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1. Introduction

La problématique des enfants précoces à l’école a mis du temps à surgir et à être prise en compte par l’Education nationale. Depuis, ces enfants sont devenus adultes et un grand nombre d’entre eux se sont insérés ou ont essayé de s’insérer dans le marché du travail. Une majorité de ces anciens enfants précoces qui font l’objet d’appellations diverses et variées – adultes « surdoués » ou « doués », « haut quotient » ou « haut potentiel intellectuel » (HQI/HPI) – exercent aujourd’hui une activité professionnelle. Une personne dite « douée » (terminologie employée dans le présent article), dont les parcours personnel et professionnel se déroulent sans difficulté notable, développe son potentiel quel que soit son métier, est connue et reconnue. Nous ne nous intéresserons pas aux profils qui ont atteint les fonctions de direction d’entreprise, qui exercent une activité libérale ou ont créé leur propre structure, mais à tous les autres : salariés, fonctionnaires ou chômeurs… car il est encore peu connu dans le monde du travail qu’une intelligence aussi singulière n’est pas nécessairement un atout puisqu’elle peut même conduire à des difficultés de nature socioprofessionnelle.

Ces problèmes qui concernent la personne douée elle-même, mais également son entourage professionnel et privé, doivent être appréhendés. En effet, leur résolution est bien souvent laissée à la main des seuls individus alors même qu’elle exigerait une prise en charge collective, responsabilité sociale, voire sociétale, que les politiques publiques pourraient tendre à imposer aux organisations socio-productives, qu’il s’agisse des entreprises, des associations ou de l’administration et des différentes fonctions publiques.

Peu de recherches ont été menées sur les adultes doués et nous avons souhaité combiner notre expérience professionnelle d’experts en législation du travail, en ressources humaines, en dialogue social et en médecine du travail, avec les connaissances issues de l’approche clinique et de la démarche scientifique. Nous nous sommes donc appuyés sur une approche multidisciplinaire pour approfondir notre analyse et permettre une meilleure compréhension des situations visées, tout en proposant des recommandations destinées à favoriser l’intégration des personnes douées – nous situant ce faisant dans un « souhaitable réalisable » selon nos pratiques professionnelles respectives. Notre but est de promouvoir une meilleure intégration de la douance au sein des organisations socio-productives, ceci nécessitant leur sensibilisation aux caractéristiques de la personne douée et de leurs implications en matière de conditions de travail et d’emploi, le recours aux outils du dialogue social en matière de diversité et de qualité de vie au travail, et enfin, l’interprétation renouvelée des textes et obligations réglementaires en matière de prévention des risques professionnels.

2. Qu’est-ce qu’une personne douée ?

L’intelligence, puisque c’est de cela dont il est question en premier lieu, recouvre des acceptions multiples et variées. Ainsi, le Trésor de la langue française informatisé définit l’intelligence comme :

« [Dans des circonstances nouvelles pour lesquelles l’instinct, l’apprentissage passé ou l’habitude ne dispose d’aucune solution] (l’) aptitude à appréhender et organiser les données de la situation, à mettre en relation les procédés à employer avec le but à atteindre, à choisir les moyens ou à découvrir les solutions originales qui permettent l’adaptation aux exigences de l’action. »

Cette définition n’a néanmoins pas valeur scientifique, étant rappelé qu’en ce domaine aucun consensus n’a pu être dégagé.

Ainsi, le concept d’intelligence a pu faire l’objet de plusieurs modélisations. C’est le cas notamment du modèle de l’intelligence comme capacité à simplifier l’information de Kolmogorov, issu de l’informatique théorique et s’articulant autour de la notion de complexité descriptive pour évaluer l’intelligence comme la capacité à décrire ou expliquer quelque chose aussi simplement que cela peut l’être (Hernandez-Orallo, 1998). L’intelligence, selon cette théorie, serait donc la capacité à compresser l’information. C’est ce type d’intelligence qui est implicitement évaluée dans les tests de quotient intellectuel (QI), bien que ceux-ci paraissent insuffisants à eux seuls pour définir les différentes facettes que recouvre la « douance ».

2.1 La douance selon les statistiques et les tests psychométriques

Le terme « douance » a été créé en 1980 par le professeur québécois Françoys Gagné, et celui-ci l’oppose au « talent ». Ces deux termes servent à différencier deux concepts clefs dans le domaine du développement : l’aptitude ou le potentiel (la douance) d’une part, les réalisations produites dans tous les champs d’occupations des personnes (le talent) d’autre part. Le terme « douance » tend à remplacer le terme franco-français « surdouement » pour qualifier l’atypisme neurologique des personnes ayant la capacité à développer leurs aptitudes et leurs talents à un niveau très élevé. C’est parce que le terme « surdoué » est très connoté en France qu’il peut paraitre préférable parfois de parler de « douance », de « don » et de personne « douée » comme dans le présent article, par analogie au terme anglais (« gift »), plus neutre. Il s’agit en effet de déconstruire ou en tout cas d’échapper aux représentations et préjugés prévalant en l’espèce, d’autres auteurs parlant en France de « haut quotient » ou de « haut potentiel intellectuel » (HQI/HPI).

La population, selon les capacités cognitives des individus, est ventilée selon une courbe de Gauss. Parmi celle-ci, les deux ou trois centiles supérieurs sont concernés par la douance.

Tableau 1

Intelligence scale and gauss curve

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Les personnes douées se trouvent dans les 2,5 % de la population générale disposant d’un quotient intellectuel total (QIT) égal ou supérieur à 130 en référence à l’échelle de Wechsler. Contrairement à une idée répandue, ces tests servant à déterminer le QIT d’une personne ne se limitent pas à la mesure de l’intelligence logico-mathématique mais évaluent également les capacités verbales et conceptuelles de l’individu. En réalité, de tels tests permettent d’établir un score de QI propre à quatre indices : compréhension verbale, raisonnement perceptif, mémoire de travail et vitesse de traitement. C’est l’intégration de ces résultats qui permet de déterminer le QIT d’une personne. Il convient à cet égard de noter que les développements technologiques dans le domaine de l’imagerie cérébrale et de la génétique ont permis de mettre en évidence l’articulation déterminante des facteurs génétiques avec les influences environnementales (Dickens et Flynn, 2001), et l’effet multiplicateur d’une telle dynamique en matière de développement des talents tels qu’évalués par les tests de QI.

La détection de la douance nécessite donc le savoir-faire des spécialistes qui sont, au fait, les seuls habilités à pouvoir discriminer, dans un ensemble d’éléments présents, entre les indices révélateurs de la douance et les caractéristiques susceptibles de perturber une détection judicieuse. Selon la tranche d’âge, différents tests dits « psychométriques » peuvent être pratiqués (le WPPSI ou le WISC pour les enfants, et le WAIS pour les adultes) par un psychologue clinicien, un neuropsychologue ou encore un psychologue cognitiviste, dont l’objectif est de faire apparaître le « don » (traduction du terme anglais « gift ») et d’en faire une appréciation. Soulignons-le, cette appréciation est déterminante. Les scores obtenus par les sujets auxquels ces tests et sous-tests sont administrés sont ensuite interprétés par le psychologue qui pose alors son diagnostic. En ce faisant, l’expert effectue un état des lieux cognitif du sujet, met en lumière la douance chez ce dernier et procède ainsi à une appréciation du don décelé et révélé par le biais des scores obtenus.

2.2 La douance en tant qu’aptypisme neurophysiologique

Une personne ne devient pas douée : elle naît ainsi, d’où l’idée qu’il s’agit d’un « cadeau » comme l’indique le terme anglo-saxon. Ce constat est clairement établi par la recherche. La science prouve, par induction, qu’il existe des différences au niveau cérébral et notamment un meilleur flux sanguin et une meilleure communication entre les deux hémisphères du cerveau. C’est ce que démontre l’étude menée par la directrice du Centre Psyrene, Fanny Nusbaum, le professeur Olivier Revol, chef du service de psychiatrie infantile au CHU de Lyon et le docteur Dominic Sappey-Marinier, biophysicien et chef du département IRM au Centre de l’imagerie du vivant (CERMEP) à Lyon (Nusbaum, Revol et Sappey-Marinier, 2018). Cette étude, conduite auprès de 80 enfants de 8 à 12 ans et recourant à l’imagerie à résonance magnétique fonctionnelle, met en évidence deux profils de personnes douées : les Complexes et les Laminaires, pour lesquels cette meilleure connectivité est plus importante dans l’hémisphère gauche pour les premiers et dans l’hémisphère droit pour les seconds.

Cette dichotomie permettrait, notamment, d’expliquer les difficultés rencontrées par certains enfants et adultes doués en fonction de leur profil :

  • Les Laminaires, aux performances cognitives homogènes, sont qualifiés d’« explorateurs », car ils analysent les informations sans a priori, objectivement, avec une vraie faculté d’adaptation aux contraintes environnementales ;

  • Les Complexes, aux performances cognitives hétérogènes, sont pour leur part qualifiés d’« interpréteurs », car ils interprètent en permanence la réalité pour la faire coller à leur modèle interne, sans filtre émotionnel et sans inhibition.

Ainsi, l’étude du CERMEP a permis d’observer un lien significatif entre les enfants souffrant de troubles du comportement et certains enfants doués, notamment ceux au profil Complexe qui présentent fréquemment une vulnérabilité attentionnelle, des troubles psychomoteurs et/ou émotionnels, ainsi qu’une attitude relationnelle en décalage important avec certaines de leurs aptitudes cognitives. Ces derniers, de par leur atypisme neurophysiologique, font par ailleurs l’objet d’une hypersensibilité essentiellement liée à un manque de contrôle de leur attention et de leur impulsivité. Les individus doués au profil Laminaire, de leur côté, ne sont pas en reste puisqu’ils s’avèrent, toujours selon cette étude, davantage exposés à la somatisation, à l’hypocondrie, voire au « burnout » en cas de sur-sollicitation par leur environnement. Ils peuvent aussi être plus sujets aux addictions comme l’alcool ou la drogue pour suppléer le manque de sensations émotionnelles.

