de l’importance des mauvaises herbes dans les cultures (pertes et inventaires);

  • Biologie et écologie des espèces :

    • Seuils de nuisibilité (densité);

    • Période critique de compétition;

  • Stratégies de répression :

    • Désherbage chimique (efficacité et phytotoxicité);

    • Problèmes résultant de l’application des herbicides :

      • Tolérance des cultivars,

      • Évaluation des nouvelles techniques’application,

      • Persistance et rémanence des résidus’herbicides;

    • Intégration des différents facteurs de production dans la lutte aux mauvaises herbes;

    • Lutte biologique (ennemis naturels).

Au cours des années 1980, le Dr Gilles Émond consolide la mise en place du Réseau d’avertissements phytosanitaires qu’il a créé en 1975 et du Laboratoire de diagnostic en phytoprotection du Québec (1986) auquel est ajoutée une section en malherbologie.

Période 1986-2008

La lutte aux mauvaises herbes, tant en agriculture qu’en foresterie, demeure un souci constant pour les producteurs. L’argent et l’énergie nécessaires à la répression des mauvaises herbes constituent une part importante des dépenses des producteurs. Par contre, le nombre de spécialistes est décroissant. Les postes gouvernementaux, tant au niveau fédéral que provincial, deviennent très limités.

Au début des années 1990, « une prise de conscience de l’impact négatif des pratiques conventionnelles sur l’environnement et la santé humaine, une forte augmentation du coût des intrants de synthèse et une diminution de la disponibilité et du choix de ceux-ci forcent les agriculteurs à remettre en question l’utilisation intensive d’herbicides » (Leblanc 2008).

Une saine gestion des mauvaises herbes est impensable sans la rotation des cultures. La lutte intégrée n’est pas un concept abstrait, mais bien une façon proactive de livrer bataille à des ennemis redoutables. Aujourd’hui, les producteurs agricoles du Québec, grâce à la Loi sur les semences (Canada), peuvent bénéficier de semences de qualité avec un minimum de graines de plantes indésirables.

Le désherbage chimique continue d’occuper une place prépondérante dans les solutions de répression des adventices au Québec. Cependant, les interventions sont mieux ciblées et évaluées. En effet, il existe aujourd’hui de nombreux herbicides et outils de désherbage permettant aux producteurs de lutter efficacement contre les mauvaises herbes. De plus, les mauvaises herbes sont dépistées, les résultats sont notés et, dans certains cas, scrutés à la loupe. Enfin, les produits chimiques les plus toxiques ont disparu et ceux qui restent sont évalués sur une base régulière.

Au début des années 2000, la Commission de malherbologie et la Commission de défense des cultures fusionnent pour devenir la Commission de phytoprotection. Les ressources humaines et financières diminuant, la Commission devient donc une table ronde où les intervenants échangent, discutent et réalisent quelques projets (journées en champ, colloques, répertoires, lutte intégrée, etc.), mais à un rythme réduit avec un souci constant de trouver les ressources financières et humaines pour les mener à terme. La priorisation des projets de recherche ne fait plus partie des mandats de la Commission.

En 2007, un nouvel herbicide, le Adios Ambros (99,86 % chlorure de calcium) est homologué (rappelons qu’en 1916, le sel de cuisine était considéré efficace). Au même moment (2007), il n’y avait plus que trois inspecteurs municipaux des mauvaises herbes à l’échelle du Québec.

Le MAPAQ avait proposé, en 1995, un projet d’abrogation de la loi touchant la section relative aux mauvaises herbes. Finalement, c’est le 12 juin 2008 que la nouvelle Loi sur la protection sanitaire des cultures (Loi no 72) est adoptée. Cette loi intègre la section IV de la Loi sur les abus préjudiciables à l’agriculture, la Loi sur la protection des plantes et la Loi sur la prévention des maladies de la pomme de terre.

En 2008, le Service de la protection des plantes, le Service de la défense des cultures et le Service de recherche en phytotechnie n’existent plus. Les nombreuses réorganisations au sein du gouvernement du Québec ont fait en sorte qu’aujourd’hui la recherche se fait par l’intermédiaire de partenariats développés au fil des ans entre les organisations gouvernementales, le secteur privé, les universités, les institutions d’enseignement et les centres de recherche privés.

