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La dimension malherbologique des enjeux contemporains

Les plantes que l’on désigne comme « mauvaises herbes » ou « envahissantes » sont une création de l’entreprise humaine et sont nuisibles en fonction de critères économiques, de santé humaine, animale et environnementale, voire de critères esthétiques (Beck et al. 2008). Les mauvaises herbes possèdent généralement des caractéristiques biologiques qui leur permettent d’être pionnières à la suite d’une perturbation. Elles envahissent non seulement les champs agricoles, mais aussi les pelouses, les parcs et les bordures des routes, des lacs et des rivières. À titre d’exemples, on peut citer la salicaire (Lythrum salicaria L.) et le phragmite commun (Phragmites australis (Cav.) Trin. Ex Steudel) qui, au cours des 50 dernières années, ont envahi les marais et les rives de cours d’eau du Québec aux dépens d’espèces végétales essentielles à la sauvagine (Delisle et al. 2003; Jodoin et al. 2008; Lavoie et al. 2003; Lelong et al. 2009).

Un coût très élevé est associé à la présence des plantes nuisibles. De façon générale, on estimait à près de 120 milliards de dollars américains les pertes annuelles causées par les plantes envahissantes aux États-Unis au tournant du millénaire (Pimentel et al. 2005). Dans le sud et l’ouest des États-Unis, on attribue l’importance des feux de broussailles aux infestations de plantes nuisibles envahissantes telles que le brome des toits (Bromus tectorum L.) et l’imperata cylindrique (Imperata cylindrica (L.) Beauv.) qui, grâce à une croissance rapide, produisent une grande quantité de biomasse inflammable (Ziska et al. 2005). Le contrôle de ces feux engendre des coûts dépassant le milliard de dollars américain annuellement (L. Van Wychen, comm. pers.). En ce qui a trait à la santé humaine, les coûts associés à la rhinite allergique causée par l’herbe à poux (Ambrosia artemisiifolia L.) ont été estimés récemment à 157 millions de dollars canadiens par année dans la seule province de Québec (Tardif 2008).

La malherbologie contemporaine se trouve au coeur des enjeux liés à de nombreux secteurs stratégiques non traditionnels. Que ce soit en rapport avec la production de cultures transgéniques, les changements climatiques, la production végétale pour les biocarburants ou le maintien de la biodiversité, tous ces dossiers ont un lien direct avec les plantes nuisibles et leur gestion. Les avancées scientifiques et techniques devant conduire à la résolution des problèmes liés aux plantes nuisibles reposent sur l’acquisition de connaissances. La Société canadienne de malherbologie posait récemment un diagnostic inquiétant de la situation de la malherbologie au Canada (SCM 2007, The relevance of weed science in Canada, document non publié). Or, depuis la rédaction de ce rapport, le personnel scientifique et technique a diminué de façon accélérée dans toutes les provinces canadiennes, peu importe que le secteur d’activité soit public ou privé. Les besoins de recherche en malherbologie sont nombreux et le besoin de relève scientifique constitue un enjeu crucial. Le texte qui suit a pour objectif de démontrer par quelques exemples le rôle indispensable que joue – et devra continuer de jouer – la malherbologie en agriculture, mais aussi dans de nombreuses autres sphères de l’activité humaine.

Nouvelles cultures et biocarburants

Le statut d’une espèce végétale peut varier selon les époques. Même aujourd’hui, la création de nouvelles cultures passe par la domestication d’espèces sauvages (Warwick et Stewart 2005), lesquelles ont souvent été répertoriées comme plantes nuisibles agricoles. C’est le cas, par exemple, de la saponaire des vaches (Vaccaria hispanica (P. Mill.) Rauschert), une mauvaise herbe des Prairies canadiennes dont la fréquence a diminué au cours des 30 dernières années (Leeson et al. 2005). Cette espèce pourrait devenir une culture à multiples usages compte tenu des caractéristiques particulières de son amidon, des saponines et des ségétalines (Kernan et Ferrie 2006; Meesapyodsuk et al. 2007). La caméline cultivée (Camelina sativa (L.) Crantz.), autrefois une mauvaise herbe des céréales de l’Ouest canadien et ayant servi à l’alimentation du bétail en Europe, suscite l’intérêt des améliorateurs en raison de ses qualités nutraceutiques et de son potentiel comme biocarburant (Vollmann et al. 2007).