Il est à ce titre d’usage de considérer les individus doués comme faisant partie des personnes dites « neuroatypiques », terme créé par la communauté autistique aux États-Unis dans les années 1990 par opposition à celui de « neurotypique » (Chamak, 2010). Destiné au départ à qualifier les personnes non atteintes par l’autisme, ce second terme a progressivement permis de désigner toute personne sans différence neurologique. Aujourd’hui adopté par la communauté scientifique, le concept de « neurodiversité » vise à ce que tout atypisme neurologique ne soit plus considéré comme une maladie mentale ou une affectation des capacités cognitives, comme le laisserait supposer une approche quantitative de l’intelligence humaine. Ainsi, il apparait que si 75 % des personnes atteintes par un trouble du spectre autistique (TSA) obtenaient un quotient intellectuel inférieur à 70, celles-ci sont susceptibles – quand leur environnement le permet – de démontrer des capacités bien souvent occultées par les représentations courantes de l’autisme (Mottron et Dawson, 2011).

Partant de ce mouvement revendicatif, puissant dans les pays anglo-saxons mais à la résonnance pour le moment limitée en France, force est de constater qu’un sentiment d’identification s’est constitué autour du concept de « neurodiversité » chez les personnes douées qui ne se reconnaissent pas dans une intelligence considérée comme simplement supérieure ou même plus importante. Elles voient ainsi, dans ce concept, la reconnaissance d’une autre forme de cognition humaine et d’une intelligence appréciée de façon plus qualitative – neuroatypisme rarement pris en compte par leur environnement qui, bien souvent, vient entraver leur développement personnel et l’épanouissement de leur plein potentiel. L’enjeu consiste donc, pour les personnes douées, à reconnaitre leur situation particulière qui, toutes choses égales par ailleurs, n’a rien de pathologique bien qu’elle puisse conduire à une certaine souffrance, en prenant en compte leurs besoins spécifiques comme les difficultés auxquelles elles sont susceptibles d’être confrontées.

2.3 La douance d’un point de vue développemental et comportemental

Le quotient intellectuel (QI) étant à lui seul insuffisant pour classer les gens comme étant ou non doués, un groupe d’experts hollandais a conduit un projet de recherche en 2006 et 2007 pour déterminer ce que le terme « doué » signifie. Cette recherche a conduit à un modèle théorique qui aboutit à une définition fondée sur des caractéristiques communes partagées. Fondée sur la méthode Delphi, cette étude a permis d’aboutir à la description existentielle (et non mesurable) suivante : « Un individu doué est un penseur rapide et habile, capable de traiter des sujets complexes. Il est autonome, curieux et passionné. C’est une personne sensible et riche émotionnellement, qui vit intensément. Il apprécie d’être créatif. » (Kooijman-van Thiel, et coll., 2008).

Cette définition, qui peut faciliter le repérage de la douance ou encore venir à l’appui de son identification à l’issue de la passation d’un bilan psychométrique par exemple, se schématise de la façon suivante.

Tableau 2

Delphi-model of Giftedness©

Delphi-model of Giftedness©
Kooijman-van Thiel, et coll., 2008.

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Ainsi, les personnes douées possèdent un don particulier : une capacité à développer leurs aptitudes et leurs talents à un niveau très élevé. Elles font donc face à un défi important dans leur vie personnelle autant que professionnelle, à savoir comment utiliser au mieux ce don et développer leurs talents. Or, il apparait que certaines d’entre elles finissent par s’empêtrer dans des pièges psychologiques et par sombrer dans des écueils comportementaux qui éclipsent leur don. À cet égard, Mary Elaine Jacobsen définit trois groupes de caractéristiques comportementales dans lesquelles les personnes douées se distinguent des personnes ayant un QI moyen : 1. Observation ; 2. Pensée/association ; 3. Action/réaction (Jacobsen, 1999).

Ces caractéristiques, que Mary Elaine Jacobsen appelle plus fondamentalement : l’intensité, la complexité et le dynamisme, jouent un rôle prépondérant dans la construction identitaire de la personne douée. Celle-ci grandit souvent, comme le précise Jacobsen, avec le sentiment bien ancré d’être considérée comme « extrême » par rapport à la définition courante de ce qui est acceptable pour chacun de ces traits de personnalité. En conséquence, et selon leurs parcours de vie, leurs stratégies sociales et les compétences qu’ils ont eues ou non l’opportunité de développer, ces trois caractéristiques comportementales doivent évoluer vers un des comportements suivants :

  • Equilibré ;

  • Exagéré (forme agressive) ;

  • En sous-régime (forme passive et victimisée).

Il va s’en dire que la connaissance par la personne de sa douance et la prise de conscience de son atypisme constituent des facteurs déterminants en matière de construction identitaire et de développement d’un comportement dit « équilibré ». Or, une majorité de personnes douées ne sont pas détectées dans leur jeunesse alors même que l’expérience de la douance à l’âge adulte est plus complexe quand l’individu n’est pas en mesure de comprendre et d’accepter sa singularité – « Gnothi seauton » énonçait en son temps Platon, assignant à l’homme le devoir de prendre conscience de sa propre mesure et d’assurer ce faisant la santé de son esprit.

Ainsi, une personne douée présente communément les caractéristiques suivantes qui soit sont présentes naturellement, soit s’affirment progressivement grâce aux interactions avec l’environnement et selon sa connaissance intrapersonnelle :

  • une grande rapidité de compréhension ;

  • un captage rapide des notions et concepts ;

  • une « soif » d’apprendre de nouvelles choses ;

  • une excellente mémoire à court et à plus long terme ;

  • une créativité élevée corrélée à un besoin d’innovation ;

  • une envie et une capacité de pouvoir traiter des problèmes complexes.

Ce sont ces caractéristiques si singulières, que l’individu doué exprime tant dans la sphère personnelle que dans la sphère professionnelle, que révèle l’approche clinique qui insiste sur la dimension qualitative plus que quantitative de l’intelligence. La plupart des auteurs en France (De Kermadec, 2011, 2017 ; Bak, 2013 ; Bost, 2013, parmi d’autres ouvrages) font néanmoins et par ailleurs état des complications que la douance est susceptible de générer dans le champ des interactions sociales notamment. En effet, toutes ces caractéristiques peuvent être perçues comme étant neutres en elles-mêmes, mais dans la vie réelle elles peuvent conduire à des échecs et des obstacles. Ainsi, l’adulte doué dispose d’atouts non négligeables auxquels sont cependant et généralement corrélées certaines vulnérabilités.

Ces vulnérabilités, dont témoigne l’expérience clinique, ont été notamment établies par des études menées auprès d’adultes doués au travail (Nauta N. et Corten F., 2002). Celles-ci recouvrent notamment les aspects suivants, régulièrement observés :

  • Haute sensibilité se manifestant dans différents domaines : psychomoteur, sensoriel, intellectuel, imaginatif, émotionnel et pouvant parfois ressembler au TDAH (Trouble Déficit de l’Attention/Hyperactivité) ;

  • Sur-stimulation des sens se manifestant de façon auditive (machines, radios, lèvres qui claquent…), visuelle (sources de lumière…) ou tactile (certains tissus, étiquettes dans les vêtements, ou toucher…) ;

  • Introversion et isolement, les individus doués étant rapidement et facilement blessés et ayant, en conséquence, tendance à garder les autres à distance avec lesquels ils peinent d’ailleurs à avoir des centres d’intérêt partagés ;

  • Peur de l’échec et sous-performance si leurs capacités sont insuffisamment stimulées ; dans la mesure où ils ont un fonctionnement cognitif différent des autres, ils pensent parfois manquer d’intelligence et hésitent à apprendre et à entreprendre ;

  • Perfectionnisme qui s’accompagne souvent d’attentes trop élevées vis-à-vis des autres, mais aussi de honte, de sentiments de culpabilité et d’infériorité en n’étant pas en mesure de répondre à leurs propres attentes élevées.

Force est ainsi de constater que lorsqu’une personne aussi atypique est immergée dans un environnement inadapté ou non ouvert à sa singularité, a fortiori sans doute quand elle dispose d’un profil Complexe, celle-ci finit par s’étioler ou par s’adapter au détriment d’elle-même. L’individu doué se heurte alors à des difficultés relationnelles et à des barrières obstructives, en particulier quand il n’est pas lui-même pleinement conscient de sa différence (Nauta et Ronner, 2007). Or, que ce soit dans la sphère publique ou professionnelle, voire dans la sphère familiale parfois, la personne douée se retrouve bien souvent en situation minoritaire sinon marginale comme tendent à le prouver les statistiques. Cet état de fait tend ainsi à l’exposer davantage, tout autant dans ses atouts que dans ses vulnérabilités.

3. Quel impact la douance A-t-elle en matière professionnelle ?

Plusieurs ouvrages récents sont parus évoquant le rapport entre la personne douée, l’emploi et le travail (Bost, 2016 ; Adda, Brunel, 2015 ; De Kermadec, 2016, pour ne citer que ceux-ci). Ceux-ci s’appuient sur des démarches de nature clinique, fruit de l’expérience acquise par des professionnels de la psychologie cognitive ou par des personnes investies souvent de responsabilités associatives. De toute cette littérature transparaissent des difficultés particulières de maintien dans l’emploi, si ce n’est d’accès, des adultes doués.

3.1 Quel rapport l’adulte doué entretient-il avec le travail ?

Compte tenu des limites inhérentes à de telles approches et de l’émergence toute récente en France d’un intérêt particulier pour les adultes doués, il est nécessaire de sortir des frontières nationales afin d’avoir accès à des travaux de recherche privilégiant une approche plus scientifique du sujet. À ce titre, il est possible de s’appuyer sur les études réalisées par l’Institut néerlandais pour les adultes doués (IHBV) dont celle « Très intelligent et toujours sans travail ? », parue le 4 janvier 2017 et mettant en évidence la grande précarité professionnelle de ces derniers. Celle-ci fait notamment suite à deux études parues le 4 janvier 2013 et le 10 septembre 2014 sur les relations qu’entretiennent les personnes douées avec le travail auxquelles avaient respectivement participé 1262 et 866 individus. Cette étude n’a certes pas été menée auprès des 300 000 personnes douées que compteraient les Pays-Bas selon une appréciation statistique, car encore faudrait-il qu’elles aient été toutes diagnostiquées ou qu’elles soient même simplement identifiables, mais auprès d’un échantillon de 174 adultes doués sans travail qui se sont portés volontaires pour cette recherche.