Les campagnes d’éradication des mauvaises herbes ont disparu. Toutefois, depuis 2007, un projet pilote concernant la présence de l’herbe à poux en milieux agricole et urbain est mis en oeuvre par le MAPAQ et Agriculture et Agroalimentaire Canada (AAC). Une attention particulière est portée au gaillet mollugine, notamment dans la région du Bas-Saint-Laurent. L’introduction de nouvelles espèces, par exemple l’ériochloé velue, est sous étroite surveillance par l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) et le MAPAQ (Romain Néron, DIST).

Différents programmes gouvernementaux permettent la réalisation de travaux reliés aux mauvaises herbes pouvant mener à l’homologation des produits à usages limités, au développement de techniques de remplacement de la lutte chimique aux mauvaises herbes et à la réduction de l’utilisation des pesticides. L’industrie se garde tout le côté des évaluations des herbicides avec les avantages et les inconvénients que cette opération représente.

Des outils d’aide à la prise de décision sont élaborés : DESHERB, SAgE Pesticides et la banque d’imagerie IRIIS Phytoprotection. Depuis 2006, d’autres mauvaises herbes résistantes ont été identifiées chez différents groupes d’herbicides. Les cultures résistantes (OGM) aux herbicides ont fait leur apparition. Techniquement, ce sont des outils impressionnants. Néanmoins, cette approche comporte des avantages et des inconvénients. C’est un moyen supplémentaire dans le coffre à outils. Nous devons apprendre à nous en servir adéquatement. Dans la mesure du possible, les démonstrations et les formations sont offertes aux agronomes, aux différents intervenants en phytoprotection et aux producteurs agricoles.

Par ailleurs, une plate-forme d’agriculture biologique verra le jour sous peu à la Station de recherche du CEROM à Saint-Bruno-de-Montarville.

En ce qui concerne les ressources humaines spécialisées à l’Université Laval, Gilles D. Leroux est depuis 1985 professeur chercheur en malherbologie. De plus, le Dr Alan K. Watson est professeur titulaire au Collège Macdonald. Il reste deux chercheures malherbologistes à AAC : l’une à la station de Québec, l’autre à la station de Saint-Jean-sur-Richelieu. Une chercheure à l’IRDA, deux spécialistes au MAPAQ (un agronome spécialisé en botanique et une agronome-malherbologiste) et heureusement quelques personnes au MAPAQ et au privé poursuivent leurs efforts dans le secteur de la phytoprotection en malherbologie.

Vous remarquerez facilement que les problèmes reliés aux mauvaises herbes sont toujours très présents en 2008. Les espèces ont quelque peu changé, des lois ont été modifiées, mais la malherbologie demeure une science. Si vous savez lire entre les lignes, vous vous apercevrez que les problèmes sont sensiblement les mêmes et que les moyens pour les résoudre ou les façons de faire se ressemblent.

Les préoccupations et les besoins des producteurs agricoles sont toujours aussi criants. La protection de la santé humaine et de l’environnement de même que le développement de l’agriculture durable sont maintenant incontournables et indissociables.

En terminant, il est difficile de passer sous silence les difficultés du secteur. Les ressources humaines et financières gouvernementales consacrées à la malherbologie sont en décroissance tant au Québec qu’au Canada. Pourtant, de jeunes chercheurs et des spécialistes sont disponibles. Présentement, au Québec, la phytoprotection et particulièrement la malherbologie font office d’enfants pauvres. Durant les 15 dernières années, les acteurs de la recherche et de l’innovation ont fait preuve d’une créativité exceptionnelle pour parvenir à décrocher des fonds pour garder la tête hors de l’eau. Nous vivons à une époque où il n’y a plus de frontière à la grandeur de la planète. La veille et la surveillance du développement et de la venue de nouveaux ravageurs doivent faire partie du quotidien. Nous devons être en mesure d’aider les producteurs agricoles à demeurer productifs et compétitifs dans un monde en constante ébullition.