Pour l’améliorateur, l’étroite parenté entre les espèces domestiquées et sauvages permet le transfert de caractères d’intérêt de l’espèce sauvage à la culture. Ainsi, l’identification du gène de résistance aux herbicides du groupe des triazines dans une population québécoise de moutarde des oiseaux (Brassica rapa L.) (Maltais et Bouchard 1978) a permis le développement des premiers cultivars de canola résistants aux triazines (Beversdorf et al. 1988). Plus récemment, on s’est intéressé aux gènes de résistance au froid du tabouret des champs (Thlaspi arvense L.) dans une perspective d’amélioration de l’adaptabilité du canola au froid (Sharma et al. 2007). Or, ce processus de transfert de gènes se produit aussi en milieu naturel et permet des échanges de gènes entre espèces, lesquels peuvent avoir des effets indésirables. La plupart des cultures modifiées génétiquement se trouvent en sympatrie avec une ou plusieurs espèces apparentées dans une partie de leur aire de répartition géographique (Ellstrand et al. 1999; Simard et al. 2006), permettant ainsi les flux intra- et interspécifiques de gènes et donc de transgènes (Warwick et al. 2003). Cette contamination peut avoir des conséquences agroécologiques, lesquelles seront discutées un peu plus loin dans ce texte.

Certaines espèces anciennement honnies sont présentement considérées pour la production de biocarburants ou de « bio-plate-forme », confirmant l’aphorisme voulant qu’une mauvaise herbe soit une espèce végétale dont les vertus n’ont pas encore été découvertes. La controverse qui entoure la production de biocarburants n’est pas qu’économique (Altieri 2009; Scharlemann et Laurance 2008). Si plusieurs études démontrent l’inefficacité du point de vue du rendement énergétique de produire des biocarburants à partir de cultures, tel le maïs, plusieurs des espèces considérées comme candidates potentielles inquiètent, entre autres, en raison de leur potentiel envahissant. Parmi ces espèces, on trouve le sorgho d’Alep (Sorghum halepense L.), la baldingère faux-roseau (Phalaris arundinacea L.), le panic érigé (Panicum virgatum L.), le miscanthus (Miscanthus x giganteus), le roseau géant (Arundo donax L.), apparenté au phragmite, le kenaf (Hibiscus cannabinus L.), le jatropha (Jatropha curcas L.) et diverses espèces de palmier et d’eucalyptus. Dans le Midwest américain, on s’intéresse même au tabouret des champs qui, comme espèce annuelle d’automne, pourrait être intégré dans une rotation avec le soya (Isbell 2008). Les caractéristiques recherchées pour la production de bioénergie ressemblent davantage à celles des adventices envahissantes qu’à celles valorisées pour la production agricole (Raghu et al. 2006). Les espèces ciblées sont souvent vivaces, s’établissent rapidement, s’avèrent très compétitives, utilisent très efficacement l’eau et les éléments nutritifs et ont peu d’ennemis naturels (Barney et DiTomaso 2008). Le choix et l’amélioration des espèces ainsi que l’élaboration de pratiques culturales ayant pour objectif la production de biocarburants exigent une connaissance approfondie des espèces ciblées et du milieu dans lequel elles seront implantées (Gressel 2008).

Cultures modifiées génétiquement

Le développement de nombreux herbicides avec différents modes d’action au cours de la deuxième moitié du XXe siècle a permis de simplifier le désherbage dans les pays industrialisés (Bernier 2008). La simplification des pratiques agricoles de même que l’utilisation intensive de certains herbicides a créé les problèmes de résistance qui touchent maintenant la plupart des cultures dans toutes les régions du monde (Heap 2008). Parallèlement à ces développements, l’industrie agrochimique s’est consolidée et a réduit ses efforts de recherche de nouvelles matières actives. Seulement 60 demandes de brevet ont été soumises en 2006, comparativement à plus de 250 en 1990 (Stuebler et al. 2008). La plupart des grandes sociétés d’agrochimie consacrent maintenant une partie importante de leurs efforts de recherche et de développement à l’amélioration des cultures, grâce entre autres aux percées des biotechnologies.

Les cultivars modifiés génétiquement ont fait leur entrée dans les champs canadiens en 1995. En moins de 10 ans, les variétés résistantes aux herbicides ont accaparé plus de 90 % du marché canadien du canola, 60 % du marché du soya et près de 30 % de celui du maïs (Beckie et al. 2006). Cette part de marché s’est maintenue et s’est même accentuée pour le soya et le maïs (James 2008). Parmi les cultivars à caractères nouveaux commercialisés au Canada, certains confèrent une résistance à des insectes ravageurs ou à des herbicides, alors que d’autres possèdent ces deux caractéristiques. En juillet 2009, l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) annonçait une autorisation conditionnelle des lignées de maïs SmartStaxMC possédant quatre transgènes de résistance aux insectes et ainsi que les transgènes de résistance aux herbicides glufosinate et glyphosate (ACIA 2009).