Les personnes ayant participé à l’étude ont ainsi répondu à un questionnaire portant sur :

  • Des données personnelles ;

  • Les facteurs qui ont joué un rôle dans leur situation de demandeur d’emploi ;

  • Les facteurs qui entretiennent la situation de privation d’emploi ;

  • Leurs souhaits quant au fait de retrouver un emploi.

S’appuyant sur les recherches effectuées en 2009 et en 2014, l’IHBV estime de manière quasiment certaine qu’environ un tiers des adultes doués connaîtrait une situation de chômage ce qui, pour les Pays-Bas, représente un taux quatre fois supérieur au taux de chômage général (situé à 7 % en 2015). Ainsi, un tiers d’entre eux serait entrepreneur prospère, artiste, politicien ou scientifique, un autre tiers aurait un emploi « normal » et le dernier tiers serait quant à lui privé d’emploi – situation d’autant plus inacceptable puisqu’elle ne permet pas l’expression des talents des personnes douées. L’IHBV précise que certaines d’entre elles, bien qu’en situation d’emploi, se contenteraient de postes de qualification inférieure à leurs capacités principalement par confort : besoin de compensation ou volonté d’explorer d’autres pistes d’épanouissement personnel que celle du monde du travail. D’autres adultes doués, sans emploi malgré leur intelligence, feraient état de difficultés d’adaptation et d’intégration en raison, principalement, de traits de personnalité souvent plus accentués chez eux :

  • Problème de communication ;

  • Manque de concentration ;

  • Perfectionnisme ;

  • Procrastination ;

  • Indécision ;

  • Agitation ;

  • Ennui ;

  • Etc.

Cette étude, qui s’appuie à la fois sur des données quantitatives et sur des données qualitatives, met également en évidence les difficultés que peuvent connaître les personnes douées lors des procédures de recrutement : introversion, humilité excessive, anxiété… ces dernières ne permettant pas d’apprécier de surcroît leur grande polyvalence, leur créativité et l’étendue de leurs capacités qui n’est pas toujours corrélée à une expérience ou une qualification particulière. Les personnes douées se heurtent ainsi aux représentations et préjugés courants portant sur les compétences et aptitudes attendues des recruteurs. D’autres personnes douées, interrogées au cours de l’étude de l’IHBV, mettent encore en lumière le manque de perspective professionnelle et d’occasions de se réaliser : aucune possibilité de faire carrière, ou plus simplement d’exprimer son potentiel au sein des organisations du travail. Inadaptées et souvent peu flexibles, celles-ci ne facilitent par l’intégration et la fidélisation des employés doués. Un véritable paradoxe, selon cet institut, quand ces derniers se révèlent souvent plus intelligents que leurs propres managers, mais sans pour cela obtenir la reconnaissance de leur compétence ou de leur potentiel.

Bien que l’étude n’y fasse pas mention, une corrélation peut être établie entre la précarité professionnelle que subiraient certaines personnes douées, compte tenu de leurs particularités, et leur surexposition aux facteurs psychosociaux ainsi qu’aux situations de surmenage et de « burnout » (l’épuisement au travail), corrélation mise en exergue par des études et articles publiés par l’IHBV (Nauta et coll., 2012 ; Van der Waal et coll., 2013 ; Vos et coll., 2016 ; Elshof A., 2016). L’étude de l’IHBV sur la situation d’emploi des adultes doués invite, en conclusion, le gouvernement des Pays-Bas à fournir plus d’informations sur les travailleurs doués afin de favoriser leur reconnaissance dans et par les organisations du travail, pour que les forces et les faiblesses de cette catégorie si particulière d’employés soient connues et reconnues. C’est d’ailleurs dans cette optique qu’a été publié « Gifted Workers : hitting the target » aux Pays-Bas en 2007, compilation d’études de cas cliniques menées par Noks Nauta, chercheur, médecin et psychologue du travail, et Sieuwke Ronner, psychologue du travail et des organisations.

3.2 Quelles difficultés l’adulte doué rencontre-t-il au travail ?

Un individu doué peut être un collaborateur original, créatif, énergique et constructif, si toutefois il parvient à s’intégrer et donc à trouver un certain équilibre. Cependant, s’il tombe sur un écueil, ceci peut le conduire à un comportement inadapté, les signes révélateurs pouvant être la sous-performance, la dépression, l’hypersensibilité et des problèmes de communication, au travail comme dans les relations sociales en général. En effet, les personnes douées non détectées ne fonctionnent pas toujours de façon optimale, d’où l’importance d’effectuer leur repérage à tous les niveaux. Elles ignorent souvent tout des caractéristiques distinctives tout autant que de leur intelligence, et gèrent avec difficulté les relations interpersonnelles avec les personnes non douées. En conséquence, les adultes doués interprètent les connaissances limitées des autres comme un manque de bonne volonté, ou au contraire entretiennent une certaine dévalorisation de leur personne (Nauta et Corten, 2002). Ainsi, les individus doués sont victimes d’un « dyssynchronisme » lié à leur douance.

Ce concept propre à ces derniers se rapporte à leur développement hétérogène décrit par Jean-Charles Terrassier dans un ouvrage intitulé « Les enfants surdoués ou la précocité embarrassante » (Terrassier, 1999). Ce syndrome se décompose en une « dyssynchronie interne » opposant les capacités cognitives à l’affectivité et à la psychomotricité, ainsi qu’en une « dyssynchronie sociale » se poursuivant à l’âge adulte et conduisant la personne douée à des difficultés spécifiques sur le plan de sa relation avec son environnement. Ce dyssynchronisme a la particularité de provoquer chez ces personnes une certaine exaspération, les poussant souvent à se lancer dans une « fuite en avant » ou encore à s’isoler. Parfois, ils font trop d’efforts d’adaptation par souci de conformisme qui génère alors beaucoup d’insatisfaction. Par ailleurs, les activités et les interactions du poste de travail ou le positionnement du poste dans l’organisation (en dehors de toute référence hiérarchique) ne leur permettent généralement pas d’occuper la fonction qui leur convient vraiment.

Le tableau ci-dessous dévoile les malentendus qui peuvent exister entre les collaborateurs doués et leur environnement qui interprète de façons diverses leurs comportements.

Tableau 3

What the working environment notices/What the employee states

What the working environment notices/What the employee states
Adapté de Nauta et Corten, 2002.

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Ce tableau montre que quand la douance n’est pas identifiée et reconnue pour ce qu’elle est, par la personne douée elle-même comme par son entourage, les difficultés de fonctionnement des individus doués deviennent plus dominantes. Tout en rappelant qu’il n’existe pas « d’archétype » de l’adulte doué bien que celui-ci dispose de traits distinctifs, il est possible de distinguer plusieurs types de comportements issus des rapports sociaux qu’il a pu entretenir et de l’identité qu’il s’est en conséquence forgée (Nauta N. et Corten F., 2002). Ces stratégies sociales, destinées à trouver le meilleur équilibre entre la perception d’eux-mêmes et de leur environnement, s’inscrivent dans la continuité des travaux réalisés par Mary Elaine Jacobsen en 1999. Ainsi, cinq caractéristiques comportementales sont observables et font état de la psychodynamique particulière dans laquelle s’inscrit l’adulte doué au travail, ce dernier lui permettant (ou non) d’« exprimer son intelligence et de transformer le monde mais également de se transformer lui-même » (Dejours, 1980) :

  1. Accepté : il a noué de façon précoce des liens avec d’autres personnes de son niveau, ce qui lui a permis d’être stimulé intellectuellement parlant. Il ne rencontre pas de réels problèmes d’adaptation et a connu un développement personnel normal. Il travaille, par exemple, comme expert ou entrepreneur ;

  2. Social : il a découvert, par expérience, qu’il ne peut rien accomplir avec sa seule intelligence. Il a donc renforcé ses compétences sociales à un niveau élevé et est en mesure de faire face aux problèmes d’adaptation qu’il est susceptible de rencontrer. Il occupe bien souvent un emploi pluridisciplinaire par nature ;

  3. Agressif : il a une carrière en « dents de scie » et passe de conflit en conflit et parfois même de licenciement en licenciement. Il essaie de survivre professionnellement en mettant l’accent sur la qualité du travail qu’il est capable de fournir. Il peut progresser vers un comportement « social » ou peut tomber dans « l’isolement » ;

  4. Discret : il reste discret, ce qui limite son développement personnel. Ignorant souvent sa douance, il ne se considère pas comme quelqu’un de bien intelligent. Il occupe souvent un poste simple. Ce n’est qu’en prenant conscience de ses talents qu’il pourra évoluer vers un autre comportement ;

  5. Isolé : il fonctionne presque exclusivement dans un état d’isolement. Dans cette situation, il court le risque de se marginaliser et de perdre le contact avec la société.

Les personnes douées même détectées ne sont que rarement fières de leur intelligence qui est au départ une donnée innée, et elles témoignent au demeurant d’une tendance généralisée à privilégier la discrétion et l’anonymat. Toutes choses étant égales par ailleurs, la révélation de leur « don » constitue un véritable « coming out » dont elles craignent les conséquences. Cette précaution est d’autant plus compréhensible que ces personnes peuvent facilement devenir la proie des managers malveillants ou de personnalités psychotiques de type « pervers narcissique », et subir du harcèlement après y avoir été exposées plus que la moyenne des élèves au cours de leur scolarité. Ainsi et selon la personnalité qu’ils ont eu l’opportunité de développer, les adultes doués semblent subir des difficultés régulières d’accès et de maintien dans l’emploi, en toute hypothèse liées à leurs caractéristiques particulières et aux rapports qu’ils entretiennent avec le monde professionnel.

Or, l’absence de prise en compte de la douance, tant par les intéressés que par leur entourage professionnel, constitue en toute hypothèse un frein à l’épanouissement de leur potentiel. Pourtant, les employés doués aimeraient bien utiliser leur intelligence « à leur façon » pour pouvoir apporter leur contribution à l’entreprise au sein de laquelle ils évoluent. Mais ils notent souvent que la possibilité ne leur est pas fréquemment offerte de s’intéresser à d’autres sujets ou domaines que ceux sur lesquels ils travaillent.

4. Quels sont les enjeux Économiques et sociaux de la douance ?

Le Comité économique et social européen (CESE) a rendu en 2013 un avis portant notamment sur les enjeux sociaux relatifs à l’emploi des personnes douées (2013/C 76/01), intitulé : « Libérer le potentiel des enfants et des jeunes à hautes capacités intellectuelles au sein de l’Union européenne ». Cet avis porte sur les élèves et personnes à hautes capacités intellectuelles : concept proche de celui de « douance », qui ne se limite pas à la référence que constitue le quotient intellectuel pour englober toutes les facettes de l’intelligence humaine.

Selon le CESE, il appartient aux États membres de l’Union européenne de favoriser l’épanouissement du « don », y compris quand celui-ci n’est pas « apparent » ou ne correspond pas aux représentations courantes que la société peut avoir de celui-ci. Cet enjeu, aux dimensions tant économiques que sociales, implique la prise en charge et l’accompagnement des personnes douées après avoir, bien entendu, procédé à leur identification en vue de favoriser le développement de leurs talents.

4.1 Valoriser la douance pour favoriser la croissance économique

Bien que le CESE reconnaisse que dans le contexte des activités scolaires et académiques les hautes capacités des personnes douées se traduisent généralement par de bons résultats, il observe toutefois une propension à des difficultés scolaires chez certains élèves à hautes capacités. Ainsi, la douance ne doit pas être considérée comme une donnée statique mais comme un potentiel qui, pour être exploité, doit être détecté, reconnu et valorisé, faute de quoi celui-ci peut être « perdu » pour la société.

Dans cette perspective, le CESE affirme que : « La formation de tous les citoyens se mue en ressource essentielle pour assurer l’avenir de l’Union européenne » et que cette promotion implique, entre autres, de repérer au plus tôt et dès que possible les personnes à hautes capacités afin d’améliorer les efforts éducatifs qui leur sont destinés qu’il s’agisse, comme vu précédemment, de formation initiale ou de formation continue, dite « tout au long de la vie ». En effet, la douance n’est qu’un potentiel qu’il convient en grande partie de développer.

Cet avis formule donc dix recommandations essentiellement axées sur l’éducation, dont certaines se rapportent aux politiques d’inclusion sociale et d’insertion dans l’emploi :

« […] conforter l’emploi et l’aptitude à l’emploi au sein de l’Union européenne et, dans un contexte de crise économique, de valoriser davantage les connaissances spécialisées et d’éviter l’exode des personnes à hautes capacités vers d’autres régions du monde. »

« […] soutenir l’éducation et l’apprentissage tout au long de la vie, en tenant compte du fait que le potentiel intellectuel d’une personne n’est pas statique et qu’il connaît des évolutions spécifiques à chaque étape de son existence. »

« […] repérer, sur les lieux mêmes où ils exercent leur activité, les travailleurs, en particulier jeunes, qui possèdent les capacités et le désir de développer leurs facultés intellectuelles et de contribuer à l’innovation et qu’il convient de leur octroyer la possibilité de poursuivre leur formation dans un environnement qui s’accorde avec leurs ambitions et leurs centres d’intérêt. »

Ce faisant, le CESE établit un lien direct entre ces recommandations et la mise en œuvre du programme Europe 2020 – « Stratégie pour une croissance intelligente, durable et inclusive », que la Commission européenne a approuvé en 2010 et qui reprend, parmi ses trois priorités fondamentales, la quête d’une « croissance intelligente pour le développement d’une économie fondée sur la connaissance et l’innovation » – ambition à laquelle les personnes douées devraient pouvoir participer, si tant est qu’on leur en donne l’opportunité. Considérant l’avis du CESE, les atouts professionnels des personnes douées et les possibilités restreintes qu’elles ont à pouvoir développer leurs talents au sein des organisations socio-productives, il est difficile de ne pas faire référence au phénomène émergent de l’« intrapreneuriat ». Ce concept, introduit en 1985 par Gifford Pinchot, permet de démontrer dans quelle mesure les entreprises peuvent pérenniser leur croissance en promouvant et en favorisant l’innovation auprès de leurs employés (Pinchot, 1985).

Ce concept a depuis été repris par la littérature économique qui définit l’« intrapreneuriat » comme une

« capacité collective et organisationnelle pour encourager et accompagner la prise d’initiatives, à tous niveaux dans une entreprise. » (Picq, 2005).

Contribuant à renouveler les modes de fonctionnement et la culture de l’organisation, elle renforce sa vitalité et favorise enfin son adaptabilité. Or, il apparait selon une enquête de l’IHBV conduite auprès de 129 adhérents de l’association Mensa en Hollande et portant sur la meilleure façon d’utiliser les talents des employés doués (Nauta et coll., 2012), que ces derniers sont souvent d’excellents entrepreneurs : ils bénéficient d’une vision globale et d’une bonne vue d’ensemble des processus et des tâches en interconnexion, qui souvent transcendent les logiques organisationnelles. Ils aiment travailler intensément, surtout en démarrage de projet et sur des postes stratégiques où leur pensée complexe et leur créativité seront utilisées au maximum, plutôt qu’en équipe ou sur des postes de direction.

Au regard de ces éléments, nul besoin d’aller plus avant pour démontrer l’utilité, voire la nécessité pour toute organisation socio-productive de favoriser l’intégration, soit l’emploi et le maintien dans l’emploi, des individus doués en leur sein. Comme le précise le CESE, cette question revêt une importance toute particulière pour l’Europe en matière de croissance et de développement économique. Encore faut-il cependant que la douance soit repérée et détectée, et ce, avant qu’on ne puisse espérer la valoriser et utilement l’employer.

4.2 Identifier la douance pour lutter contre les déterminismes sociaux

Le Comité économique et social européen (CESE) insiste sur l’enjeu que représentent l’identification, la reconnaissance et la valorisation desdites « hautes capacités » que recouvre la douance. Car si les personnes présentant un tel profil sont présentes dans toutes les catégories et couches de la société, sans distinction de sexe ou de condition sociale, il est à souligner cependant que, dans la pratique, les processus de détection sont habituellement affectés par deux phénomènes qu’il convient de prendre en compte selon le CESE :

  • Les personnes à hautes capacités sont plus fréquemment détectées dans les strates sociales moyennes et élevées car les familles qui s’y rattachent, davantage informées sur la question, sont mieux préparées pour exercer une influence plus stimulante sur l’environnement quotidien de ces personnes. À l’inverse, le repérage des personnes à hautes capacités dans les milieux sociaux défavorisés parait plus complexe ;

  • Bien que les personnes à hautes capacités témoignent d’une tendance généralisée à privilégier la discrétion et l’anonymat, il est à noter que ces capacités sont plus fréquemment détectées chez les hommes que chez les femmes, en raison de facteurs culturels et psycho-évolutifs, qui montrent que les filles et les femmes pouvant être concernées sont plus enclines à rester anonymes.

Le CESE s’appuie ainsi sur les travaux menés par Joan Freeman qui illustrent les effets souvent graves des influences sociales sur les opportunités de développement d’un potentiel de haut niveau et sa promotion tout au long de la vie (Freeman, 2005). Selon ce dernier, le contexte social dans lequel évolue l’individu doué pèse également dans l’identification même de sa douance, le terme « doué » étant un adjectif, une description, dont la reconnaissance dépend des comparaisons et appréciations portées par l’environnement. En ce qui concerne les inégalités basées sur le sexe ou le genre, CESE se rapporte au programme d’enrichissement pédagogique pour les élèves à hautes capacités de la communauté de Madrid en Espagne qui a enregistré entre 1999 et 2012 une participation, variant à peine, de 70 % d’étudiants et de 30 % d’étudiantes, et cite sur le même thème le rapport sur le séminaire « Situation actuelle des femmes douées dans la société » (Pérez et coll., 2002). Ce dernier met en évidence les difficultés particulières rencontrées par ces dernières, dépendant notamment de la considération sociale accordée aux femmes et des négligences dont elles ont pu faire l’objet en matière éducative, y compris parmi les peuples dits « civilisés ».

Compte tenu du fait que la valorisation du « don » passe nécessairement par sa connaissance, son acceptation et sa reconnaissance sociale, le CESE aiguillonne les pouvoirs publics dans la même direction que celle indiquée quelques années auparavant par l’Institut néerlandais à propos des adultes doués et de leur situation d’emploi : mieux informer toutes les parties prenantes et mieux accompagner les adultes doués dans l’expression de leur potentiel, afin de favoriser leur insertion sur le marché du travail et leur intégration professionnelle. Or, à ce jour, une telle ambition n’est pas expressément affichée par l’Union européenne alors même qu’elle s’inscrirait naturellement dans le cadre du programme Europe 2020. Par voie de conséquence, les États membres ne sont guère incités à engager des politiques publiques volontaristes sur ce sujet alors même qu’elles participeraient à la lutte contre l’exclusion sociale, à l’insertion des jeunes et à la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes – une problématique exigeant, par ailleurs, une réflexion quant aux conditions de travail et d’emploi des adultes doués.

5. Quel accompagnement mettre en place pour un employé doué ?

L’employé doué, en particulier quand il n’est pas conscient de sa douance et de ses implications, peut rencontrer un certain nombre de difficultés dans le cadre professionnel. Ces difficultés peuvent porter tant sur les relations interpersonnelles que sur le contenu même du travail quand celui-ci ne lui permet pas d’exprimer son plein potentiel. Ces sujets, qu’il peut être délicat pour l’individu doué d’évoquer tant auprès de ses collègues que de sa hiérarchie, sont plus vraisemblablement discutés avec le médecin du travail en premier lieu et au regard des missions qui sont les siennes. En effet, si le suivi médical des travailleurs permet de constater l’aptitude médicale du salarié au poste de travail en fonction des pathologies dont il peut notamment faire l’objet, ce qui en l’occurrence n’est pas notre propos, celui-ci représente également un espace d’échange sur les conditions d’emploi et de travail des salariés dans l’entreprise. Cette dimension a du reste été renforcée ces dernières années par la montée et/ou la prise en compte plus importante des risques psychosociaux au travail.