Dans les Prairies canadiennes, on sème annuellement entre 4 et 6 millions d’hectares en canola (généralement Brassica napus L.), dont la presque totalité est résistante à un herbicide (CCC 2009). On ensemence plus de la moitié de cette superficie en cultivars résistants au glyphosate alors que des cultivars résistants au glufosinate et aux imidazolinones se partagent les superficies restantes (Beckie et al. 2006). À cause de ses propriétés particulières, le canola a permis d’examiner à très grande échelle différents problèmes agronomiques et écologiques associés à l’adoption de cultures transgéniques.

Bien que généralement autofécondé, le canola est capable de fécondation croisée, tant avec ses congénères qu’avec des espèces apparentées comme la moutarde des oiseaux (Warwick et al. 2003). Ainsi, dès 1999, quelques années après la mise en culture de cultivars de canola résistants à différents herbicides, on trouvait dans un champ de l’Alberta des plants de canola possédant deux et même trois gènes de résistance aux herbicides (Hall et al. 2000). L’adaptabilité (fitness) des plants de canola possédant des résistances doubles ou triples (glufosinate-glyphosate, glufosinate-imidazolinone, glyphosate-imidazolinone, glufosinate-glyphosate-imidazolinone) a été semblable à celle de leurs parents (Simard et al. 2005). Des études canadiennes, européennes et australiennes démontrent qu’une fois relâchés dans l’environnement, les gènes et ainsi les transgènes du canola peuvent être dispersés sur des centaines de mètres, voire des kilomètres (Beckie et al. 2003). Cependant, même si ces évènements sont possibles, leur probabilité s’avère faible et diminue grandement avec la distance (Beckie et al. 2003; Warwick et al. 2003).

Chez le canola, les transgènes peuvent persister dans le temps grâce à des caractéristiques biologiques normalement dévolues aux adventices. Les semences de canola peuvent acquérir une dormance secondaire, laquelle permet aux graines de survivre pendant quelques années dans le sol (Gulden et al. 2003a, 2004). Le canola a également une capacité d’égrenage très élevée : les pertes à la récolte peuvent atteindre jusqu’à 30 fois le taux de semis recommandé (Gulden et al. 2003b). Conséquemment, les levées de canola spontané dans les cultures subséquentes pourront être importantes (Légère et al. 2001).

La persistance d’un transgène peut être assurée grâce à la constitution d’une banque de graines qui contribuera à la présence de populations spontanées, mais aussi par l’introgression du transgène dans une population sauvage d’un taxon apparenté. Ainsi, la présence d’un transgène conférant une résistance au glyphosate a été observée dans des populations de moutarde des oiseaux, une adventice qui côtoie le canola dans son aire de distribution au Québec (Simard et al. 2006). Le suivi d’une population d’hybrides dans la région de Québec a confirmé que l’introgression du transgène chez la moutarde des oiseaux peut s’accomplir en moins de six ans, et ce, en l’absence de pression de sélection, dans ce cas-ci, l’herbicide glyphosate (Warwick et al. 2008). La présence d’un transgène dans une population d’adventices permettra la persistance de ce transgène dans le temps puisque la plupart des adventices possèdent à la fois des semences dormantes et des banques de graines persistantes. D’autre part, ces populations pourront servir de passerelle pour les flux géniques, soit entre populations d’adventices, soit entre adventices et cultures apparentées.

La traçabilité des transgènes de résistance aux herbicides a permis d’effectuer un suivi dans le temps et dans l’espace et a ainsi permis d’évaluer les risques et d’élaborer une approche de lutte raisonnée aux problèmes agroécologiques associés à ces cultures (Beckie et al. 2004; Johnson et al. 2004; Simard et al. 2009). En effet, de nombreuses solutions existent pour lutter contre les problèmes associés à la résistance aux herbicides; mais qu’en sera-t-il lorsque seront cultivées à grande échelle des cultures transgéniques de deuxième génération, modifiées de façon à inclure des transgènes conférant une résistance aux stress abiotiques, par exemple la résistance à la sécheresse ou à la salinité dans le contexte de l’Ouest canadien (Warwick et al. 2009)? On peut imaginer que l’acquisition de tels transgènes par une adventice apparentée pourrait améliorer l’adaptabilité de l’adventice, ce qui pourrait avoir des conséquences, à ce jour inconnues, à plusieurs niveaux trophiques de l’écosystème. Seule la recherche pourra répondre à de telles questions.

Changements climatiques

Les changements climatiques permettent à certaines espèces de plantes d’accroître leur aire de répartition et d’envahir de nouveaux territoires. Ainsi, le réchauffement climatique favoriserait les espèces végétales du groupe métabolique C4 à cause de leur plus grande tolérance aux conditions de sécheresse (Leakey 2009). Par exemple, l’aire de répartition nord-américaine du kochia (Kochia scoparia (L.) Schrad.), une espèce nuisible importante des Prairies, s’est accrue au cours des 30 dernières années (Friesen et al. 2009) à la faveur de changements climatiques conjugués à des pratiques culturales moins intensives (semis direct), à la rotation des cultures et à une utilisation plus fréquente de certains groupes d’herbicides, favorisant ainsi le développement de résistances.

La concentration en CO2 de l’atmosphère, qui était de 270 µmol mol-1 à l’ère préindustrielle, est passée de 311 à 380 µmol mol-1 en moins de 50 ans (Ziska et al. 2007). Au rythme de croissance actuel, la concentration en CO2 pourrait atteindre 600 µmol mol-1 à la fin du XXIe siècle. L’élévation des concentrations de CO2 permet à certaines espèces végétales du groupe métabolique C3 de mieux croître, changeant ainsi les rapports de force entre cultures et mauvaises herbes. Par exemple, une concentration élevée de CO2 (562/643 µmol mol-1 jour/nuit) a favorisé la croissance du riz (de type C3) en compétition avec le pied de coq (Echinochloa crus-galli (L.) Beauv.) (de type C4), à la condition d’une disponibilité adéquate en azote (Zhu et al. 2008). Les auteurs de cette étude insistent sur le fait que les prédictions concernant l’effet des concentrations grandissantes de CO2 ne peuvent être basées exclusivement sur le type métabolique d’une espèce et que seule une approche multifactorielle permettra la compréhension du phénomène.

Des espèces nuisibles notoires telles que le pissenlit (Taraxacum officinale Weber ex Wiggers), le souchet comestible (Cyperus esculentus L.), le chardon des champs (Cirsium arvense L.) et l’herbe à puce (Toxicodendron radicans (L.) Kuntze) pourraient bénéficier largement de l’accroissement des concentrations de CO2. Des plants de pissenlit soumis au double de la concentration ambiante de CO2 ont produit davantage d’inflorescences (+ 83 %) et de fruits (+ 32 %), des hampes florales plus longues, des pappus de plus grand diamètre et des graines plus lourdes (McPeek et Wang 2007). De même, des plants de souchet comestible soumis à une augmentation de 50 % de la concentration de CO2 par rapport aux conditions ambiantes ont produit une biomasse totale plus élevée ainsi qu’un plus grand nombre et un poids plus élevé de tubercules (Rogers et al. 2008). Une réponse semblable a été observée chez le chardon des champs soumis à des conditions similaires (Ziska et al. 2004). L’herbe à puce a été particulièrement sensible aux augmentations de concentration de CO2, même minimes, comme en témoignent les augmentations de la surface foliaire, du poids des feuilles et des tiges et de la longueur des rhizomes (Ziska et al. 2007). L’augmentation de la concentration d’urushiol, la substance responsable des réactions allergènes causées par l’herbe à puce, a été minime, mais la quantité produite a augmenté de façon significative en raison de l’accroissement de la biomasse foliaire. On peut donc s’attendre à des cas plus nombreux de dermatite en raison de la capacité de l’herbe à puce à occuper des aires plus grandes et à produire plus d’urushiol sous des concentrations élevées de CO2, telles que prédites par les modèles climatiques.

L’élévation de la concentration d’ozone (O3) troposphérique nuit à la croissance et au rendement de certaines espèces et peut ainsi affecter les rapports de compétition entre cultures et mauvaises herbes. Des concentrations d’ozone élevées ont réduit la croissance des racines et des parties aériennes du coton de type Pima et du souchet comestible (Grantz et Shrestha 2006). Le souchet a été moins sensible que le coton et a produit un plus grand nombre de tubercules à des concentrations élevées d’ozone. En revanche, la croissance et la compétitivité de la tomate soumise à des conditions similaires ont été peu sensibles aux concentrations d’ozone (Grantz et Shrestha 2005).