Le médecin du travail est donc susceptible de jouer un rôle majeur d’accompagnement et d’orientation de l’employé doué, la consultation médicale représentant un espace privilégié de discussion permettant un « coming out » limité autant que sécurisé grâce aux garanties attachées au secret médical. Des actions de sensibilisation des services de santé au travail pourraient ainsi être conduites par les institutions publiques dont les Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE) dans le cadre, par exemple, des Plans régionaux de santé au travail (PRST). De telles actions permettraient d’informer les services de santé au travail sur les caractéristiques de la douance et les difficultés qu’elles peuvent générer en entreprise. Elles viseraient, dans l’hypothèse où ils seraient concernés par la problématique, à leur suggérer notamment une méthodologie de prise en charge des employés doués.

5.1 Accompagner et orienter l’employé qui ignore sa douance

Dans l’hypothèse où le suivi médical permettrait au service de santé au travail d’identifier une possible douance chez un salarié, le médecin pourrait lui-même mener un travail avec l’employé en question. Cette démarche, prenant modèle sur les études de cas cliniques menées aux Pays-Bas par Noks Nauta et Sieuwke Ronner et retranscrites dans l’ouvrage « Gifted Workers : hitting the target » en 2007, peut en effet s’articuler selon la façon suivante :

  1. Informer le salarié des caractéristiques de la douance, des forces et des faiblesses associées, tant au niveau professionnel que privé ;

  2. Identifier ses « barrières obstructives » qui l’empêchent d’avancer : sentiment de culpabilisation, d’impuissance, vision de l’entourage selon son prisme… ;

  3. Lui transmettre une liste de sites internet, de vidéos, de publications, et quelques titres de livres pour qu’il creuse le sujet par lui-même ;

  4. L’informer de la possibilité de passer un test de QI en l’orientant vers un psychologue clinicien, un neuropsychologue, un psychologue cognitiviste ou encore vers une association de personnes douées ;

  5. Lui suggérer un accompagnement personnel dans un espace dédié (avec l’appui d’un coach, d’un consultant en orientation professionnelle, d’un psychologue ou encore d’un psychiatre, certains ne faisant confiance qu’à un médecin) avec quatre objectifs à poursuivre :

  • Accepter de travailler sur soi ;

  • Comprendre et intégrer ses caractéristiques par rapport à son propre vécu ;

  • Accepter un soutien psychologique ou un coaching thématique ;

  • Définir un projet professionnel réaliste.

Si le salarié revoit le médecin du travail sans s’être inscrit au préalable dans cette démarche, celui-ci ne pourra que lui apporter de l’écoute et lui suggérer de nouveau les quatre étapes ci-dessus. Lorsque le salarié aura reçu la confirmation de sa « douance », le médecin du travail pourra avancer de la façon suivante :

  1. Mesurer avec lui le chemin parcouru, cette « révélation » ou confirmation entrainant des transformations de la personnalité qui se restructure ;

  2. Expliquer au médecin traitant les caractéristiques de la douance, les forces et faiblesses associées et les « barrières obstructives » identifiées ;

  3. Si la personne le demande, échanger avec elle et son thérapeute ou son appui dans le respect de la confidentialité par rapport à l’entreprise.

Le monde du travail évoque de plus en plus les notions de bienveillance, de diversité, d’unicité et de richesse de l’individu mais, dans la pratique, ces notions ne se traduisent nullement en actes significatifs. La douance est une problématique pour le moment peu comprise puisque peu répandue et donc, à l’instar du proverbe « pour vivre heureux, vivons cachés », on est tenté de conseiller aujourd’hui à ces personnes atypiques que sont les personnes douées de vivre dans un certain anonymat, sauf si elles travaillent dans une entreprise où leurs différences sont acceptées sinon valorisées.

Gardons par ailleurs à l’esprit que le terme « surdoué » est très connoté en France d’où le choix qui peut être fait, comme le font certains spécialistes, de parler de « douance », de « don » et de personne « douée », par analogie au terme anglais « gift » qui est plus neutre. En effet, le terme « surdoué » sous-entend qu’il existerait des personnes « sous-douées ». Ceci peut provoquer de la jalousie chez les collègues, les managers, le personnel des RH et donner lieu à une situation professionnelle déstabilisante pour l’individu doué d’autant plus que celui-ci, de sa douance, n’en fait guère une supériorité comme nous l’avons déjà expliqué.

Il ne suffit donc pas d’accompagner et d’orienter l’employé doué vers une meilleure connaissance de lui-même, même s’il faut reconnaitre qu’il s’agit de la première réponse à lui apporter. Encore faut-il, en effet, que l’organisation dans laquelle l’employé doué exerce son activité professionnelle soit également sensibilisée aux problématiques et aux enjeux de la douance, afin qu’elle soit à même de les intégrer efficacement. Ainsi, le médecin du travail est susceptible de jouer, là encore, un rôle prépondérant en matière de conseil et d’appui, auprès de l’employeur cette fois-ci et dans une perspective plus collective et organisationnelle.

5.2 Sensibiliser l’organisation aux besoins spécifiques de l’employé doué

Il est nécessaire de rappeler à titre liminaire que la Loi n° 2011-867 du 20 juillet 2011 a permis de flexibiliser le suivi médical des travailleurs en matière de veille sanitaire, ce afin de cibler les efforts sur les employés qui en ont le plus besoin. Cette flexibilité devant alléger la contrainte, il est aujourd’hui attendu du médecin du travail et plus généralement du service de santé au travail d’intervenir davantage en milieu de travail afin d’exercer au mieux leurs fonctions d’appui et de conseil. Cette même loi a contribué à ce que les services de santé au travail soient aujourd’hui constitués d’équipes pluridisciplinaires en capacité de proposer des solutions adaptées aux réalités de l’entreprise et à la variété des situations rencontrées.

Ainsi, et à la suite des conseils prodigués et de l’accompagnement fourni au collaborateur doué, le médecin du travail pourrait se donner la responsabilité de sensibiliser les Ressources humaines à la question si toutefois l’échange à ce sujet est possible, c’est-à-dire que le salarié consente à dévoiler sa douance auprès de ces derniers, décision qui requiert certaines conditions et précautions comme exposé ci-avant. À cet effet, nous apportons quelques idées pour traiter collectivement la situation individuelle d’un individu doué, inspirées des études de cas cliniques menées aux Pays-Bas par Noks Nauta et Sieuwke Ronner et retranscrites dans l’ouvrage « Gifted Workers : hitting the target » en 2007 :

  1. Établir un état des lieux de la situation de la personne douée par rapport au contenu et à l’organisation du travail ainsi qu’aux relations socioprofessionnelles ;

  2. Demander conseil auprès du Service des ressources humaines ou du manager pour envisager, le cas échéant, une orientation professionnelle (adaptation ou changement de poste) vers les aspects expertise, conseil et management de projet ;

  3. Se mettre d’accord sur un projet professionnel pragmatique et réaliste, et statuer sur les différents paramètres s’y rapportant durant une réunion qui rassemble le Service des ressources humaines, le manager et le médecin du travail ;

  4. Recevoir le salarié, éventuellement accompagné d’un représentant du personnel, pour lui proposer ledit projet destiné à favoriser son bon développement professionnel.

Ce travail, qui peut de prime abord paraitre exigeant et éloigné des préoccupations premières de toute organisation socio-productive, peut valablement être réalisé au sein de structures bénéficiant d’un Service de ressources humaines suffisamment important. L’intérêt du management et des DRH est alors d’adapter le poste aux spécificités de l’employé doué pour éviter, le cas échéant, que sa situation reste inchangée ou ne s’aggrave, conduisant ainsi l’employé à la rupture de son contrat (inaptitude, démission, insubordination…). Pour ce faire, il est possible de s’appuyer sur quelques caractéristiques de l’organisation ou du poste de travail auxquelles les personnes douées sont tout particulièrement sensibles.

Tableau 4

Characteristics of the organization and/or the workplace

Characteristics of the organization and/or the workplace
Adapté de Van Geffen, 2000 ; Corten F et coll., 2006.

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Il convient de retenir que l’évolution professionnelle la plus épanouissante pour un adulte doué en entreprise ou dans la fonction publique peut se décliner ainsi : occuper un poste avec des responsabilités, avoir une large autonomie, pouvoir se former de façon continue et effectuer régulièrement des changements de postes. Lorsque la douance chez l’adulte sera plus connue et mieux acceptée au sein des organisations socio-productives, l’objectif ultime pourra être celui de définir une politique RH spécialement destinée à ces adultes atypiques afin de les détecter, de les accompagner de façon spécifique pour renforcer leurs atouts et mettre en adéquation leur potentiel avec les besoins de l’organisation.

D’autres solutions sont envisageables à défaut de pouvoir créer en interne les conditions nécessaires à l’épanouissement du potentiel des employés doués, et ce, malgré tout la volonté pouvant être celle des diverses parties prenantes. En effet, le détachement ou la mise en disponibilité pour la fonction publique tout autant que la « mobilité volontaire sécurisée » pour le secteur privé – dispositifs permettant à l’agent public ou au salarié d’exercer une activité au sein d’une autre structure sans pour autant perdre son statut ou son emploi – peuvent être des pistes envisageables pour développer leurs compétences, leur permettre de découvrir de nouveaux environnements professionnels et éventuellement de se réorienter.

Enfin, il peut être également judicieux pour l’organisation de favoriser l’« essaimage » qui consiste à accompagner et faciliter l’accès à la création ou la reprise d’entreprise par ses salariés, en leur apportant un appui destiné à renforcer leurs chances de succès. Celui-ci peut consister en l’octroi d’une dispense d’activité rémunérée permettant au salarié de préparer son projet d’entreprise, l’aide à la réalisation de l’étude de marché et du business plan, ou encore l’attribution de prêts sans intérêts ou d’un financement, etc. Un tel dispositif peut donc répondre aux aspirations d’un employé doué tout comme aux intérêts de l’organisation, qui peut être intéressée à soutenir celui-ci dans ses projets et en tirer un bénéfice en retour.

6. Quel cadre propice à l’épanouissement de la douance établir ?

De la même façon qu’il est aujourd’hui parfaitement établi que l’égalité femme/homme, pour ne citer que celle-ci, est un facteur d’efficacité économique, la valorisation de la diversité et la prise en compte des besoins spécifiques des personnes douées se révèlent déterminantes : elles favoriseraient l’intégration de toutes les composantes humaines de l’organisation et inciteraient à la remise en question de cette dernière dans son fonctionnement global et habituel… une introspection nécessaire à l’organisation quand on sait que son mode de fonctionnement peut être source de bien des maux. La valorisation de la douance faciliterait dans le même temps le renouvellement des élites, quand celles-ci accusent un certain conformisme et sont bien souvent le produit d’une indéniable reproduction sociale.

Au regard de cet enjeu, des caractéristique particulières des adultes doués et des difficultés qu’ils rencontrent sur le plan professionnel, un certain nombre de recommandations s’imposent. Surexposés aux risques psychosociaux, ils sont – toutes choses étant égales par ailleurs – les plus sensibles à la qualité des conditions de travail et d’emploi. Ce qui peut parfois être considéré comme une plus-value pour une majorité du personnel se révèle être ainsi une condition sine qua non du bien-être social et mental des employés doués. De ce fait, la problématique de la douance vient à l’appui des politiques publiques en ce qi concerne l’amélioration de la qualité de vie au travail et la prévention des risques psychosociaux – exigence qui nécessite une mobilisation de tous les acteurs et une approche concertée autant qu’intégrée.

6.1 Améliorer la qualité de vie au travail et promouvoir la neurodiversité

Nous ne manquons pas de rappeler, en premier lieu, les termes de l’Accord national interprofessionnel (ANI) du 19 juin 2013 portant sur l’amélioration de la qualité de vie au travail (QVT). Cet accord précise, en son préambule, que

« La performance d’une entreprise repose à la fois sur des relations collectives constructives et sur une réelle attention portée aux salariés en tant que personnes ».

Ainsi, cet accord ajoute en son Titre II – article 1, que la promotion de la qualité de vie au travail suppose notamment :

  • d’encourager toutes les initiatives qui contribuent au bien-être au travail et au développement des compétences et à l’évolution professionnelle ;

  • que le travail participe de l’épanouissement physique, psychique et intellectuel des individus, et que chacun trouve sa place au travail ;

  • de promouvoir un dialogue social de qualité, qui permet d’établir de bonnes relations sociales et de travail ;

  • de contribuer à la mise à l’écart de tout impact pathogène des modes d’aménagement (et d’organisation) du travail.

Cet accord et la Loi n° 2015-994 du 17 août 2015 ont amené les entreprises à conclure des accords en matière de QVT. Celle-ci, en tant que principe juridique et managérial, traite de nombreux sujets complexes à appréhender et sur lesquels pèsent de lourds enjeux de négociation. Dans ces accords figurent bien souvent les relations au travail et le développement professionnel, mais également la prévention des risques psychosociaux et la mise en place d’une organisation du travail adaptée qui, au regard des besoins spécifiques des personnes douées, constituent le préalable nécessaire à l’épanouissement de la douance dans les organisations socio-productives. L’enjeu pour l’entreprise n’est plus à démontrer, une telle démarche contribuant au développement de l’attractivité de l’entreprise, à l’amélioration de la créativité, de l’engagement, de la motivation professionnelle et de la fidélisation des salariés (Fabrique de l’industrie, Terra Nova et réseau ANACT-ARACT, 2016).

Cet objet de négociation intègre ou s’ajoute désormais à celui, plus ancien, fixé par l’Accord national interprofessionnel (ANI) sur la diversité du 12 octobre 2006. Cet accord qui promeut le « diversity management » – concept né du mouvement des droits civiques aux États-Unis – consiste à valoriser, par la voie du dialogue social et sur la base d’intérêts convergents, la représentation de différents groupes d’individus selon leurs caractéristiques sociodémographiques et de tirer de ces différences valeur ajoutée et performance économique. Les avantages attendus d’une politique de promotion de la diversité sont de trois types : humains, commerciaux et financiers (Garner-Moyer H., 2012). La diffusion de ce concept s’est notamment appuyée sur des rapports visant à promouvoir la diversité dans les entreprises complémentairement à la lutte contre les discriminations (Bébéar, 2004 ; Blivet, 2004 ; Méhaignerie et Sabeg, 2004 ; Versini, 2004).

À ce sujet, force est de constater que la différence cognitive n’est pas appréhendée à l’heure actuelle par les organisations socio-productives pas plus que par les institutions elles-mêmes, si ce n’est sous l’angle du handicap et de l’altération des facultés mentales comme le démontre de façon significative la conception et la mise en œuvre actuelle du 4e Plan autisme en France. Or, pour en revenir aux atypismes neurophysiologiques et au concept de « neurodiversité » tels que présentés dans cet article, cette approche n’est plus en phase avec l’état des connaissances actuelles et les dernières évolutions sociétales. Aussi, et dans l’attente d’une prise de conscience du législateur en la matière, les partenaires sociaux ont tout intérêt à promouvoir, par la négociation et les outils du dialogue social, l’ouverture, l’acceptation et la prise en considération de la douance au sein des organisations du travail.

Plus que les autres salariés, les employés doués :

  • ont besoin de reconnaissance ;

  • ont besoin d’une large autonomie ;

  • veulent pouvoir être en phase avec leurs valeurs ;

  • sont tenus à comprendre le sens des décisions et des objectifs.

L’enquête de l’IHBV réalisée avec l’association Mensa en Hollande (Nauta et coll., 2012) permet d’esquisser ce qui serait, probablement, le profil-type du « bon manager » – soit celui dont le comportement à l’égard de ses subordonnés doués répondrait aux besoins de ces derniers et permettrait le développement de leur potentiel :

  • Il fait preuve d’empathie, d’habiletés relationnelles et d’une certaine éthique : accessible, ouvert et honnête, il manifeste de l’intérêt pour ses employés ;

  • Il accueille et reconnaît le caractère unique de son employé doué, fait preuve de flexibilité et ne s’inscrit pas dans des pratiques de contrôle ;

  • Il crée un climat social dans lequel les employés doués s’épanouissent : il facilite, motive, délègue, partage le succès et met en confiance ses employés ;

  • Il offre un environnement structuré et des objectifs précis, qui respectent à la fois le besoin d’autonomie de l’employé doué et les intérêts de l’organisation ;

  • Il dispose enfin d’une bonne expertise qui lui permet de faire des retours précis et constructifs auprès de ses employés doués, sans se sentir menacé par ces derniers.

Il appartient donc aux chefs d’entreprises et décideurs, responsables syndicaux et représentants du personnel, de décliner ces engagements au sein même des organisations socio-productives et d’établir un cadre de travail propice à l’épanouissement de la main-d’œuvre douée. Cela doit se traduire par une politique RH adaptée, permettant l’épanouissement des employés doués et le développement de leurs compétences dans toute leur diversité, mais également par la détermination d’assurer leur bien-être et leur sécurité.

6.2 Appréhender et traiter convenablement les risques psychosociaux

Compte tenu de leurs besoins et de leurs aspirations plus spécifiques et plus intenses, les personnes douées sont tout particulièrement exposées aux risques psychosociaux – typologie de risques (stress professionnel, violences, harcèlement, etc.) à l’interface entre l’individu (le « psycho ») et sa situation de travail, dont la prise en charge constitue un des enjeux nationaux de la santé au travail tels que définis par le Plan santé au travail (PST) du ministère du Travail. Ce plan, dont la 3e mouture court de 2016 à 2020, s’appuie sur plusieurs axes dont le développement d’une culture de prévention donnant priorité à la prévention primaire, en matière de prévention des risques dits « organisationnels », mais également d’amélioration de la qualité de vie au travail. Ce second axe, transversal, permet d’aborder la question du maintien dans l’emploi et de la prévention de la désinsertion professionnelle dans la perspective d’une conciliation du bien-être au travail et de la performance.

En effet, une entreprise ou une organisation en bonne santé ne peut s’apprécier selon ses seuls résultats financiers mais au regard de sa performance globale, source d’efficacité économique à moyen et plus long terme qui nécessite la prise en compte des aspirations du personnel, des besoins de la clientèle, de l’opinion publique, du respect des partenariats et des engagements institutionnels. Selon Henri Ford : « Les deux choses les plus importantes n’apparaissent pas au bilan de l’entreprise : sa réputation et ses hommes. » Cette citation doit être nuancée dans la mesure où l’absence ou insuffisance de prise en compte de ces deux éléments est, parfois de façon différée, économiquement perceptible, voire mesurable (Apicil, Mozart Consulting, 2017). L’intérêt à mettre en place des mesures pour promouvoir la santé au travail est indubitable, quand on sait que le mauvais état de santé du personnel est facteur de coûts directs et indirects ou « cachés » (Gosselin, 2005) :

  • Perte de productivité des salariés ;

  • Coût de l’absentéisme et du présentéisme ;

  • Erreurs de production et dysfonctionnements ;

  • Indemnités des travailleurs victimes d’AT/MP ;

  • Temps perdu par le salarié et les autres employés ;

  • Période d’apprentissage du travailleur remplaçant ;

  • Perte de productivité du travailleur qui retourne au travail ;

  • Dialogue social dégradé qui finit par entraver la performance ;

  • Augmentation du turnover et perte de savoir-faire (compétences/expériences) ;

  • Coûts des déclarations publiques et promotions combattant la mauvaise publicité.