Les changements climatiques peuvent également compromettre le succès du désherbage. Il est probable que les périodes de pluie ou de sécheresse prolongées affecteront la possibilité d’effectuer certains traitements de même que leur efficacité, tant pour le désherbage chimique que mécanique. Les effets des changements climatiques sur la croissance des plantes auront implicitement un effet sur l’efficacité du désherbage. Le glyphosate appliqué à 2,24 kg m.a. ha-1 à des plants de chardon des champs âgés de 2 mois a été moins efficace à des concentrations élevées de CO2, principalement en raison de la croissance plus forte des racines (Ziska et al. 2004). On peut donc supposer que la répression des vivaces dont la reproduction végétative dépend d’organes souterrains sera plus difficile dans un environnement à concentration élevée de CO2. On soupçonne même la pollution atmosphérique en Californie d’être à l’origine de l’important développement de populations de vergerette du Canada (Conyza canadensis (L.) Cronq.) résistantes au glyphosate (Grantz et al. 2008). Des concentrations élevées d’ozone accentueraient l’efficacité du glyphosate et permettraient une élimination presque complète du biotype sensible des populations, expliquant ainsi la prédominance du biotype résistant. Cet exemple illustre bien les changements rapides qui peuvent se produire chez des populations d’adventices, lesquels ont des conséquences importantes sur les stratégies de désherbage.

Biodiversité

La simplification des paysages et la réduction de la biodiversité observées au cours des dernières décennies résultent de l’intensification de l’agriculture. En Europe, on reconnaît maintenant l’aspect multifonctionnel de l’écosystème agricole et le rôle écologique que jouent certaines adventices dans le fonctionnement de cet écosystème (Gerowitt et al. 2003). Au Royaume-Uni, on a attribué le déclin de populations d’oiseaux et de papillons, entre autres, à l’utilisation intensive d’herbicides et à la réduction de la diversité végétale (Firbank 2005). Des groupes fonctionnels d’espèces adventices ont été identifiés en tenant compte de la nuisibilité de l’espèce et de sa valeur écologique (Storkey 2006). Heureusement, les espèces les plus compétitives – celles que le producteur voudra supprimer – sembleraient avoir peu de valeur à titre de ressource (par exemple, comme source de nourriture ou d’habitat) pour les organismes des niveaux trophiques supérieurs (Marshall et al. 2003). En Finlande, on a utilisé les mauvaises herbes comme indicateurs de l’intensification agricole à l’aide d’indices d’agrobiodiversité construits à partir des relations trophiques entre les plantes et les autres organismes de l’agroécosystème tels les oiseaux, les insectes pollinisateurs, les insectes phytophages et autres insectes nuisibles (Hyvönen et Huusela-Veistola 2008). En Allemagne, on tente d’établir des politiques qui permettraient de récompenser financièrement les « services écologiques » (ecological goods) rendus par certaines pratiques agricoles, dont celles qui favorisent la biodiversité par l’entremise, entre autres, d’une plus grande richesse d’espèces adventices (Gerowitt et al. 2003). La gestion sélective des communautés de mauvaises herbes dans les cultures et les zones environnantes dans le but de favoriser certaines espèces doit cependant être conciliée avec les objectifs de production agricole (Makowski et al. 2007; Storkey et Westbury 2007). Le défi s’avère de taille. Le maintien et le développement de la biodiversité en milieu agricole ne seront réalisés qu’à la faveur d’une compréhension des relations fonctionnelles entre les plantes nuisibles et les organismes des différents niveaux trophiques, dans le contexte d’une production agricole durable.

La malherbologie : une discipline scientifique essentielle au bien-être économique, social et environnemental

Les visées de la recherche en malherbologie vont au-delà des pertes de rendement et de qualité engendrées par les plantes nuisibles dans les cultures. L’effort pancanadien consenti à l’étude des conséquences agroécologiques de la mise en culture du canola résistant aux herbicides démontre comment des efforts de recherche concertés et adéquatement soutenus permettent de cerner un problème et de dégager des solutions. Cependant, même dans ce dossier, plusieurs questions concernant l’impact des cultures transgéniques de deuxième génération demeurent toujours sans réponses. Il en va de même pour tous les enjeux décrits dans ce texte. L’absence de solutions, incluant le développement de politiques appropriées, est étroitement liée à l’absence de connaissances. D’autres secteurs ont un besoin criant d’efforts similaires : la problématique liée aux plantes envahissantes reçoit proportionnellement peu d’efforts de recherche malgré l’attention des médias et la création de groupes d’intérêt dans presque toutes les provinces canadiennes. Dans tous ces cas, il est essentiel de connaître la biologie des espèces nuisibles ou envahissantes pour en estimer l’impact potentiel. Le maintien d’activités de recherche concernant les plantes nuisibles est essentiel au développement de programmes de prévention et de stratégies de lutte efficaces. De la malherbologie dépendent le bien-être de la société et la santé des écosystèmes.