En matière de « risques organisationnels », il est possible de s’appuyer sur le rapport coordonné par Michel Gollac, sociologue du travail, qui propose une synthèse de la littérature internationale existante (Gollac M., 2011). Ce rapport, rédigé par un collège d’experts relevant de différentes disciplines (ergonomie, médecine et psychologie du travail, épidémiologie, économie…), a permis d’établir six types de facteurs de risques psychosociaux au travail repris par l’Institut national pour la recherche scientifique (INRS brochure ED614) :

  1. L’intensité du travail et le temps de travail, dont la mesure englobe les notions de « demande psychologique » et d’« effort » ;

  2. Les exigences émotionnelles, liées à la nécessité de maîtriser et façonner ses propres émotions, afin notamment de maîtriser et façonner celles ressenties par les autres ;

  3. L’autonomie au travail qui désigne la possibilité pour le travailleur d’être acteur dans son travail, dans sa participation à la production de richesses ;

  4. La mauvaise qualité des rapports sociaux, recouvrant les rapports entre travailleurs et entre ces derniers et l’organisation (intégration, justice et reconnaissance) ;

  5. La souffrance éthique, telle que ressentie par une personne à qui on demande d’agir en opposition avec ses valeurs professionnelles, sociales ou personnelles ;

  6. L’insécurité de la situation de travail, qui comprend l’insécurité socio-économique et le risque de changement non maîtrisé de la tâche et des conditions de travail.

Ainsi et à titre d’exemple, les résultats de l’enquête de l’IHBV menée auprès d’adhérents de l’association Mensa en Hollande (Nauta et coll., 2012) ont permis de mettre en évidence l’exposition toute particulière des adultes doués aux risques psychosociaux. Plusieurs des facteurs ci-dessus exposés sont en effet identifiés dans des circonstances au sein desquelles la douance joue un rôle déterminant et dont l’intensité parait, de ce fait, spécifique à cette catégorie d’employés :

  • L’employé doué a tendance à assumer plus de tâches que celle prévues par sa fiche de poste, ce qui l’expose au surmenage, voire au burnout. Ces tâches ne sont pas toujours liées au travail à proprement parler, mais peuvent en être le corollaire (représentation du personnel, activités sociales et culturelles, etc.) ;

  • De par sa pensée divergente, l’adulte doué peut susciter l’incompréhension chez ses collègues de travail qui ne parviennent pas toujours à suivre son raisonnement. L’entourage professionnel est alors susceptible, en retour, de le malmener, voire lui faire subir un harcèlement moral ;

  • Au travail, la personne douée accorde une importance toute particulière à certaines valeurs comme l’intégrité, l’honnêteté, la fiabilité et l’équité. Or, si ces valeurs ne sont pas partagées par l’organisation, il peut en résulter une souffrance éthique, voire un conflit cognitif si l’individu doué est contraint d’agir à l’encontre de celles-ci ;

  • Le sentiment de ne pas avoir de maîtrise sur les choses, de ne pas être compris ou de ne pas être cru, peut également avoir un impact sur l’état psychique du collaborateur doué. Cette situation est susceptible de le conduire à un burnout, à une dépression ou de provoquer des conflits relationnels au travail.

Toute cette stratégie sur la nécessité du développement d’une culture de prévention au sein du monde du travail, si elle était effectivement mise en place, permettrait aux adultes doués de se sentir sécurisés et mieux armés pour pouvoir être pleinement performants dans leur travail. Une telle politique de prévention pourrait s’inscrire dans une approche plus systémique, dans laquelle l’organisation du travail serait repensée dans son ensemble afin de fournir aux employés doués un cadre stimulant permettant leur plein épanouissement.

6.3 Agir de façon systémique en repensant l’organisation du travail

Afin d’encourager une appréhension systémique de la prévention des risques psychosociaux et de la promotion de la qualité de vie au travail, et favoriser ainsi l’intégration des employés doués, il est possible de faire appel au concept dit d’« organisation apprenante » (Lorenz et Valeyre, 2004). Les caractéristiques de ce modèle organisationnel, vertueux d’un point de vue psychosocial, seraient en effet de nature à garantir une plus grande salubrité des organisations socio-productives (Clot et Gollac, 2014). Une organisation apprenante peut se définir comme une organisation qui tente de développer ses ressources humaines à leur plein potentiel et qui fait appel à l’apprentissage pour améliorer ses résultats. Ce type d’organisation se distingue notamment de celles dites « taylorienne » ou de type « allégée », et s’appuie sur un certain nombre de caractéristiques telles que la culture d’apprentissage, la pensée systémique, le leadership et la vision partagée, l’autonomisation et l’apprentissage continu (Conjard et Devin, 2005 ; Shah Bin Mohd Yusoff, 2005).

Un tableau comparatif des principaux types d’organisation du travail permet de mettre en évidence les attributs partagés ou non par ceux-ci.

Tableau 5

Forms of organization and relationship to work

Forms of organization and relationship to work
Study – Valeyre et coll., 2009.

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L’étude, réalisée en 2004 par Edward Lorenz et Antoine Valeyre sur les formes d’organisation du travail dans les pays de l’Union européenne, s’appuie sur les résultats produits par la 3e enquête européenne sur les conditions de travail menée en mars 2000 parmi quinze États membres. S’appuyant sur une population totale de 8 081 salariés du secteur marchand principalement, cette étude permet d’établir que 39 % d’entre eux évoluent au sein d’une organisation apprenante. Celle-ci se caractérise, comme le précise l’étude, par une sur-représentation des variables d’autonomie procédurale et de contenu cognitif du travail (apprentissage dans le travail, résolution de problèmes, complexité des tâches) et, dans une moindre mesure, des variables de gestion de la qualité (autocontrôle et normes précises), et par une sous-représentation des variables de contraintes de rythme, de monotonie et de répétitivité du travail. Autant de caractéristiques organisationnelles qui, à la lecture des éléments susvisés, siéent tout particulièrement aux besoins des employés doués.

À ce titre, l’enquête menée par l’IHBV auprès de l’association Mensa en Hollande (Nauta et coll., 2012) fait apparaitre que les personnes douées ont une idée précise du type de tâches permettant à leurs talents d’être utilisés de la meilleure façon possible. Les participants à l’enquête font en effet état des aptitudes de l’employé doué pour concevoir ou faire évoluer les processus de travail, et de sa capacité à identifier exactement où se situe ou risque de survenir un problème au sein de l’organisation. Les auteurs de l’étude corroborent ces résultats en ajoutant, sur la base de leur expérience, que la vue d’ensemble des processus et des tâches en interconnexion prédispose le collaborateur doué à des postes stratégiques à l’appui de projets innovants. Les différents contributeurs s’attendent donc à ce que soit soutenu le développement d’une organisation apprenante du travail et d’une culture où créativité, résolution de problèmes et intelligence sont valorisées au maximum.

Or c’est bien souvent l’inverse qui est constaté, au détriment tant des individus que de la collectivité, comme le démontre une étude de l’IHBV portant sur les conflits au travail que peuvent connaitre les employés doués (Van der Waal et coll., 2013). Menée auprès de 55 individus doués concernés par le sujet, l’étude a permis de confirmer que ces derniers subissent des situations conflictuelles spécifiques qui s’expliquent, tout spécialement, par la non-prise en compte par l’organisation de leurs remarques et propositions. Ainsi, les employés doués interrogés au cours de cette étude avaient tous très vite compris ce qui ne fonctionnait pas efficacement dans leur organisation ou quelles tâches n’étaient pas exécutées correctement, ce qui leur avait donné à tous l’envie irrépressible de le faire savoir auprès du management. Et apparemment, leurs observations n’ont sans doute pas été exprimées de façon efficace, ou l’ont été trop intensément et trop passionnément dans un cadre organisationnel non ouvert au dialogue professionnel et peu sensibilisé au principe d’amélioration continue.

Il peut être donc utile, à titre d’illustration, d’évoquer le contenu et le déroulement types de conflits résultant d’une mauvaise adéquation entre les talents des adultes doués et les caractéristiques organisationnelles des structures qui les emploient, et ce, afin de mieux mesurer les enjeux liés à l’implémentation des principes de l’organisation apprenante :

  1. Processus : début du conflit ;

  2. Un employé (doué) porte une appréciation sur une tâche et/ou une organisation ;

  3. L’employé communique une proposition de changement à son manager ;

  4. La proposition est bloquée par le manager, sans justification satisfaisante ;

  5. Une friction/irritation émerge alors entre le manager et l’employé ;

  6. L’employé répète la proposition plusieurs fois, sans succès ;

  7. Une escalade se crée après plusieurs prises de proposition ;

  8. Un conflit relationnel s’amorce (froid/chaud) ;

  9. Répercussions (dommages).

Aussi et au-delà des concepts et modèles dont l’efficacité dépend des conditions de déclinaison et de mise en application, on pourrait estimer que toute organisation qui a à cœur de miser sur son capital humain, et ce, en organisant notamment l’expression collective et individuelle sur les conditions de travail, en étant à l’écoute des aspirations des personnes qui la composent et en favorisant le développement de leurs compétences, poursuit une logique vertueuse sur le champ de l’efficacité globale. En effet, l’implémentation des principes de l’organisation apprenante constituerait une solution permettant de traiter, dans un premier temps et dans un cadre collectif, la problématique relative aux conditions de travail des personnes douées qui constitue – et ceci n’est pas à démontrer – un réel enjeu économique et social. Cette démarche, positive à bien des égards, ne pourra cependant être exclusive d’une approche plus particulière à ce groupe de travailleurs notamment dans les structures de taille importante nécessairement concernées par cette question.

7. Quelles actions à destination spécifique des employés doués ?

Il serait illusoire de croire que des solutions générales soient de nature à résoudre, à elles seules, une problématique aussi spécifique. Faut-il légiférer sur la question ? Non très certainement, bien qu’une éventuelle mise à jour des dispositions législatives en matière de discrimination (articles 225-1 du Code pénal et L.1132-1 du Code du travail) – intégrant un 25e motif que serait la « différence cognitive » – serait opportune. Une telle novation permettrait, au-delà de la lutte contre les discriminations « directes », de pousser à l’évolution les organisations produisant non intentionnellement des situations de discrimination dites « indirectes ». Mais dans cette attente, il est possible de se rapporter aux dispositions actuelles dans le cadre d’une interprétation renouvelée. En effet, la réglementation européenne et notamment la Directive « mère » du 12 juin 1989 (89/391/CEE) transposée depuis dans les réglementations des États membres de l’Union européenne (articles L.4121-1 et suivants du Code du travail en ce qui concerne la France), définit une obligation générale de sécurité dont tout employeur (public comme privé) est débiteur et impose une démarche de prévention des risques professionnels guidée par le principe de l’évaluation des risques professionnels.

La démarche selon laquelle l’évaluation des risques professionnels doit précéder l’adoption de mesures préventives afin que celles-ci puissent être totalement appropriées et efficaces, doit être mise en œuvre dans l’entreprise et porter sur tous les risques auxquels les salariés sont susceptibles d’être exposés. Parmi les principes généraux posés par cette directive figure l’obligation d’adapter le travail à l’homme

« en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix […] des méthodes de travail et de production […]. »

que l’on retrouve bien entendu dans la législation française. Cette disposition, inscrite à l’article L.4121-2 du Code du travail, a été étendue dans sa portée par la Loi n° 2002-73 du 17 Janvier 2002 par laquelle le législateur a rappelé la nécessité d’appréhender la santé dans ses aspects aussi bien physique que mental. Aussi, la notion de « santé » se rapproche désormais de la définition posée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui la définit comme un

« état de complet bien-être physique, mental et social, (qui) ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. »

Cette dimension de la santé au travail prend tout son sens quand obligation est faite à l’employeur de

« planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent […] l’organisation, les conditions de travail et les relations sociales ».

Adapter le travail à l’homme et planifier la prévention des risques revient donc à penser les organisations, les rapports de travail, les procédures et les process à partir des équipes, et à les élaborer avec elles… voire asseoir cette réflexion autour de la personne même du salarié. Sans s’inscrire spontanément et/ou exclusivement dans une démarche d’ordre « psychologique » axée sur la prise en considération des caractéristiques personnelles de chaque individu (bien qu’une telle démarche puisse s’imposer dans des situations spécifiques), il y a lieu d’affiner la démarche générale de prévention inspirée à certains égards par les sciences de l’épidémiologie et de procéder, comme le demande cette démarche, à l’identification des facteurs conduisant à la propagation des risques, psychosociaux notamment, afin de limiter leur effet à défaut de pouvoir totalement les supprimer.

Comme le précise l’article R.4121-1 du Code du travail, l’évaluation des risques professionnels doit être réalisée par « unité de travail » – notion devant être interprétée au sens large pour couvrir les situations professionnelles les plus diverses conformément à la circulaire DRT n° 6 du 18 avril 2002. À ce titre, la directive du 12 juin 1989 précise que cette évaluation doit s’adapter aux risques particuliers à certains groupes de travailleurs… étant entendu qu’il ne s’agit pas ici de risques liés à certaines activités mais bien de caractéristiques personnelles – précision qui remet à nouveau en exergue les adultes doués, catégorie d’employés souvent occultés au sein du monde du travail. L’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail (OSHA), dans un rapport produit en 2009 intitulé : « Diversité de la main-d’œuvre et évaluation des risques ; pour que tous soient couverts », apporte ses éclairages et souligne la nécessité de réaliser des évaluations globales tenant compte de la diversité de la main-d’œuvre dans l’analyse et la gestion des risques professionnels.

Comme il est établi que certaines personnes sont plus vulnérables et qu’elles présentent des besoins spécifiques, ce rapport s’est attelé à identifier six catégories de personnes exposées à des risques particuliers et nécessitant des mesures de prévention spécifiques :

  1. Les jeunes ;

  2. Les migrants ;

  3. Les personnes handicapées ;

  4. Les travailleurs temporaires ;

  5. Les personnes d’un certain âge ;

  6. Les femmes (questions de genre).

L’apport principal de ce rapport est de décrire pourquoi et comment l’évaluation des risques professionnels peut et doit couvrir l’ensemble du personnel. Il sensibilise en ce sens les acteurs de la santé et de la sécurité au travail sur l’importance d’évaluer non seulement tous les risques auxquels sont exposés les travailleurs, mais également, et la nuance est importante, l’exposition aux risques de tous les travailleurs. À cette liste, non exhaustive et dépendante de l’état des connaissances au moment de sa constitution, pourraient y être aujourd’hui ajoutées les personnes douées et, à fortiori, celles faisant l’objet d’un atypisme neurologique… lesquelles ne sont pas ou ne souhaitent pas nécessairement être reconnues, le cas échéant, en qualité de travailleurs handicapés. Comme nous l’avons démontré, toutes ces personnes disposent de caractéristiques particulières les exposant plus que d’autres à certains risques. Tout employeur serait donc, logiquement, débiteur à leur égard d’une obligation particulière d’évaluation et de prévention des risques professionnels.

C’est ce qui peut se déduire, outre-Atlantique, de l’affaire médiatique du docteur Richard Le Blanc – médecin atteint du syndrome d’Asperger. Celui-ci avait été écarté de sa pratique au Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke (CHUS) en 2012 en raison des difficultés interpersonnelles qu’il éprouvait dans son travail, qui se trouvaient en réalité liées à son atypisme neurologique. Diagnostiqué par la suite, le docteur Le Blanc finit par être réintégré dans son travail en 2017 et des mesures sont alors prises pour faciliter sa réintégration, comme la mise en place d’un processus de gestion des conflits et d’une formation offerte au personnel exerçant à ses côtés. Comme l’a précisé son avocat :

« La part de la société, c’est de voir ce que l’on est capable de faire pour intégrer ces gens et leur permettre de donner leur plein potentiel ».

Il convient donc d’agir, et ce, de façon concrète, en faveur des personnes douées et neuroatypiques plus généralement.

L’exemple du docteur Le Banc illustre ainsi les difficultés générées, tout à la fois, par la reconnaissance progressive des problématiques liées aux atypismes neurologiques par la société (ici en l’occurrence, un trouble du spectre autistique – le syndrome d’Asperger, par ailleurs non exclusif d’une douance) et par l’incapacité actuelle des organisations socio-productives à agir en amont en vue d’une meilleure inclusion de cette catégorie de travailleurs. C’est afin d’éviter d’en arriver à de telles situations, dommageables tant pour l’employé concerné que pour la collectivité de travail en général, qu’il est possible – et même nécessaire comme le démontre notre étude – de s’appuyer sur le rapport de l’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail (OSHA) précédemment cité et la série de préconisations qu’elle adresse à l’attention des employeurs, ce, afin d’améliorer les conditions de travail et l’intégration professionnelle des personnes douées.

Selon ce rapport, les principes suivants doivent guider l’action de toute organisation en matière de promotion et de prise en considération de la diversité :

  • Faire preuve d’un engagement positif dans la prise en compte de la diversité et éviter les a priori quant aux personnes et aux risques auxquels elles sont exposées ;

  • Valoriser la diversité de la main-d’œuvre, qui est un avantage pour l’entreprise, et adapter le travail à la personne même du salarié et donc à ses caractéristiques ;

  • Lutter contre les risques professionnels et agir en prévention, en considérant en amont les besoins de la main-d’œuvre diverse et en agissant pour l’égalité au travail ;

  • Appliquer les principes généraux de prévention de façon articulée et par ordre de priorité et s’appuyer, si nécessaire, sur des compétences et expertises extérieures ;

  • Favoriser la participation des travailleurs concernés pour mieux apprécier le travail réel et associer l’ensemble des acteurs de prévention des risques professionnels.

Certes, nous sommes encore loin d’une « parfaite » application des principes posés par la directive du 12 juin 1989, lesquels tendent il est vrai à se renouveler au gré des évolutions sociétales et des découvertes scientifiques. En effet, plus de 25 années se sont écoulées depuis la mise en place en France des premières démarches d’évaluation des risques professionnels. Pensée en 1991 puis confirmée en 2001 avec l’obligation d’élaborer dans chaque établissement recevant des travailleurs un Document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP), cette démarche est appelée à intégrer de nouvelles problématiques comme cela avait pu être le cas avec l’émergence il y a quelques années des risques psychosociaux. Des progrès sont donc possibles, voire nécessaires en matière d’intégration de la douance et plus généralement de la différence cognitive, à condition que les acteurs socioéconomiques soient sensibilisés et accompagnés par les institutions et organismes de prévention, comme le prévoit le Plan santé au travail 2016 – 2020 (PST).

8. Conclusion

La douance est une réalité, et elle a été trop longtemps niée en raison, notamment, des préoccupations légitimes de la société pour l’égalité. Perçu bien souvent comme une grâce aux accents élitistes et un privilège venant en contradiction avec les aspirations d’une démocratie sociale axée sur le « mérite », le « don » ne bénéficie que rarement d’un contexte favorable à son développement et à son épanouissement, au détriment tant des individus concernés que de la collectivité en général. Ce sujet, longtemps appréhendé sous un angle éducatif, questionne aujourd’hui le fonctionnement de nos organisations socio-productives.

Une plus grande préoccupation des acteurs publics et privés participerait pourtant à l’efficacité des politiques publiques, en matière d’inclusion sociale et de croissance économique notamment. Parce que le succès réside bien souvent dans la capacité à transformer les contraintes en autant d’opportunités de procéder autrement, les organisations socio-productives ont tout intérêt à appréhender la problématique de la douance à sa juste mesure : il s’agit d’une question d’équité et de justice sociale pour les personnes douées tout autant que de diversité au travail et de valorisation de la différence, lesquelles constituent des avantages économiques qu’il serait coupable de négliger plus longtemps.

Au droit à la différence doit s’ajouter, au XXIe siècle, la valorisation de la différence. Celle-ci serait source d’efficacité et de performance pour nos institutions et organisations socioprofessionnelles, car promouvoir l’apprentissage, l’autonomie, la justice ainsi que la coopération est un enjeu de santé publique autant que de compétitivité économique. Savoir attirer à soi les individus doués et déployer les moyens judicieux pour les retenir en leur permettant de se réaliser au bénéfice de la collectivité, telle est la démarche dans laquelle la France et le vieux continent européen tardent encore trop à s’inscrire.